Esquisse d'une grammaire comparée de l’arménien classique/Chapitre IV

Imprimerie des pp. Mekhitaristes (p. 103-135).


Chapitre IV.
LES FORMES VERBALES.

72. — Les formes verbales indo-européennes, dont la complexité et la variété étaient grandes, ont été simplifiées au cours du développement ultérieur de chacun des dialectes. Il s’est ainsi constitué des conjugaisons relativement simples qui diffèrent d’une langue à l’autre. Au moment où l’arménien a été fixé par l’écriture, le travail de réfection était accompli, et l’on se trouve en présence d’un système bien équilibré et durable et non pas d’un groupement de formes qui, comme celles de la déclinaison, appelaient de nouvelles innovations et une refonte.

A. FORMATION DES THÈMES.

73. — Les thèmes primaires indo-européens, c’est-à-dire ceux qui se rattachent directement à des racines, étaient indépendants les uns des autres, et leur nombre n’était pas limité ; de la racine *men- « rester » le grec ancien a par exemple un présent μένω (menô), un présent à redoublement μίμνω (mimnô), un futur μενῶ (menô), un aoriste ἔμεινα (emeina), un parfait μεμένηϰα (memenêka) ; cette complexité a été presque partout ramenée à l’opposition de deux thèmes ; c’est ce que présente le grec moderne avec son présent μένω (menô) et son aoriste ἔμεινα (emeina) ; dès les plus anciens textes, le latin n’a plus pour chaque verbe que deux thèmes, auxquels se rattachent tous les autres, celui du présent, ainsi maneō, et celui du parfait, ainsi mansī ; et de même dans les autres langues ; l’arménien n’échappe pas à ce parallélisme, et son verbe est à deux thèmes, l’un de présent : mnam մնամ « je reste », l’autre d’aoriste : mnac̣i մնացի « je suis resté ».

Inversement les verbes dénominatifs indo-européens n’avaient qu’un seul thème, et il n’en pouvait être autrement, puisque chaque thème verbal était indépendant ; le suffixe -ya- de skr. pṛtanâ-yá-ti « il combat », de pṛtanâ « combat », fournissait un thème verbal et n’en pouvait fournir qu’un avec ce substantif. Les dénominatifs ont reçu pourtant par la suite un second thème, à l’imitation des verbes primaires ; le grec a τιμῶ, ἐτίμησα (timô, etimêsa) de τιμή (timê) et de même l’arménien a hawatam հաւատամ « je crois », aoriste hawataçi հաւատացի « j’ai cru » de hawatk‘ հաւատք « foi ».

Les deux thèmes essentiels du verbe arménien sont un thème de présent indiquant l’action qui dure sans terme défini, et un thème d’aoriste indiquant l’action arrivant à un terme. — Le parfait indo-européen a disparu, comme d’ailleurs toutes les formes à redoublement ; et rien n’est plus naturel : du jour où la racine a cessé d’être l’élément fondamental des verbes, le redoublement de l’initiale n’avait plus de sens : sur le modèle de μεμένη-ϰα (memenê-ka), le grec a pu faire τετίμηϰα (tetimêka) du dénominatif τιμῶ (timô), mais une pareille formation était transitoire et le grec moderne ne connaît plus de parfait. Mais si l’arménien a perdu la forme ancienne du parfait, il s’en est recréé un par des moyens périphrastiques.

Le thème de présent fournit : 1° l’indicatif présent, ainsi lk‘anem լքանեմ « je laisse » (valant λείπω (leipô)) ; — 2° l’imparfait (prétérit exprimant l’action qui dure) : lk‘anei լքանեի « je laissais » (valant ἔλειπον (eleipon)) ; — 3° l’impératif prohibitif : mi lk‘aner մի լքաներ « ne laisse pas » (μὴ λεῖπε (mê leipe)) ; — 4° le subjonctif présent : lk‘aniçem լքանիցեմ ; — 5° l’infinitif : lk‘anel լքանել « laisser ».

Le thème d’aoriste fournit : 1° l’indicatif aoriste (exprimant l’action menée à son terme), ainsi lk‘i լքի « j’ai laissé » (valant ἔλιπον (elipon)) ; — 2° l’impératif : lik‘ լիք « laisse » ; — 3° le subjonctif aoriste (servant souvent de futur) : lk‘iç լքից « que je laisse, je laisserai » ; — 4° ordinairement le participe passé : lk‘eal լքեալ « ayant laissé » (v. § 84).

1. Thèmes de présents.

74. — L’arménien a quatre types de présents caractérisés par les voyelles e ե, i ի, a ա et u ու ; chacun des types comporte une forme sans nasale et une forme à nasale ; exemples : 1° e ե, sans nasale : berem e բերեմ « je porte » (aor. beri բերի) ; avec nasale : lk’anem լքանեմ « je laisse » (aor. lk’i լքի). — 2° i ի, sans nasale : berim բերիմ « je suis porté » (aor. beray բերայ) ; avec nasale : lk’anim լքանիմ « je suis laissé » (aor. lk‘ay լքայ). — a ա, sans nasale : yusam յուսամ « j’espère » (aor. yusaçay յուսացայ) ; avec nasale : zarmanam զարմանամ « je m’étonne » (aor. zarmaçay զարմացայ). — 4° u ու, sans nasale : henum հենում « je couds » (aor. heni հենի) ; avec nasale : aṙnum առնում « je prends » (aor. ari աւի). De plus, dans la série en i ի, certains présents offrent une caractéristique č̣ չ, ainsi p‘axč̣im պախչիմ « je fuis » (aor. p‘axeay փաիւեայ).

Ces types arméniens résultent du mélange de plusieurs formations originairement distinctes et de réfections analogiques étendues.

a) Type en -e- –ե–.
α) Présent sans nasale.

75. — Les trois présents suivants remontent à d’anciens thèmes radicaux du type thématique, ce qui se reconnaît à leur aoriste primaire (sans ç ց), qui continue un ancien imparfait :

berem բերեմ « je porte », aor. beri բերի, cf. skr. bhárāmi, gr. φέρω (pherō)), lat. ferō, irl. berim, got. baira, v. sl. berõ « je prends » ;

acem ածեմ « je conduis », aor. aci ածի, cf. skr. ájāmi, gr. ἄγω (agô), lat. agō « je conduis », v. isl. aka « conduire » ;

hanem հանեմ « je tire », aor. hani հանի, cf. peut-être skr. sanóti « il gagne », optat., sánema « gagnons », participe sánant-.

Les autres présents sont secondaires, en général dénominatifs ; -e- –ե– y répond alors non à i.-e. e comme dans bere- բերե– gr. φέρε (phere), mais à *-e-ye-, skr. -ayá-, gr. -ε(y)ε- (type φιλέω (phileô)) ; il a pu y avoir mélange avec le type des causatifs et itératifs en *-eye- (skr. -'aya-), et gorcem գործեմ « je travaille, je fais, j’agis » (aor. gorceçi գործեցի) peut être considéré à la fois comme dérivé de gorc գործ « œuvre » et comme représentant un i.-e. *worg'-eye-, de même que le grec φορέω (phoreô) peut être dénominatif de φόρος (phoros) ou issu de i.-e. *bhoreye- (itératif) ; on s’explique ainsi que le type arménien en -e- –ե– fournisse les dénominatifs transitifs exprimant une action, comme əntrem ընտրեմ « je choisis » (aor. əntreci ընտրեցի) de əntir ընտիր « choisi », et non des dénominatifs exprimant un état ou l’entrée dans un état, comme lat. seneō « je deviens vieux ». Les dénominatifs en -e- –ե– qui ont cette signification sont tirés de thèmes quelconques et non plus seulement des thèmes en -o- (anciens thèmes en *-e-|-o-).

β) Présent à nasale.

76. — Les verbes à nasale de ce type sont primaires et ont l’aoriste sans ç ց. Beaucoup d’entre eux tiennent la place de formes indo-européennes à nasale infixée ; la transformation est parallèle à celle qu’on observe en slave où les verbes à suffixe -ne- comme v. sl. bŭnõ « je m’éveillerai » tiennent la place de verbes à infixe comme lit. bundù « je m’éveille ». Exemples :

lk’anem լքանեմ « je laisse » (aoriste lk‘i լքի), cf. skr. riṇákti « il laisse », lat. linquō, līquī, v. pruss. -līnka « il reste » ;

awcanem աւծանեմ « j’oins » (awci աւծի), cf. skr. anâkti « il oint », lat. ungō (ici la nasale appartient à la racine, mais a été prise pour un élément de formation) ;

bekanem բեկանեմ « je brise » (beki բեկի), cf. skr. bhanákti il brise », v. irl. com-boing « il brise » ;

bucanem բուծանեմ « je nourris » (buci բուծի), cf. skr. bhuṅkte « il jouit de », et peut-être lat. fungor ;

gtanem գտանեմ « je trouve » (gti գտի, 3me pers. egit եգիտ), cf. av. vīnasti « il trouve », skr. vindati (aor. ávidât) ;

dizanem գիզանեմ « j’amasse » (dizi գէզէ), cf. lat. fingō, gr. θιγγάνω (avec γ au lieu du χ de τεῖχος (teichos)).

lizanem լիզանեմ « je lèche » (lizi լիզի), cf. lat. lingō ; dans gr. λιχνεύω (lichneuô) un suffixe a été substitué aussi à l’ancien infixe ;

anicanem անիծանեմ « je maudis » (anici անիծի, cf. skr. nindáti « il outrage » (et gr. ὄνειδος (oneidos)). Il reste à expliquer comment c ծ a remplacé le t տ attendu ; on a vu la substitution inverse de t տ à c ծ dans art արտ « champ », cf. gr. ἀγρός (agros), § 71 ;

hasanem հասանեմ « j’arrive, j’atteins » (hasi հաի), cf. skr. açnóti « il atteint », à côté de nâçati, lat. nanciscor.

D’après les exemples précités et quelques autres pareils, il a été formé sur des aoristes primaires ou d’aspect primaire beaucoup d’autres verbes de même forme.

La chose est évidente dans le cas suivant. De même que le thème de présent *bhere- fournit un présent berem բերեմ « je porte » issu du présent et un aoriste beri բերի « j’ai porté » issu de l’imparfait (eber եբեր « il a porté » = skr. ábharat, gr. ἕφερε (hephere)), on attend, en regard d’un thème *pr̥k-ske- de présent à suffixe *-ske-, un présent *harçem répondant à skr. pṛcchâmi « je demande », lat. poscō, et un aoriste harçi հարցի répondant à l’imparfait ; or, on a bien eharç եհարց « il a demandé » en face de skr. ápṛcchat, 1ère pers. sing. harçi հարցի « j’ai demandé », mais le présent est harçanem հարցանեմ « je demande », où -ane- անե est une addition arménienne. On expliquera de même luçanem լուցանեմ « j’allume » (aor. luçi լուցի), de *leuk-ske-, cf. arm. loys լոյս « lumière », çuçanem ցուցանեմ « je montre » (aor. çuçi ցուցի), de *skeu-ske-, cf. v. h. a. scouwôn « contempler », gr. δυο-σϰό(ϝ)ος (duo-sko(w)os) ; sans doute aussi ançanem անցանեմ « je passe » (aor. ançi անցի).

Les factitifs en -uçanem ուցանեմ appartiennent au type en -anem –անեմ, v. § 85.

b) Type en -i- –ի–

77. — Le type en -i- –ի– a deux fonctions.

1° Il fournit des passifs aux verbes en -e- –ե– par simple substitution de -i- –ի– à -e- –ե– : berim բերիմ « je suis porté », lk‘anim լքանիմ, « je suis laissé ».

2° Il fournit des verbes pareils à ceux du type en -e- –ե– et qui jouent le rôle que jouent en indo-iranien et en grec les verbes à désinences exclusivement moyennes, en latin et en irlandais les déponents : ainsi nstim նսւոիմ « je m’assieds », cf. gr. ἕζομαι (hezomai) ; meṙanim մեռանիմ « je meurs », cf. skr. mriyáte « il meurt », lat. morior.

Ce -i- –ի– rappelle le slave -i- ou le lituanien -i- des verbes exprimant l’état, comme v. sl. bĭd-i-tŭ « il veille » ; une forme thématique du même suffixe a fourni à l’indo-iranien ses passifs en -ya-, comme skr. budh-yá-te « il est éveillé » et au grec des verbes exprimant l’état, comme μαίνεται (mainetai) « il est fou ». Ce serait la forme athématique, attestée en baltique et en slave, qu’on retrouverait en arménien, à moins qu’on ne suppose une forme *-iye-, indiquée par skr. mr-iyá-te « il meurt », par gr. Ϝιδ-ίω (Wid-iô) « je sue » et par quelques autres verbes ; car un ancien *-ye- aurait donné avec les consonnes précédentes des combinaisons diverses et n’aurait pas abouti à -i- ; c’est ainsi que le *-ye- du type indo-européen connu en *-ye- constamment thématique, semble avoir donné *-ǰe- dans ǰnǰem ջնջեմ « j’enlève, j’essuie », cf. gr. θείνω (theinô) ; l’arménien a peu de traces de cette formation ; il a ainsi koçem կոչեմ « j’appelle », qui doit reposer sur *gwot-ye- ; pour la racine cf. got. qiԻan « dire ». — Le type en -i- du slave est accompagné d’un thème d’infinitif en ě-, ainsi sedě-ti « être assis » à côté de sědi-tě « il est assis », et le grec a de même l’aoriste μανῆ-ναι (manê-nai) à côté de μαίνεται (mainetai) ; il n’est donc pas impossible que -i- de nstim նստիմ « je m’assieds » repose sur i.-e. *-ē- ou sur un dérivé *-ēye-, cf. lat. sedeō, sedēre. Il convient par suite de ne rien affirmer précisément sur l’origine des verbes arméniens en -i-.

Au point de vue arménien, le type en -i- –ի– est une forme secondaire du type en -e- –ե– et la caractéristique -i- se montre seulement au présent et à l’impératif ; mais l’infinitif, l’imparfait, le subjonctif ont -e- : ainsi l’infinitif de berim բերիմ est bere-l բերել l’imparfait berei բերեի « je portais », le subjonctif berēçim բերիցիմ (de *berēçim, ancien *bere-yçim).

Abstraction faite des passifs dérivés de présents en -e- –ե–, les verbes en -i- fournissent deux séries parallèles à celles des verbes en -e- –ե– et une série en -č̣- –չ–.

α) Présent sans nasale.

78. — Un verbe est primaire :

nstim նստիմ « je m’assieds » (aor. nstay նսաայ), de *ni-zd-, cf. skr. ni-ṣīdati « il s’assied », av. nišhiδaiti (même sens) ; l’i radical apparaît dans le substantif nist նիստ « siège ».

Les autres verbes sont secondaires, ainsi hotim հոտիմ « je sens, j’ai de l’odeur » (aor. hoteçay հոտեցայ), de hot հոտ « odeur », ou, avec un redoublement intensif de tout l’élément radical dont les exemples ne sont pas rares en arménien (§ 81 bis), hot-otim հոտոտիմ « je sens, j’ai la sensation d’une odeur ».

β) Présent à nasale.

Les verbes de ce type sont primaires et ont l’aoriste sans -ç- –ց– comme les verbes en -e- –ե– correspondants, ils remplacent l’ancien type à nasale infixée :

usanim ուսանիմ « j’apprends » (aor. usay ուսայ), cf. v. sl. vyknõti « s’habituer, apprendre » (de *unk-), lit. j-ùnk-ti « s’habituer » :

aganim ագանիմ « je m’habille » (aor. agay ագայ), cf. lit. aunù « je me chausse ».

Ils ont souvent été substitués à un présent sans nasale, ainsi : cnanim ծնանիմ « je nais » (aor. cnay ծնայ), cf. skr. jánate « il engendre », gr. γίγνομαι (gignomai), lat. gignō, nāscor, etc. ;

meṙanim մեռանիմ « je meurs » (aor. meṙay մեռաայ), cf. skr. mriyáte « il meurt », v. sl. mĭrõ « je meurs » ;

p‘lanim փլանիմ « je m’écroule » (aor. p‘lay փլայ), cf. lit. púolu « je tombe », v. h. a. fallan, et sans doute gr. σφάλλω (sphallô) ;

ankanim անկանիմ « je tombe » (aor. ankay անկայ), cf. got. sigqan.

γ) Présent en -č̣- –չ–.

79. — Ces présents essentiellement primaires sont accompagnés d’un aoriste en -eay –եայ. Quelques-uns sont sans nasale ; les principaux exemples sont : t‘ak‘č̣im թաքչիմ « je me cache » (aor. t‘ak‘eay թաքեայ), cf. gr. πτῶξ, πτάξ, πτωσϰάζειν (ptôx, ptax, ptôskazein) « se retirer d’une manière craintive », peut-être aussi lat. tacēre, got. Þahan « se taire » ; t‘ṙč̣im թռչիմ « je m’envole » (t‘ṙeay թռեայ)] kaṙč̣im կառչիմ « je m’accroche » (kaṙeay կառեայ}}) ; hangč̣im հանգչիմ « je me repose » (hangeay հաՆգեայ) ; matč̣im մատչիմ « je m’approche » (mateay մատեայ) ; p‘axč̣im փախչիմ « je m’enfuis » (p‘axeay փախեայ). D’autres ont une nasale ; ils sont au nombre de trois : erknč̣im երկնչիմ « j’ai peur » (aor. erkeay երկեայ), kornč̣im կորնչիմ « je péris » (koreay կորեայ) ; martnč̣im մարտնչիմ « je combats » (marteay մարտեայ). L’emploi du type en -i- –ի– dans ces verbes tient au sens ; et en effet deux verbes de forme nasale qui ont le même suffixe ont -e- –ե– čanač̣em ճանաչեմ « je connais » (aor. caneay ծանեայ, avec le c ծ étymologique conservé, v. § 9) ; mełanč̣em մեղանչեմ « je commets une faute » (aor. mełay մեղայ). Le phonème č̣ չ représente une gutturale suivie de y ; d’autre part, le sens inchoatif de la série suggère un rapprochement avec les verbes latins en -scō, grecs en -σϰω (-skô), etc. Il y a donc élargissement d’un présent en *-ske- par le suffixe *-ye-, comme sans doute dans gr. ἐγρήσσω (egrêssô) et dans att. δεδίττομαι (dedittomai) en regard de δεδίσϰομαι (dediskomai) « je crains » : la formation de erknêč̣im երկնչիմ serait ainsi parallèle à celle de δεδίττομαι (dedittomai), sauf le redoublement que l’arménien n’a pas et la nasale qui ne se trouve pas en grec. Il est tombé une voyelle devant -č̣- –չ–, à savoir i, à en juger par le -ea- –եա– de l’aoriste, qui est issu d’un plus ancien *-ia- : t‘ak‘č̣im թաքչէմ, t‘ak‘eay թաքեայ supposant *t‘ak‘i- ; on rapprochera lat. -iscō, gr. -ισϰω (-iskô), types reminiscor, ἁλίσϰομαι (haliskomai).

La nuance de sens, inchoative, de ces présents en -č̣im չիմ concorde avec celle des présents en -num –նում (§ 81, β). De là vient que les mêmes verbes présentent souvent à la fois un présent en -č̣im չիմ et un présent en -num –նում. Les verbes où l’on rencontre cette dualité de présents sont parmi les plus archaïques de l’arménien ; ainsi : tak‘č̣im թաքչիմ | tak‘num թաքնում « je me cache », aor. t‘ak‘eay թաքեայ ; matč̣im մատչիմ | matnum մատնում « je m’approche », aor. mateay մատեայ ; p‘axč̣im փակչիմ | p‘axnum փակում « je prends la fuite », aor. p‘axeay փակեայ ; zart‘č̣im զարթչիմ | zart‘num զարթնում « je m’éveille », aor. zart‘eay զարթեայ ; pakč̣im պակչիմ | paknum պակնում « je me glace de crainte », aor. pakeay պակեայ.

c) Type en -a- –ա–

80. — Les présents en -a- –ա– indiquent pour la plupart un état ou l’entrée dans un état, valeur qui rappelle celle des verbes latins comme cubāre « être couché », micāre « être brillant », et des fréquentatifs lituaniens tels que rymóti « être appuyé, reposer sur », en regard de remti « appuyer ».

α) Présent sans nasale.

Tous les présents de cette série ont sans doute leur -a- –ա– issu d’une contraction de *-ā-ye- ; ceux qui ne sont pas dénominatifs doivent en effet être formés comme lit. žió-ju « je suis béant » et lat. hiō (type *hià-(y)e-) ; en fait orcam ործամ « je rote, je vomis » répond à v. sl. rygajõ « je vomis » ; keam կեամ « je vis » n’est identique ni à gr. ζη- () (de *gwyē-), ni à gr. βιω (biô) (de *gwiyō-), mais repose sur un thème *gwiy-ā֊ye-, où -ā- est un élément suffixal, auquel s’ajoute le suffixe secondaire *-ye- pour la formation du présent ; mnam մնամ « je reste » ne répond évidemment pas à lat. manē-re, gr. (με)μένη-ϰα ((me)menê-ka) mais a aussi un groupe suffixal *-ā-ye-, et il faut sans doute partir de *mēn-ā-ye- qui serait formé comme lat. cēlā-re, cēlō ou v. sl. -měta-ti « jeter », -měta-jõ. Ce -a- –ա– se retrouve d’ailleurs à l’aoriste, qui est toujours en -ç- –ց– : orcaçi ործացի.

mnaçi մնացի, keçi կեցի (de *keaçi). — Les dénominatifs comme yusam յուսամ « j’espère », dérivé de yoys յոյս « espérance » répondent au type de skr. pr̥tanāyáti « il combat », gr. τιμάω (timaô) lat. anerō, v. sl. kotorajõ « je combats » etc., et leur -a- –ա– peut être issu de *-â-ye.

β) Présent à nasale.

En indo-européen, il n’existait et ne pouvait exister de présents en *-nā- que dans les racines dissyllabiques terminées par une voyelle longue alternant avec  ; c’est ainsi qu’on a skr. pr̥ṇāti « il emplit » et dorien δάμνᾱμι (damnāmi). Il a été tiré de là un suffixe -nā- en sanskrit, et le suffixe -na- –նա– de l’arménien reconnaît pareille origine. Ce suffixe a la forme -na- –նա– dans deux cas isolés où l’aoriste est primaire : baṙnam բառնամ « j’enlève », de *barjnam (*բարձնամ), aor. barji բարձի et daṙnam դառնամ « je tourne », de *darjnam (*գարձնամ), aor. darjay դարձայ. Partout ailleurs -na- suit un -a-, ainsi dans stanam ստանամ « je me procure, j’achète », aor. staçay ստացայ, cf. lat. (de-, prae-)stināre ; uranam ուրանամ « je nie », cf. gr. ἀρνέομαι (arneomai) (B. S. L. XXVI, p. 19) ; banam բանամ « j’ouvre », aor. baçi բացի, etc. ou encore loganam լոգանամ « je me baigne », cf. gr. λούω (louô) ou luanam լուանամ « je lave », cf. gr. πλύνω (plunô). Le suffixe -ana- անա sert à former un nombre illimité de présents exprimant que le sujet devient telle ou telle chose, ainsi k‘ahanayanam քահանայանամ « je deviens prêtre », de k‘ahanay քահանայ « prêtre » ; tkaranam տկարանամ « je deviens faible », de tkar տկար « faible », etc. Le -e- –ե– des présents tels que arbenam արբենամ « je m’enivre » représente *ea devenu e ե en syllabe intérieure.

d.) Type en -u- –ու–.
α) Présent, sans nasale.

81. — Le présent gelum գելում « je tourne » (aor. geli գելի) rappelle gr. Ϝελύ-σθη (Welu-sthê) « il s’est tourné », lat. uoluō, gr. εἰλύομαι (eiluomai), got. walwjan « rouler » et peut s’expliquer par un thème *welu-, fléchi sans voyelle thématique, ou par ce même thème avec suffixe secondaire *-ye- soit *welu-ye-. On est par là conduit à expliquer d’une manière analogue les autres présents en -u- –ու– d’aspect primaire : henum հենում « je couds, je tisse » (aor. heni հենի) est à rapprocher de lit. pinù « je tresse » et surtout de got. spinnan «  filer », de *spenwe- ; hełum հեղում « je verse » (aor. hełi հեղի) s’il est à rapprocher de lit. pilù « je verse », mais cf. plus bas, β ; le -u- –ու– de çelum ցելում « je fends » n’a pas de correspondant connu en dehors de l’arménien, à moins qu’on ne rapproche gr. ϰολούω (kolouô) « je mutile ».

Il y a quelques dénominatifs en -u- –ու– : argelum արգելում « j’empêche » (aor. argeli արգելի), de argel արգել « empêchement » ; y-awelum յաւելում « j’accrois » (aor. yaweli յաւելի), de aweli աւելի « plus ». On peut les expliquer soit par *-ō-ye-, cf. le type lituanien en -ů-ju et les verbes grecs tels que δηλόω, δηλώσω (dêloô, dêlôsô) : soit par *-u-ye, cf. le type latin de statuō, etc.

(β) Présent à nasale.

Les verbes en *-neu-, *-nu- n’existaient originairement que dans les racines terminées par -u-, ou, au moins, comportant un élargissement mais de bonne heure il en a été tiré un suffixe *-neu-, qui joue un grand rôle en sanskrit et en grec ; l’arménien a de même des verbes en -nu- –նու–, ainsi :

aṙnum առնում « je prends » (aor. aṙi առի), cf. gr. ἄρνυμαι (arnumai) (aor. ἠρόμην (êromên)) ;

z-genum զ-գենում « je m’habille » (aor. զգեցայ), cf. gr. ϝέννυμαι.

hełum հեղում « je verse » (et z-ełum զ–եղում « je fais couler »), de *pel-nu-mi, cf. lit. pil-ti (M. S. Լ. XIX, p. 178), cf. § 21.

L’arménien a même -nu- –նու– là où *-nā- existait autrefois : lnum լնում « j’emplis » (aor. lçi լցի, 3me pers. eliç ելից), cf. skr. pr̥ṇáti « il emplit ». Sur la dualité -č̣im –չիմ | -num –նում cf. § 79 fin.

81. bis. — De ce qui précède il résulte que tous les thèmes arméniens de présents normaux ou anomaux sont terminés par l’une des voyelles e ե, i ի, a ա, u ու. Un seul verbe reste en dehors de ce système, c’est gom գոմ « je suis » dont le thème est terminé par o : c’est un ancien parfait sans redoublement correspondant à got. was « j’ai été » et où le sens du parfait a abouti au sens du présent ; le cas est le même que dans gitem գիտեմ « je sais » (passé au type en -e- –ե–) qui répond à skr. véda, gr. ϝοῖδα (woida), got. wait « je sais ».

Il faut signaler enfin le type des présents primaires caractérisés par le redoublement radical : az-az-im ազազիմ « je me dessèche » ; de-dew-im գեգեւիմ « je chancelle » ; t‘a-t‘aw-em թաթաւեմ « je plonge » ; t‘aw-t‘ap‘-em թաւ թափեմ « j’enlève en secouant » (§ 11) ; koš-koč-em կոչկոճեմ « je bats » (§ 14) ; oł-oł-em ողողեմ « je déborde » ; hot-ot-im հոաոաիմ « je sens » ; p’ał-p’ał-im փաղփաղիմ « je brille », etc. L’arménien a développé le même procédé de formation que le grec dans le type μαπφαίνω, μαρμαίρω (pamphainô, marmairô), etc.

2. Thèmes d’aoristes.

82. — Il y a deux sortes d’aoristes en arménien : des aoristes radicaux, sans aucune caractéristique propre, et des aoristes caractérisés par -ç- –ց–. Tous deux admettent deux flexions, l’une en -e- –ե– à 1re pers. -i répondant pour le sens aux présents en -e- –ե–, type beri բերի « j’ai porté », gorceçi գործեցի « j’ai fait » ; l’autre en -a- –ա– répondant pour le sens aux présents en -i- –ի–, type beray բերայ « j’ai été porté », gorceçay գործեցայ « j’ai été fait ». On peut nommer l’un type « actif », l’autre type « moyen » d’après le sens, la forme n’ayant rien de commun avec les désinences actives et moyennes de l’indo-européen.

À en juger par les formes de la flexion dont on aperçoit l’origine, les aoristes actifs représentent des types thématiques indo-européens à désinences secondaires : elik‘ ելէք « il a laissé » répond à ἔλιπε (elipe) ; lk’er լքեր « tu as laissé » à λίπες (lipes), avec addition d’une particule. Mais, comme les désinences secondaires indo-européennes se composent pour la plupart d’un seul élément consonantique et n’accroissent pas le mot d’une syllabe, la voyelle thématique est tombée, comme on le voit à la 3me pers. eber եբեր = ἔφερε (ephere), skr. ábharat, et le thème apparaît en arménien comme ber- բեր– ; c’est ce que montre la formation du subjonctif : le thème bere- բերե– du présent fournit un subjonctif *bere-yçem, *berēçem, bericem բերիցեմ, 2me pers. beriçes բերիցես, le thème ber- բեր– d’aoriste un subjonctif ber-iç բերէց, 2me pers. ber-çes բերցես.

Le -a- –ա– de l’aoriste moyen, type beray բերայ ne fait pas partie intégrante du thème d’aoriste et, sauf la 1re p. sg., berayç բերայց, due à une action analogique, ne figure pas au subjonctif : berçis բերցիս « tu seras porté », non plus qu’à l’impératif ber-ir բերիր « sois porté ». — L’aoriste en -a- –ա– est employé dans tous les verbes dont le présent est en -i- –ի–, et en outre dans ceux des verbes à présent en -a- –ա–, -u- –ու– dont le sens appelle la forme moyenne, ainsi barkanam բարկանամ « je m’irrite », aor. barkaçay բարկացայ ; zgenum զգենում « je m’habille », zgeçay զգեցայ ; etc.

a) Aoriste radical.

83. — L’aoriste radical répond à des formes thématiques indo-européennes à désinences secondaires. Les formes sont parfois celles d’aoristes, ainsi dans elik ելիք « il a laissé », cf. gr. ἔλιπε (elipe) ; egit եգիտ « il a trouvé », cf. skr. ávidat. Mais elles peuvent aussi bien être des formes d’imparfaits, ainsi eber եբեր « il a porté », cf. gr. ἔφερε (efere), skr. ábharat ; eharç եհարց « il a demandé », cf. skr. ápr̥cchat. En effet l’arménien, ayant constitué un imparfait indépendant de l’imparfait indo-européen, a pu affecter à l’emploi d’aoriste les anciennes formes d’imparfait ; c’est ce qui s’est passé en slave où, un imparfait nouveau ayant été créé, l’imparfait padŭ d’un verbe padõ, pasti « tomber » a pris l’emploi d’aoriste. On sait d’ailleurs qu’il n’y avait en indo-européen qu’une seule différence de forme entre un imparfait et un aoriste : c’est que l’un est accompagné d’un présent (à désinences primaires) du même thème et que l’autre ne l’est pas : le skr. ájanata est l’imparfait du présent jánate ; le gr. ἐγένετο (egeneto) qui y répond lettre pour lettre est au contraire un aoriste, parce qu’il n’y a pas de présent *γενεται (*genetai), mais un présent γίγνεται (gignetai), avec imparfait ἐγίγνετο (egigneto) ; l’arménien a l’aoriste cnaw ծնաւ « il est né », avec la même valeur que le gr. ἐγένετο (egeneto).

Ont des aoristes radicaux les verbes en -ane- –աՆե–, -ani- –անի– et quelques verbes en -e- –ե– et -i –ի– indiqués ci-dessus (§ 75), de plus les verbes en -u- –ու– et ceux des verbes en -nu- –նու– dont le thème ne se termine pas par une voyelle devant -nu- –նու– : ainsi eheł եհեղ « il a versé » (présent hełum հեղում) ; ar առ « il a pris » (présent aṙnum առնում), cf. gr. ἄρετο (areto) ; ǰeṙay ջեռայ « je me suis échauffé » (prés. ǰeṙnum ջեռնում) ; ou, en -eay –եայ, zart‘eay զարթեայ « je me suis éveillé » (présent zart‘num զարթնում), l’aoriste erduay երգուայ « j’ai juré », du thème erdu- երգու– (présent erdnum երգնում) est exceptionnel.

L’aoriste en -ea- –եա– qu’on rencontre à côté des présents en -č̣im –չիմ | -num –նում (§ 79) et dans des cas comme yareay յարեայ « je me suis levé », est sans doute issu d’un ancien imparfait ; si l’on fait abstraction du -a- –ա– qui caractérise tous les aoristes moyens, on y trouve en effet -i- : (y-)ari- rappelle lat. ori-tur « il se lève », et le -i- –ի– apparaît à plein dans l’impératif anomal (sans le préverbe y- յ–) ari արի « lève-toi ». D’autre part, on a vu (§ 79) que le *-iske- que renferment les verbes en -č̣- –չ– est l’élargissement par *-ske- d’un thème en *-i-, ainsi lat. (re-)miniscor « je me souviens » en regard de v. sl. mǐni-tŭ « il pense ». L’aoriste en -ea- –եա– a donc conservé l’imparfait du thème dont le présent en -ç- –չ– -nu- –նու– offre un élargissement.

b) Aoriste en -ç- –ց–

84. — La caractéristique -ç- –ց– de l’aoriste repose sur un ancien *-ske- ; le grec a de même des prétérits comme φάσϰον, φεύγεσϰον, φύγεσϰον, φιλέεσϰον (phaskon, feugeskon, fugeskon, fileeskon), etc. ; le suffixe n’a rien de proprement aoristique : on a vu au paragraphe précédent que l’aoriste arménien représente une forme indo-européenne à désinences secondaires, mais non pas nécessairement un aoriste.

Cette caractéristique s’ajoute à un thème terminé par une voyelle : régulièrement aux verbes dont le présent est en -a- –ա–, ainsi mnam մնամ « je reste », aor. mnaçi մնացի « je suis resté » ; yusam յուսամ « j’espère », aor. yusaçay յուսացայ ; luanam լուանամ « je lave », aor. luaçi լուացի ; zarmanam զարմանամ « je m’étonne », aor. zarmaçay զարմացայ ; à tous les verbes à présent en -nu- –նու– qui ont (ou avaient avant la chute de i et u) une voyelle devant -nu- : zgenum զգենում « je m’habille », aor. zgeçay զգեցայ ; lnum լնում « j’emplis » (de *linum), aor. lçi լցի, 3me pers. eliç ելից ; les présents en -e- –ե– et en -i- –ի– sans nasale sont accompagnés d’un aoriste en -ç- –ց– sauf les exceptions indiquées aux §§ 75 et 78. Mais le -ç- –ց– s’ajoute à -ea- –եա– et non à -e- –ե– ou -i- –ի– ; ainsi gorcem գործեմ « je fais », aor. gorceaç գործեաց « il a fait », 1re pers. gorceçi գործեցի ; gorcim գործիմ « je suis fait », aor. gorceçay գործեցայ « j’ai été fait ». Cet élément -ea- –եա– repose sur un ancien *-is-ā-. Le -is- est un élargissement répondant à celui que présente le type lat. ēg-is-ti, ēg-is-tis, ēg-er-ā-s (où -er-ā- repose sur *-is-â-). Voir L. Mariès. Sur la formation de l’aoriste et des subjonctifs en -ç- (–ց–) en arménien. Revue des Études arméniennes, t. X, 1930, p. 167-182. Quatre verbes ont seulement -a- –ա– : asem ասեմ « je dis », asaçi ասացի ; gitem գիտեմ « je sais », gitaçi գիտացի ; mart‘em մարթեմ « je puis », mart‘açi մարթացի ; karem կարեմ « je puis », karaçi կարացի.

Le suffixe du participe en -lo –լո– s’ajoute aussi à -ea- –եա– dans les verbes à présent en -e- –ե– et -i- –ի–, aoriste en -eaç- –եաց– ; ainsi gorc-ea-l գործ–եա–լ « fait, ayant fait », comme gorc-ea-ç գործ–եա–ց « il a fait » et dans tous les verbes à aoriste radical, ainsi aṙeal առեալ « ayant pris » en face de aṙi առի « j’ai pris ». — C’est de là qu’a été transporté -eal –եալ dans les autres verbes où le participe est tiré de l’aoriste en -ç- –ց– : baçeal բացեալ « ayant ouvert » de baçi բացի « j’ai ouvert » ; zgeçeal զգեցեալ « s’étant habillé » de zgeçay զգեցայ, asaçeal ասացեալ « ayant dit » de asaçi ասացի, etc.

Déverbatifs.

85. — L’arménien n’a qu’un type de verbes dérivés d’autres verbes, les factitifs en -uçanem –ուցանեմ, aoriste -uçi –ուցի (3me pers. sing. -oyç –ոյց) ; ces factitifs sont régulièrement tirés de l’aoriste, que celui-ci soit radical ou avec -ç- –g– :

p‘ax-eay փախ–եայ « j’ai fui » : p‘ax-uçanem փախ–ուխանեմ « je fais fuir » ;

mecaç-ai մեծաց–այ « j’ai grandi » : mecaç-uçanem մեծաց–ուցանեմ « je fais grandir, je magnifie ».

Ce -ç- (–ց–) rappelle gr. –σϰω (skô), lat. -scô ; la diphtongue -oy- –ոյ– qui précède représente un ancien élargissement en -u- –ու–, cf. gr. ὀρούω (orouô)) de *ὀρ-ού-y-ω (*or-ou-y-ô) et c’est l’aoriste en -uçi –ուցի qui a servi de base au causatif en -uçanem –ուցանեմ (cf. M. S. L. XVI, p. 246, et XXII, p. 47) ; la caractéristique nasale du présent résulte d’une addition postérieure, comme dans harçanem հարցանեմ « je demande » (v. § 76).

Cette formation est si étroitement associée à la conjugaison que, dans les verbes qui, comme ceux à aoriste en -eay –եայ, n’ont pas de participe en -eal –եալ c’est le participe du factitif qui en tient la place : p‘axuçeal փախուցեալ sert de participe à p‘ax-eay փախեայ « j’ai fui » ; zart‘uçeal զարթուցեալ à zart‘eay զարթեայ « je me suis éveillé » ; etc.

Quelques verbes ont un factitif anomal : kornč̣im կորնչիմ « je péris », aor. koreay կորեայ, a korusanem կորուսանեմ « je fais périr » et les verbes dont le radical comprend l լ ont z զ au lieu de ç ց, ainsi p‘lanim փլանիմ « je tombe », aor. p‘lay փլայ, a p‘luzanem փլուզաՆեմ « je fais tomber ».

B. FLEXION.

86. — L’arménien a perdu le duel dans le verbe, comme dans le nom ; la distinction des désinences actives et moyennes qu’on observe en indo-iranien et en grec n’existe pas non plus.

a) Flexion de l’indicatif présent.

87. — Tous les indicatifs présents se fléchissent d’une même manière ; les différences qui semblent apparaître au premier abord s’évanouissent si l’on note que ē Է représente *ey, et que, à la finale, *-uy et *iy donnent -u –ու, et -i –ի. On prendra ici pour exemples des cinq séries : em եմ « je suis » (qui représente la flexion de berem բերեմ « je porte »), berim բերիմ « je suis porté », lam լամ « je pleure », lnum լնում « j’emplis », gom գոմ « je suis ».

Singulier :
1. pers. em եմ berim բերիմ lam լամ lnum լնում gom գոմ
2. » es ես beris բերիս las լաս lnus լնուս gos գոս
3. » e ե beri բերի lay լայ lnu լնու goy գոյ
Pluriel :
1. pers. emk‘ եմք berimk‘ բերիմք lamk‘ լամք lnumk‘ լնումք gomk‘ գոմք
2. » ēk‘ Էք berik‘ բերիք layk‘ լայք lոսk‘ լնուք goyk‘ գոյք
3. » en են berin բերին laո լան lnun լնուն gon գոն

Le parallélisme des cinq séries est parfait : e et o ont été restitués devant les nasales dans em եմ, en են ; gom գոմ, gon գոն, au lieu de i et u que font attendre les lois phonétiques (v. § 16).

Les formes s’expliquent aisément :

1ère pers. sing.-m répond à i.-e. *-mi du type athématique et est ancien dans em եմ « je suis », cf. skr. ásmi, gr. εἰμι (eimi), v. sl. jesmĭ, barnam բառնամ « j’enlève », cf. le type gr. δάμνᾱμι (damnami) ; lnum լնում « j’emplis », cf. le type gr. ζεύγνῡμι (zeugnumi). — La finale *-ô du type thématique devait tomber, et c’est *ber qui répondrait phonétiquement à gr. φέρω (pherô) lat. ferō, got. baira « je porte » ; l’extension de la voyelle thématique et de -m –մ dans berem բհրեմ « je porte » se justifie donc ; on observe des faits analogues en sanskrit dans bhárāmi, en irlandais dans berim, et dans des langues slaves (serbe berem).

2me pers. sing. — Comme -s- intervocalique tombe en arménien, un ancien *bheresi (skr. bhárasi) ne pouvait aboutir à beres բերես, la désinence -s –ս ne s’explique que dans une seule forme où la désinence *-si suivait -s- finale et où l’on avait ainsi -ss- : es ես « tu es », cf. homér. ἐσσι (essi) v. lat. ess (chez Plaute par exemple) ; d’ailleurs *essi s’est réduit à *esi dès l’indo-européen : skr. âsi, gr. εἶ (ei), et *essi résulte d’une restauration analogique dans les langues où apparaît cette forme. Quoi qu’il en soit, la désinence -s –ս est partout analogique de l’unique forme es ես « tu es ».

3me pers. sing. — Le *ti final, attesté par skr. -ti, vieux russe -ti, etc., est représenté par -y, d’où berē բերէ (de *berey) en regard de skr. bhárati, v. russe beretĭ, etc. La 3me personne ē է « il est » ne répond pas à skr. ásti, gr. ἔστι (esti), mais est analogique du type berē բերէ.

3me pers. plur.*-n –ն repose sur *-nti : en են « ils sont » répond à skr. sánti, gr. *ἐντι (*enti) (d’où ion. att. εἰσι (eisi)), got. sind ; baṙnan բառնան « ils enlèvent » au type dorien δάμναντι (damnanti) ; etc.

Le timbre o de la voyelle thématique de dorien φέροντι (pheronti), lat. ferunt, got. bairand « ils portent » n’est pas conservé ; e է a été généralisé par analogie des autres types, d’où beren բերեն, de même à la 1re personne du pluriel beremk‘ բերհմք « nous portons » en regard de dorien φέρομες (pheromes).

Pour ces quatre formes on pourrait également partir d’anciennes formes moyennes ; arm. -m peut répondre à gr. -μαι (-mai) aussi bien qu’à -μι (-mi), es ես « tu es » s’expliquerait par *essai aussi bien que par *essi ; etc.

1re pers. plur. — Aux désinences telles que skr. -maḥ, dorien -μες (mes), lat. -mus, etc. l’arménien peut répondre par -mk‘ –մք (§ 26) ; ainsi la 1re personne du pluriel n’est distinguée de la 1re personne du singulier que par le -k‘ –ք qui caractérise certaines formes du pluriel (v. § 34) ; on a lnumk‘ լնումք « nous emplissons » (cf. le type dorien ζεύγνυμες (zeugnumes)) en face de lnum լնում « j’emplis ».

2me pers. plur. — Le -y- de berēk բերէք « vous portez », layk‘ լայք « vous pleurez », etc. rappelle skr. bháratha, gr. φέρε-τε (phere-te), v. sl. bere-te « vous portez », etc. ; on n’a aucun moyen de déterminer si les formes arméniennes reposent sur i.-e. *-the ou sur i.-e. *-te ; sur le -k‘ , voir § 26 ; arm. -yk‘ –յք répondrait donc à lat. -tis.

b) Impératif.

88. — L’arménien a deux impératifs : l’un de l’aoriste, servant à donner des ordres positifs, l’autre du présent, toujours prohibitif et accompagné de mi մի՛ qui répond à skr. , gr. μή () ; la 2me personne du singulier de l’impératif aoriste actif répond à des formes du grec et du sanskrit, ainsi :

ber բեր « porte » = skr. bhára, gr. φέρε (phere).

lik‘ լիք « laisse » = gr. λίπε (lipe).

harç հարց « demande » = skr. pṛcchá.

L’impératif présent a une finale -r –ր ajoutée à la voyelle caractéristique du type, ainsi : mi berer մի բերեր « ne porte pas », mi lk‘aner մի լքաներ « ne laisse pas », mi lnur մի լնուր « n’emplis pas », etc. ; l’élément -r –ր ne peut être ici qu’une particule, issue d’une forme *-r plus voyelle, apparentée à gr. ῥα (rha), lit. ir̃, ce qui a permis la conservation de la voyelle ; ainsi berer բերեր serait *bhere-r(e) [e représentant une voyelle quelconque], lnur լնուր *plēnu-r(e), cf. le type gr. ζεύγνῡ, etc. L’addition de particules à l’impératif n’a rien de surprenant ; l’impératif lituanien comprend de même une particule -ki, ainsi eĩ-ki « va ».

La 2me personne du pluriel de l’impératif a la même forme qu’une 2me personne du pluriel de présent ou d’aoriste : berēk‘ բերէք « portez », mi berēk’ մի՛ բերէք « ne portez pas » ; lk’ēk’ լքէք « laissez », mi lk‘anêk‘ մի՛ լքանէք « ne laissez pas », etc. En effet berēk* բերէք répond à skr. bhárata, gr. φέρετε (pherete) « portez », lk‘ēk‘ լքէք à gr. λίπετε (lipete) « laissez », etc., abstraction faite du -k‘ –ք.

La limitation de l’impératif présent à l’emploi prohibitif et de l’impératif aoriste à l’emploi positif a un parallèle dans une règle du grec : l’impératif présent admet à la fois la valeur positive et la valeur prohibitive : λεῖπε (leipe) « laisse », μὴ λεῖπε (leipe) « ne laisse pas » ; mais l’impératif aoriste admet seulement la valeur positive : λίπε (leipe) « laisse » ; l’arménien est allé plus loin que le grec en réservant le sens positif à l’aoriste. On conçoit d’ailleurs que l’on donne un ordre positif par le thème d’aoriste qui indique l’action menée à son terme, et que l’on signifie une défense par le thème de présent qui indique la durée ; le slave a d’ordinaire le perfectif pour les ordres positifs, l’imperfectif pour la prohibition : ne nosi « ne porte pas », ponesi « porte ». Sur le détail des emplois, voir G. Cuendet, L’impératif dans le texte grec et dans les versions gotique, arménienne et vieux-slave des Évangiles, 1924.

89. — Les formes d’impératif précitées sont claires : d’autres sont plus obscures. Il suffira de signaler la 2me personne du singulier de l’impératif aoriste moyen en -ir –իր ainsi ankir անկիր « tombe » de ankay անկայ « je suis tombé », ou simplement en r ր, ainsi lur լուր « entends » de luay լուայ « j’ai entendu », forme probablement bâtie sur le thème d’aoriste en -i ; et la 2me personne du pluriel correspondante en -aruk‘ –արուք, ankaruk’ անկարուք « tombez », luaruk* լուարուք « entendez », t‘ak‘eruk‘ թաքերուք « cachez-vous » (de t‘ak‘eay թաքեայ), etc., identique à la finale de 2me plur. de l’indicatif aoriste (v. § 94).

Un –g final disparaît à la 2me personne du singulier de tout aoriste non monosyllabique, ainsi ; gorcea գործեա « fais », impératif aoriste, cf. gorceaç գործեաց « il a fait » ; mna մնա « reste », cf. mnaç մնաց « il est resté », haso հասո’ « fais arriver », cf. hasoyç հասոյց « il a fait arriver » ; mais kaç կա՛ց « tiens-toi », cf. ekaç եկաց « il s’est tenu », liç լից « emplis », cf. eliç ելից « il a empli », etc.

Il y a un impératif 2me personne du singulier en -ǰir –շիր, 2me plur. -ǰik‘ –շիք (anciens *-iǰir, *-iǰik‘) qui est surtout employé à l’aoriste moyen, mais qui se trouve aussi à l’actif et au présent ; ainsi hayesǰir հայեսշիր « regarde » de hayeçay հայեցայ « j’ai regardé » ; kalǰik‘ կալջիք « tenez » de kalay կալայ « j’ai tenu, j’ai eu », asasǰik‘ ասասջիք « dites » de asaçi ասացի « j’ai dit » ; aganiǰik‘ ագանիջիք « μένετε (menete) » (Luc X, 7) de aganim ագանիմ « je reste, je passe la nuit » ; utiǰik ուտիջիք « mangez » (Luc X, 7) de utem ուտեմ « je mange ». Cette forme est importante, car la 2me personne du pluriel en -ǰik‘ –ջիք a été substituée à la forme correspondante du subjonctif aoriste : la 2me personne du pluriel de gorceçiç գործեցից est gorcesjik’ գործեսջիք. — Le -ǰ- ջ de ces formes repose probablement sur *-dhy-, et alors on pourrait songer à un rapprochement avec la finale de 2me personne du singulier d’impératif skr. -dhi (-hi), gr. θι (thi), si l’on admettait l’addition d’un élément vocalique provoquant changement de *-dhi en *-dhy-. Il est impossible de rien déterminer ici avec précision.

c) Subjonctif.

90. — Le subjonctif présent de em եմ est içem իցեմ « que je sois », qui se fléchit comme em եմ : 2me pers. içes իցես, etc. Ici encore, on retrouve le suffixe *-ske-, ce qui rappelle lat. escit « il sera » (dont il faut séparer pâli acchati, prâkrit acchaï « il reste », cf. Turner, Bull. of the School of Orient Stud. VIII, 1936, p. 795) ; la voyelle initiale i- ի– représente peut-être un ancien i, qui reparaît dans isk իսկ « en réalité » (de *is-two- ?), et qui serait alors à rapprocher de l’iota initial de gr. ἴ-σθι (isthi) « sois », tchèque jsem « je suis » : ce i- initial devant s-, en alternance avec e, pourrait être une voyelle prothétique développée devant la forme sans e, s- de la racine *es- ; cf. peut-être v. sl. jis, jiz, lit. , arm. i « de » en regard de gr. ἐξ (ex), lat. ex. — Voir une autre possibilité § 101.

Tout se passe comme si le subjonctif présent était formé par l’union du thème verbal et de içem իցեմ : beriçem րերիցեմ « que je porte » de *berēçem, ancien *bere-yçem ; layçem լայցեմ « que je pleure », guçem գուցեմ « que je sois », de *go-yçem. Tout serait clair si l’on admet que, dans cet ancien *berey-çem, d’où beri-çem բերի-ցեմ, on est en présence de l’élargissement *-ske- –ցե– à l’ancienne forme de l’optatif, et que beriçem րերիցեմ est comparable à φέροιμι (pheroimi), à l’élargissement près. Les présents en -i- –ի– fléchissent leur subjonctif aussi en -i- –ի– : beriçim բերիցիմ « que je sois porté » ; les présents en -u- –ու– fléchissent le leur en -u- –ու–, ainsi aṙnuçum առնուցում « que je prenne » de aṙnum առնում, le tout sous l’influence de l’indicatif présent ; le u ու intérieur de aṙnuçum առնուցում représente -oy- issu de *-u-y- : *aṙnu-yçum.

91. — Le subjonctif aoriste présente la même caractéristique (sauf dans le verbe anomal tal տալ « donner », v. § 101), mais avec une flexion un peu différente, et, en partie, plus archaïque : la 1ère personne du singulier de l’aoriste actif est en -iç –ից, ainsi ber-iç բեր–ից « que je porte, je porterai », gorceç-iç գործեց-ից « que je fasse, je ferai » ; -iç –ից représente *-iskô, et c’est la seule trace arménienne de la première personne en *-ō du type gr. φέρω (pherô) ; la flexion est la même que celle de içem իցեմ aux 2me et 3me personnes du singulier et à la 3me du pluriel : ber-çes բեր-ցես, ber-çē բերցես, ber-çen բեր–ցեն, la chute de i entraîne rencontre de deux ç dans les aoristes dont le thème est terminé par ç ց ; le groupe subsiste dans les thèmes monosyllabiques, ainsi baç-iç բացից « que j’ouvre, j’ouvrirai », cf. baç-i բաց-ի ; 2me personne baççes բացցես ; mais devient -sç- –ug– dans les thèmes polysyllabiques : gorcesçes գործեսցես « que tu fasses, tu feras », cf. gorceç-i գործեսց–ի « j’ai fait » ; mnasçes մնասցես « que tu restes, tu resteras », cf. mnaç-i մնաց–ի « je suis resté ». La 1ère personne du pluriel berçuk‘ բերցուք « que nous portions, nous porterons » fait difficulté ; l’absence de -m- ne peut s’expliquer phonétiquement et résulte probablement de l’absence de -m- à la 1ère personne du singulier beriç բերից, le u représenterait ō, cf. subjonctif gr. φέρωμεν (pherômen). La 1ère personne sing. du subjonctif aoriste beriç բերից s’expliquerait par l’addition de l’élargissement -*ske- à une ancienne forme en -ī- de l’optatif athématique tel qu’on le trouve dans lat. sim, s-ī-mus, où il y a eu des actions analogiques. Le difficile est de comprendre comment intervient ici en arménien le type athématique. Car les aoristes arméniens tels que beri, eber, բերի, եբեր et gorceaç գործեաց, reposent sur d’anciens thèmes thématiques (voir § 83) ; et l’on verra (§ 101) qu’un aoriste anomal tel que arari, arar արարի, արար est à rapprocher de gr. ἤραρον, ἤραρε (êraron, êrare). Il faudrait sans doute admettre que dans l’aoriste arménien interviennent des restes d’aoristes athématiques (voir § 102, fin). Mais les seuls qui soient clairs sont des formes anomales : edi, ed եդի, եդ (voir § 101). Le subjonctif ediç եգից s’expliquerait donc directement, à ceci près que la généralisation e- ե– de l’augment est secondaire. Le subjonctif taç, taçes տաց, տացես reste sans explication directe. (Voir L. Mariès, Sur la formation de l’aoriste et des subjonctifs en -ç- –ց– en arménien. Rev. Ét. arm., t. X, 1930, p. 167-182.) — Le subjonctif aoriste moyen est identique au précédent à ceci près qu’il a -i- –ի– là où celui-ci a -e- –ե– : berçis բերցիս « que tu sois porté », « tu te porteras » ou « tu seras porté », berçi բերցի, berçin բերցին, et que la première personne du singulier est faite sur la première personne de l’aoriste moyen, sur le modèle de beriç բերից en regard de beri բերի, c’est-à-dire que l’on a berayç բերայց « que je sois porté, je serai porté » d’après beray բերայ « j’ai été porté », et ainsi dans tous les cas ; les formes berçuk‘ բերցուք et berjik‘ բերջիք sont communes à l’actif et au moyen.

Le subjonctif des aoristes en -ea- –եա– a la forme suivante : erkeayç երկեայց « que je craigne, je craindrai », erkiçes երկիցես, erkiçē երկիցէ, etc., en regard de erkeay երկեայ « j’ai craint ».

92. — Le subjonctif arménien, bien qu’étant une formation nouvelle, répond aux emplois du subjonctif et en partie aussi à ceux de l’optatif indo-européen. C’est la forme où la différence de valeur des thèmes du présent et d’aoriste est le plus sensible, l’un indiquant un procès qui dure, l’autre un procès qui aboutit à un terme ; ainsi : Jean XVI, 21 կին յորժամ ժնանիցի (est en train d’engendrer τίϰτῃ (tiktê)) արտմութիւն է նմա՝ զի հասեալ է ժամ նորա. այլ յորժամ ժնցի (enfante γεννήσῃ (gennêsê)) զմանուկն, ոչ եւս յիչէ զնղութիւնն վասն խնդութանն, զի ժնաւ մարդ յաչխարհ ἡ γυνὴ ὅταν τίϰτῃ λύπην ἔχει, ὅτι ἦλθεν ἡ ὥρα αὐτῆσ· ὅταν δέ γεννήσῃ τὸ παιδίον, οὐϰετι μνημονεύει τῆς θλίψεως διὰ τὴν χαρὰν ὅτι ἐγενήθη ἄνθρωπος εἰς τὸν ϰόσμον. C’est le subjonctif aoriste qui traduit d’ordinaire le futur grec : beriç բերից traduit οἴσω (oisô) aussi bien que le subjonctif aoriste ἐνέγϰω (enegkô), de là vient qu’on désigne souvent cette forme par le nom inexact de « futur ».

d) Indicatif aoriste ; emploi de l’augment.

93. — Les trois personnes du singulier des formes qui ont fourni l’aoriste arménien devaient se confondre après la chute des finales : à véd. bháram, bháraḥ, bhárat, homérique φέρον, φέρες, φέρε (pheron, pheres, phere) devait répondre uniformément arm. *ber, ou, avec l’augment, à skr. ábharam, ábharaḥ, ábharat, gr. ἔφερον, ἔφερες, ἔφερε (epheron, epheres, ephere), arm. *eber. Cette forme sans désinence a en effet subsisté, mais seulement à la 3me personne active : eber երեր « il a porté », gorceaç գործեաց « il a fait », etc.

Celles des troisièmes personnes ainsi obtenues qui auraient été monosyllabiques ont conservé l’augment, ainsi : e-ber ե-բեր = skr. á-bharat, gr. ἔ-φερε (e-phere) ; e-lik‘ ե–լիք « il a laissé » = gr. ἔ-λιπε (e-lipe) ; e-harç ե–հարց « il a demandé » = skr. á–pr̥cchat ; ekac ե–կաց « il s’est tenu », etc. Celles au contraire qui devaient rester polysyllabiques n’ont pas d’augment, ainsi gorceaç գործեաց « il a fait », mnaç մնաց « il est resté », etc. L’arménien a tiré ici un parti original du fait que l’augment ne faisait pas partie intégrante de la forme verbale : dans la langue védique et dans la langue homérique, on trouve en effet les mêmes formes avec ou sans augment, sans que le sens change pour cela : véd. bháram et ábharam, homér. φέρον (pheron) et ἔφερον (epheron) signifient également « je portais » ; les langues autres que l’indo-iranien, le grec et l’arménien, ignorent l’augment. — De ce que l’augment sert seulement à donner plus de corps aux formes trop brèves, il résulte que l’on ne saurait s’attendre à trouver trace d’augment dans les verbes à initiale vocalique ; l’aoriste de acem ածեմ est ac ած « il a conduit », qui pourrait répondre soit à védique ájat, homér. ἄγε (age), soit à skr. ájat, dorien ἆγε (age) puisque arm. a ա représente i.-e. et  ; mais elanem ելանեմ « je monte » fait el ել « il est monté », e ե représentant e bref et non ē. — Les verbes commençant par a reçoivent parfois l’augment e-, ainsi eac écrit էած ēac « il a conduit » ; c’est une innovation postérieure à l’époque classique et le texte de l’Évangile notamment, le seul attesté par plusieurs manuscrits des IXe et Xe siècles, en est indemne.

Au moyen, une désinence -w est ajoutée au -a- –ա– caractéristique : bera-w բերա-ւ « il a été porté », gorceça-w գործեցա–ւ « il a été fait », de même dans l’aoriste anomal ełe-w եղե–ւ « il est devenu ». Ce -w –u représente une forme indo-européenne du type le plus archaïque, qui apparaît en védique au parfait et dont il y a trace en latin, en tokharien et sans doute dans certaines formes hittites. (Voir A. Meillet, Rev. Ét. arm., t. X, 1930, p. 183.)

94. — La première personne du singulier a reçu une désinence -i d’origine inconnue, qui apparaît comme voyelle -i –ի après consonne, donc dans tous les aoristes actifs, et comme second élément de diphtongue -y –յ après voyelle, donc dans les aoristes moyens : ber-i բեր-ի « j’ai porté » ; bera-i բերա-ի « j’ai été porté », et de même ełē եղէ (de *ełe-y) « je suis devenu » ; la 1ère personne n’est donc jamais monosyllabique et n’a par suite pas d’augment, non plus que toutes les formes autres que celle de 3me personne du singulier, sauf dans quelques verbes anomaux (v. §§ 101 et 102).

La 2me personne du singulier a une finale -r –ր : bere-r րհրե–ր « tu as porté », bera-r րերա–ր « tu as été porté » ; c’est sans doute la même particule qu’à l’impératif, ou plutôt c’est une forme influencée par l’impératif ; l’e thématique du védique bháraḥ, homérique φέρες est conservé par suite de l’addition de cette particule : berer բերեր est *bheres-r(e) (v. § 88).

La première personne du pluriel est en -ak‘ –աք pour l’actif et pour le moyen : berak‘ բերաք « nous avons porté », et « nous avons été portés » ; l’absence de -m- de la désinence correspondant à skr. -ma, gr. μεν, etc. ne peut être qu’analogique, comme dans berçuk բերցուք « que nous portions » (§ 91). La voyelle a dans la forme active est inexpliquée.

La 2me personne du pluriel est en -yk‘ : berēk‘ բերէք « vous avez porté » (de *bereyk‘), berayk* բերայք « vous avez été portés » ; berē-k‘ բերէ–ք répond bien à skr. bhárata, gr. φέρετε et n’appelle pas d’observation. Le -k‘ –ք est celui du pluriel comme au présent. — Il y a des exemples d’une 2me pers. pl. du type médio-passif en -aruk‘ –արուք qui sert aussi à l’impératif (v. § 89), p. ex. Luc XIII, 34 քանի՞ ցս անգամ կամեցայ ... եւ ոչ կամեցարուք « ποσάϰις ἠθέλησα… ϰαὶ οὐϰ ἠθἐλήσατε » ; Mat. V, 21, 27, 33, 38, 43 : luaruk‘ լուարուք « ἠϰούσατε » ; XIII, 18 : զառակ սերմ անազանին « ὑμεῖς οὖν ἀϰούσατε τὴν παραβολὴν τοῦ σπείραντος ; XV, 10 լուարուք եւ ի միտ առէք « ἀκουέτε ϰαὶ συνιέτε ») etc.

Pour la 3me personne du pluriel, c’est sans doute *bern (d’où *beṙn) qui devrait répondre à védique bháran, homér. φέρον, de i.-e. *bheront, car la forme isolée ekti եկն « il est venu » en face de skr. ágan (de *agant, ancien *egemt) montre que n du groupe *-nt final se conserve en arménien ; mais les finales attestées sont pour l’actif -in –ին : berin բերին « ils ont porté », pour le moyen -an –ան, beran բերան « ils ont été portés ». Le détail de ces formes reste inexpliqué.

En ce qui concerne le sens, l’aoriste arménien n’est pas éloigné de l’aoriste grec, ainsi lk‘i լքի vaut ἔλιπον (elipon), etc.

e) Imparfait.

95. — L’imparfait de tous les types est constitué par l’addition de certaines caractéristiques aux thèmes du présent ; on notera seulement que le type en -e –ե– et le type en -i –ի– ont un même imparfait dont le modèle est fourni par l’imparfait de em եմ « je suis » ; à berem բերեմ et à berim բերիմ répond une forme unique berei բերեի « je portais » et « j’étais porté ». Les paradigmes sont :

ei եի « j’étais » layi լայի « je pleurais » lnui լնուի « j’emplissais »
eir եիր layir լայիր lnuir լնուիր
ēr էր (de *eyr) layr լայր lnoyr լնոյր de *lnu-yr goyr գոյր
eak‘ եաք layak‘ լայաք lnuak‘ լնուաք « il était »
eik‘ եիք layik‘ լայիք lnuik լնուիք
ein եին layin լային lnuin լնուին goyn գոյին

Sauf l’insertion de y յ dans le type en -a- –ա–, le parallélisme est parfait. Au moyen âge le e- ե– employé dans les plus anciens manuscrits pour ei եի, etc. a été remplacé par ē- Է– qui a passé dans les éditions modernes.

Ces formes sont en partie parallèles à celles de l’aoriste ; elles ont -r –ր à la 2me personne du singulier, -ak‘ –աք à la 1ère du pluriel ; la 3me personne du singulier a une syllabe de moins que les autres, dont elle diffère d’ailleurs par l’addition de -r –ր. Mais ce qui appelle l’attention, c’est le -i- –ի– qui se retrouve presque à toutes les personnes : bere-i բերե-ի « je portais » a l’aspect d’une forme composée comme l’imparfait vieux slave nesě-achŭ « je portais » ; si l’on se souvient que le subjonctif beriçem բերիցեմ a, au moins en apparence, l’aspect d’un composé (v. § 90), on est tenté de voir dans -i –ի, ir -իր » etc. des formes d’un prétérit de « être » ; *i répondrait à homérique ἦα (êa) skr. âsa, c’est-à-dire à l’ancien parfait ; la 3me personne *-y-r aurait un aspect particulier parce qu’elle reposerait sur une ancienne forme monosyllabique d’imparfait *ēst, cf. skr. âḥ, gr. ἦς (ês). L’emploi du thème du présent avant un ancien prétérit du verbe être est un fait qu’on constate, mais qu’il est malaisé d’expliquer, à peu près comme les premiers termes des formes composées analogues des autres langues, lat. legē-bam, v. sl. nesě-achǔ, got. nasi-da, etc. Mais une forme telle que berēr բերէր est certainement ancienne. Il y a ici trace d’une désinence moyenne avec le *-r du médio-passif indo-européen, dans les mêmes conditions où le phrygien l’a employée ; en effet berēr բերէր repose sur *bheretor et coïncide avec phr. αβ-βερετορ (ab-beretor). Hors de l’arménien classique on rencontre des formes en -iwr –իւր qui s’expliquent en partant d’une ancienne finale *-etro avec métathèse (cf. B.S.L. XXIV, p. 189-194). — L’imparfait ei եի etc. de em եմ « je suis » devrait sa forme à l’imitation du type berei բերեի ; em et berem բերեմ ont en effet des flexions identiques d’un bout à l’autre, et leurs flexions s’expliquent, on l’a vu, par des influences mutuelles.

Pour le sens, l’imparfait n’indique pas, comme l’imparfait latin, un procès antérieur à une autre action, mais, comme l’imparfait grec (et, d’une manière générale, comme l’imparfait indo-européen), un procès qui a duré dans le passé. Il n’a pas de subjonctif. — On notera l’emploi de l’imparfait dans les propositions conditionnelles pour indiquer ce qui n’est pas réel : Luc VII, 39 սա թեմարգարէ ոք էր՝ ապա զիտէր etc. οὖτος εἰ ἦν προφήτης, ἐγίνωσϰεν ἄν… (outos ei ên prophêtês, eginôsken ân…)

f) Formes nominales.

96. — Du thème du présent il y a un infinitif en -lo- –լո– : -el –ել pour les thèmes en -e- –ե– et en -i- –ի– : berel բերել « porter » et « être porté » ; -al ալ pour les thèmes en -a- –ա– : tkaranal տկարանալ « devenir faible » ; -ul –ուլ pour les thèmes en -u- –ու– : aṙnul առնուլ « prendre ». Les infinitifs en -al –ալ et en -ul –ուլ peuvent, comme l’infinitif en -el –ել, avoir le sens actif ou médio-passif. Actif : Gen. XLIII, 24. բերին ջուր լուանալ գոտսնոցա « ἤνεγϰαν (ênegkan) (DF) ὕδωρ νίψαι τοὺς πόδας αὐτῶν (hudôr nipsai tous podas autôn) » ; Act. XXII, 23 : եւ յաղաղակելն նոցա եւ ընկենուլ զհանդերձս, « ϰραυγαζόντων τε αὐτῶν ϰαὶ ῥιπτούντων τὰ ἱμάτια (kraugazontôn te autôn kai rhiptountôn ta himatia) ». Médio-passif : Esth. II, 12 : եւ յաճառս եւ ի լուանալ կանանցն ϰαὶ ἐν τοῖς σμήγμασιν τῶν γυναιϰῶν (kai en tois smêgmasin tôn gunaikôn) » ; Mat. V, 13 : ոչ իմիք ազգիցէ… բայց եթե ընկենուլ արտաքս եւ կոխան լինել ի մարդկանէ εἰς οὐδὲν ἰσχύει… εἰ μὴ βληθὲν ἔξο ϰαταπατεῖσθαι ὑπὸ τῶν (eis ouden ischuei… ei mê blêthen exô katapateisthai hupo tôn) ἀνθρώπων (anthrôpôn)  ». — Cet infinitif qui se fléchit en -o- –ո–, se comporte comme un substantif, et a son complément au génitif : Luc IX, 51 ի կատարել աւուրց վերանալոյ նորա ἐν τῷ συμπληρουσθαι τὰς ἡμέρας τῆς ἀναλήμψεως αὐτοῦ (en tô sumplêrousthai tas hêmeras tês analêmpseôs autou), ce qui n’empêche pas d’ailleurs des emplois de caractère verbal, comme Luc IX, 60 թող զմեոեա լսն թաղե լ ղմեռեա լսն իւրեանց ἄφες τοὺς νεϰροὺς θάψαι τοὺς ἑαυτῶν νεϰρούς (aphes tous nekrous thapsai tous heautôn nekrous).

De l’infinitif sont dérivés deux adjectifs :

l’un en -i –ի, avec le suffixe qui sert à former une foule d’adjectifs (v. § 40), indique la possibilité : sirel-i սիրելի dérivé de sirel սիրել « aimer », signifie « qui peut être aimé, aimable », etc. ; cet adjectif en -i –ի a quelquefois le sens actif, par ex. Eznik IV, 12, p. 285, l. 11 : ոչ այնչափ միսն յանցուցանէ, որչափ գինին զեղծէ ղըմաելիսն, « les transgressions occasionnées par la viande sont loin d’égaler la corruption que cause le vin en ceux qui le boivent » ;

l’autre en -oç –ոց sert de participe futur : bereloç բերելոց « qui doit porter » et « qui doit être porté ».

97. — Le participe est tiré des thèmes verbaux dans les conditions indiquées ci-dessus, au § 84 ; il est toujours en -eal –հալ et se fléchit en -o –ո »-. Ce participe, en tant qu’adjectif, a une valeur intransitive et souvent passive, ainsi Luc VII, 25 այր ի հանդերձս փափկութեան ղարդարեալ ἄνθρωπον ἐν μαλαϰοῖς ἱματίοις ἠμφιεσμένον (anthropon en malakois imatiois êmphiesmenon) mais, quand, comme il arrive souvent, il forme une proposition participiale, il peut avoir le sens actif et recevoir un complément direct, ainsi Luc V, 20 տեսեալ զհաւատսն նոցա ասէ ἱδὼν τὴν πίστιν αὐτῶν εἶπε (hidôn tên pistin autôn eipe) ces deux exemples suffisent à indiquer combien sont variés les emplois du participe en -eal –եալ.

Le participe en -eal –եալ sert, avec le verbe « être » à former des temps composés, comme cneal em ծնեալ եմ « je suis né », cneal ei ծնեալ եի « j’étais né », cneal içem ծնեալ իցեմ « que je sois né ». Ces formes composées ne sont pas transitives ; mais un tour curieux permet d’exprimer le sens transitif : l’agent de l’action est au génitif, le temps composé à la 3me personne du singulier (donc impersonnel), ainsi Jean IX, 8 որոց տեսեալ էր զնա οἱ θεωροῦντες αὐτὸν τὸ πρότερον (hoi theôrountes auton to proteron) (v. § 64). Le complément au génitif serait sujet, au nominatif, si on employait la forme personnelle du verbe : որ ou որք տեսեալ եին զնա. (Sur la manière dont l’arménien, dans ces formes composées nouvelles, a, à la fois, conservé des valeurs archaïques de la catégorie du parfait indo-européen à forme simple, et amorcé l’expression du temps relatif, voir Stanislas Lyonnet, Le parfait en arménien classique, Paris 1933.)

Il y a de même des temps composés avec le participe futur en -loç –լոց, qui est à la fois actif et passif : bereloç em բերելոց եմ « je dois porter » et « je dois être porté » ; Jean XIII, 21 մի ոմն ի ձէնշ մատնելոց է զիս εἴς ἐξ ὑμῶν παραδώσει με (eis ex humôn paradôsei me) ; Luc IX, 44 որդի մարդոյ մատնելոց է ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου μέλλει παραδιδυσθαι (ho uios tou anthrôpou mellei paradidusthai) « le fils de l’homme doit être livré ». La construction impersonnelle, fréquente avec le participe en -eal –եալ, ne s’y rencontre donc pas.

98. — L’infinitif en -l –լ et le participe en -eal –եալ ont en commun le même suffixe *-lo- qui répond au -lo- du participe des temps composés du slave : nes-lŭ jesmĭ « j’ai porté », littéralement « je suis porteur » ; l’emploi, au premier abord étrange, du génitif dans les tours signalés aux §§ 64 et 97 provient sans doute de ce que les participes en -eal –եալ représentent d’anciens substantifs : nora bereal ē նորա բերեալ Է « il a porté » a dû signifier originairement « il y a porter de lui », c’est-à-dire que l’infinitif et le participe seraient des formations également nominales, mais de structure distincte (cf. Mariès, R. E. Arm. X, 1930, p. 176). L’arménien et le slave sont les langues où le suffixe *-lo- a fourni les formes nominales les plus importantes, mais ce suffixe n’est pas rare par ailleurs, ainsi gr. στερβ-λό-ς (sterb-lo-s) « tourné », μιμη-λό-ς (mimê-lo-s) « imitant », σιγη-λό-ς (sigê-lo-s) « silencieux », σϰόπελος (skopelos) « pointe de roc » (littéralement « observatoire »), αἴθαλος (aithalos) « suie », etc.

Les participes en -oł –ող (fléchis en -a- –ա–) à signification de présent, comme beroł բերող « portant », sont peu employés. Leur suffixe est identique à celui du type grec μαινό-λ-ης (maino-l-ês), qui se rattache à un thème de présent : μαινο (maino), et repose sur la forme athématique du suffixe : -i-, -*l- et non -*lo-. Le tokharien a eu aussi des participes en -l- qui sont représentés dans les deux dialectes A et B et dont les uns appartiennent à des présents et les autres à des prétérits. (Voir A. Meillet, Sur le type de gr. μαινόλης (mainolês)., B. S. L., t. XXXIII, p. 130-132). Mais il en faut distinguer le type de cnawł ծնաւղ « parens » (v. § 11) avec lequel les participes en –oł sont souvent confondus.

Enfin les adjectifs verbaux comme gnayun գնայուն « mobile » (littéralement « allant ») de gnal գնալ, anasun անասուն « animal » (littéralement « ne parlant pas ») ont une finale -n qui repose sur *-mn (cf. § 21). On doit donc y voir d’anciens participes en -*omno-, cf. avest. -amna-, lat. alumnus. (Voir A. Meillet, Les noms du type t‘ṙč̣un. R. E. Arm., t. VIII, 1928, p. 1-6.)

Observations sur l’emploi des préverbes.

99. — En arménien, comme dans les autres langues, les mots invariables originairement indépendants, qui devant les substantifs jouent le rôle de prépositions, peuvent se juxtaposer aux verbes (type gr. ἐξ-ἐρχομαι, προ-φέρω (ex-erchomai, pro-pherô), etc.) mais l’importance de ce procédé y est relativement petite, quoique toutes les prépositions, sauf ç ց, puissent être « préverbes » :

z- զ– : ançanem անցանեմ « je passe » : z-ançanem զ–անցանեմ « je transgresse » ; hatanem հատանեմ « je coupe », z-atanem զ–ատանեմ « je sépare » ; z-getnem զ–գետնեմ « j’atterre, je mets sur le sol » de getin գետին « sol » ; etc.

i- ի– : toujours devant voyelle sous la forme y- յ– : y-ançanem յ–անցանեմ « je transgresse » (avec aoriste y-ançeay յ–անցեայ en regard de ançi անցի « j’ai passé ») ; y-aṙnem յ–առնեմ « je me lève » ; cf. gr. ὄρνυμαι (ornumai), lat. orior (avec aoriste y-areay յարեայ) ;

aṙ- առ– : dans ar-awelum ար–աւելւմ « j’accrois, je m’accrois », de aweli աւելի « plus », cf. y-awelum յ–աւելում « j’ajoute » avec y- յ– ;

ənd- ընդ– dans unim ունիմ « j’ai » : ənd-unim ընգ–ունիմ « je reçois » (aor. ən-kalay ըն–կալայ) ; bṙnem բռնեմ « j’empoigne », əm-bṙnem ըմ–բռնեմ « je saisis », etc. ;

əst- ըստ– : gtanem գտանեմ « je trouve », əst-gtanem ըստ–գտանեմ « j’accuse » ; əst-anjnem ըստ–անձնեմ « je prends sur moi », de anjn անձն « personne » ;

De plus, deux préverbes n’existent pas comme prépositions :

am- ամ– et ham- համ– : baṙnam բառՆամ « je lève », am-barnam ամ–բառնամ « je monte » ; berem բերեմ « je porte », ham-berem համ–բերեմ «  je supporte  » ; ham-arjakim համ–արձաԿիմ « je m’enhardis » de arjak արճակ « libre » ; cf. gr. ἀνα- (ana-) ? ;

n(i)- ն(ի)– dans n-stim ն-սաիմ « je m’assieds » v. § 15 ; hayim հայիմ : n-ayim ն–այիմ « je regarde ».

Les préverbes arméniens sont étroitement unis à leur verbe ; souvent même, le verbe n’existe plus isolément et l’on n’arrive à l’isoler que par des rapprochements, ainsi z-armanam զ-արմանամ et ənd–armanam ընգ–արմանամ « je m’étonne ». Néanmoins le sentiment de l’existence du préverbe n’était pas perdu ; bien que *genum ne soit pas attesté isolément, le sentiment que dans z-genum զ–գենում « je m’habille », z- զ– est préverbe a persisté, car le traitement du thème d’aoriste z-geç- զ–գեց– au subjonctif z-geç-çis զ–գեց–ցիu (et non *zgesçis *զգեսցիս) est celui d’un monosyllabe (v. § 24), et non celui d’un polysyllabe ; le rapprochement avec gr. (ϝ)έννυμαι ((w)ennumai) indique d’ailleurs que z- զ– est préverbe et ne fait pas partie de la racine. Ailleurs le traitement du subjonctif aoriste est la seule indication du préverbe, ainsi ən-t‘eṙnum ըՆ–թեռնում « je lis », subjonctif aoriste ənt‘erç-çis ընթերց—ցիս « que tu lises ».

Du verbe, le préverbe a passé aux substantifs apparentés, ainsi z-gest զ–գեստ « vêtement » d’après z-genum զ–գենում ; z-at զ–ատ « séparé » d’après z-atanel զ–ատանել etc. Les préverbes ont dû avoir préhistoriquement une importance plus grande que celle qu’on observe en arménien classique ; autrement on ne s’expliquerait pas des formes comme z-ard զ–արդ « ornement » en face de gr. ἀρτύς (artus), sans verbe immédiatement voisin (on a cependant z-ardarem զ–արդարեմ « j’orne »), n-eçuk ն—եցուկ « appui », en face de yenum յենում « je m’appuie », aoriste yeçay յեցայ) etc. — En arménien classique les préverbes sont à la veille de disparaître, et en arménien moderne ils ne jouent plus aucun rôle.

Verbes anomaux.

100. — Si l’on ne tient pas pour anomaux les verbes dont le présent et l’aoriste, fléchis d’une manière normale, ne se répondent pas dans les conditions ordinaires, ceux par exemple qui, comme yançanem յանցանեմ « je transgresse », ayant un présent à nasale en -ne- –նե– ont un aoriste en -ea- –եա–, comme yançeay յանցեայ « j’ai transgressé », on ne peut citer en arménien que peu de verbes vraiment irréguliers.

101.a) Verbes dont le présent et l’aoriste appartiennent à la même racine :

ełanim եղանիմ « je deviens » a un thème d’aoriste ełe- եղե–, unique en son genre, mais qui se fléchit avec les caractéristiques ordinaires : ełē եղէ « je suis devenu » (de *ełey), ełer եղեր, ełew եղեւ, etc., subjonctif ełēç եղէց (de *ełe-yç), ełiçis եղիցիսy etc. ;

linim լինիմ « je suis, je deviens » n’a pas d’aoriste à l’indicatif, mais le thème d’aoriste a ses autres formes : un impératif ler լեր « sois », un subjonctif liçis լիցիս « que tu sois », etc. (sans première personne du singulier) ; et il y a aussi un participe leal լեալ ;

gom գոմ « je suis » est défectif et n’existe qu’à une partie des formes du présent signalées ci-dessus §§ 87 et 95 ; ceci s’explique par le fait qu’il représente un parfait indo-européen, v. § 81 bis ;

aṙnem առնեմ « je fais » a pour aoriste arari արարի « j’ai fait », impératif ara արա « fais » (sans consonne finale, cf. § 89), subjonctif arariç արարից, 2me pers. arasçes արասցես (avec s u analogique), participe arareal արարեալ ; cet aoriste est une forme à redoublement et répond à gr. ἀραρεῖν (ararein) « arranger » ; le changement de sens ne fait aucune difficulté ; la forme à nasale du présent rappelle av. ərənāvi « a été fait » ;

dnem դնեմ « je pose » est à skr. dádhāmi « je pose », gr. τίθημι (tithêmi) ce que v. sl. stanõ « je me mettrai debout » est à skr. tiṣṭhāmi « je me tiens », gr. ἵστημι (histêmi), lat., sistō. L’ancien aoriste radical est conservé : ed եդ « il a posé » répond à skr. ádhāt ; et, comme les autres formes seraient monosyllabiques, elles ont l’augment : edi եղի « j’ai posé », etc. ; l’impératif dir դիր « pose » est resté monosyllabique ; mais la 1ère personne du subjonctif ediç եդից « que je pose, je poserai » et le participe edeal եղեալ ont reçu aussi l’augment, tandis que la 2me personne du subjonctif diçes դիցես et les autres ne l’ont naturellement pas ;

tam տամ « je donne » est sans doute le seul verbe arménien dont la conjugaison ait gardé des alternances vocaliques indo-européennes (type lat. dōnum : dătus, gr. δίδωμι : δίδομεν (didômi : didomen)) ; le -a- –ա– du présent tam տամ ne peut représenter que i.-e. , et, par suite, tam տամ doit reposer sur *də-ye-, c’est-à-dire que la formation serait analogue à celle de v. sl. da֊jõ « je donne ». — Au contraire l’indicatif aoriste a -u- –ու– issu de i.-e. dans etu ետու « j’ai donné » ; la 3me personne et ետ « il a donné » répond à skr. ádāt ; toutes les autres personnes ont l’augment sauf la 1ère pluriel tuakh տուաք qui n’est pas monosyllabique. La 1ère personne etu ետու « j’ai donné » ne répond pas à skr. ádām, car on aurait *et, mais représente *etuy, avec la désinence -y de la 1ère personne de l’aoriste arménien régulièrement tombée après -u (v. § 26) ; etur ետոր « tu as donné », cf. skr. ádāh, a conservé son -u- –ու–, exactement comme lk‘er լքեր « tu as laissé » a conservé son e (v. § 94), et comme edir եդիր « tu as posé », cf. skr. ádāh, a conservé son -i- –ի– issu de i.-e. . — Le subjonctif aoriste taç տաց « que je donne, je donnerai », taçes տացես « que tu donnes », etc., a aussi a ա issu de i.-e. *ə: c’est le seul subjonctif arménien qui n’ait pas le i de içem իցեմ ; il représenterait directement un thème *də-ske- formé comme le thème *(i)s-(s)ke-, d’où pourrait sortir içem իցեմ « que je sois ». (Voir § 90.) Mais içem իցեմ « que je sois » peut représenter un ancien optatif en -ī- avec élargissement *-ske- : *es-i-ske-m *eiskem *eyskem içem (Mariès, R. E. Arm., t. X, 1930, p. 178) ;

lsem լսեմ « j’entends » a un aoriste luay լուայ « j’ai entendu » ; le présent lsem լսեմ repose sur un élargissement par *-k-, connu en grec (cf. B. S. Լ. XXVI, p. 3 sq.) et l’aoriste luay լուայ sur un élargissement par *-s- (cf. skr. çruṣ-ṭiḥ, « obéissance », v. sl. slyš-ati « entendre ») de la racine attestée par skr. çrutâh « entendu », gr. ϰλύω (kluô), etc. — L’impératif est lur լուր « entends ».

harkanem հարկանեմ « je frappe », aor. hari hարի « j’ai frappé » ; l’aoriste est à rapprocher de lette peru, pērt « frapper » (de verges) ; le présent harkanem հարկանեմ a un élargissement -g-, et repose sur *pṛg- ; ce -g- se retrouve dans le nom sanskrit du dieu du tonnerre : Parj-ányah le dieu slave correspondant Per-unǔ doit son nom à la même racine sans élargissement et le lit. Perkúnas a un élargissement k comme aussi le v. isl. Fiõrgyn.

čanač̣em ճանաչեմ « je connais » ; aor. caneay ծանեայ, v. § 9.

tanim տանիմ « je conduis », aor. taray տարայ.

102.b) Verbes dont le présent et l’aoriste appartiennent à des racines différentes.

Dans l’expression de certaines notions courantes, on recourait souvent à des racines différentes pour former les divers thèmes qui indiquent les nuances grammaticales ; ainsi le présent du verbe « aller » est en attique ἔρχομαι (erchomai), le futur εἶμι (eimi), l’aoriste ἦλθον le parfait ἐλήλυθα (elêlutha) ; le présent de « voir » est ὁρῶ (horô), le futur ὄψομαι (opsomai), l’aoriste εἶδον (eidon), etc. L’arménien, qui a un verbe à deux thèmes seulement, ne peut présenter l’opposition de plus de deux racines différentes, et c’est en effet ce qui arrive pour plusieurs des notions qui présentent dans les autres langues cette particularité :

utem ուտեմ « je mange » a la même racine que skr. ádmi, lat. edō, gr. ἔδομαι (edomai) ; le u- ու– suppose un ancien ō que le grec présente dans le substantif à redoublement ἐδωδή (edôdê) « nourriture ». Comme le baltique et le slave ont, au présent de cette racine, un ē : lit. ėdmi, v. sl. ěmǐ « je mange », le ut- arménien repose sur *ōd-, avec le degré ō du vocalisme. — À l’aoriste, le sanskrit et le grec ont des racines autres que *ed- : skr. ághaḥ « il a mangé » et gr. ἔφαγε (ephage) ; l’arménien a keray կերայ « j’ai mangé », cf. skr. giráti « il avale », v. sl. zǐretǔ (même sens), lat. uorō, etc. La 3me personne d’aoriste et l’impératif ont une forme active inattendue en regard de keray կերայ : eker եկեր «  il a mangé », ker կեր « mange » ; le subjonctif est kerayç կերայց, keriçes կերիցես, etc.

əmpem ըմպեմ « je bois », présent d’origine obscure, mais difficile à séparer de skr. píbati « il boit », lat. bibō, v. irl. ibim « je bois » ; aoriste arbi արբի « j’ai bu », cf. lat. sorbeō, lit. srebiù, surbiù « j’avale en humant, je suce », gr. ῥοφέω (rhopheô).

gam գամ « je viens », cf. la racine *wā-, élargie par -dh- dans lat. uādō, et dans v. angl. wadan, v. h. a. watan « aller (par eau) ». — L’aoriste eki եկի « je suis venu » est inséparable de skr. ágām et de dorien ἔβᾱν (ebān), attique ἔβην (ebên) ; l’augment s’y est maintenu, de manière à éviter le monosyllabisme, comme dans etu ետու « j’ai donné » et edi եդի « j’ai posé » ; il y a trace de ā de la racine (*gnā-) dans l’impératif ekayk‘ եկայք « venez » ; la 3me personne ekn եկն « il est venu » appartient à une racine voisine mais différente, qui comprend une nasale (*gwen-, *gwem), cf. véd. ágan « il est venu », got.

qiman « venir », lat. ueniô, etc. Enfin le subjonctif ekiç եկից, ekesçes եկեսցես (avec augment généralisé) est énigmatique.

ert‘am երթամ « je vais » ; est à rapprocher de gr. ἔρχομαι : ἔρ-χο-μαι (erchomai : er-cho-mai) de *ser-kho-, er-t‘-a-m եր–թ–ա–մ de *ser-the / o- (voir M. S. L. XXIII, p. 249-258) ; l’indicatif aoriste est č̣ogay չոգայ qu’on ne peut séparer de č̣u չու « départ », v. § 23 ; mais les autres formes de l’aoriste sont tirées de la racine de ert‘am երթամ : impératif ert‘ երթ « va », subjonctif ert‘ayç երթայց, ert‘içes երթիցես, participe ertleal երթեալ « étant allé ».

unim ունիմ « je prends, j’ai », aoriste kalay կալայ (impératif kal կալ « prends, aie »), le second sans étymologie certaine (Pedersen, K-Z. XXXVIII, p. 203) ; sur unim, cf. § 21 ; l’albanais oppose de même kam « j’ai » à patše « j’ai eu ».

Les quelques formes isolées : gog գոգ « dis », gogçes գոգցես « tu peux dire », gogçē գոգցէ « il peut dire », sans doute de la racine *wegwh- de lat. uoueō, skr. vāghát- « priant » (cf. gâthique aogədā « il a dit », de l’indo-iranien *augh-) sont sans doute des restes d’un aoriste de « dire » dont le présent n’existe pas. On sait que les verbes signifiant « dire » sont de ceux qui ont le plus souvent des racines diverses dans leur conjugaison : att. λέγω, ἐρῶ, εἰπον (legô, erô, eipon).

Enfin tesanem տեսանեմ « je vois », aor. tesi տեսի « j’ai vu », suppose une contamination des racines *derk’- et *spek’-, dont l’une fournit l’aoriste védique ádarçam « j’ai vu » (cf. gr. ἔδραϰον (edrakon)), en regard du présent skr. páçyati « il voit » (cf. lat. speciō, a-spiciō, etc.). Il est probable que, ici encore, l’arménien a eu l’alternance d’un présent, tiré de *spek‘-, soit *hesanem (?), et d’un aoriste anciennement athématique, tiré de *derk‘-, soit *tersi, et que les deux, combinés, ont abouti à un élément radical arm. tes- տես–.