Essai de psychologie/Chapitre 85

(p. 265-270).

Chapitre 85

Continuation du même sujet.


Le pouvoir de l’éducation ne se borne point à cette vie : il perce au-delà du tombeau, & porte ses heureuses influences jusques dans l’éternité.

Après s’être développé par degrés insensibles, l’homme atteint l’âge de maturité. Dans cet âge il déploie toutes ses forces, il exerce toute son activité, il goûte la plénitude de l’existence. Mais ce solstice de la vie humaine dure peu. Bientôt l’homme déchoit ; ses forces s’affoiblissent ; son activité diminue ; & cet affoiblissement graduel le conduit insensiblement à la vieillesse, qui est suivie de la mort.

L’homme, cet être excellent, dans lequel nous découvrons tant de traits d’une origine céleste, ne vivroit-il donc que la vie de l’éphemere ? Tant de vertus, tant de lumieres, tant de capacités à acquérir n’auroient-elles pour fin que d’embellir un instant le tableau changeant de l’humanité, en rendant à la société des services nécessaires ?

La raison peut élever ces doutes, parce qu’elle peut craindre d’être privée pour toujours d’un bonheur qu’elle desireroit qui ne finît point, et qu’ignorant le plan de l’univers, elle ignore si ce desir s’accorde avec ce plan. Mais lorsqu’elle réfléchit profondément sur la simplicité de l’ame et sur les perfections divines, elle y découvre des motifs suffisans pour se persuader que l’ame continuera d’exister après la destruction du corps grossier qu’elle anime aujourd’hui. S’il reste là-dessus quelques inquiétudes à la raison, c’est sur le besoin que l’ame a d’un corps pour exercer ses facultés. La révélation vient dissiper ces inquiétudes en enseignant aux hommes le dogme important de la résurrection, dogme si consolant, et en même tems si conforme aux notions les plus saines de la philosophie. La souveraine sagesse a donc de grandes vues sur l’homme. Elle a placé au-dedans de lui le germe d’une immortalité glorieuse. Elle a semé sur la terre le grain qui renferme ce germe précieux ; elle a voulu qu’il y prît ses premiers accroissemens, qu’il y portât ses premiers fruits ; & elle s’est proposée de le transplanter un jour dans un terrein plus fertile, où il recevra la culture propre à donner à ses productions toute la perfection qu’elles sont capables d’acquérir.

L’éducation commence ici bas ce grand ouvrage. Elle prépare le cœur & l’entendement pour cet état futur : elle les rend propres à habiter le séjour de la vertu & de la lumiere.

Mais, qu’est-ce que ce germe qui doit se développer un jour avec tant d’éclat ? Un voile épais le dérobe à nos foibles yeux & ne laisse à notre curiosité avide que la ressource des conjectures. Ce germe seroit-il un corps organique de matiere éthérée ou d’une matiere analogue à celle de la lumiere ? Seroit-il le véritable siege de l’ame ? Le corps calleux n’en seroit-il que l’enveloppe grossiere ? Les esprits animaux, destinés à transmettre à ce corps éthéré les ébranlemens des objets, y produiroient-ils des impressions durables, source de la personnalité ? Les esprits animaux eux-mêmes seroient-ils d’une nature analogue à celle de la lumiere ou de la matiere électrique ? L’action des visceres n’auroit-elle pour but que de séparer ce feu élémentaire des alimens dans lesquels on sait qu’il est renfermé ? Les nerfs ne seroient-ils que les cordons destinés à la transmission de cette matiere dont la rapidité est si merveilleuse ? Le corps éthéré contiendroit-il en petit tous les organes du corps glorieux que la foi espere & que s Paul nomme corps spirituel , par opposition au corps animal ? La résurrection ne seroit-elle que le développement prodigieusement accéléré de tous ces organes ? Une lumiere céleste, infiniment plus active que la liqueur qui opere le développement du germe grossier, opéreroit-elle le développement du germe immortel ?

Tout n’est que changement & que développement. Contenus originairement en petit dans des germes les corps organisés ne font que se développer, et l’instant où ce développement commence est ce que nous nommons improprement génération . La nature prépare de loin ses productions ; elle les fait passer successivement par différentes formes pour les élever enfin au dernier terme de leur perfection. Quelle distance entre la plante renfermée encore dans la graine & cette même plante parvenue à son parfoit accroissement ! Quelle différence entre la chenille & le papillon qui en doit naître, entre ce ver hérissé de poils qui rampe pesamment sur la terre et qui ne se nourrit que d’alimens grossiers, & cet animal paré des plus riches couleurs, qui fend l’air d’un vol léger & qui ne vit que de rosée ! Cependant, la chenille est un véritable papillon sous une forme empruntée. La main savante & délicate d’un Swammerdam ou d’un Réaumur sait faire tomber ce masque & produire à nos yeux surpris les parties propres au papillon. L’homme ne paroît point non plus ici bas sous sa véritable forme : ce n’est point lui que nous voyons ; ce n’est que cette enveloppe terrestre qu’il doit rejeter. La mort, si redoutable au vulgaire, n’est pour une ame philosophique que la mue qui doit précéder une heureuse transformation.