Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction/I/01
LIVRE PREMIER
DU MOBILE MORAL AU POINT DE VUE SCIENTIFIQUE
PREMIERS ÉQUIVALENTS DU DEVOIR.
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CHAPITRE PREMIER
L’intensité de la vie est le mobile de l’action.
Nous ne rejetons nullement la part de la spéculation métaphysique dans la morale, pourvu qu’elle se présente pour ce qu’elle est, comme une spéculation, et nous en montrerons nous-même plus tard l’importance. Mais une méthode rigoureuse nous impose de chercher d’abord ce que peut être une morale exclusivement fondée sur les faits et qui, en conséquence, ne part ni d’une thèse a priori, ni d’une loi a priori, qui serait elle-même une thèse métaphysique. Quel est le point de départ, et le point d’arrivée, quel est le domaine exact de la science dans la morale ? Voilà ce que nous devons examiner.
Une morale qui n’invoque que les faits ne peut présenter dès l’abord à l’individu pour premier mobile d’action le bien ou le bonheur de la société, car le bonheur de la société est souvent en opposition avec celui de l’individu. Dans ces cas d’opposition, le bonheur social, comme tel, ne pourrait devenir pour l’individu une fin réfléchie qu’en vertu d’un pur désintéressement ; mais ce pur désintéressement est impossible à constater comme fait, et son existence a de tout temps été controversée. Aussi la morale positive, pour ne pas renfermer dès son principe un postulat invérifiable, doit être d’abord individualiste ; elle ne doit se préoccuper des destinées de la société qu’en tant qu’elles enveloppent plus ou moins celles de l’individu. Le premier tort des utilitaires, comme Stuart Mill, et même des évolutionnistes, a été de confondre la face sociale et la face individualiste du problème moral.
Il importe d’ajouter qu’une morale individualiste, fondée sur des faits, n’est pas la négation d’une morale métaphysique ou religieuse, fondée, par exemple, sur quelque idéal impersonnel ; elle ne l’exclut pas, elle est simplement construite dans une autre sphère. C’est une maisonnette bâtie au pied de la tour de Babel ; elle n’empêche nullement celle-ci de monter jusqu’au ciel, si elle peut ; bien plus, qui sait si la maisonnette n’aura pas à la fin besoin de s’abriter à l’ombre de la tour ? Nous n’essayerons donc de nier ni d’exclure aucune des fins proposées comme désirables par les métaphysiciens ; mais nous laisserons actuellement de côté la notion du désirable, et nous nous bornerons à constater d’abord ce qui est désiré en fait[1]. Avant d’introduire dans la morale la spéculation métaphysique, il est essentiel, en effet, de déterminer d’abord jusqu’où peut aller la morale exclusivement scientifique. C’est ce que nous nous proposons de faire.
Les fins poursuivies en fait par les hommes et par tous les êtres vivants sont extrêmement multiples ; toutefois, de même que la vie offre partout des caractères communs et un même type d’organisation, il est probable que les fins recherchées par les divers individus se ramènent plus ou moins de fait à l’unité. Cette fin unique et profonde de l’action ne saurait être ni le bien, concept vague qui, lorsqu’on veut le déterminer, se résout en des hypothèses métaphysiques, ni le devoir qui n’apparaît pas non plus à la science comme un principe primitif et irréductible, ni peut-être le bonheur, dans la pleine acception du mot, que Volney a pu appeler un objet de luxe, et dont la conception, d’ailleurs, suppose un développement très avancé de l’être intelligent.
Quel sera donc le but naturel des actions humaines ? Lorsqu’un tireur s’est longtemps exercé sur une cible, et que l’on considère les trous innombrables dont il a percé le morceau de carton, on voit ces trous se répartir assez uniformément autour du blanc visé. Aucune des balles, peut-être, n’aura atteint le centre géométrique du cercle de la cible, et quelques-unes en seront fort éloignées ; néanmoins, elles seront groupées autour de ce centre suivant une loi très régulière que Quételet a déterminée : la loi du binôme. Même sans connaître cette loi, on ne se trompera pas au simple aspect des trous de balle ; on mettra le doigt au centre de l’endroit où ces trous sont le plus fréquents, et on dira : « Voilà le point de la cible qui a été visé. » Cette recherche du but visé par le tireur peut être comparée à celle qu’entreprend la science purement positive des mœurs quand elle s’efforce de déterminer le but ordinaire de la conduite humaine. Quelle est la cible constamment visée par l’humanité, et qui doit l’avoir été aussi par tous les êtres vivants, — car l’homme n’est plus aujourd’hui pour la science un être à part du monde, et les lois de la vie sont les mêmes du haut en bas de l’échelle animale ; — quel est le centre de l’effort universel des étres, vers lequel ont été dirigés les coups du grand hasard des choses, sans qu’aucun de ces coups ait peut-être jamais porté tout à fait juste, sans que le but ait été jamais pleinement atteint ?
Suivant les « hédonistes », la direction naturelle de tout acte serait le minimum de peine et le maximum de plaisir : dans son évolution, la vie consciente suit la ligne de la moindre souffrance. — Cette direction du désir ne peut guère être contestée par personne, et, pour notre part, nous l’admettons ; mais la définition précédente est trop étroite, car elle ne s’applique qu’aux actes conscients et plus ou moins volontaires, non aux actes inconscients et automatiques qui s’accomplissent simplement suivant la ligne de la moindre résistance. Or, croire que la plupart des mouvements partent de la conscience et qu’une analyse scientifique des ressorts de la conduite doit tenir compte seulement des mobiles conscients, ce serait sans doute être dupe d’une illusion. Pour MM. Maudsley et Huxley, la conscience n’est dans la vie qu’un épiphénomène, abstraction faite duquel tout se passerait de la même manière. Sans vouloir trancher ni même soulever cette question, fort controversée en Angleterre comme en France, nous devons reconnaître que la conscience embrasse une portion assez restreinte de la vie et de l’action. Même les actes qui s’achèvent dans la pleine conscience de soi ont, en général, leur principe et leur première origine dans des instincts sourds et des mouvements réflexes. La conscience n’est donc qu’un point lumineux dans la grande sphère obscure de la vie ; c’est une petite lentille groupant en faisceaux quelques rayons de soleil et s’imaginant trop que son foyer est le foyer même d’où partent les rayons. Le ressort naturel de l’action, avant d’apparaître dans la conscience, devait déjà agir au-dessous d’elle, dans la région obscure des instincts ; la fin constante de l’action doit avoir été primitivement une cause constante de mouvements plus ou moins inconscients. Au fond, les fins ne sont que des causes motrices habituelles parvenues à la conscience de soi ; tout mouvement voulu a commencé par être un mouvement spontané exécuté aveuglément, parce qu’il présentait moins de résistance ; tout désir conscient a donc été d’abord un instinct. La sphère de la finalité coïncide, au moins dans son centre, avec la sphère de la causalité (même si, avec les métaphysiciens, on considère la finalité comme primitive). Ce problème : Quelle est la fin, la cible constante de l’action ? devient donc, à un autre point de vue, celui-ci : Quelle est la cause constante de l’action ? Dans le cercle de la vie, le point visé se confond avec le point même d’où part le coup.
Nous croyons qu’une morale exclusivement scientifique, pour être complète, doit admettre que la recherche du plaisir n’est que la conséquence même de l’effort instinctif pour maintenir et accroître la vie : le but qui, de fait, détermine toute action consciente est aussi la cause qui produit toute action inconsciente : c’est donc la vie même, la vie à la fois la plus intense et la plus variée dans ses formes. Depuis le premier tressaillement de l’embryon dans le sein maternel jusqu’à la dernière convulsion du vieillard, tout mouvement de l’être a eu pour cause la vie en son évolution ; cette cause universelle de nos actes, à un autre point de vue, en est l’effet constant et la fin.
L’analyse qui précède concorde par son résultat avec les analyses de l’école évolutionniste, que nous ne reproduirons pas ici[2]. Le motif sous-jacent de toutes nos actions, la vie, est admis même par les mystiques, car ceux-ci supposent généralement une prolongation de l’existence au delà de ce monde ; et l’existence intemporelle n’est elle-même que de la vie concentrée en un punctum stans. La tendance à persévérer dans la vie est la loi nécessaire de la vie non seulement chez l’homme, mais chez tous les êtres vivants, peut-être même dans le dernier atome de l’éther, car la force n’est probablement qu’un abstrait de la vie. Cette tendance est, sans doute, comme le résidu de la conscience universelle, d’autant plus qu’elle dépasse et enveloppe la conscience même. Elle est donc à la fois la plus radicale des réalités et l’inévitable idéal.
La partie de la morale fondée uniquement et systématiquement sur les faits positifs peut se définir : la science qui a pour objet tous les moyens de conserver et d’accroître la vie, matérielle et intellectuelle. Les lois suprêmes de cette morale seront identiques aux lois les plus profondes de la vie même et, dans quelques-uns de ses théorèmes les plus généraux, elle vaudra pour tous les êtres vivants.
Si on nous dit que les moyens de conserver la vie physique rentrent dans l’hygiène plutôt que dans la morale, nous répondrons que la tempérance, depuis longtemps placée parmi les vertus, est pratiquement une application de l’hygiène et que, d’ailleurs, une morale exclusivement positive, sous le rapport physique et abstraction faite de tous les autres rapports, ne peut guère différer d’une hygiène élargie.
Si on demande ce que c’est qu’accroître l’intensité de la vie, nous répondrons que c’est accroître le domaine de l’activité sous toutes ses formes (dans la mesure compatible avec la réparation des forces).
Les êtres inférieurs n’agissent que dans une certaine
direction ; puis ils se reposent, s’affaissent dans une inertie
absolue, par exemple le chien de chasse, qui s’endort
jusqu’au moment où il recommencera à chasser. L’être
supérieur, au contraire, se repose par la variété de l’action,
comme un champ par la variété des productions ; le but
poursuivi, dans la culture de l’activité humaine, c’est donc
la réduction au strict nécessaire de ce qu’on pourrait
appeler les périodes de jachère. Agir, c’est vivre ; agir
davantage, c’est augmenter le foyer de vie intérieure. Le
pire des vices sera, à ce point de vue, la paresse, l’inertie.
L’idéal moral sera l’activité dans toute la variété de ses
manifestations, du moins de celles qui ne se contrarient
pas l’une l’autre ou qui ne produisent pas une déperdition
durable de forces. Pour prendre un exemple, la pensée est
l’une des formes principales de l’activité humaine : non,
comme l’avait cru Aristote, parce que la pensée serait l’acte
pur et dégagé de toute matière (hypothèse invérifiable),
mais parce que la pensée est, pour ainsi dire, de l’action
condensée et de la vie à son maximum de développement.
De même pour l’amour.
Après avoir posé, en termes très généraux, les bases d’une morale de la vie, voyons quelle part il convient de faire en son sein à l’hédonisme ou à la morale du plaisir.
Le plaisir est un état de la conscience qui, selon, les psychologues et les physiologistes, est lié à un accroissement de la vie (physique ou intellectuelle) il s’ensuit que ce précepte : « accrois d’une manière constante l’intensité de ta vie » se confondra finalement avec celui-ci : « accrois d’une manière constante l’intensité de ton plaisir. » L’hédonisme peut donc subsister, mais au second rang et plutôt comme conséquence que comme principe. Tous les moralistes anglais disent : « le plaisir est le seul levier avec lequel on puisse mouvoir l’être. » Entendons-nous. Il y a deux sortes de plaisir. Tantôt le plaisir correspond à une forme particulière et superficielle de l’activité (plaisir de manger, de boire, etc.), tantôt il est lié au fond même de cette activité (plaisir de vivre, de vouloir, de penser, etc.) ; dans le premier cas, il est purement sensitif ; dans l’autre, il est plus profondément vital, plus indépendant des objets extérieurs : il ne fait qu’un avec la conscience même de la vie. Les utilitaires ou les hédonistes se sont trop plu à considérer la première espèce de plaisir ; l’autre a une importance supérieure. On n’agit pas toujours en vue de poursuivre un plaisir particulier, déterminé et extérieur à l’action même ; parfois on agit pour le plaisir d’agir, on vit pour vivre, on pense pour penser. Il y a en nous de la force accumulée qui demande à se dépenser ; quand la dépense en est entravée par quelque obstacle, cette force devient désir ou aversion ; quand le désir est satisfait, il y a plaisir ; quand il est contrarié, il y a peine ; mais il n’en résulte pas que l’activité emmagasinée se déploie uniquement en vue d’un plaisir, avec un plaisir pour motif ; la vie se déploie et s’exerce parce qu’elle est la vie. Le plaisir accompagne chez tous les êtres la recherche de la vie, beaucoup plus qu’il ne la provoque ; il faut vivre avant tout, jouir ensuite.
On a cru longtemps que l’organe créait la fonction, on a cru aussi que le plaisir créait la fonction : « l’être va, disait Épicure, où l’appelle son plaisir ; » ce sont là, d’après la science moderne, deux vérités incomplètes et mêlées d’erreurs ; à l’origine, l’être ne possédait point un organe tout fait ; de même, il n’avait pas, en quelque sorte, un plaisir tout fait ; lui-même, en agissant, a fait son organe et fait son plaisir. Le plaisir, comme l’organe, procède de la fonction. Plus tard, d’ailleurs, comme l’organe même, il réagit sur la fonction ; on finit par agir de telle manière parce qu’on a un organe développé dans tel sens et qu’on éprouve un plaisir en allant dans telle direction. Mais le plaisir n’est pas premier ; ce qui est premier et dernier, c’est la fonction, c’est la vie. Si on n’a pas besoin, pour diriger la nature, de faire appel à une impulsion étrangère ou supérieure à elle, si la nature est, pour ainsi dire, automotrice et autonome, on n’a pas besoin non plus de faire appel à une détermination inférieure et particulière, comme tel plaisir.
Ce qu’on peut accorder aux hédonistes, c’est qu’il ne saurait y avoir conscience sans un plaisir ou sans une douleur vagues ; le plaisir et la peine pourraient être regardés comme le principe même de la conscience ; d’autre part, la conscience est le levier nécessaire pour produire toute action autre que le pur acte réflexe : la théorie anglaise est donc vraie en ce sens que toute action volontaire, ayant toujours besoin pour ainsi dire de passer par la conscience, s’imprègne nécessairement d’un caractère agréable ou désagréable. Agir et réagir, c’est toujours jouir ou souffrir; c’est toujours aussi désirer ou craindre.
Mais ce caractère agréable ou désagréable de l’action ne
suffit pas pour l’expliquer tout entière. La jouissance,
au lieu d’être une fin réfléchie de l’action, n’en est souvent, comme la conscience même, qu’un attribut. L’action sort
naturellement du fonctionnement de la vie, en grande
partie inconscient ; elle entre aussitôt dans le domaine de
la conscience et de la jouissance, mais elle n’en vient pas.
La tendance de l’être à persévérer dans l’être est le fond de
tout désir sans constituer elle-même un désir déterminé.
Le mobile emporté dans l’espace ignore la direction où il va,
et cependant il possède une vitesse acquise prête à se
transformer en chaleur et même en lumière, selon le
milieu résistant où il passera ; c’est ainsi que la vie devient
désir ou crainte, peine ou plaisir, en vertu même de sa
force acquise et des primitives directions où l’évolution
l’a lancée. Une fois connue l’intensité de vie chez un être
avec les diverses issues ouvertes à son activité, on peut
prédire la direction que cet être se sentira intérieurement
poussé à prendre. C’est comme si un astronome pouvait
prédire la marche d’un astre rien que par la connaissance
de sa masse, de sa vitesse et de l’action des autres astres.
On voit maintenant la seule position que puisse prendre une science des mœurs sans métaphysique dans la question de la fin morale, indépendamment de toutes les hypothèses que la métaphysique pourra plus tard y ajouter. Étant données d’une part la sphère inconsciente des instincts, des habitudes, des perceptions sourdes, d’autre part la sphère consciente du raisonnement et de la volonté réfléchie, la morale se trouve sur la limite de ces deux sphères : elle est la seule science qui n’ait ainsi pour objet ni des faits purement inconscients ni des faits purement conscients. Elle doit donc chercher une tendance qui soit commune à ces deux ordres de faits et qui puisse relier les deux sphères.
La psychologie classique s’était toujours restreinte aux phénomènes conscients, laissant de côté l’étude du pur mécanisme ; de même la morale classique. Mais elles supposaient démontré que le mécanisme n’agit pas sur la région consciente de l’esprit, n’y provoque pas des perturbations parfois plus ou moins inexplicables : supposer ainsi démontrée l’indépendance du conscient par rapport à l’inconscient, c’était commencer par un postulat que rien n’autorise. Nous croyons que, pour éviter ce postulat, la morale scientifique doit chercher un ressort d’action qui puisse jouer à la fois dans les deux sphères et mouvoir tout ensemble en nous l’automate et l’être sensible. L’objet de la science des mœurs est de constater comment l’action, produite par l’effort seul de la vie, sort sans cesse du fond inconscient de l’être pour entrer dans le domaine de la conscience ; comment ensuite l’action peut se trouver réfractée dans ce milieu nouveau, souvent même suspendue ; par exemple, quand il y a lutte entre l’instinct de la vie et telle ou telle croyance d’ordre rationnel. Dans ce cas, la sphère de la conscience peut fournir une source nouvelle d’actions qui, à leur tour, redeviennent des principes d’habitudes ou d’instincts, et rentrent ainsi dans le fond inconscient de l’être pour y subir des altérations sans nombre. L’instinct dévie en devenant conscience et pensée, la pensée dévie en devenant action et germe d’instinct. La science morale doit tenir compte de toutes ces déviations. Elle cherche le lieu de rencontre où viennent se toucher et où se transforment sans cesse l’une dans l’autre les deux grandes forces de l’être, instinct et raison ; elle doit étudier l’action de ces deux forces l’une sur l’autre, régler la double influence de l’instinct sur la pensée, de la pensée et du cerveau sur les actes instinctifs ou réflexes.
Nous verrons comment la vie peut donner lieu, en devenant consciente d’elle-même et sans se contredire rationnellement, à une variété indéfinie de mobiles dérivés. L’instinct universel de la vie, tantôt inconscient, tantôt conscient, avec les aspects divers que nous lui verrons revêtir, fournit à la science morale la seule fin positive ; — ce qui ne veut pas dire d’ailleurs qu’il n’en existe aucune autre possible et que notre expérience soit adéquate à toute la réalité imaginable. La morale fondée sur les faits ne peut, encore une fois, « constater » qu’une chose, c’est que la vie tend à se maintenir et à s’accroître chez tous les êtres, d’abord inconsciemment, puis avec le secours de la conscience spontanée ou réfléchie ; qu’elle est ainsi en fait la forme primitive et universelle de tout bien désiré : il ne s’ensuit pas que le désir de la vie épuise absolument l’idée du désirable, avec toutes les notions métaphysiques et même mystiques qu’on y peut rattacher : c’est là une question réservée, qui ne sera plus proprement objet d’affirmation positive, mais d’hypothèse métaphysique. Il importe à la science de faire le départ exact du certain et de l’incertain, dans lamorale comme dans les autres études. La certitude n’a jamais nui à la spéculation, ni même au rêve, la connaissance des faits réels à l’élan vers l’idéal, la science à la métaphysique : le moissonneur, ramassant avec soin en son grenier les gerbes qu’il a recueillies et comptées lui-même, n’a jamais empêché le semeur de s’en aller la main ouverte, l’œil tourné vers les moissons lointaines, jeter au vent le présent, le connu, pour voir germer un avenir qu’il ignore et qu’il espère.