Essai historique et critique sur le duel/Chapitre VII

CHAPITRE VII.

législation depuis 1791.


L’amélioration qui avait eu lieu dans les mœurs publiques, relativement au duel, n’avait point échappé à l’Assemblée constituante ; mais elle se garda bien d’en troubler le mouvement par des lois inopportunes. Elle craignit que toute innovation ne devînt une arme pour l’esprit de parti, qui glisse toujours quelque faux poids dans la balance. Dans sa sollicitude pour tous les Français, elle craignit d’exposer à de nouveaux dangers ceux même qui étaient le plus opposés à ses vues ; appliquant ainsi ce grand principe d’économie politique : Que l’oppression, quelle qu’en soit la victime, doit alarmer tout le monde, parce qu’elle menace toutes les libertés.

Cependant plusieurs motions furent faites[1], plusieurs projets furent présentés au comité de législation criminelle, un entre autres, par lequel on proposait de faire promener dans les rues, et d’exposer sur la place publique, armé de pied en cap, tout homme qui serait convaincu de s’être battu en duel. Mais ils furent tous également rejetés ; le mot duel ne fut pas prononcé dans le Code pénal de 1791, et on crut avoir assez fait, en abolissant, par une disposition générale, l’échafaudage antique des lois sur le duel.

On crut avec raison que les insultes, causes premières des duels, deviendraient de jour en jour plus rares dans un royaume où toute dépendance féodale était anéantie, où les déférences ne seraient plus que de simple courtoisie, et où chaque citoyen aurait un droit égal à la protection des lois.

Peut-être cette diminution graduelle dans le nombre des duels, est-elle le point de perfection auquel il est raisonnablement permis d’aspirer parmi nous.

Quoi qu’il en soit, dans ce silence rationnel de la loi, et depuis la publication du Code de 1791, il n’a pas plus été permis de poursuivre le duel que le suicide.

Cependant quelques tribunaux ne l’entendirent pas ainsi : on fit des poursuites, on rendit même quelques jugemens pour cause de duel.

Mais ces actes judiciaires furent dénoncés à l’Assemblée législative, qui avait succédé à l’Assemblée constituante, et le 17 septembre 1795 il fut rendu décret dont l’article 1er est ainsi conçu :

« Tous procès et jugemens contre des citoyens depuis le 14 juillet 1789, sous prétexte de provocation au duel, sont éteints et abolis. »

Cet acte législatif donne lieu à deux observations également importantes.

La première, que tous procès et jugemens furent indistinctement abolis ; ce qui prouve assez qu’ils avaient été entrepris en contravention aux lois.

La seconde, que ces procès et jugemens furent abolis à compter du 14 juillet 1789, parce que les lois sur le duel n’ayant été portées, ainsi que nous l’avons prouvé, que pour la noblesse et gens d’armes, elles avaient été nécessairement abrogées par celles qui avaient déclaré que tous les citoyens étaient égaux devant la loi.

Enfin, le 29 messidor an ii la Convention nationale rendit un décret qui « renvoie à sa commission chargée du recensement et de la rédaction complète des lois, pour examiner et proposer les moyens d’empêcher les duels, et la peine à infliger à ceux qui s’en rendraient coupables, ou qui les provoqueraient. »

Ces divers actes législatifs, qui reconnaissent positivement l’inexistence des lois contre le duel, ont jusqu’ici servi de règle ; et comme les Codes de l’an iv et de 1810 n’ont point rempli la lacune indiquée par le décret du 29 messidor an 2, les tribunaux s’y sont conformé, de manière que quoique depuis vingt-cinq ans quelques duels aient eu lieu, la justice n’a jamais cru devoir s’en occuper.

Toutes les branches du pouvoir législatif ont depuis consacré la même doctrine. Le monarque, par le silence de ses agens ; la cour des pairs, par une décision précise ; la chambre des députés, par un ordre du jour motivé ; les cours, par leurs arrêts, et notamment celle de Paris, par l’arrêt du 9 mai 1818 ; enfin la même chambre des députés, en arrêtant qu’elle s’occupera de la proposition de M. Clausel de Coussergues, dont le développement commence par l’aveu formel que nos lois actuelles ne contiennent point de dispositions relatives au duel.

  1. Voyez la Table générale du Moniteur, année 1791, nos 36 et 183.