Essai de psychologie/Chapitre 54

(p. 183-188).

Chapitre 54

Du bonheur.


L’amour de la félicité est le principe universel des actions humaines. La raison l’éclaire. Il imprime à l’ame le mouvement.

Tel est l’état des choses : l’observation de l’ordre est source de bien ; son inobservation source de mal . La sobriété conserve la santé ; l’intempérance la détruit. Ces effets naturels de l’observation ou de l’inobservation de l’ordre sont ce qu’on nomme sa sanction .

La volonté la plus parfaite est celle qui obéit le plus fidellement à l’ordre. Elle veut constamment le vrai bien, parce qu’elle veut constamment ce qui est conforme à sa nature.

Le sentiment de la perfection est toujours accompagné de plaisir : le sentiment de l’imperfection est toujours suivi du déplaisir.

Le plaisir qui naît de la perfection fait le bonheur moral : le déplaisir qui naît de l’imperfection fait le malheur moral : les remords en sont l’expression.

L’évangile est le tableau le plus fini de la perfection humaine : c’est que celui qui a fait l’homme a fait aussi ce tableau.

En nous rappellant à l’ordre, l’évangile nous rappelle à la raison. Il nous dit ; faites bien, et vous serez heureux : semez, & vous recueillerez. C’est l’expression fidele du vrai, la relation de la cause à l’effet : une graine mise en terre s’y développe.

Les devoirs ne sont tels, que parce qu’ils sont une suite nécessaire de nos relations ou de notre nature. La créature n’adorera-t-elle pas son créateur ? Ne s’aimera-t-elle pas elle-même ? N’aimera-t-elle pas ses semblables ? Assurément, l’ame exprimera ses sentimens, parce qu’elle les a : elle les a, parce qu’elle est faite pour le bonheur & qu’ils en sont la principale branche. Quelle perfection ne suppose pas dans l’ame la contemplation des attributs divins, l’amour de soi-même bien ordonné, l’amour du prochain ! Quel bonheur naît de cette perfection !

La morale, qui est le systême des devoirs ou du bonheur, n’est donc pas arbitraire. Elle a son fondement dans la nature. Ses maximes sont vraies puisqu’elles découlent de rapports certains. Elles sont utiles, puisqu’elles conduisent au bonheur.

La morale peut se corrompre, parce que le sentiment des rapports peut s’altérer. L’amour propre, ce puissant mobile, ne cesse point d’agir : toujours il porte l’ame à chercher son bonheur ; mais ce bonheur revêt toutes les formes que l’éducation, la coutume, le préjugé lui impriment. Ici l’humanité tend vers la nature angélique ; là elle descend au niveau de la brute.

On peut disputer sur les mots ; les choses demeurent ce qu’elles sont. L’amour de la félicité ne differe point de l’amour propre : s’aimer soi-même, c’est vouloir son bonheur. La bienveuillance universelle n’est que l’amour propre le plus parfoit. Cet amour se complait dans le sentiment d’une perfection qui le porte à regarder les autres comme lui-même.

Une doctrine qui prescrit d’aimer son prochain comme soi-même, & qui nomme prochain tous les enfans d’Adam, est au moins la plus belle doctrine. Son auteur a été, sans doute, l’ami le plus zélé du genre humain. Il l’a été en effet ; il est mort pour le genre humain.

Une doctrine qui prescrit de ne regarder comme notre prochain que ceux qui professent notre croyance, est au moins une doctrine anti-sociable. Ses partisans sont, sans doute, ennemis du genre humain : ils le sont en effet ; ils le persécutent.

Les degrés de la perfection morale ou du bonheur moral varient comme les circonstances qui concourent à leur formation. Et comme il ne naît pas deux êtres précisément dans les mêmes circonstances, il n’est pas deux êtres qui aient précisément le même degré de perfection ou de bonheur. Le monde physique est si prodigieusement nuancé : comment le monde moral, qui lui est si étroitement uni, n’auroit-il pas ses nuances ?

Les degrés de la perfection ou du bonheur sont donc indéfinis. L’échelle qu’ils composent embrasse toutes les spheres. Elle s’éleve de l’homme à l’ange, de l’ange au séraphin, du séraphin au verbe.