Esquisses contemporaines - Maurice Barrès/01

ESQUISSES CONTEMPORAINES

M. MAURICE BARRÈS

I
SOUS LES BANNIÈRES ROMANTIQUES

« Au fond, le travail de mes idées se ramène à avoir reconnu que le moi individuel était tout supporté et alimenté par la société. Idée banale, capable cependant de féconder l’œuvre d’un grand artiste et d’un homme d’action. » (Scènes et Doctrines du Nationalisme, p. 16.)


Au mois de janvier 1883, débarquait à la gare de l’Est un grand garçon de vingt ans, sec et maigre, au teint jaune et terreux, aux longues mèches noires rebelles, au masque anguleux et tourmenté qui n’était pas sans rappeler celui de Condé ou de Pascal. Il arrivait en droite ligne de sa Lorraine natale, dont il devait conserver toujours l’accent appuyé et un peu âpre. Comme tant d’autres avant lui, il se déracinait pour venir conquérir Paris. Il avait déjà beaucoup lu, beaucoup rêvé, et noirci un peu de papier. Son état d’âme ne devait guère différer, j’imagine, de celui de cet autre rêveur qui, un siècle auparavant, débarquait du coche de Bretagne en compagnie de la pimpante Mme Rose, et qui n’était alors que le « chevalier » de Chateaubriand. Il était dévoré d’ambition, de toutes les ambitions, — celle du grand artiste comme celle de l’homme d’action. Orgueilleux et timide, cachant ses timidités et ses juvéniles candeurs provinciales sous les espèces, parfois bien distantes, d’une prodigieuse faculté de dédain, à la fois ardent et inquiet, intelligent surtout, d’une intelligence prompte, complexe, subtile, aiguë, il brûle « de s’associer à cette vie immense, étendue devant lui. » « Toutes les énergies assemblées de sa jeunesse aspiraient l’air, frappaient le sol de leur pied et hennissaient comme un régiment de hussards qui attend le signal de la charge[1]. »


I

Si plastique qu’elle soit encore, une âme de vingt ans a déjà toute une longue histoire. D’abord, elle résume ou reflète en elle bien des âmes antérieures. Nos gestes les plus originaux sont souvent à peine nôtres et ne font guère que reproduire ceux de nos ancêtres lointains. Il ne nous est pas indifférent de savoir que, du côté paternel, M. Barrès est un compatriote de ce Pascal dont il a si bien parlé : son lyrisme lui vient peut-être de ces consuls, receveurs qu’on trouve installés à Saint-Flour dès le XVe siècle, et dont l’un se fixa à Blesle, en Haute-Loire, vers 1530. C’est de cette branche qu’est sorti l’auteur de Colette Baudoche. De père en fils, les Barrès de Blesle étaient notaires royaux. Survint la Révolution. En 1804, un de ces Barrès s’engage à vingt ans dans les vélites aux chasseurs de la garde consulaire : il fit toutes les guerres de l’Empire, devint officier supérieur, et laissa aux siens un curieux « itinéraire » manuscrit de ses campagnes. Entre temps, il s’était marié, à Charmes-sur-Moselle, avec une jeune fille du pays, et c’est là qu’il vint prendre sa retraite. Son fils unique, Auguste Barrès, ancien et brillant élève de l’École Centrale, vint aussi s’établir à Charmes. De son mariage avec une Lorraine de très vieille souche allait naître, à Charmes, le 22 septembre 1862, l’écrivain qui devait si poétiquement chanter « la colline inspirée[2]. »

« Race économe, calculatrice et utilitaire, » dit Vidal de La Blache des populations du plateau lorrain. Et il ajoute : « figée dans ses habitudes, ennemie des innovations. » Faut-il rapporter à cette disposition ethnique le « traditionalisme » de M. Maurice Barrès, son culte fervent du passé, son perpétuel souci de tout fonder sur « la terre et les morts ? » On peut observer aussi que, sur ces « bastions de l’Est, » un patriotisme ombrageux et farouche devait tout naturellement fleurir : « éternel champ de bataille » où Celtes et Germains se sont périodiquement affrontés, la Lorraine a pour mission historique de contenir le Ilot du germanisme envahissant, de maintenir dans son unité permanente le clair génie gallo-romain ; elle n’est pas impunément le pays de Jeanne d’Arc.

Mais, tout en s’opposant à l’Allemagne, elle la comprend, elle la pénètre, elle est capable de s’en assimiler les secrètes aptitudes : le don philosophique et poétique, le repliement sur soi, la tendance aux rêves abondants et tumultueux. La vallée de la Moselle est un excellent poste d’écoute, et l’on y perçoit fort distinctement les voix musicales et nostalgiques du brumeux génie du Rhin.

Charmes est une jolie petite ville, mi-paysanne, mi-ouvrière, de 3 000 habitants. La maison familiale de l’écrivain est située un peu en dehors de la ville, au centre d’un beau jardin français, « plein de repos et de fraîcheur, » qui descend jusqu’à la Moselle. De la terrasse, le regard embrasse la noble et large vallée, les opulentes verdures de la forêt de Charmes, la côte d’Essey, et, parfois, quand le temps s’y prête, on voit à l’horizon se dresser les premiers escarpements des Vosges. C’est là, dans ce paisible milieu de bonne bourgeoisie française, que l’enfant passa ses toutes premières années. La mère, dont la fine distinction d’esprit semble avoir eu, de bonne heure, une grande action sur son fils, était de santé fort délicate : elle dut, plusieurs années de suite, aller faire une cure de repos dans une pension de Strasbourg, dirigée par des religieuses, et, l’été, à Andlau, dans la montagne alsacienne. L’enfant ne la quittait pas, et ses longues stations à la vieille cathédrale lui ont laissé dans l’âme des impressions de beauté, des émotions religieuses dont le souvenir attendri ne devait jamais s’évanouir.

Et puis, ce fut la guerre :


Si j’interroge mes premières années, j’y vois d’abord un paroxysme de tumulte français : sous un soleil fulgurant, des trains chargés de soldats, — de soldats par milliers, suants, ivres et débraillés, — couraient à la frontière (juillet 1870), alors que toute ma petite ville, les hommes, les femmes et les enfants, penchés aux barrières de la gare, leur tendait du vin, du café, de la bière et de l’alcool encore en criant : « À Berlin ! » Nous faisions pour le mieux ! Et peu de jours plus tard, sous la pluie, pendant une interminable journée de douleur et de stupéfaction, ce fut, pêle-mêle, cavaliers avec fantassins, et les soldats boueux insultant les officiers, dont un général pleurait (du moins ma jeune imagination me persuada qu’il pleurait), ce fut l’immense et sale confusion, les troupeaux en retraite sur Châlons. Et puis le surlendemain, à huit heures du soir, dans l’ombre, au milieu de notre silence, apparurent cinq uhlans, qui chevauchaient, le revolver au poing. Ils précédaient la puissante nappe des vainqueurs, dont l’odeur immonde de graisse, de cuir, de chicorée, m’est aujourd’hui encore présente. Après cela, tout Wagner et tout Nietzsche et leur solide administration, qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ? Ce n’est pas la question de savoir où est la supériorité. Tout mon cœur est parti dans ma septième année par la route de Mirecourt, avec les zouaves et les turcos qui grelottaient et qui mendiaient et de qui, trente jours avant, j’étais si sûr qu’ils allaient à la gloire[3].


Vision inoubliable, et autour de laquelle d’autres, tout aussi douloureuses, ne se cristallisèrent que trop vite. L’occupation allemande fut très dure à Charmes, et le Boche éternel s’y montra tel que nous l’avons revu depuis. Brutalités, vexations, incendies, fusillades : par folle terreur des francs-tireurs, on faisait monter sur toutes les locomotives des notables du pays. Le père de M. Barrès, son grand-père maternel, qui était maire de Charmes, furent parmi ces otages. Le dernier en tomba malade et ne put s’en relever. La guerre finie, Charmes fut occupée jusqu’au paiement intégral de l’indemnité. Il fallut loger des Prussiens : l’un d’eux, qui n’était point un mauvais homme, s’improvisa domestique, et, parfois, il conduisait l’enfant à l’école. Enfin, le dernier casque à pointe disparut à l’horizon, et la vie française put reprendre son cours normal.

Il était temps. Pendant toutes ces années troublées, les études avaient été fort négligées, et il aurait fallu les reprendre par la base. On mit l’enfant interne au collège de la Malgrange, qui était tenu par des prêtres, et où, tant bien que mal, on l’initia au rudiment, puis plus tard au lycée de Nancy. Il a gardé un détestable souvenir de ses années de pension :


J’ai passé mon enfance au collège, au milieu d’abominables imbéciles. Au bout de cinq ans, j’y trouvai une légère distraction. Pour exercer notre mémoire, on nous donna une Anthologie des prosateurs français du XIXe siècle. Je possède encore ce gros volume bleuâtre. À chaque fois que je l’ouvre, je retrouve cette joie aiguë et tremblante, joie enveloppée de tristesses, que me faisait ce bon livre pendant les longues études du soir, quand, après une journée terrible, je me consolais parmi ces enchanteurs jusqu’à l’heure bénie du coucher. J’avais pour d’excellentes raisons une peur terrible des récréations. Et il ne faut pas sourire, si je dis que Charles Nodier (avec Trilby), Alexandre Dumas (avec Une soirée chez Charles Nodier), Veuillot (avec Maître Aspic), quelques autres encore, étaient mes vrais camarades…


Un jour, il découvre la notice sur Augustin Thierry, et, s’exaltant au récit de ses souffrances, le cœur rempli « de générosité et de trouble, » il tombe sur la page, qui nous a tous si profondément remués à son âge, où le noble écrivain raconte comment est née sa vocation d’historien. « Je me mis à gesticuler d’aise, répétant moi aussi : Pharamond, Pharamond… »


O désastre ! L’homme, le préposé, le surveillant bondit… Je me souviens qu’il lisait alors, comme toujours, les Faucheurs de la mort. C’était sa lecture favorite et stupide… Par terreur et prudence, je m’étais coulé sous la table. D’un adroit coup de pied, m’en ayant fait sortir, il me précipita dans la boîte à houille. C’était le lieu d’humiliation habituel. Pourquoi ce singulier et incommode pénitencier ? Aujourd’hui encore, je ne comprends rien à la fantaisie de l’affreux drôle… Je m’agenouillais, terrifié, dans la houille, et, au bout de cinq minutes, l’horrible chaleur du poêle de fonte où j’étais presque adossé m’avait perdu d’apoplexie, névralgie et autres barbares douleurs, sans oublier l’humiliation [4]...


Même en faisant la part de l’exagération littéraire, il reste que ces années de collège ont été moroses et sans joie. Aux âmes solitaires et un peu féminines, aux sensibilités souffrantes, aux imaginations rêveuses, aux intelligences vagabondes, inquiètes, capricieuses, les mœurs et les habitudes de nos internats ne conviennent guère. L’adolescent eut à souffrir d’abord d’une « grande misère physique, » des « sommeils écourtés, » du « froid et de l’humidité des récréations, » de la « nourriture grossière, » puis des « hâbleries » et de la « vigueur » des « futurs goujats, » ses camarades [5], enfin de l’incompréhension ou de l’indifférence des maîtres. Mais il ne capitulait point : «... Tous m’ayant blessé, je disais en moi-même : « Ils verront bien, un jour. Chaque année, à chaque semaine presque, j’ai pu répéter : Ils verront bien, ce mot des enfants sans défense qu’on humilie [6]. » Les exercices scolaires l’ennuyaient. « Jusqu’à l’époque de sa rhétorique, on ne lui enseigna rien que de sec, décoloré et formaliste qu’il mâchait machinalement et sans y trouver de saveur. » Il semble pourtant qu’à travers tous ces vieux textes un pâle rayon de la beauté antique ou classique, ait parfois filtré jusqu’à ce cœur endolori d’enfant sauvage. Amaryllis, Bérénice, frais fantômes échappés des vers de Virgile et de Racine, vous êtes nées sans doute un soir d’hiver, dans une salle enfumée d’études. Et j’imagine aussi que le futur auteur des Amitiés françaises n’a pas attendu d’être sorti du collège pour prendre contact avec Pascal.

Mais ses vrais maîtres lui viennent d’ailleurs. En 1878, il a seize ans ; il est en seconde, et l’un de ses camarades, Stanislas de Guaita qui était externe, lui apporte en cachette les Émaux et Camées, les Fleurs du mal, Salammbô. Ce lui fut une révélation, une révélation non seulement esthétique, mais morale. Il se nourrissait, il s’enchantait de ces pages morbides et passionnées. « Leur rythme et leur désolation me parlaient, me perdaient d’ardeur et de dégoût... Voilà des voix enfin qui conçoivent la tristesse, le désir non rassasié, les sensations vagues et pénibles, bien connues dans les vies incomplètes. « Son ami, qui était poète, lui commente ces poètes avec ferveur. Dès lors, « il n’est plus seul dans l’univers ; son ami et ses maîtres s’installent dans son isolement qu’ils ennoblissent. » L’initiation littéraire commençait.

« L’année suivante, a-t-il conté, un autre bonheur m’arriva : la liberté. J’étais malade de neuf années d’emprisonnement ; on dut m’ouvrir les portes, et, tout en suivant les cours de philosophie au lycée, je vivais en chambre à la manière d’un étudiant[7]. » Le professeur de philosophie était « ce fameux Burdeau » que, sous le nom de Bouteiller, les pages des Déracinés ont rendu célèbre[8]. Bel orateur, chaleureux et grave, il exerça tout de suite sur ses élèves un prestigieux ascendant. À ces jeunes intelligences, avides et ingénues, il ouvrait un monde nouveau, celui des idées générales, de la pensée pure ; il les plongeait dans l’atmosphère intellectuelle de leur temps. Ce fut une ivresse, un « émerveillement. » Rappelons-nous les fièvres et les enthousiasmes qui accompagnèrent nos premières spéculations abstraites, et combien de têtes, autour de nous, ont été tournées, — quelques-unes, hélas ! pour toujours, — par ce vin trop fort pour elles. Comme tous les disciples de Lachelier, Auguste Burdeau était nourri de Kant et de philosophie allemande ; il traduisait Schopenhauer. Mais il n’était pas seulement kantien ; il se considérait comme un missionnaire de l’État laïque et il pliait sans scrupule à son roide idéal les personnalités qui lui étaient confiées. Déjà la politique l’attirait. Il semble que, tout en subissant son action, tout en se laissant « émouvoir par le pathétique de la voix et du geste, » le jeune Lorrain ait assez vite percé à jour et réprouvé les « manières électorales « de son professeur. Celui-ci d’ailleurs quitta assez vite le lycée de Nancy pour Louis-le-Grand. Il fut remplacé par Jules Lagneau, qui était une sorte de saint laïque, et qui, au lieu, comme Burdeau, d’ « exposer d’une manière oratoire l’histoire de la philosophie, se mit à chercher la vérité « devant ses élèves. » Il ne la trouvait pas aisément, a écrit M. Barrès, et nous ne savions même pas ce qu’il cherchait… Je me rappelle toutefois que j’avais un vague sentiment du cabotinage de Burdeau et quelque sentiment aussi de la haute moralité de M. Lagneau. » S’il est vrai que « c’est toujours une faveur du sort d’avoir approché une âme noble[9], » ces impressions de jeunesse n’ont pas été perdues.

Pour l’instant, la philosophie pure, quels qu’en fussent les secrets attraits, cédait le pas à la poésie. Guaita, à son tour, avait été rendu à la libre vie de l’étudiant, et les deux amis passèrent ainsi « en pleine indépendance » les mois de mai, juin, juillet, août 1880. Ce fut là, au témoignage de M. Barrès, « le plus beau temps de sa vie. »


Nous étions dans un état en quelque sorte mystique… Absolument étrangers aux controverses qui passionnaient l’opinion, nous les jugions faites pour nous amoindrir. En revanche, nous n’admettions pas qu’un romantique ou que le moindre parnassien nous demeurât fermé. Toute la journée, et je pourrais dire toute la nuit, nous lisions à haute voix des poètes… En même temps que les chefs-d’œuvre, nous découvrions le tabac, le café et tout ce qui convient à la jeunesse. La température, cette année-là, fut particulièrement chaude, et, dans notre aigre climat de Lorraine, des fenêtres ouvertes sur un ciel étoile que zébraient des éclairs de chaleur, la splendeur et le bien-être d’un vigoureux soleil qui accablait les gens d’âge, ce sont des sensations qui dorent ma dix-huitième année. Voilà le temps d’où je date ma naissance. Oui, cette magnificence de la nature, notre jeune liberté, ce monde de sensations soulevées autour de nous, la chambre de Guaita où deux cents poètes pressés sur une table ronde supportaient, avec nos premières cigarettes, des tasses de café, voilà un tableau bien simple ; et pourtant rien de ce que j’ai aimé ensuite, à travers le monde, dans les cathédrales, dans les mosquées, dans les musées, dans les jardins, ni dans les assemblées publiques, n’a pénétré aussi profondément mon être[10].


De cet amoureux de poésie romantique on aurait voulu faire un magistrat. Il s’inscrivit à la Faculté de Droit de Nancy ; mais il « rêvait d’avoir du talent littéraire, » et, en bon ouvrier de lettres, il se préparait à son futur métier. « Je possède encore, nous dit-il, les cahiers d’expressions où j’ai dépouillé Flaubert, Montaigne et Agrippa d’Aubigné pour m’enrichir de mots et de tournures expressives[11] : quelques mots d’un étudiant en médecine, prononcés devant lui, font naître, chez l’ « adolescent courageux » de quinze ans, l’idée « d’aller visiter à Paris les maîtres » Il dépouillait bien d’autres livres. Mais c’est décidément aux romantiques qu’allaient toutes ses préférences. Son premier article, dans le Journal de la Meurthe et des Vosges, était pour soutenir la candidature académique de Paul de Saint-Victor, et de Nancy il envoyait à une revue parisienne, la Jeune France, qui les insérait, des pages enthousiastes sur le Théâtre d’Auguste Vacquerie et sur Charles Hugo. À la Jeune France collaboraient Leconte de Liste, François Coppée, Sully Prudhomme, Alphonse Daudet, Anatole France, André Lemoyne, Paul Bourget. On remarqua la prose de ce nouveau venu. Le directeur de la revue, Albert Allenet, très fier de sa découverte, fit des ouvertures au débutant, dont il publia encore, en cette année 1882, une courte nouvelle, le Chemin de l’Institut[12]. Celui-ci, bien entendu, ne rêvait que de Paris, où déjà, à plusieurs reprises, il était venu en courant, et qui lui paraissait l’unique foyer où s’allume la gloire littéraire. Il obtint de sa famille d’aller y poursuivre… ses études de droit, et d’y rejoindre son ami Guaita. Il n’avait pas vingt et un ans.

Un cerveau de vingt ans est une nébuleuse. Les influences, les lectures, les expériences les plus contradictoires s’y sont donné rendez-vous, se disputant âprement la conquête d’une personnalité qui n’a pas pris conscience d’elle-même et qui, à proprement parler, n’existe pas encore. Qui démêlera, parmi ces divers courants, celui qui, la vie aidant, finira par l’emporter sur les autres ? Deux tendances opposées, à ce qu’il semble, se partagent dès lors l’âme complexe et mobile du futur auteur de l’Ennemi des Lois. D’abord, à l’entendre, à le regarder penser et vivre, il est, à son insu sans doute, comme envoûté par l’Allemagne. Guaita, qui était « d’origine germanique, » en l’enrôlant parmi tous les poètes romantiques qui, de Rousseau et de Goethe[13] à Verlaine, ont exalté les « puissances invincibles du désir et du rêve, » prêché « le culte du moi, » l’a asservi à un génie étranger : le romantisme, nous nous en rendons aujourd’hui mieux compte que jamais, a ses vraies origines outre-Rhin. Les enseignements philosophiques de Burdeau agissaient dans le même sens : le subjectivisme kantien est apparenté de très près à l’individualisme romantique, et le pessimisme de Schopenhauer n’est que la forme aiguë du mal du siècle [14]. Pour l’instant donc, sa sensibilité, son imagination, sa pensée sont tout imprégnées de germanisme : il est en proie à une véritable intoxication, et nul ne sait s’il parviendra jamais à s’en guérir. Mais d’autre part, Lorrain mâtiné d’Auvergnat, de bonne société bourgeoise et française, petit-fils d’un soldat de Napoléon, il n’est guère vraisemblable qu’il n’ait pas, tôt ou tard, le goût de l’action. Il a souffert par les Allemands ; il a entrevu les disciplines classiques et la grande tradition nationale [15] ; il a lu Sainte-Beuve, Renan et Taine : s’ils lui ont un peu masqué les ressources et les richesses de l’idée religieuse, ils lui ont fait pressentir celles de la conception scientifique. Dans l’un de ses tout premiers articles, il écrivait :


Jeunes gens qui nous pressons vers ce siècle qui sera nôtre, avant de tourner les dernières années qui seules nous séparent encore des vastes plaines où sans encombre enfin nos vies sauront prendre leur course, jetons un suprême regard sur ces routes que nous achevons et que parcoururent nos frères. Si lointaines que nous les scrutions, elles nous apparaissent jonchées de cadavres. Les plus nobles des hommes sont là Les uns se sont couchés, refusant désespérément un dernier et inutile effort ; d’autres sont tombés, les bras tendus vers l’avenir, l’œil illuminé des aurores qu’ils entrevoyaient ; d’autres furent jetés brutalement à terre par quelque embuscade du malheur ; d’autres enfin roulèrent dans le fossé, sous le genou de la folie, ou culbutés le rire aux lèvres par les désespérées consolatrices : les ivresses du vin ou des sens.

Mais leurs plaintes ne tombèrent pas avec eux ; et, par-dessus les cadavres gisants, elles viennent battre notre jeunesse, elles font vibrer nos nerfs, elles ont meurtri nos cœurs. Et toutes elles nous enseignent que seule la science peut être notre refuge ; que ceux qu’il aime, l’Art ne sait que les serrer contre lui, ignorés de la foule, dans l’ombre de ses ailes géantes. Et s’ils se déballent, s’ils veulent, eux aussi, déchirer leur poitrine, et, pour attirer la gloire, lui tendre les lambeaux de leurs cœurs, ils demeureront à jamais un étrange phénomène pour le vulgaire, un froid objet d’étude pour le savant[16].


Le jeune Français de vingt ans qui écrit cette belle page inspirée d’ailleurs de Taine, sera-t-il éternellement la proie ou la dupe des dangereuses incantations germaniques ?


II

En attendant, il « courait au canon. » Il plaçait sa prose où il pouvait, — car, à l’inverse de Guaita, qui allait bientôt sombrer dans l’occultisme, il n’écrivait pas de vers, — dans les jeunes revues éphémères qui se montrent généralement accueillantes aux débutants. Il s’initiait à cette vie médiocre du Quartier Latin qu’il devait, peu après, évoquer en un mince opuscule[17]. Il fréquentait quelques hommes de lettres, ses contemporains ou ses aînés : Jean Moréas, Laurent Tailhade, Stéphane Mallarmé, Villiers de l’Isle Adam, Anatole France, sur lequel il avait écrit un copieux article et qui lui avait dit : « Vous m’avez révélé à moi-même[18], « Leconte de Lisle enfin, qui l’accueillit avec une paternelle bonne grâce. Il croisait dans la rue, — avec quels sentiments de piété et de vénération ! — « les maîtres de la grande espèce, » les Taine et les Renan. Un jour, il vit Victor Hugo. « Jour inoubliable, celui où je causais avec Leconte de Lisle et Anatole France dans la bibliothèque du Sénat et qu’un petit vieillard vigoureux, — c’était le Père, c’était l’Empereur, c’était Victor Hugo, — nous rejoignit ! Je mourrai sans avoir rien vu qui m’importe davantage. Ah ! si, quelque jour, je pouvais mériter que l’Histoire acceptât ce groupe de quatre âges littéraires ![19] » Victor Hugo, avant de mourir, eut le temps de distinguer les articles du jeune Maurice Barrès[20].

Celui-ci débutait dans la vie littéraire à un « moment » singulier : les vieilles formules, les vieilles écoles s’épuisaient ; les nouvelles directions n’existaient pas encore. En poésie, le romantisme avait depuis longtemps achevé sa course glorieuse ; le Parnasse jetait ses derniers feux : il n’était pas encore question de symbolisme. Dans le roman, le naturalisme triomphait avec insolence ; mais il avait déjà reçu plus d’une atteinte, — on ne l’aimait pas à la Jeune France[21], — et ses jours étaient virtuellement comptés : les premiers romans exotiques de Pierre Loti avaient déjà paru, et M. Bourget préludait par ses Essais de psychologie, que publiait la Nouvelle Revue, à ses futurs romans psychologiques. Au théâtre, Sardou, Pailleron et Becque remplissaient l’interrègne entre Dumas fils et le Théâtre libre. En critique, Jules Lemaitre et Émile Faguet n’avaient pas encore percé ; seul Brunetière, ici même, commençait à rompre vigoureusement des lances, pour la défense de la grande tradition française. Planant au-dessus de toute cette production livresque, Renan et Taine poursuivaient, ou plutôt achevaient leur œuvre historique, et leurs conclusions contradictoires n’étaient point pour éclairer d’une vive et sûre lumière ceux qui auraient voulu s’inspirer d’eux pour organiser la démocratie française : le dilettantisme anarchiste de l’un s’opposait trop fortement au moralisme traditionaliste de l’autre pour ne pas troubler, en cette fin de siècle, bien des consciences inquiètes et des intelligences anxieuses. Au total, époque de transition, d’incertitude et de confusion, que Brunetière, dès son second article, caractérisait fort justement d’un mot : « Ce qu’il y a de certain, écrivait-il, c’est que la poésie, comme aussi bien l’art en général, comme la philosophie, comme la religion, traversent en ce moment une crise dont il serait présomptueux de vouloir prédire ce qui en sortira. »

Au point de vue politique et social, la situation ne laissait pas d’être aussi un peu trouble. Sans doute, la France s’était matériellement relevée du désastre de 1870 avec une promptitude qui avait tout à la fois surpris et inquiété nos vainqueurs : les affaires étaient prospères ; nos forces militaires reconstituées nous avaient procuré l’utile dédommagement d’une fructueuse expansion coloniale ; on parlait moins, si peut-être on y pensait toujours, de la blessure inguérissable, et les temps paraissaient revenus de cette douceur de vivre qui forme l’un des charmes de la vie française[22]. Mais, au lendemain de la mort de Gambetta, le régime politique que le pays s’était donné n’était pas encore très solidement assis ;: les luttes des partis étaient très vives ; la France n’avait pas retrouvé encore cet équilibre intérieur qu’elle devait mettre près d’un demi-siècle à reconquérir, et qui est, nous le voyons mieux aujourd’hui, le meilleur fruit de la victoire : elle souffrait à son insu de sa défaite et, mal résignée, elle usait dans des discordes civiles une activité qu’elle sentait limitée et qui ne savait pas toujours où se prendre.

À ces impressions qui lui arrivaient de tous les coins de l’horizon, le jeune écrivain se prêtait avec complaisance. Il lisait, il observait, il causait, il écrivait, et, sans grand succès, il essayait de se faire lire. Il ne trouvait pas d’éditeur pour un recueil de nouvelles qui devait s’intituler le Départ pour la vie, pour un volume d’essais sur le Nihilisme contemporain ; la Nouvelle Revue lui refusait les jolies pages qui débutent par la phrase célèbre : « Toujours triste. Amaryllis ![23] « Bref, il éprouvait à percer toutes les difficultés qui sont le lot ordinaire des débutants et qui les enferment dans un cercle vicieux souvent inextricable, et parfois presque tragique : car pour se faire imprimer, il faut être connu, et pour être connu, il faut se faire imprimer... Las d’attendre, impatient d’arriver à l’audience du grand public, il eut l’idée de forcer son attention en fondant une petite revue mensuelle, les Taches d’encre, qu’il rédigerait à lui tout seul. Et un soir du mois de novembre 1884, — Mme Clovis Hugues venait de tuer un diffamateur du nom de Morin, — on vit des hommes-sandwich promener sur le boulevard des affiches ainsi libellées : Morin ne lira plus les « Taches d’encre. « Hélas ! Morin ne fut pas le seul à ne pas les lire. Les quatre livraisons invendues des Taches d’encre vinrent s’entasser dans les caves d’un administrateur infidèle... Et après quelques mois de repos nécessités par un peu de surmenage, l’apprenti journaliste reprenait son obscure collaboration à des revues et à des journaux qui ont assez vite sombré dans l’oubli.

Ces cinq ou six années de production juvénile n’ont pourtant pas été perdues pour le futur romancier de Colette Baudoche. D’abord, le grand journaliste qu’il a toujours été y a appris son métier : car « c’est un métier, a dit La Bruyère, de faire un livre comme de faire une pendule, » et la remarque s’applique également aux articles de journal. Et ces articles que le jeune étudiant dispersait un peu partout ont un réel intérêt : on y saisit sur le vif les tâtonnements de l’écrivain en formation et en quête de son style et de sa vraie pensée : on y voit germer des idées et des préoccupations qui ne s’épanouiront que beaucoup plus tard. Beaucoup plus clairs et plus dépouillés que les livres qui ont suivi, ils sont peut-être plus révélateurs de la personnalité qu’ils expriment et, en tout cas, ils en font mieux pressentir les transformations ultérieures. C’est que le journalisme, avec tous les dangers qu’il comporte et les défauts qu’il encourage et que, peut-être, il implique, offre un très grand avantage : il force l’écrivain à sortir de soi, il le mêle à l’actualité changeante de la vie quotidienne et réelle, il lui pose des questions et sollicite des réponses, il l’oblige à parler net et à voir clair dans sa propre pensée. Plus que bien d’autres, M. Barrès avait besoin d’une telle discipline.

Ses premiers articles, en effet, nous le montrent sous l’entière dépendance des plus fougueux coloristes, en particulier de Paul de Saint-Victor, « l’un de ses maîtres avoués de la première heure. » « Figurez-vous, disait des articles sur Vacquerie son ami Stanislas de Guaita, figurez-vous une polyphonie de vocables-cymbales, une orgie de couleur, une débauche de relief, à faire trouver Gautier trop terne et Goncourt trop poncif. » — « À d’autres, s’écriait l’ingénu critique de Vacquerie, les masques blanchâtres, les perruques à cornes, les culbutes des baladins ! Toutes ses créations, il (Vacquerie) les teinte de sa couleur, il les marque du fer rouge de sa passion, il leur met l’épée à la main et les envoie combattre les nobles combats. Sans rompre, sans fléchir, il subit le heurt des injures et des attaques, soutenu par son âpre volonté et sa foi en son œuvre. Sur l’étendard qu’il fait flotter haut en la poussière des batailles, il pourrait inscrire ces vers de Malherbe :


Vous dont les censures s’étendent
Dessus les ouvrages de tous.
Ce livre se moque de vous. »


Et l’article se termine par la pointe obligatoire : « Auguste Vacquerie n’est pas de l’Académie. Il est probable qu’il n’en sera jamais[24]. »

L’article sur Anatole France est d’une tout autre venue, « Cette étude incohérente et heurtée, disait Guaita, faisait pressentir en Barrès un autre homme : de petites phrases se bousculaient, s’enjambaient, nerveusement cahotées, ramassées sur elles-mêmes ou plutôt hachées par tronçons convulsifs… Le penseur calme et serein, délicat et fort, élevait désormais sa fortune sur les débris de celle du fougueux coloriste en disgrâce. » En fait, l’article révélait surtout une remarquable faculté d’identification du critique avec son modèle. L’œuvre et le style d’Anatole France y étaient caractérisés en des phrases bien joliment imagées et caressantes :


Amoureux de l’étrange, du bizarre même, dévot de toutes les audaces, nous abordons peut-être indiscrètement cette œuvre qui semblable à une jeune femme vêtue de soleil, allonge auprès d’un volume ouvert ses lignes harmonieuses, ses teintes fugitives, et songe, sous un voile fait de sourire, au passé qu’elle n’a pu revivre, à l’avenir où elle se veut survivre. En elle, toute émotion témoigne une chaste sensibilité, chaque parole une exquise délicatesse…

N’est-ce pas le même principe que nous retrouvons en ces phrases délicates, enlaçantes, qui font sourire juste pour refouler une larme, pour désarmer une indignation, et, préoccupées avant tout d’exactitude, ne troublent jamais plus par l’émotion la netteté de notre intelligence qu’un souffle ne ternit une glace ? Style distingué qui retombe le long de l’idée en plis nets et gracieux, sans entraver la marche, sans rechercher d’autres ornements que les impressions du lecteur ; style savant qui converse à toute heure avec les plus exquis des anciens, les plus savants des modernes, et dédaigne de s’en vanter ; style loyal qui, à force d’énergie, saisit, comme en se jouant, le mot propre et met en fuite la tourbe tentatrice des épithètes et des métaphores ; n’est-ce pas que nous y retrouvons ce même principe, le premier et le dernier de l’art, que toute œuvre, jusqu’au moindre détail, doit être traitée en harmonie avec la figure qui en fait le sujet ?[25]


Évidemment, un écrivain nous était né ; et l’on conçoit que le directeur de la Jeune France ait cru devoir mettre en note « L’auteur de cet article n’a pas vingt ans (c’est vingt-et-un qu’il faudrait dire), — âge que le lecteur ne devinerait probablement pas, si on ne le lui faisait connaître. »

Ouvrons maintenant les Taches d’encre. Avec quelques nouvelles d’une saveur un peu incertaine, nous y trouvons, sous le titre de Psychologie contemporaine, des études, manifestement apparentées aux Essais de M. Bourget, sur Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Rollinat, des Esseintes, Leconte de Lisle, études où l’on sent percer tout à la fois l’admiration et la condamnation du « décadentisme » en littérature. Un autre article surprend davantage sous la plume d’un écrivain dont l’activité semble tournée tout entière du côté des « ouvrages de l’esprit. » II est intitulé : Un mauvais Français : M. Victor Tissot. « Le patriotisme d’aujourd’hui, y déclare l’auteur, ne ressemble pas plus au chauvinisme d’hier qu’au cosmopolitisme de demain. Nous avons des pères intellectuels dans tous les pays. Kant, Goethe, Hegel ont des droits sur les premiers d’entre nous. » Et il rêve d’une France large, accueillante, généreuse, sachant rendre justice à ses ennemis, « ouverte à tous les pensers, » et qui, rien qu’en restant elle-même, « se maintiendra à la tête des peuples de l’Europe. » « Nous n’aimons guère, avoue-t-il, les chants guerriers de M. Déroulède ; » il déclare qu’ils manquent d’art ; il trouve son chauvinisme « encombrant » et sa Ligue des Patriotes « un peu bien bruyante ; » mais il rend hommage à sa « sincérité, » à son « désintéressement, » se défend « de sourire de lui. » « Celui qui se dévoue à un idéal, quel qu’il soit, affirme-t-il, mérite notre respect. » Et sans s’aviser de la contradiction, au moins apparente, voici soudain qu’il écrit :


Certes, ils sentirent des colères terribles ceux de nos aînés que nous aimons le plus ! Et nous-mêmes, qui revoyons la sombre année au vague brouillard de notre jeunesse, nous sentons dans le défilé d’un régiment tenir l’honneur de la patrie ; toutes les fanfares militaires nous entraînent à la terre conquise : le frisson des drapeaux nous semble un lointain signal aux exilés ; nos poings se ferment ; et nous n’avons que faire d’agents provocateurs...

Notre tâche spéciale, à nous jeunes hommes, c’est de reprendre la terre enlevée, de reconstituer l’idéal français qui est fait tout autant du génie protestant de Strasbourg que de la facilité brillante du Midi. Nos pères faillirent un jour ; test une tâche d’honneur qu’ils nous laissent. Ils ont poussé si avant le domaine de la patrie dans les pays de l’esprit que nous pourrons, s’il le faut, nous consacrer quelques années au seul souci de reconquérir les exilés. Il n’y faudra qu’un peu de sang et quelque grandeur dans l’âme...

Et puis le jour que nos conducteurs agiteront le drapeau et sonneront le tocsin, on verra ce que peut un peuple qui s’estime assez haut pour estimer ses adversaires (5 novembre 1884).


Un autre jour, notre étudiant découvre Amiel, que lui révèlent « deux superbes articles de Renan, dans les Débats. » Tout son mois d’octobre, nous confie-t-il, » a vécu de ces deux articles de Renan et de quelques phrases d’Amiel. « Et à ce propos, il écrit avec quelque rudesse :


Jamais on n’imagina pareille impudence. Renan aime à faire accepter des âmes simples les plus parfaites immoralités : il les trouble et il les charme. C’est un parfait rhéteur et celui qui aura fait le plus pour le nihilisme moral de la génération que nous sommes. Les paradoxes de Gautier étonnaient jadis : que sont-ils auprès de ceux-ci !

Je ne sais pourquoi ce génie jésuitique de Renan, ces phrases insidieuses à réticences, ce Sainte-Beuve qui fait des sermons, évoque toujours à ma mémoire Tartuffe. Il caresse si doucement le cœur de sa lectrice !

Mais comme elle repose des brutalités du journal, des aménités de la politique, cette souriante hypocrisie des sceptiques ! Et que nous chérissons tout cela !

Dans vingt ans, nous tendrons les bras à quelque catholicisme un peu modifié (5 novembre 1884).


À trois années de là, M. Maurice Barrès publiait dans une revue, puis en brochure, un article qui devait faire plus pour porter son nom au grand public que toutes ses tentatives antérieures. Ce « dialogue parisien, » probablement inspiré de l’article qui avait, du jour au lendemain, rendu célèbre Jules Lemaître[26], était intitulé Huit jours chez M. Renan. C’était une fantaisie de haut goût, où les attitudes, les petites manies, les propos familiers de Renan étaient évoqués avec un art, un don du pastiche, un sens du comique, une ironie supérieure qui firent la joie des « lettrés délicats et prudents. » On ne pouvait nier que tous ces traits, dont quelques-uns sont restés fameux, portaient : « Cet après-midi, quand je fus introduit dans le cabinet de M. Renan, l’illustre académicien sommeillait légèrement sur d’antiques grimoires. Avec une parfaite aisance, il se réveilla, sans secousse, comme un sage qui est accoutumé de passer du rêve aux affaires. Et déjà il m’approuvait. » L’auteur de la Vie de Jésus n’approuva pas d’ailleurs cette innocente plaisanterie, et il eut la faiblesse de s’en plaindre aux Bretons du Dîner celtique. Ces plaintes eurent pour résultat le faire condamner à cinq années de tiroir un autre « essai de critique pittoresque » qui avait pour titre : M. Taine en voyage.

Il m’eût été insupportable, a déclaré M. Barrès, de froisser M. Taine à qui nous devons de grands bénéfices intellectuels. «  À en juger du reste par le fragment, évidemment essentiel, qu’il en a cité plus tard, il semble bien que le ton de cet autre essai fût moins « dégagé » que celui des pages sur Renan. Et cette réserve même est fort caractéristique. Brunetière observe profondément quelque part que les hommes de sa génération n’ont progressivement conquis leur originalité que dans la mesure où ils s’affranchissaient de l’influence de Renan et de Taine. La remarque s’applique à M. Barrès. À vingt-six ans, il juge déjà avec une entière indépendance les deux principaux maîtres de sa pensée ; mais déjà l’on peut pressentir ce que sera son évolution, et qu’elle consistera à se détacher de plus en plus de Renan pour se rapprocher de Taine.

L’influence de Renan est encore très sensible dans les trois « romans idéologiques « que M. Barrès a publiés de 1887 à 1891, et qu’il a groupés plus tard sous ce titre significatif : le Culte du Moi. Ces livres complexes, subtils, touffus, obscurs, ont suscité, au moment de leur publication, parmi leurs lecteurs, des sentiments contradictoires. Les uns, les hommes d’âge mûr, ou d’esprit clair, de sens rassis et de goût classique, tous ceux qui estiment qu’un auteur doit écrire non pour soi, mais pour le public, et qui, promptement choqués par les impertinences, les ironies, les dédains, les pétulances de la jeunesse, sont tentés de ne voir dans ses inventions que simple mystification littéraire, tous ceux-là se montrèrent fort sévères pour le nouveau romancier et lui firent payer un peu cher l’inquiétude que leur avaient causée ses livres. Les autres, les jeunes, s’enthousiasmèrent pour cette prose chantante et harmonieuse, pour cette fine, jolie et hautaine sensibilité, pour cette pensée dédaigneuse, ondoyante et diverse, volontairement hermétique, et dont ils se flattaient de saisir jusqu’aux moindres nuances. Ils ne jurèrent plus que par « notre maître Maurice Barrès, « — c’est le titre d’un de leurs livres, d’ailleurs excellent. — L’un d’eux, Jean de Tinan, sur son lit de mort, en réponse à une enquête sur le plus grand des écrivains d’aujourd’hui, demandait une plume pour tracer d’une main défaillante le nom de l’auteur des Déracines. Mais les tout jeunes gens n’étaient pas les seuls à prendre au sérieux ces livres aux titres énigmatiques et somptueux : Sous l’œil des Barbares, l’Homme libre, le Jardin de Bérénice. Dans le grave Journal des Débats, M. Paul Bourget saluait d’un article généreux Sous l’œil des Barbares, abrégeant, pour son jeune confrère, « de quelques années le temps fort pénible où un écrivain se cherche un public[27]. » Et voici comment, dans un article qu’il n’a pas recueilli en volume, le plus exquis et le moins dupe des critiques, Jules Lemaitre, traduisait l’impression que lui avaient laissée les premiers romans idéologiques de M. Maurice Barrès :


Avec ses premiers ouvrages, Sous l’œil des Barbares, l’Homme libre, M. Barrès débute par le dilettantisme pur, ou, si vous voulez, par l’épicuréisme intellectuel. « Cultiver son moi, » en défendre l’intégrité, « respecter et favoriser ses impulsions intérieures, » comprendre et sentir le plus de choses possible, développer également en soi le sens critique et la faculté d’être ému, bref, refléter en son esprit des parcelles de plus en plus variées et étendues du vaste univers, tel est d’abord le programme. Ce n’est, au fond, qu’une glose, délicatement outrée, de quelques formules de Renan. M. Barrès s’évertue assez longtemps à poser les règles et à fonder la légitimité de ce perfectionnement de la sensibilité intellectuelle en vue du plaisir. À vrai dire, il n’arrive qu’à en donner des exemples, mais charmants, et de quelle saveur !


Il est facile, du point de vue nécessaire de l’utilité sociale, de critiquer et de condamner cette attitude : et je crois, pour ma part, qu’illégitime en elle-même, elle est de plus d’un très mauvais exemple, et présente de fort graves dangers. Mais il faut s’efforcer de tout comprendre, et il n’est pas sans intérêt de démêler les raisons d’ordre psychologique et historique qui expliquent, dans les premiers romans de M. Barrès, cette curieuse explosion d’individualisme exaspéré. D’abord, la culture philosophique et littéraire qu’il a reçue ou qu’il s’est donnée ne l’a que trop encouragé, nous l’avons déjà noté, à se faire le centre du monde et la mesure des choses, à considérer son moi personnel comme la seule réalité substantielle et saisissable, comme la seule digne d’être étudiée, cultivée et aimée : Kant et Goethe, Fichte et Schelling, Hegel, Schopenhauer et Hartmann, en bons Allemands et fils de Luther qu’ils sont tous, ne lui ont pas enseigné autre chose : et tous nos romantiques, de Jean-Jacques à Chateaubriand, de Victor Hugo à Sainte-Beuve et à Baudelaire, de Gautier à Rollinat, lui ont, sur un autre ton, tenu le même langage. Taine lui-même, le premier Taine, par son culte de l’énergie, hérité de Stendhal[28], et Renan surtout, par toute sa vie et toute son œuvre, par ses prédications finales, lui ont appris comme à beaucoup d’autres, à « caresser sa petite pensée, » à vouer à son moi un culte de latrie, à mépriser profondément les « Barbares. » Représentons-nous d’autre part l’état d’âme d’un jeune provincial de vingt-cinq ans, perdu dans cet immense et fiévreux Paris qui


Tous les matins dresse une gloire,
Éteint un soleil tous les soirs.


Il rêve d’être une de ces gloires, et il ne trouve même pas un éditeur. Il dirait volontiers, comme jadis Victor Hugo : « Être Chateaubriand, ou rien, » ou même, — rappelons-nous le serment des « déracinés » au glorieux tombeau des Invalides : — « Être Napoléon, ou rien[29] ; » et il se voit condamné à des compagnies médiocres ou vulgaires. Il se sent « quelque chose là ; » et ce quelque chose, pour le dégager de l’amas des influences, des imitations et des lectures, pour l’approfondir et le développer en tous sens, pour l’imposer aux autres surtout, il éprouve d’abord le très naturel besoin d’en prendre nettement et fortement conscience. Puisque la personnalité est la condition du succès, c’est cette personnalité qu’il faut avant tout découvrir et conquérir. De là tout un long travail d’introspection, d’analyse intime, de repliement sur soi, d’expérience intérieure dont on consignera les résultats par écrit, « car on ne pense, ce qui s’appelle penser, que la plume à la main. » Et de là enfin ces « romans idéologiques, » ou mieux encore, ces « mémoires spirituels » qui forment la trilogie du Culte du moi.

De tels livres ne s’analysent pas : ils sont trop complexes, trop subtils, trop émaillés d’ironies, de plaisanteries insaisissables, — ou trop parlantes… À les réduire, comme nous allons le faire, à de sèches formules abstraites, sous prétexte d’en dégager le fond de pensée sérieuse, on néglige de parti pris et on laisse volontairement s’évaporer tout ce que les initiés y ont sans doute le plus vivement goûté : la grâce, l’humour, la fantaisie, l’impertinence cavalière, la virtuosité de l’artiste qui joue et qui jongle avec ses sensations les plus raffinées et ses imaginations parfois les plus osées. Juste punition peut-être de l’écrivain qui n’écrit pas pour tout le monde, mais pour lui-même, et pour de petites chapelles… À la fois roman d’analyse, poème, confession, méditation philosophique, Sous l’œil des Barbares, c’est la confession d’un enfant du siècle, dont son ami Guaita nous trace alors le portrait que voici : « Paradoxal jusqu’à la sincérité ; mystique jusqu’au sensualisme le plus caressant ; complexe, fuyant et subtil jusqu’à la plus transcendante simplicité ; personnel jusqu’au dédain des personnes, antithèse vivante lui-même, et penseur ne s’intéressant en dernière analyse qu’aux différentes façons de sentir. » Ceux qu’il appelle « les Barbares, » ce ne sont pas, comme on l’a cru, les bourgeois ou les « philistins ; » ce sont, au sens antique du mot, les étrangers ; c’est la tourbe immense des êtres humains qui composent le non-moi. Et ces « Barbares, » il les méprise et il les hait infiniment, et non pas seulement parce qu’ils diffèrent de lui, mais parce qu’ils empiètent sur son moi et qu’ils s’efforcent d’en adultérer la pure essence. Il va jusqu’à écrire : « Il comprit qu’il était sali, parce qu’il s’était abaissé à penser à autrui. » Et encore : « Ma tâche, puisque mon plaisir m’y engage, est de me conserver intact. Je m’en tiens à dégager mon moi des alluvions qu’y rejette sans cesse le fleuve immonde des Barbares. »

Dans Un homme libre, l’auteur de ces truculentes formules faisait un pas de plus. Contempler passivement son moi et l’opposer violemment aux « Barbares, » c’est risquer de piétiner éternellement sur place, dans le plus stérile des isolements. La meilleure manière de cultiver son moi, et même de le conquérir, et de le « prendre en main, » c’est, au fond, de se mêler modestement aux « Barbares, » et de s’aider d’eux pour se mieux connaître et pour enrichir son propre fonds. C’est pour l’avoir senti sans doute que M. Barrès a recours à ceux qu’il appelle les « intercesseurs, » et qui sont, en l’occurrence. Benjamin Constant et Sainte-Beuve. Mais, à méditer leurs livres, il n’éprouve bientôt plus qu’une grande sécheresse. Or, voici qu’à entrer dans une église de Lorraine, à visiter les tombes qui l’entourent, à voir les paysans lorrains peiner sur leur dur labeur héréditaire, il se découvre une sensibilité toute neuve. Mis en goût par cette découverte, il étudie l’histoire de la Lorraine, et, se retrouvant l’un des fils de cette race qui a eu si fortement le sentiment du devoir sous la forme de bravoure militaire, il se donne pour mission d’approfondir et d’exprimer le génie ethnique où il a ses propres racines. Puis il part pour l’Italie : là, à Milan, à Venise, il a la révélation d’une beauté nouvelle qui, pour lui être en partie étrangère, ne lui en est pas moins vénérable et chère. Et à Milan même, devant un dessin du Vinci, il entrevoit que la seule attitude qui convienne en face du « Barbare, » ce n’est ni le mépris, ni la haine, mais l’acceptation. Il a débuté par l’individualisme absolu : il aboutit maintenant à l’altruisme. Son moi tend à se dissoudre et à s’absorber dans le non-moi. Il a rêvé d’être « un homme libre : » sa « libération » commencera à sa « soumission. »

Enfin, dans le Jardin de Bérénice, il fait un dernier pas. À travers les jolis détours d’une pensée étrangement capricieuse, folâtre et, — le mot est de M. Anatole France[30], — un peu « perverse, » l’idée qui se faisait jour dans ce livre est que le fond de notre être est l’instinct, l’inconscient, et qu’il nous faut imiter et aimer les humbles, les simples qui, sans tant raffiner, s’abandonnent aux tendances fondamentales de notre nature. « Tout notre raisonnement, a dit Pascal, se réduit à céder au sentiment. » M. Barrès dirait volontiers quelque chose d’analogue : « C’est l’instinct, bien supérieur à l’analyse, qui fait l’avenir. C’est lui seul qui domine les parties inexplorées de mon être, lui seul qui me mettra à même de substituer au moi que je parais le moi auquel je m’achemine, les yeux bandés… Alors j’aurai atteint à ce moi complet qui est mon principe et ma fin, le but et l’impulsion de ma culture… Le peuple me donne une âme, la sienne, la mienne, celle de l’humanité… Le peuple m’a révélé la substance humaine, et, mieux que cela, l’énergie créatrice, la sève du monde, l’inconscient[31]. » Ainsi donc, à étudier et à explorer son moi, à dégager à sa manière « les données immédiates de la conscience[32], » il en vient peu à peu à réintégrer et à légitimer les « puissances trompeuses » contre lesquelles il avait paru tout d’abord s’insurger le plus violemment.


III

C’est qu’entre temps un événement, au premier abord assez inattendu, s’était produit, qui lui avait permis d’élargir singulièrement son horizon et de renouveler son fonds d’expérience. Au mois d’octobre 1889, l’écrivain raffiné de Sous l’œil des Barbares était devenu député de Nancy, et même député des ouvriers de Nancy. Beaucoup, à ce propos, éprouvèrent l’étonnement un peu ironique dont Jules Lemaitre s’est fait si joliment l’écho dans un célèbre Billet du matin. Dans cette vocation nouvelle de son jeune confrère, il voulait voir surtout une des formes de son dilettantisme. « Vous rêviez, lui disait-il, dans votre Homme libre, la vie d’action, qui vous permettrait de faire sur les autres et sur vous un plus grand nombre d’expériences et par là de multiplier vos plaisirs. Vous avez pris, pour y arriver, la voie la plus rapide[33]. » « Un des articles de ce programme, écrivait-il plus tard encore, c’est qu’il faut agir, jouer un rôle, même plusieurs, être, s’il se peut, plusieurs hommes, afin de multiplier par l’action les chances et les occasions de jouir. C’était le temps du boulangisme. M. Barrès profite avec le plus souple à-propos de cette intéressante erreur et devient député des ouvriers de Nancy. Et ceux-là seuls en furent surpris qui ne savent pas ce que c’est que le dilettantisme »[34].

L’explication n’est pas inexacte, mais elle est insuffisante. Avec toutes ses faiblesses et ses misères, le boulangisme a été un sursaut de l’orgueil national français contre les empiétements et les insolences de l’Allemagne. À ce titre, il ne pouvait manquer de séduire le jeune écrivain qui, vers ce temps-là, en des pages qui frappèrent M. Lavisse, venait de « découvrir » sa Lorraine natale, et, impatient du joug étranger, cherchait, au fond, à se « libérer » de l’influence germanique. Il dut voir dans la politique active un moyen de réaliser son nouvel idéal. Et, certes, cela pouvait paraître une contradiction de la part d’un homme qui ne cessait d’afficher son mépris des politiciens. Mais il en est de la politique comme de la métaphysique, d’après Aristote : même pour la nier, il faut en faire. Pour détruire, — ou épurer, — le parlementarisme, il faut être parlementaire. Et une occasion s’étant présentée, après une énergique campagne, M. Maurice Barrès entra au Parlement. Pareillement, il n’y a pas lieu de beaucoup s’étonner que « l’humoriste renchéri » du Jardin de Bérénice ait eu quelque faiblesse pour le socialisme. Les aristocrates de pensée, bien plus que les esprits « bourgeois, » ont souvent de ces inconséquences ou de ces générosités-là Ils reprennent volontiers à leur compte le fameux mot de La Bruyère : « Faut-il opter ? Je ne balance pas : je veux être peuple. » M. Barrès, lui aussi, a voulu être peuple ; et Ariel, une fois de plus, s’est fait le porte-parole de Caliban.

Ce que furent, dans cette première législature, son rôle et son action à la Chambre, il est assez difficile de le dire : dans les grandes foules anonymes, les efforts individuels, sauf exceptions assez rares, se perdent et se volatilisent. Mais ce qui est sûr, c’est que, dans ce nouveau milieu, sont écloses ou se sont précisées quelques-unes de ses idées essentielles : son « nationalisme, » entre autres, et ses théories décentralisatrices. Surtout, il a pu y observer, sur le vif, des mœurs, des passions et des caractères que, jusqu’alors, il n’avait connus que par les livres, et, en essayant de les peindre, il se découvrit un genre de talent, jusqu’alors insoupçonné des autres, et peut-être de lui-même, et qui, d’emblée, lui conquit l’universelle notoriété que dix années d’écriture ne lui avaient pas encore assurée. Quand, en pleine crise panamiste, il fit paraître dans le Figaro l’article célèbre intitulé : Leurs Figures, chacun s’accorda à évoquer, à ce propos, le grand nom de Saint-Simon[35] : la République parlementaire avait trouvé en lui le plus vigoureux et le plus cinglant de ses portraitistes, le moins indulgent de ses annalistes.

Ayant échoué, en 1893, comme candidat à la députation de Paris, il entame, six mois durant, dans la Cocarde, dont il devient directeur, une campagne quotidienne en faveur du « socialisme fédéraliste. » Campagne fort intéressante, et qu’il a justifiée en ces termes : « Individualisme, voilà toujours notre formule. L’individu, qui suit jusqu’au bout son instinct, sa force intérieure, sa vertu humaine, a une tendance à se grouper, à se solidariser, selon ses affinités électives, d’après ses besoins, d’après ses aptitudes, d’après ses parentés, dans un corps social, et à devenir ainsi une unité dans une individualité plus large, dans cent individus, groupes locaux et moraux ![36] » Fait à noter ! comme s’il avait quelque peine à se détacher entièrement des influences allemandes, il est alors sous la dépendance de Hegel, dont la méthode et « l’admirable dialectique » l’enchantent, et dans lequel il voit, avec raison, le grand ancêtre du socialisme contemporain. » Nos différents socialismes, dit-il, sont la sensibilité de Rousseau ordonnée par la dialectique de Hegel. » Mais il n’a déjà aucun goût pour cette forme brutale, bureaucratique et autoritaire du socialisme qu’un disciple authentique de Hegel, Karl Marx, a fondé sous le nom de collectivisme, conception que peu à peu l’hégémonie allemande va faire triompher sur toutes les conceptions rivales, et dont nous voyons aujourd’hui les sinistres méfaits dans la Russie de Lénine et de Trotsky. » Le socialisme, s’il n’était pas fédéraliste, écrit-il, ne serait que le transfert de notre société actuelle aux mains de nouveaux dirigeants.’ Et, plutôt que de Karl Marx, il s’inspire d’un penseur français, Proudhon, préludant ainsi à ce que l’on a depuis appelé « le socialisme national, » et opérant déjà cette synthèse entre l’intelligence, le capital et le travail, qui est la vraie tradition française, et qui s’oppose si harmonieusement à la barbare doctrine de la « lutte des classes, » telle qu’on l’a conçue et imposée outre-Rhin. Très préoccupé d’assainir et de renouveler « l’énergie nationale, » M. Maurice Barrès ne voit pour le pays de salut que dans une sage décentralisation. À cette France congestionnée, unitaire et où 36 millions d’individus abdiquent entre les mains d’une poignée de politiciens qui les corrompent et les oppriment, il rêve de substituer une France fédéraliste où la vie communale ne serait plus un vain mot, où seraient créées un certain nombre de régions naturelles jouissant d’une large autonomie administrative, politique et sociale, et dont l’unité pacifique serait faite du libre groupement de ces forces particulières. À cette seule condition, croit-il, on verra « la France plus forte et la paix organisée en Europe. » Dans une fort curieuse conférence qu’il prononçait à Bordeaux, le 29 juin 1895, sous les auspices du « comité intransigeant socialiste, » il s’écriait :


Vous sentez bien que les vrais individus sont rares dans ce temps de domestication universelle. Seule la décentralisation peut nous sauver. À toutes les objections que pourraient nous faire le patriote pour qui le seul problème allemand existe, ou l’internationaliste qui veut effacer toutes nuances de races, voici notre réponse ; le fédéralisme nous permet d’aimer la pairie, sans nous forcer de haïr l’étranger.

Ah ! que ne suis-je un grand orateur pour jeter la lumière sur cette ascension de liberté qui, s’élevant de bas en haut, de l’individu libre à la commune libre, permet à la commune de se mouvoir dans la région, épanouit la région dans l’union nationale et fédère la nation elle-même par un lien plus lâche avec les autres États de l’Europe[37].


L’événement allait prouver que ces vues étaient un peu prématurées, qu’elles ne pouvaient prendre corps et faire fortune, tant que « le problème allemand, » — autrement dit le problème alsacien-lorrain, — ne serait pas résolu. Et c’est ce dont M. Barrès n’allait pas tarder à s’apercevoir à son tour.

En attendant, il poursuivait son œuvre littéraire, et, sous une forme tantôt romanesque, tantôt didactique, il multipliait ou il s’efforçait de justifier ses expériences psychologiques. Il publiait l’Ennemi des Lois, « délicieux petit livre, » déclarait Jules Lemaitre. « Il ne m’a pas seulement plu, ajoutait-il, par le tour nerveux et subtil, propre à M. Barrès, par les frémissements voluptueux et courts d’une sensibilité surveillée et d’autant plus fine : mais j’y ai vu le commencement de la banqueroute heureuse, et consentie par l’auteur, de son dilettantisme. « Et Jules Lemaitre avait sans doute raison. Mais le livre devait être quelque peu obscur, car Émile Faguet, de son côté, y voyait tout autre chose, « une petite fantaisie anarchiste. » Et peut-être ces deux interprétations contradictoires étaient-elles toutes deux légitimes.

La vérité était sans doute celle-ci, et il me semble qu’elle apparaît avec une croissante netteté dans ces trois livrets successifs qui s’intitulent : Trois stations de psychothérapie ; le Culte du Moi : examen des trois idéologies ; Toute licence, sauf contre l’amour. L’auteur de ces pages tourmentées reste bien l’un de ces « jeunes gens en qui les torrents de la métaphysique allemande ont brisé les compartiments latins, » mais, en même temps, il aspire à retrouver la tradition romaine. Il est tout à la fois épris et détaché de son moi. Féru d’individualisme, au point de tout ignorer du monde extérieur, il en vient à admettre ce qui est la négation même de l’individualisme, à savoir le catholicisme. » À notre cosmopolitisme, écrira-t-il, à notre dilettantisme, à notre cher nihilisme enfin, pour dire le mot qui résume le mieux notre déracinement moral, la grande ville catholique restitue leur sens complet, en même temps qu’elle leur donne une haute allure. À sa lueur, nos dégoûts et notre ardeur m’apparaissent ce qu’ils sont en réalité, un sentiment religieux. » Et encore : « Le catholicisme ! Voilà où tendent et s’expliquent tous les mouvements de notre cœur, qui n’est obscur et mal à l’aise que pour avoir accueilli les fièvres de cinq ou six peuples. C’est tiraillé par elles que le cosmopolite, toujours incomplètement satisfait, erre à travers l’Europe ; il les satisferait dans la capitale où convergent toutes les nations. » Qu’est-ce à dire ? Et faut-il voir dans des déclarations de ce genre une adhésion intime à un ensemble de croyances dont, tout d’abord, l’écrivain de Sous l’œil des Barbares n’avait point paru beaucoup se soucier ? De bonne heure il s’était nourri de certains mystiques, et, pour enrichir et « sublimer » sa propre vie intérieure, il avait essayé d’appliquer leurs méthodes et de leur ravir leurs secrets. « Son mysticisme incroyant, disait de lui M. Bourget, a conduit M. Barrès à une audacieuse tentative pour appliquer à ses propres émotions la dialectique morale enseignée par les grands religieux, par les François de Sales et les Ignace de Loyola, et c’est toute la pensée de l’Homme libre que cette idée. « Et M. Bourget ajoutait, profondément :


Le paradoxe qui est au fond d’une pareille thèse, M. Maurice Barrès a trop de sincérité pour ne pas le découvrir un jour. Ce jour-là, il prononcera la phrase admirable de notre maître Michelet : « Je ne peux me passer de Dieu. » Tous les dons si rares de sa noble nature seront alors éclairés et harmonisés. Mais n’est-ce pas une communication avec un hors de lui, n’est-ce pas une foi qu’il cherche quand il parle de cet instinct des foules dont il a le si profond amour[38] ?


L’auteur de Toute licence, sauf contre l’amour semblait donner raison à M. Bourget.

Et en 1894, il faisait paraître, sous un titre flamboyant, un livre qui, si, à proprement parler, il ne nous révélait pas un Barrès tout à fait nouveau, précisait pourtant et développait certains traits, encore peu accusés, mais essentiels, de sa physionomie littéraire. Je crois bien que c’est à partir de Du Sang, de la Volupté et de la Mort que la réputation de M. Barrès qui, jusqu’alors, n’avait guère franchi un cercle assez restreint d’initiés, s’est décidément imposée à un plus large public[39].

Le livre n’est qu’un recueil, assez bigarré, de. méditations ardentes, d’« idéologies passionnées, » de nouvelles, de rêveries, d’impressions de voyage. La théorie du culte du moi s’y enrichit de quelques applications inédites. Mais surtout d’originales notations pittoresques y sont revêtues d’une forme si attachante que le lecteur le plus inattentif se sent ici en présence d’un maître incontestable « Tel paysage du Jardin de Bérénice, d’un trait rapide et d’une perspective infinie, est inoubliable, » disait déjà Anatole France. Et peut-être songeait-il à celui-ci :


A Aigues-Mortes, l’atmosphère chargée d’eau laisse se détacher les objets avec une prodigieuse netteté et leur donne ces colorations tendres qu’on ne retrouve qu’à Venise et en Hollande. Devant nous se découpait le carré intact des hautes murailles crénelées, coupées de tours et se développant sur deux kilomètres. Au pied de cette masse rude, campée dans l’immensité, jouaient des enfants pareils à des petites bêtes chétives et malignes. Mais mon regard détourné se fondait au loin sur la plaine profonde et ses immenses étangs d’un silence éternel et si doux ! [40]


Et voici maintenant, dans Du Sang, le puissant portrait de l’ardente Tolède :


Tolède sur sa côte, et tenant à ses pieds le demi-cercle jaunâtre du Tage, a la couleur, la rudesse, la fière misère de la sierra où elle campe et dont les fortes articulations donnent, dès l’abord, une impression d’énergie et de passion. C’est moins une ville, chose bruissante et pliée sur les commodités de la vie, qu’un lieu significatif pour l’âme. Sous une lumière crue qui donne à chaque arête de ses ruines une vigueur, une netteté par quoi se sentent affermis les caractères les plus mous, elle est en même temps mystérieuse, avec sa cathédrale tendue vers le ciel, ses alcazars et ses palais qui ne prennent vue que sur leurs invisibles patios.

Ainsi secrète et inflexible, dans cet âpre pays surchauffé, Tolède apparaît comme une image de l’exaltation dans la solitude, un cri dans le désert.


Et puis, c’est Ravenne :


Ravenne, tout chargé de siècles, lourd vaisseau échoué aux sables de V Adriatiqîte avec son chargement de Byzance.


Et Pise :


Cette douce Pise n’a que peu de choses à montrer, mais exquises. Elle les présente avec une complaisance charmante, sur sa petite prairie où les pieds poudreux des voyageurs n’empêchent point que fleurisse un magique trèfle à quatre feuilles (le Dôme, le Baptistère, le Campanile et le Campo Santo), divinement doré, ce matin, par les premiers soleils de l’année.


Et Sienne :


Étrange enfant, cette Sienne, à la fois si dure et si souple, cerclée de murailles qui la compriment et assise avec aisance sur trois collines. Ces rues étroites, enchevêtrées, qui sans trêve grimpent et dévalent, que de fois je les ai suivies dans la fraîcheur qu’y maintiennent, même en été, les lourds palais qui les bordent !


Qu’on relise maintenant les pages si poétiques, si voluptueusement luxuriantes sur les Jardins de Lombardie ; et l’on aura là quelques-uns des paysages les plus achevés de la prose française contemporaine. M. Maurice Barrès paysagiste mériterait toute une étude. Ce n’est pas la manière de Chateaubriand qui, en quelques traits, artistement choisis, compose un tableau grandiose et complet, dont la perfection s’impose à l’imagination du lecteur. Ce n’est pas celle de Loti qui, on ne sait trop comment, par quelques mots subtilement assemblés, suggère les sensations mêmes qu’il a personnellement éprouvées en face de certains spectacles de la nature. Pour M. Barrès, un paysage est essentiellement « un état d’âme, » au sens, d’ailleurs impropre, où l’on prend d’ordinaire ce mot célèbre, et c’est cet état d’âme qu’il analyse et qu’il traduit. Très sensible aux impressions qui lui viennent du monde extérieur, il se laisse docilement faire par elles et les incorpore à son moi. Ainsi mis dans un certain état moral, il s’efforce, par des images, des épithètes, des notations appropriées, d’exprimer cet état moral au complet, avec leurs causes directes et les nuances particulières d’émotion qu’elles déterminent ; et les paysages qu’il dessine, mi-physiques, mi-psychologiques, ont tout ensemble une intensité de coloris et une saveur de spiritualité qui ont ravi tous les « amateurs d’âmes » — et de poésie.


Nous sommes aux environs de 1895. Ces dix ou douze années d’apprentissage, d’efforts et de tentatives en tous sens, ont été fécondes. D’abord, à s’exercer dans les genres les plus divers, — il a même une fois abordé le théâtre, — M. Barrès a mis au jour, il a successivement découvert tous ses dons, les intimes ressources de son souple et riche talent : le paysagiste exquis, le satiriste redoutable, l’humoriste audacieux, le subtil psychologue, le poète incorrigible se sont tour à tour révélés à lui-même, et à un public de plus en plus large. D’autre part, et surtout, il a pris peu à peu conscience de sa véritable nature. Comme la plupart des jeunes gens, sous prétexte de préserver l’originalité de son moi des atteintes des « Barbares, » il avait commencé par se fuir lui-même, par répudier les vraies sources de son inspiration profonde. Français, Lorrain, homme de tradition réaliste et bourgeoise, il s’était germanisé, romantisé à outrance, il s’était imprudemment livré aux poètes et aux philosophes d’outre-Rhin. Puis, pour échapper au nihilisme, où ils le conduisaient, il s’était repris. Il avait retrouvé sa petite patrie ; il en avait goûté le charme. Comme le géant de la fable, il s’était senti plus fort en touchant la terre maternelle. Il comprit qu’à suivre ses directions, qu’à accepter ses disciplines, bien loin de se diminuer, il agrandirait son propre domaine ; il ferait œuvre utile, durable et féconde, et dont la grande patrie bénéficierait à son heure. Ces aspirations nouvelles, il lui restait à les exprimer dans un livre qui serait comme la synthèse de sa personnalité littéraire et morale.


VICTOR GIRAUD.

  1. Les Déracinés, édition originale, Fasquelle, p. 63. — Les ouvrages de M. Maurice Barrès ayant paru, généralement avec des retouches et des variantes, chez plusieurs éditeurs successifs, on citera ici, sauf exceptions très rares et intentionnelles, les éditions originales qui nous permettent de saisir tout près de leur source originelle la pensée et la forme de l’écrivain.
  2. René Gillouin, Maurice Barrès (les Célébrités d’aujourd’hui), Paris, Sansot, 1907 (avec une excellente bibliographie) : — René Jacquet, Notre maître Maurice Barrès, Paris, Per Lamm, 1900. — Cf. Maurice Barrès, Scènes et Doctrines du Nationalisme, édition originale, Juven, pp. 414-427 : et Jérôme et Jean Tharaud, la Lorraine racontée par M. Maurice Barrès (Lectures pour tous, décembre 1910). — Sur l’ensemble de l’œuvre de M. Barrès, on pourra consulter encore le livre récent, un peu confus et tumultueux peut-être, de M. Albert Thibaudet, la Vie de Maurice Barrès (Paris, Éditions de la Nouvelle Revue française, in-8, 1921), et, surtout, les pages si fines, si bien informées, si subtilement pénétrantes, que M. Henri Bremond a publiées ici même, dans la Revue du 15 février 1908, et qui servent aujourd’hui d’introduction à Vingt-cinq années de vie littéraire, Pages choisies de Maurice Barrès (1 vol. in-16, Paris, Bloud, 1908).
  3. Les Amitiés françaises, édition originale, Juven, pp. 22-24. — Cf. Jérôme et Jean Tharaud et René Jacquet, op. cit.
  4. Article non recueilli en volume, cité par R. Jacquet, op. cit., p. 33-35.
  5. Sous l’œil des Barbares, nouvelle édition, augmentée d’un Examen des trois volumes, Perrin, 1892. Ce début de chapitre I ne figure pas dans l’édition originale de 1888.
  6. Sous l’œil des Barbares, éd. originale, Lemerre, p. 196.
  7. Amori et Dotori sacrum, éd. originale, Juven, p. 123-127.
  8. De l’aveu de M. Barrès lui-même, il ne faudrait pas chercher dans Bouteiller un portrait exact, minutieux et complet de Burdeau. Il y a eu transposition littéraire. « Il (Bouteiller) ressemble en plusieurs points essentiels, — bien qu’il s’en distingue par ailleurs, fortement, — à M. Burdeau. « (Les Déracinés, éd originale, Fasquelle, p. 20.)
  9. Lettre de M. Maurice Barrès à M. Breistroffer (9 décembre 1911), dans Jules Lagneau, p. 93-96. Cet opuscule, composé, avec le concours de l’Union pour L’action morale, par M. Breistroffer, parent de Lagneau, en 1912, n’a pas été mis dans le commerce. Il contient aussi une lettre de Jules Lemaitre (24 avril 1912).
  10. Amori et Dolori Sacrum, éd. originale, Juven, p. 126-129.
  11. Id., ibid p. 130. — Cf. aussi, p. 252-253
  12. Stanislas de Guaita, M. Maurice Barrès (Nancy-Artiste, 15 janvier 1888).
  13. « O mon cher Rousseau, mon Jean-Jacques, vous l’homme du monde que j’ai le plus aimé et célébré sous vingt pseudonymes, sous un autre moi-même… » (le Jardin de Bérénice, éd. originale, Perrin, p. 197.) — Cf. les Déracinés, éd. Originale, p. 63-64 : la lecture de la Nouvelle Héloïse, « un livre sublime, » empêche François Sturel, qui vient de débarquer à Paris, de s’intéresser aux funérailles de Gambetta. — « Je sais que, d’instinct, de naissance, je suis porté à ne mettre aucun esprit au-dessus de Goethe. « (Discours prononcé au « Couarail » nancéen, Temps du 25 juin 1911.)
  14. « M. Henry Bérenger a bien raison de me ranger parmi les aînés. J’ai sur les lèvres une petite amertume qu’ils ne doivent point avoir... Est-ce le petit livre de Schopenhauer que ce pauvre Burdeau m’a donné, quand j’étais à dix-sept ans son élève ? » (La Cocarde, 1er février 1893, non recueilli en volume)
  15. « Ainsi, je vois bien ce qu’il y a dans mon esprit d’idées et de sentiments rhénans. Mais de tout cela qu’aurais-je pu faire, si j’étais resté soumis aux seules influences du grand fleuve ? Si j’ai pu tirer quelque chose de cette matière, c’est en prenant les leçons de l’Espagne, de l’Italie, de la Grèce, c’est par le bienfait de la France héritière de Rome et d’Athènes, et qui maintient les disciplines classiques. » (Discours au « Couarail » nancéen, Temps du 25 juin 1911.)
  16. Maurice Rollinat (La Jeune France, mars 1883, p. 676-677 ; non recueilli en volume).
  17. Sensations de Paris : le Quartier Latin, par Maurice Barrès, 32 croquis de nos meilleurs artistes, Paris, Dalou, 1888. — Cueillons-y (p. 32) cette notation véridique : « Quoi qu’en dise la légende, les années de la première jeunesse sont laides. L’homme ne s’est pas encore fait la vie qu’il mérite ; il est emprisonné dans des distractions et dans une société qu’il n’a pas choisies. Plus tard, il aura créé son atmosphère et morale et matérielle. »
  18. Anatole France (avec un fac-similé d’A. France), Paris, Charavay, 1883, in-8o. Cette brochure, devenue extrêmement rare, est un extrait de la Jeune France (février 1883).
  19. Un homme libre, nouvelle édition revue et augmentée d’une préface inédite, Fontemoing, 1905, p. 5-6.
  20. « Quelques mois plus tard (1882), Juliette (Drouet) remarque, au cœur d’une petite revue, la Jeune France, un article signé d’un nom tout nouveau : Maurice Barrès. Et la première, elle signale à Victor Hugo les dons de sensibilité et de poésie qui caractérisaient déjà le futur auteur d’Un amateur d’âmes. » (Louis Guimbaud, Victor Hugo et Juliette Drouet, Paris, A. Blaizot, 1914, p. 250, note 1.)
  21. « Mais Zola ! Même au lycée, sa Nana m’ennuyait. Cet homme s’agite sur un plan inférieur, où n’a que faire le véritable amateur d’héroïsme ou de plaisir. » (Émile Zola comme littérateur, Écho de Paris, 10 mars 1908, non recueilli en volume.)
  22. Eugène-Melchior de Vogué, dans sa réponse au discours de réception de M. Maurice Barrès (Sous les lauriers, Paris, Bloud, 1911, p. 246-247), a vivement peint cette heure de « convalescence. »
  23. Cette nouvelle alexandrine, proche parente de Thaïs et d’Aphrodite, est l’un des premiers essais de M. Barrès après son arrivée à Paris. » Leconte de Liste… m’avait demandé de lui remettre une nouvelle ou un poème. Je n’ai jamais su faire de vers. J’écrivis ces pages. » (La Vierge assassinée, Paris, Sansot, 1904, p. 6), imprimée dans les Taches d’encre (février 1885), sous ce titre : les Héroïsmes superflus, elle a été reproduite dans Sous l’œil des Barbares, puis publiée à part en 1904 sous ce titre la Vierge assassinée.
  24. Le Théâtre d’Auguste Vacquerire (La Jeune France, 1er janvier, 1er février 1882), non recueilli en volume.
  25. Les Hommes de la Jeune France : Anatole France (la Jeune France. février 1883, non recueilli en volume). — Il y aurait lieu de rapprocher cet article d’un autre article du Journal du 7 avril 1893 sur le même Anatole France (reproduit dans les Scènes et Doctrines de nationalisme, éd. originale, Juven, p. 48-50).
  26. Les Taches d’encre de janvier 1885 (p. 47) engageaient leurs lecteurs à « lire la curieuse étude de Jules Lemaitre sur Renan dans la Revue politique et littéraire. » La brochure Huit jours chez M. Renan a paru chez Dupret, au début de mars 1888. Elle était la reproduction, avec quelques variantes, d’un article de la Revue de Paris et de Saint-Pétersbourg intitulé A l’ermitage de Renan (février 1888). Elle a été remaniée dans les éditions successives. Par exemple, dans l’invocation de Renan à ses anciens maîtres de Saint-Sulpice, M. Barrès a supprimé un curieux paragraphe (p. 31-32) : « Voyez ceux que je vous amenai, France, Bourget. Fouquier, Lemaitre, pour citer quelques noms profanes qui vous sont parvenus. Ils respectent vos caractères, ils aiment vos rêves, ils serviront votre mémoire. Par moi, des jeunes gens pleurent le soir en pesant votre destinée. Et combien, derrière eux, qui n’ont pas ce vain talent de mettre leurs pensées dans des mots, mais qui ont reçu de mes mains des âmes dont le parfum vous serait agréable ! »
  27. Examen de trots idéologies, éd. originale, Perrin, 1892, p. 5.
  28. Dans un curieux volume, la Vieille Garde impériale (Tours, Marne, s. d. in-4o), illustré par Job, en tête du chapitre sur la Garde, dont il est l’auteur, M. Maurice Barrès est représenté par l’artiste en officier de la Garde, attablé en face d’un vieux grognard qui lui raconte ses campagnes : « Ils (les soldats de la Garde) souffrirent beaucoup, écrit-il ; la vue de l’Empereur marchant au milieu d’eux les consolait. Puissance d’un excitateur d’hommes ! Aurai-je l’honneur que l’histoire recueille ce mot : « Napoléon professeur d’énergie ? » — Cf. aussi l’enthousiaste article, non recueilli en volume, du Journal (14 avril 1893), déjà intitulé : Napoléon professeur d’énergie.
  29.  » C’est à vingt ans que j’aurais dû écrire quelques pages sur Stendhal. Alors j’étais à Rome. Tout le jour je parcourais la ville avec les Promenades pour guide… Son œuvre s’accordait avec tous mes sentiments. À vingt ans, nous ne doutions pas de vivre cette vie italienne qu’il nous proposait pour modèle, vie de beauté voluptueuse, de gloire et de fierté. Nous croyions à la réalité présente de son Italie. Nous nous élancions sur elle comme de jeunes vainqueurs. » (Maurice Barrès, préface à la Correspondance de Stendhal, publiée par A. Paupe et P. A. Cheramy, Paris, Bosse, 1908.)
  30. Anatole France, la Vie littéraire, t. IV, p. 225.
  31. Le Jardin de Bérénice, éd. originale, Perrin, p. 179-183. — Le livre devait s’intituler primitivement Qualis artifex pereo ! — titre très symbolique et qui peut s’interpréter en des sens bien différents.
  32. Il n’est pas arbitraire, je crois, de rapprocher l’effort de M. Barrès de la tentative à laquelle, vers le même temps, se livrait M. Bergson. Il est à remarquer que l’Homme libre a été distingué, au moment de son apparition, par plusieurs philosophes de profession, Jaurès, entre autres, et M. Blondel, dans l’Action.
  33. Jules Lemaitre, Contemporains, t. V, p. 311. Cf. dans la dédicace de l’Appel au Soldat, la réponse de M. Barrès.
  34. Article cité sur l’Ennemi des Lois (Figaro, 22 novembre 1892).
  35. L’article a paru dans le Figaro du 25 janvier 1893. Il n’a pas été recueilli en volume, mais il a été reproduit dans une petite brochure de propagande électorale : la Corruption parlementaire : les Scandales de Panama, Paris, Savine, 893. Et les passages essentiels en ont été repris dans le roman Leurs Figures.
  36. La Cocarde, 13 février 1895. — Les articles de la Cocarde n’ont pas été recueillis en volume, sauf quelques-uns dans Scènes et Doctrines du Nationalisme et dans le petit volume intitulé : De Hegel aux Cantines du Nord (Sansot, 1904). — Voyez aussi Henri Clouard, la « Cocarde » de Barrès, Nouvelle Librairie nationale, 1910.
  37. Assainissement et Fédéralisme, Paris, Librairie de la Revue socialiste, 1895, p. 15. — Cf. la brochure Contre les étrangers, étude pour la protection des ouvriers français. 1893.
  38. Article du 15 août 1890, écrit à propos de Un Homme libre, et cité avec reconnaissance par M. Barrès dans Amori et dolori sacrum, éd. originale, Juven, p. 307-311. — Sur la feuille de garde de Toute licence, sauf contre l’amour, je note encore : « En préparation : les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola, avec une préface de Maurice Barrès. »
  39. Voyez, dans la Revue du 15 décembre 1894, l’article de M. Doumic (recueilli dans les Jeunes, Perrin, 1895).
  40. Le Jardin de Bérénice, éd. originale, Perrin, p. 68-69. — Cf. encore p. 64, 96-91 : 117, 118. 119.