Esquisse d'une grammaire comparée de l’arménien classique/Chapitre III

Imprimerie des pp. Mekhitaristes (p. 64-97).


Chapitre III.
LES FORMES NOMINALES.

30. — La déclinaison de l’arménien ancien comporte deux nombres : le singulier et le pluriel ; sept cas : nominatif, accusatif, génitif, datif, locatif, ablatif, instrumental. Il n’y a pas trace d’une distinction des genres masculin, féminin et neutre.

A. SUBSTANTIFS ET ADJECTIFS.
a) Description sommaire de l’état arménien classique.

31. — La flexion normale de l’arménien comporte quatre types vocaliques : en -o- –n–, -a- –ա–, -i- –ի– et -u- –ու– et, en outre, des thèmes en -n- –ն–, -r– –ր– et -ł- –ղ–.

Observations générales.

1. Au singulier, le nominatif et l’accusatif ont une même forme, caractérisée par l’absence de désinence : get գետ « fleuve » est à la fois nominatif et accusatif ; le nominatif-accusatif ne permet donc pas de reconnaître à quel type de flexion appartient un nom.

2. Dans les quatre types vocaliques, tout se passe comme si le nominatif pluriel s’obtenait par addition de -k‘ –ք, et l’accusatif-locatif pluriel par addition de -s –ս à la forme de nominatif-accusatif singulier ; ainsi nomin. plur. getk‘ գետք « fleuves », acc.-loc. plur. gets գետս. Dans les types à liquide et à nasale, le nominatif et l’accusatif présentent les désinences -k‘ –ք pour le nominatif et -s- –ս– pour l’accusatif à une même forme, différente de celle du nominatif-accusatif singulier, ainsi harsn հարսն « fiancée », nom. plur. harsun-k‘ հարսուն–ք, acc. plur. harsun-s հարսուն–ս. — Le locatif et l’accusatif pluriels n’ont qu’une même forme, caractérisée par la désinence -s- –ս–.

3. Une forme autre que les précédentes a dans toutes les séries une même caractéristique, qui est commune au génitif, au datif et à l’ablatif pluriels ; cette caractéristique est -c̣ —ց (sur l’origine de ce ց, voir § 37) ; devant cette désinence, chacune des séries vocaliques présente sa voyelle propre : geto-c̣ գեաո—ց « des fleuves » ; ama-c̣ ամա—ց « des années » ; bani-c̣ բանի—ց « des paroles » ; zgestu-c̣ զգեստու—ց « des vêtements ». La désinence est la même dans les autres types : harsan-c̣ հարսան—ց « des fiancées ».

4. La désinence d’instrumental était originairement la même dans tous les types, mais la phonétique a introduit des différences suivant l’élément précédent (cf. § 8) : -w —ւ après -a- et -i- : ama-w ամա-ւ ; bani-w բանի-ւ, -v —վ après -o- : geto-v գետո-վ ; zéro après -u : zgestu զգեստու ; -b —բ après nasale et liquide : harsam-b արսամ—բ ; chacun des types vocaliques présente ici sa voyelle propre, comme au génitif-datif-ablatif pluriel. — L’instrumental pluriel ne diffère de l’instrumental singulier que parce qu’il comporte un -k‘ —ք final, ce qui rappelle le contraste du nominatif singulier et du nominatif pluriel : ama-wk‘ ամա—ւք ; bani-wk‘ բանի—ւք ; geto-vk‘ գետո—վք ; zgestu-k‘ զգեսաու—ք ; harsam-bk‘ հարսամ—բք.

5. Au singulier, le génitif et le datif ont une forme commune dont l’aspect varie suivant les types ; dans le type vocalique, une voyelle ou diphtongue s’ajoute à la forme du nominatif-accusatif singulier : -oy —ոյ pour les thèmes en -o- : get-oy գետ—ոյ ; -i —ի pour les thèmes en -i- et en -a- : ban-i բան—ի, am-i ամ—ի ; -u —ու pour les thèmes en -u- : zgestu զգեստ—ու. Dans les thèmes à liquide et à nasale, la désinence est zéro, mais le vocalisme de l’élément prédésinentiel est autre qu’au nominatif : harsn հարսն, génitif-datif harsin հարսին, astł աստղ « astre », génitif-datif asteł աստեղ, etc.

6. Au singulier, le locatif est identique au génitif-datif dans tous les types, sauf celui en -o- où il est identique au nominatif-accusatif : y-am-i յ—ամ—ի « dans l’année », mais i get ի գետ « dans le fleuve ». Une désinence propre au locatif se rencontre dans une série de noms : celle des noms à nominatif-accusatif en -i —ի qui sont thèmes en -a- ; le locatif de ces mots devrait être identique à leur génitif-datif, mais ce génitif-datif est en -oy —ոյ et par suite impropre à servir de locatif (le génitif-datif du type getoy գեաոյ ne servant justement pas de locatif) ; en regard du nominatif-accusatif tełi տեղի « lieu », instr. tełeaw տեղեաւ, génitif-datif tełwoy տեղւոյ, on a une forme propre de locatif tełwoǰ տեղւոջ (sur l’origine de cette forme, voir § 39).

7. L’ablatif singulier est identique au datif-génitif dans le type en -o- : get-oy գետ—ոյ ; partout ailleurs il présente une désinence -ē- —Է : am-ē ամ—է ; harsn-ë հարսն—Է.

Si l’on rapproche les observations précédentes les unes des autres, on constate que l’arménien, tout en ayant sept cas distincts, a pour chaque nombre seulement trois ou quatre formes différentes ; le génitif et le datif en particulier ne sont jamais distincts dans les substantifs et n’ont une forme propre à chacun que dans les flexions des démonstratifs et des pronoms personnels.

Les paradigmes des types vocaliques sont les suivants :

Gén. dat. loc. Thèmes en -a- —ա— Thèmes en -i- —ի— Thèmes en -u- —ու—
Singulier :
Nom. acc. am ամ ban բան zgest զգեստ
Gén. dat. loc. am-i ամ—ի ban-i բան—ի zgest-u զգեստ—ու
Ablat. am-ē ամ—է ban-ē բան—է zgest-ē զգեստ—է
Instr. am-aw ամ—աւ ban-iw բան—իւ zgest-u զգեստ—ու

Pluriel :
Nom. am-k‘ ամ—ք ban-k‘ բան—ք zgest-k‘ զգեստ—ք
Acc. loc. am-s ամ—ս ban-s բան—ս zgest-s զգեստ—ս
Gén. dat. abl. am-ac̣ ամ—աց ban-ac̣ բան—ից zgest-ac̣ զգեստ—ուց
Instr. am-awk‘ ամ—աւք ban-iwk‘ բան—իւք zgest-uk‘ զգեստ—ուք

Le paradigme des thèmes en -o- —ո— est :

Singulier :
Nom. acc. loc. get գետ
Gén. dat. abl. get-oy գետ—ոյ
Instr. get-ov գետ—ով

Pluriel :
Nom. get-k‘ գետ—ք
Acc. loc. get-s գետ—ս
Gén. dat. abl. get-oc̣ գետ—ոց
Instr. get-ovk‘ գետ—ովք

Les noms polysyllabiques terminés au nominatif-accusatif singulier par -i –ի ont deux flexions, l’une en -o- propre aux dérivés en -ac̣i –ացի du type giwł-ac̣i գիւղ–ացի « villageois » (de giwł դիւղ « village ») et à quelques mots comme (h)ogi (հ)ոգի « esprit », ordi որգի « fils », l’autre en -a-, mais avec génitif en -woy –ւոյ commune aux autres noms en -i –ի, tels que tełi տեղի « lieu ».

Singulier :
Type en -o- tełwoType en -a-
Nom. acc. hogi հոգի tełi տեղի et tełwoǰē տեղւոջէ
Loc. hogi հոգի tełwoǰ տեղւոջ et tełwoǰē տեղւոջէ
Gén. dat. hogwoy հոգ tełwoy տեղւոյ et tełwoǰē տեղւոջէ
Abl. hogwoy հոգ tełwoy տեղւոյ et tełwoǰē տեղւոջէ
Instr. hogwov հոգ tełeaw տեղւոյ et tełwoǰē տեղւոջէ
Pluriel :
Nom. hogik‘ հոգիք telik‘ տեղիք
Acc. loc. hogis հոգիս telis տեղիս
Gén. dat. abl. hogwoc̣ հոգւոց teleac̣ տեղեաց
Instr. hogwovk‘ հոգւուվք tełeawk‘ տեղեաւք

Les paradigmes des thèmes à nasale et à liquide seront indiqués ci-dessous § 43.

b) Origines indo-européennes des formes de la déclinaison.

32. — Les quatre types qui viennent d’être décrits se rapprochent naturellement des thèmes en -o-, -ā-, -i (et -ī-), -u- (et -ū-) de l’indo-européen ; par exemple k‘un քուն « sommeil », instr. k‘nov քնով, répond à skr. svápnaḥ, lat. somnus, cf. gr. ὕπνος ; am ամ « année », instr. amaw ամաւ, à skr. sámā ; aruest արուեստ « art », instr. aruestiw արուեսաիւ, au type en *-ti- de v. sl. junostĭ « jeunesse », zard զարգ « ornement », instr. zardu զարգու, à gr. ἀρτύς. Le parallélisme qu’ils présentent résulte d’un développement postérieur à la période d’unité, car en indo-européen le type en -o-, dit thématique, se distingue essentiellement du type athématique auquel appartiennent les thèmes en -i- et en -u-. Ce développement n’a d’ailleurs rien qui soit propre à l’arménien ; la prononciation vocalique de i et de u a entraîné dans la plupart des langues un rapprochement avec les thèmes qui ont devant la désinence une voyelle proprement dite, c’est-à-dire avec les thèmes en *-o- et en *-ā-. Quant aux thèmes du type athématique qui sont terminés par d’autres sonantes, c’est-à-dire par n, r et l (il n’y a pas de thèmes terminés par m), l’arménien les fléchit d’une manière spéciale qui appelle une étude détaillée. Les thèmes indo-européens terminés par une occlusive n’ont au contraire fourni aucun type régulier à l’arménien, non plus qu’à la plupart des autres langues : ce type proprement consonantique, encore abondant en sanskrit et en grec ancien, disparaît avec le temps dans chaque langue : les prâkrits et le grec moderne l’ont éliminé.

Dans les quatre types vocaliques, la voyelle qui caractérise chaque série appartenait originairement au thème, mais, au point de vue arménien, il n’y a plus qu’une finale où l’on ne saurait distinguer une voyelle du thème et une désinence ; ainsi la finale du génitif de k‘un քուն « sommeil » est -oy –ոյ dans k‘noy քնոյ, la finale d’instrumental est -ov –ով dans k‘nov քնով ; mais on ne sent pas de thème *k‘(u)no-. Ceci encore n’est pas proprement arménien : un Athénien ne percevait pas un thème ὕπνο- (hupno-) dans ὕπνος, ὕπνου, ὕπνοῳ (hupnos, hupnou, hupnoô), etc. ; la finale οις (ois) des datifs pluriels tels que ὕπνοις (hupnois) a même passé dans certains parlers du nord-ouest, surtout au IIIe siècle av. J.-C., à tous les noms masculins et neutres, ainsi ἀνδροις, σωματοις (androis, sômatois). Les voyelles du type vocalique se sont ainsi adjointes aux désinences dans les diverses langues ; la désinence du datif-ablatif pluriel n’est plus en latin -bus, mais -bus : ped-ibus ; de même la désinence du datif pluriel est en slave -ĭ-mŭ et non plus -mŭ, dans les mots comme slovesĭmŭ, etc.

En ce sens, l’arménien s’est développé comme les autres langues indo-européennes ; seulement les choses sont rendues nettes par la constance avec laquelle tombe la voyelle de la syllabe finale : c’est cette chute qui a donné aux formes casuelles arméniennes leur aspect. On s’attendrait à ce qu’une réduction du nombre des cas aurait pu en résulter ; mais malgré la mutilation des finales, l’arménien n’a perdu qu’un seul des huit cas indo-européens, le vocatif. Tous les autres sont bien conservés, grâce à des innovations dont plusieurs sont encore inexpliquées. C’est l’un des traits remarquables de l’histoire de l’arménien ; seules de toutes les langues indo-européennes, les langues baltiques et slaves ont conservé, à la date où l’arménien est connu, une déclinaison aussi complète ; dès avant l’époque historique, le grec, archaïque à d’autres égards, avait perdu trois des huit cas indo-européens.

a) Types vocaliques.

33. — La confusion du nominatif et de l’accusatif singuliers et l’absence de toute désinence à la forme commune de ces deux cas s’expliquent par la chute phonétique des finales : k‘un քուն répond au nominatif skr. svâpnaḥ, lat. somnus (cf. gr. ὕπνος (hupnos)) et à l’accusatif skr. svápnam, lat. somnum (cf. gr. ὑπνον (hupnon)) ; de même am ամ à skr. sámā (nomin.) et sámām (acc.) ; zard զարդ à gr. ἀρτύς (artus) et ἀρτύν (artun), etc. La perte de toute forme propre du vocatif a la même cause : k‘un քուն répond aussi à skr. svápna, lat. somne (cf. gr. ὕπνε (hupne)) ; sirt սիրտ « cœur » (instr. srtiw սրտիւ) a une forme parallèle non seulement à celle de lit. širdìs (nomin.), širdin (acc., ancien *širdin), mais aussi à celle du vocatif širdë, etc. Et de même le locatif singulier des thèmes en -o- est identique au nominatif-accusatif parce qu’il a perdu la diphtongue finale *-ei ou *-oi : k‘un քուն (locatif) répond à skr. svápne (locat.), cf. gr. ônvot (hupnoi) (locatif et datif de certains dialectes), sl. sŭnĕ.

34. — Là où -s final s’est amui, le nominatif pluriel des thèmes en *-o et en *-ā se confondait phonétiquement avec le nominatif singulier : c’est arm. *am qui répondrait phonétiquement à un nominatif pluriel skr. sámāḥ, comme à sámā et à sámām ; c’est *k‘un qui répondrait phonétiquement au nominatif pluriel skr. svápnāḥ, et en fait c’est bien *am et *k‘un que présente l’arménien, mais avec addition du -k –ք, qui représente sans doute -*s final (voir § 26) ; de même à l’instrumental où la forme du pluriel ne se distingue de celle du singulier que par la présence d’un -k‘ –ք représentant un -*s final ; dans le verbe, les premières personnes du singulier et du pluriel ne sont pas non plus distinguées autrement que par la présence du -k‘ –ք au pluriel : em եմ « je suis », emk‘ եմք « nous sommes » ; la deuxième personne du pluriel a aussi -k‘ –ք : ēk‘ էք « vous êtes ». La présence du -k‘ –ք du pluriel n’empêche pas la chute des voyelles des syllabes finales : *č̣orek‘ « quatre » (cf. dorien τέτορες (tetores)), conservé dans č̣orek‘-tasan չորեքտասան « quatorze », č̣orek‘-hariwr չորեքհարիւր « quatre cents » où il se trouve en syllabe intérieure, est devenu à l’état isolé č̣ork‘ չորք ; le -k‘ –ք issu de -*s final se comporte donc autrement que la particule enclitique -k‘ –ք de iwi-k‘ իւի–ք « en quelque manière », où s’est maintenu le -i –ի final de l’instrumental, en regard de iw իւ « comment ». Devant le -k‘ –ք du pluriel, le traitement est celui de la finale absolue : à la 2e personne du pluriel, un ancien *hełuy-k‘ « vous versez » perd son y comme *hełuy « il verse », d’où hełuk‘ հեղուք comme hełu hեղու, tandis que, au contraire, devant -r –ր final de *hełuyr « il versait », uy donne oy ոյ : hełoyr hեղոյր. — D’autre part -k‘ –ք figure dans les deux noms de nombre dont la flexion est celle du pluriel dès l’indo-européen : erek‘ երեք « trois » et çork‘ չորք « quatre », mais non dans le nom de nombre, aussi fléchi, qui était au duel : erku երկու « deux ». – Toutes ces particularités auxquelles il faut joindre les règles d’accord (v. § 104 et suiv.) déterminent dans une certaine mesure le problème de l’origine du signe du pluriel arménien -k‘ –ք ; la difficulté est que la représentation de -*s final par -k‘ –ք n’est pas constante.

Les nominatifs des thèmes en -i- et en -u- : sirtk‘ սիրտք « cœurs », zardk‘ զարդք « ornements » ne répondent pas aux nominatifs en *-eyes, *-ewes attestés par skr. {{lang|sa-Latn|-ayaḥ, -avaḥ, v. sl. ĭje, -ove, gr. -ε(y)ες (-e(y)es) (att. -εις (-eis)), -ε(ϝ)ες (-e(w)es) (att. -εις (-eis)) ; car on aurait alors des finales : *-e-k‘ (cf. erek‘ երեք « trois » en face de skr. tráyaḥ, v. sl. trĭje, att. τρεῖς (treis)), *-ew-k‘. Les formes arméniennes admettent plusieurs explications entre lesquelles on ne fera ici aucun choix et sur lesquelles il est par suite inutile d’insister.

35. — Les anciennes finales *-o-ns, *-ā-ns (avec restitution de -ns comme en grec ; car l’indo-européen n’avait que -s), *-i-ns, *-u-ns se réduisaient phonétiquement à -s –ս en arménien (v. § 26) ; de là k‘un-s քուն–u, am-s ամ–ս, sirt-s սիրտ-ս, zard-s ղարտ–ս, de *swopnons, *s°māns, *k‘erdins, *rtuns. — La valeur de locatif des mêmes formes est plus malaisée à expliquer ; en effet la désinence *-su attestée par l’indo-iranien, le slave et le baltique (cf. -σι (-si)) suit une voyelle dans les originaux indo-européens des formes arméniennes ; -s- était donc intervocalique et devait tomber ; d’autre part, l’élément prédésinentiel devait subsister : à skr. svápneṣu devrait répondre *k‘(u)nē et non k‘uns քունս ; à skr. ṛtúṣu, *(z-)ardu et non (z)ards զ–արդս, etc. C’est dans les types athématiques dont le thème est terminé par une nasale, par une liquide ou par une occlusive que la confusion de l’accusatif et du locatif peut s’expliquer ; -s subsistait après nasale ou liquide, et sans doute après certaines occlusives ; dans des locatifs comme anjin-s անձին–ս « personnes », asteł-s ասաեղ–u « astres », dur-s դուր–ս « portes » (avec restitution de -s- au lieu du -š- attendu, v. § 15, cf. skr. dur-ṣu), ot-s ոտ–u « pied » (cf. skr. pat-sú), la conservation de s s’explique ; la confusion de l’accusatif et du locatif s’est réalisée par suite d’actions analogiques sur le détail desquelles on ne peut faire que des hypothèses ; et c’est par analogie de ces types de mots qu’a dû se constituer l’usage du locatif pluriel en -s –u dans les types vocaliques.

36. — L’instrumental singulier et l’instrumental pluriel, distingués seulement par le -k’ –ք du pluriel, s’expliquent immédiatement par le rapprochement avec les formes grecques en φι(ν) (-phi(n)) ont à la fois les valeurs d’instrumental, de datif et d’ablatif pour le singulier et pour le pluriel, et avec l’instrumental pluriel du sanskrit en -bhiḥ, de l’avestique en -bīš : -o-v –ո–վ de k’now քնով répond à homér. -ο-φι (-o-phi) ; -a-w ա–ւ de amaw ամաւ à hom. -η-φι (-ê-phi) (ancien -ᾱ-φι (-ā-phi)) cf. skr. -ā-bhiḥ ; -i-w –ի–ւ de srtiw սրտիւ à homér. ι-φι (i-phi) (par exemple ϝιφι (wiphi) « fortement » ), cf. skr. -i-bhiḥ ; -u –ու (c’est-à-dire -u-w) de zardu զարդու à homér. *υ-φι (*u-phi), cf. skr. -u-bhiḥ. Une trace du -i final de la désinence est conservé, grâce à l’addition de l’enclitique -k‘ –ք (ancien *ke, cf. skr. ca, gr. τε (te)), dans iwi-k‘ իւիք « de quelque manière », en regard de iw իւ « comment ». — On notera deux circonstances : 1. L’arménien a l’instrumental en *-bh-, comme l’indo-iranien, le grec, l’italique et le celtique et non en *-m-, comme le slave, le baltique et le germanique (ainsi v. sl. -mĭ au singulier, -mi au pluriel). – 2. Les désinences en *-bh- ne subsistent en arménien qu’avec l’unique valeur d’instrumental, tandis que leur valeur indo-européenne était multiple.

37. — Les finales -oç –ոց, -aç –աց, -iç –ից, -uç –ուց de génitif-datif-ablatif pluriel ont, après la voyelle caractéristique de chaque type, un –ց qui se retrouve dans les autres types de déclinaison. Comme ce –ց n’alterne pas avec une sonore après liquide ou nasale, ainsi anjan-ç անձանց « des personnes ». harc̣ հարց « des pères », il doit représenter *-sk et non *-ks- (v. § 15) ; et en effet Bugge a proposé (dans ses Lykische Studien I, 74) de considérer comme représentant un suffixe, non une désinence. Bien qu’il se soit égaré dans un rapprochement de avec la finale préhellénique -σσος, Bugge a posé un principe qui est à retenir. Dans cette hypothèse, –ց représenterait le nominatif et l’accusatif singuliers de formes à suffixe secondaire *-sko-, comparables à v. sl. nebesĭskŭ « du ciel », dérivé du thème nebes- de nebo « ciel » ; ainsi k‘noç քնոց serait un ancien *swopno-sko-s, *swopno-sko-n et aurait tenu d’abord la place d’un génitif complément de nom, puis aurait pris les valeurs de datif et d’ablatif ; de même -aç –աց, -iç –ից, -uç –ուց représenteraient *-ā-sko-s, *-i-sko-s, *-u-sko-s et l’on s’expliquerait la présence régulière de la voyelle caractéristique de chaque série.

38. — Le génitif-datif-locatif singulier en -i ի et -u –ու des thèmes en -i- et en -u-, soit srti սրտի et zardu զարդու, ne répond ni au génitif en -eḥ, -oḥ, du sanskrit, -ës, -aus du lituanien, -ais, -aus du gotique, ni au datif en -aye, -ave du sanskrit, -i, -ovi du slave, ni au locatif en *-ē(i) ou *-ō(i), *-ē(u) ou *-ōu ; car l’arménien répondrait à ces formes des thèmes en -i- et en -u- par zéro pour le génitif et le locatif, par *-ē et -ew pour le datif. C’est à des formes comme génit. -iyaḥ, -uvaḥ, dat. -iye, -uve du sanskrit, génit.

ος, -υ(Ϝ)ος dat. -ī, -υι du grec que répondent arm. -i –ի et -u –ու ; un génitif-datif arm. srti est donc comparable à un génitif ionien πόλιος. La confusion des thèmes en -ĭ- et -ī-, en -ŭ- et -ū- est sans doute pour beaucoup dans la création de cette forme, mais il faut aussi tenir compte d’autres actions ; ici, comme en tant d’autres cas, le détail échappe, puisqu’on se trouve en présence d’un paradigme arménien régulier sans exception et qu’aucun intermédiaire n’est attesté.

Le génitif-datif-locatif singulier en -i –ի des thèmes en -a-, ainsi ami ամի est énigmatique ; il répond peut-être au génitif également énigmatique des thèmes correspondants de l’irlandais : túaithe, génitif de túath « peuple » (ancien thème *teutā-), ainsi qu’au génitif sg. indo-iranien de thèmes en -ā- : skr. senāyāḥ, v.-p. haināyā (cf. Mélanges d’Arbois de Jubainville, 1906, p. 229 sq.). — Le génitif en -ay –այ est limité au cas des noms propres tels que Trdat Տրդատ, génit.-dat. Trdatay Տրդատայ et ne représente pas une forme ancienne des thèmes arméniens en -a-.

39. — Dans les thèmes en -o-, le datif singulier ancien en *-ōi (gr. ψ, lit. -ui) devait perdre sa finale ; le génitif en *-osyo (skr. -asya, hom. οιο) pouvait sans doute aboutir à arm. -oy –ոյ et par analogie des autres types, cette forme a pu aussi servir de datif ; ainsi k‘noy քնոյ, cf. skr. svápnasya (cf. homér. ὕποιο).

Le seul type de substantifs où l’ablatif singulier eût en indo-européen une forme distincte de celle du génitif était les thèmes en -o- ; la finale de cette forme casuelle, attestée par skr. -āt, v. lat. -ōd, gr. -ῶ (dans des adverbes) devait tomber purement et simplement en arménien ; et c’est k‘un qui répondrait à skr. svápnât, v. lat. somnōd. Au contraire il se trouve que, en arménien, l’ablatif a la même forme que le génitif-datif dans les thèmes en -o- : k‘noy քնոյ, et que, en revanche, il a une désinence propre –Է dans tous les autres types. Quelques thèmes en -u- conservent à l’ablatif l’u du thème en hiatus : zarduē զարդուէ. — Le -y qui figure dans k‘noy քնոյ et que renferme aussi le –Է de amē ամէ, srtē սրտէ, etc. (–Է étant *-ey) peut être issu de *-tes (ou *-tos), cf. le développement de -taḥ en sanskrit, ainsi mukha-táḥ « de la bouche », lat. -tus dans funditus, etc., gr. ἐντός ; mais on ne saurait rien affirmer à cet égard.

Le –ջ des locatifs singuliers, tels que tełwoj տեղւոջ, doit représenter l’ancienne forme d’un type adverbial comparable à celui du grec -οθι, dans -οὐρανόθι (B.S.L. XXXIII, 1932, p. 51).

40. — Il reste maintenant à examiner quelles sont les origines indo-européennes de chacun des types vocaliques.

Les thèmes en -o- –ո– représentent le type thématique indo-européen ; le thème peut être composé de la racine seule avec la voyelle thématique : gorc գործ « œuvre », instr. gorcov գործով, cf. gr. ϝέργον (et [ϝ]όργανον pour le vocalisme radical) ; ker կեր « nourriture », instr. kerov կերով (type gr. λόγος, φόρος, mais avec le vocalisme du verbe, cf. keray « j’ai mangé », les alternances vocaliques de l’indo-européen étant éliminées de l’arménien) ; hin հին « ancien », instr. hnov հնով, cf. skr. sánaḥ, lit. sēnas ; d’autres fois il y a un véritable suffixe indo-européen, ainsi *-yo- dans mēǰ մէջ « milieu », instr. miǰov միջով, cf. skr. mádhyaḥ, lat. medius ; *-no- dans mun մուն « mouche », instr. mnov մնով, cf., avec d’autres suffixes, lat. mus-ca, lit. mus-è (cf. gr. μυῖα), v. sl. muxa ; *-to- dans mard մարդ « homme », instr. mardov մարդով, cf. skr. mr̥táḥ « mort » ; *-ko- dans barwok‘ բարւոք « bon » ; *-ro- dans tur-k* տուր–ք, instr. trov-k տրով–ք « don », cf. gr. δῶρον, v. sl. darŭ ; et *-°ro- dans dalar դալար « vert, frais », instr. dalarov դալարով, cf. gr. θαλερός ; *-tro- dans arawr արաւր « charrue », instr. arawrov արաւրով, cf. lat. arātrum, etc. — En outre il semble que les anciens thèmes en *-es- du type skr. nábhaḥ « nuée », génit. nábhasaḥ, gr. νέφος, νέφεος, v. sl. nebo, nebese aient donné en arménien des thèmes en -o- : hot հոտ « odeur », instr. hotov հոտով rappelle lat. odor (ancien *odôs), gr. (εὐ-)ώδης « de bonne odeur » ; get գետ « fleuve », instr. getov գետով avec vocalisme radical e qui s’explique par i.-e. *wedes-, cf., avec un autre vocalisme, gr. ὑδεσ- dans le datif ὕδει d’Hésiode (avec ὑδ- d’après ὕδωρ, et le dérivé skr. út-s-aḥ « source ». — Avant la perte du genre, quelques thèmes en -o- admettaient le genre féminin en arménien comme en grec et en latin, car nu նու, « bru », instr. nuov նուով, est thème en -o-, comme gr. νυός ; le mot mun մուն « mouche », cité ci-dessus, est thème en -o-, alors que dans les autres langues, la « mouche » est du féminin.

Les thèmes arméniens en -a- représentent les thèmes indo-européens en -ā- : am ամ « année », instr. amaw ամաւ, a déjà été noté ; on peut citer encore skesur սկեսուր « mère du mari », instr. skesraw սկեսբաւ, cf. gr. ἑϰυρά, et lezu լեզու « langue », instr. lezuaw լեզուաւ, dont la finale rappelle celle des synonymes skr. jihvā́, lat. lingua. Dans les composés qui désignent des personnes, on retrouve un -a- qui répond au suffixe des thèmes masculins tels que v. sl. voje-voda « conducteur d’armée », lat. agri-cola, gr. ὀρνιθοθήρας, ainsi ən-ker ընկեր « compagnon » (littéralement « qui mange avec », cf. pour le sens fr. compagnon, got., gahlaiba, littéralement « qui a le même pain »), instr. ənkeraw րնկերաւ, le thème -kera- qui est ici n’est donc pas le même que celui de ker կեր « nourriture », instr. kerov կերով ; de même les noms en -awor -աւոր se fléchissent en -a-, ainsi t‘agawor թագաւոր « roi » (porte-couronne), instr. t‘agaworaw թագաւորաւ ; -wor ne répond donc pas à gr. -φόρο- de στεϕανηφόρος, mais repose sur *-bhorâ-. Les noms d’agents en -ič̣ –իչ sont aussi fléchis en -a-, par exemple datič̣ դատիչ « juge », instr. datč̣aw դատչաւ ; ils ne reposent donc pas sur un ancien suffixe complexe *-ik-yo- (cf. sl. kovačĭ « faber », kotoričĭ « batailleur », etc.), mais sur *-ik-yā- (avec i bref ou long).

Les noms arméniens terminés au nominatif-accusatif par -i –ի sont les uns thèmes en -o-, les autres thèmes en -a- ; les premiers reposent donc sur i.-e. *-iyo-, c’est le cas des noms indiquant les habitants de tel ou tel lieu, comme giwłac̣i գիւղացի « villageois », de giwł գիւղ « village », instr. giwłac̣wov գիւղացւով, le suffixe -ac̣i ացի repose donc sur *-a-sk-iyo- ; il s’est formé sur des noms en *-ā- et renferme deux suffixes secondaires. Les noms en -i- –ի qui sont thèmes en -a- reposent sur i.-e. *-iyā- ; c’est le cas par exemple des noms d’arbres comme kałni կաղնի « chêne », instr. kałneaw կաղնաւ, de kałin կաղին « gland », ou des dérivés comme matani մատանի « bague », instr. mataneaw մատանեաւ, de matn մատն « doigt ». Les nombreux adjectifs dérivés en -i –ի sont aussi de la flexion en -a-, ainsi -azgi ազդի « de race », instr. -azgeaw –ազգեաւ, de azg ազգ « race » ; plus anciennement ces adjectifs avaient peut-être, à la fois un masculin en *-iyo- et un féminin en *-iyā-, ainsi lat. patr-ius, patr-ia ; gr. πάτριος, πατρία ; skr. pítriyaḥ, pítriyā « paternel » ; de là vient peut-être que les mots en -i –ի fléchis en -a- –ա– présentent une combinaison de la flexion en -o- et de celle en -a-, gén.-abl. -azgwoy –ազգւոյ, mais instr. -azgeaw –ազգեաւ, et de même matanwoy մատանւոյ « de la bague », mais instr. mataneaw մատանեաւ ; etc.

41. — Les thèmes arméniens en -i- comprennent d’abord les anciens thèmes en *i- : իժ « serpent », instr. ižiw իժիւ (de *ēghi-), répond à skr. âhih, av. ažiš, gr. ὄφις ; le suffixe *-ti- est conservé par exemple dans awt‘ աւթ « lieu de repos », instr. awt‘iw աւթիւ en regard de aganim ագանիմ « je passe la nuit », cf. gr. ἰαύω αὖλις ; bard բարդ « amas », instr. bardiw բարդիւ, cf. skr. bhr̥tiḥ ; spand սպանդ « tuerie », instr. spandiw սպանդիւ, cf. spananel սպանանել « tuer » ; le suffixe *-ni- dans ban բան « parole », instr. baniw բանիւ, cf. dor. φᾱμι, att. φημι, φωνή, v. sl. basnĭ, etc. — En second lieu les thèmes armén. en -i- –ի– représentent dans certains cas des thèmes indo-européens de féminins en *-yâ- ou *-yē-, dont le nominatif était en *-ī, ou, plus simplement, des thèmes en *-ī- ; ainsi ayc այծ « chèvre », instr. ayciw այծիւ, ne répond pas à gr. αἰξ, αἰγός mais à un féminin *aig’ī- ; gort գորտ « grenouille », instr. gortiw գորտիւ rappelle lette warde, c’est-à-dire un thème baltique *wardyē-. — Enfin beaucoup d’adjectifs composés se fléchissent en -i-, comme angorc անգործ « inactif », instr. angorciw անգործիւ, de gorc գործ « œuvre », instr. gorcov գործով, anxrat անխրատ « indiscipliné ; insensé », instr. anxratiw անխրատիւ, de xrat « conseil, discipline », instr. xratu խրատու, etc. On comparera le type latin somnus, exsomnis (voir un essai d’explication M.S.L. XI, 390 et suiv.).

Les thèmes en *-u- représentent les thèmes indo-européens en -u- et en -ū- : ort‘ որթ « veau », instr. ort‘u որթու, cf. skr. pr̥thuka- ; avec suffixe *-tu- : zard զարգ « ornement », instr. zardu զարգու, cf. gr. ἀρτύς ; zgest զգեստ « vêtement », instr. zgestu uզգեստու, de la racine *wes-, cf. lat. ues-tis. Les mots terminés au nominatif par w ւ et v վ ont en grande partie passé à ce type, ainsi kov կով « vache », instr. kovu կովու, cf. gr. βοῦς, βο(ϝ)ός ; haw հաւ « oiseau », instr. hawu հաւու, cf. lat. auis. — Les anciens neutres en -u- ont au nominatif-accusatif une forme élargie par r, ainsi cunr ծունր « genou », cf. gr. γόνυ, et de même les adjectifs comme k‘ałc̣r քաղցր « doux » (v. § 49).

42. — On voit que les suffixes indo-européens ont perdu en arménien leur caractère ancien ; ce qui en indo-européen comprenait deux éléments distincts, racine et suffixe, n’est plus en arménien qu’un mot un : mard մարգ « homme » n’a plus une racine *mer-, *mr̥- et un suffixe *-to- ; il n’y a plus qu’un mot mard մարգ, et ainsi dans tous les cas. Seuls les suffixes dissyllabiques, comme *-iyo-, ont pu conserver leur individualité et subsister en tant que suffixes, dans le type -azgi –ազգի, matani մատանի, etc. (v. § 40) ; de même -in ին dans aṙaǰin առաջին « premier », instr. aṙaǰnov առաջնով, et les autres adjectifs en -in –ին, de *-īno-, cf. gr. ἀγχιστ-ῖνος « qui est tout près ». Par suite les suffixes arméniens ne représentent pas la plupart du temps des suffixes indo-européens, mais, comme ceux des autres langues à même date, des formes élargies de ceux-ci ; par exemple on a -oyt‘ -ոիթ de *-eu-ti- dans erewoyt‘ երեւոյթ « apparition », instr. erewut‘iw երեւութիւ à côté de erewel երեւել « paraître » ; cf. -ευ- dans gr. τελ-ευ-τή « fin » ; -awt’ –աւթ de *-au-ti dans aławt‘-k’ աղաւթ–ք « prière », gén.-dat.-abl. aławt’ic̣ աղաւթից, en face de ałač̣el գաչեչ « prier » ; -st –ստ de *-s-ti dans aruest արուեստ « art », instr. aruestiw արուեստիւ ou dans aṙ-agast առագաuտ « rideau », instr. aṙagastiw առագաuտիւ cf. aganel ագանել « se vêtir » ; et même certains suffixes sont issus d’un second terme de composé, ainsi -awor- աւոր de t‘agawor թագաւոր « roi » (de t‘ag թագ « couronne » ), meławor մեղաւոր « pécheur » (de meł-k’ մեղ–ք « péché »), erknawor երկնաւոր « céleste » (de erkin երկին « ciel » ), etc., dont le second membre est, comme on l’a vu § 28, un mot signifiant « qui porte », cf. gr. φόρος.

β) Types à liquides et à nasales.

43. – Les thèmes terminés par la nasale *-n sont conservés en grand nombre en arménien et ont même fourni des types qui ont servi à la formation d’un nombre illimité de mots nouveaux. Leur flexion est soumise dans l’ensemble aux règles générales de la déclinaison arménienne exposées au § 31 ; néanmoins ils ont gardé un aspect archaïque et présentent des restes des alternances vocaliques indo-européennes (cf. § 28).

La flexion de ces thèmes peut se ramener aux types suivants :

a. – Mots isolés comme anjn անձն « personne », mianjn միանձն « moine » (littéralement « qui est une personne seule » ).


Singulier :
Nom. acc. anjn անձն mianjn միանձն
Gén. dat. loc. anjin անձին mianjin միանձին
Abl. anjnē անձնէ mianjnë միանձնէ
Instr. anjamb անձամբ mianjamb միանձամբ
Pluriel :
Nom. anjink‘ անձինք mianjunk‘ միանձունք
Acc. loc. anjins անձինս mianjuns միանձունս
Gén. dat. abl. anjanc̣ անձանց mianjanc̣ միանձանց
Instr. anjambk‘ անձամբք mianjambk‘ միանձամբք

b. – Abstraits en -umn –ումն, comme šaržumn չարժումն « mouvement », ou en -ut‘iwn –ութիւն, comme gitut‘iwn գիտութիւն « science » (et aussi les autres mots en -iwn –իւն comme ariwn արիւն « sang ») ; quelques mots isolés comme duṙn դուռն « porte » (génit. sing. dran ղրան, nom. plur. drunk‘ դրունք) ; et les monosyllabes comme tun տուն « maison », šun չուն « chien », génit. tan տան, šan չան.


Singulier :
Nom. acc. šaržumn չարԺումն gitut‘iwn գիտուԹԻւն
Gén. dat. loc. šaržman չարԺմամ gitut‘ean գիտուԹեան
Abl. šaržmanē չարԺմամէ gitut‘enē գիտուԹենէ
Instr. šaržmamb չարԺմամբ gitut‘eamb գիտուԹեամբ
Pluriel :
Nom. šaržmunk‘ չարժմունք gitut‘iwnk‘ գիտուԹիւնք
Acc. loc. šaržmuns չարժմունս gitut‘iwns գիտուԹիւնս
Gén. dat. abl. šaržmanc̣ չարժմունց gitut‘eanc̣ գիտուԹեանց
Instr. šaržmambk‘ չարժմամբք gitut‘eambk‘ գիտուԹեամբք

44. — Le trait caractéristique de cette flexion, ce sont les alternances : -in-, -an-, -un- qui se présentent au complet dans le type mianįn : mianįin, mianįamb, mianįunk‘, et au nombre de deux dans les autres : anįn : anįin, anįamb et šaržumn : šaržman, šaržmunk‘ ; ces alternances remontent à l’indo-européen, et l’arménien est ici d’un archaïsme presque unique.

Devant les désinences commençant par consonne, l’indo-européen employait le vocalisme sans e dans la syllabe prédésinentielle ; l’instrumental pluriel des thèmes sanskrits en -n- présente donc une nasale voyelle, avec son traitement normal -a-, soit, à l’instrumental pluriel, -a-bhiḥ ; l’arménien a de même -am-b –ամ–բ sans exception dans tous les types. – Le traitement est le même au génitif-datif-ablatif pluriel -anc̣ –անց.

L’ablatif singulier est d’ordinaire tiré du génitif-datif-locatif par addition de –Է, mais il y a trace d’un vocalisme spécial sans e, représenté par arm. -an –ան, dans quelques mots comme įeṙn ձեռն « main », génit. įeṙin ձեռին, abl. įeṙanē ձեռանէ.

Au génitif-datif-locatif singulier on rencontre deux vocalismes : -in –ին et -an –ան ; l’un représente le type *-en-es, *-en-os de gr. ποιμέν-ος, ποιμέν-ι (poimen-os, poimen-i), v. sl. kamen-e, skr. bráhmaṇ-aḥ (« de la prière ») et brahmáṇ-aḥ « du brahmane » (génit. abl.), bráhmaṇ-e (dat.), bráhman-i (locatif) ; l’autre une ancienne forme à vocalisme prédésinentiel sans e, *-°n-es, cf. skr. vr̥ṣṇ-aḥ « du mâle », etc.

Le nominatif et l’accusatif pluriels avaient en indo-européen des vocalismes prédésinentiels différents ; mais les deux cas ne diffèrent en arménien que par les désinences, -k‘ –ք au nominatif, -s –ս à l’accusatif et au locatif ; le vocalisme qui a persisté est celui du nominatif. Le type -in-k‘ –ին–ք de anjink‘ անձինք « personnes » représente *-en-es, cf. gr. (ποιμ-)έν-ες ((poim)en-es) ; le type -un-k‘ –ուն–ք de mianjunk‘ միանձունք représente *-on-es, gr. ον-ες (on-es) ; l’opposition du simple anjink‘ անձինք et du composé mianjunk‘ միանձունք reproduit celle de gr. φρένες : ἄφρονες (phrenes : aphrones) ; mais l’arménien a conservé un état plus ancien que le grec en ceci que le grec a généralisé le vocalisme o à tous les cas de la déclinaison de ἄφρων (aphrôn) : génit. ἄφρονος (aphronos), dat. ἄφρονι (aphroni), tandis que l’arménien a conservé l’ancien vocalisme e au génitif-datif-locatif sing. mianjin միանձին ; cf. le contraste du nominatif lit. akmūo « pierre » et du génitif akmeñs ; du nominatif got. hairto « cœur » et du génitif hairtins. De même dans les anciens masculins et féminins, -un-k‘ –ուն–ք représente *-ones ou *-ōnes, ainsi dans harsunk‘ (Հարսունք « brus ». La désinence *-es du nominatif pluriel a laissé sa trace -e- –ե– quand un élément ajouté empêche la voyelle de se trouver en syllabe finale : amen-e-k‘-ean ամեն–ե–ք–եան « tous », cf. č̣or-e-k‘-tasan չորեքտասան « quatorze » et č̣orek‘hariwr չորեքհարիւր « 400 ». Dans les anciens neutres, *-un-k‘ –ուն–ք repose sur *ōnə ou *-ōnā, cf. got. hairt-ona « cœurs », skr. bráhmāṇi « prières ».

45. — Dans la mesure où il s’agit d’anciens neutres, l’identité du nominatif et de l’accusatif singuliers s’explique immédiatement : -mn de šaržumn չարժումն « mouvement » représente le nominatif-accusatif indo-européen en *-mn̥ (skr. -ma, gr. -μα (-ma) lat. -men). Pour les anciens masculins et féminins, la confusion du nominatif et de l’accusatif est analogique de celle des types vocaliques ; le nominatif avait une simple voyelle longue : skr. , lat. , lit. , ou une voyelle longue plus nasale : gr. -ην (ên) et -ων (-ôn) ; l’accusatif avait une syllabe de plus : skr. -ānam et -anam, gr. -ονα (-ona) et -ενα (-ena), lat. -inem, etc. – Dans un certain nombre de substantifs désignant des personnes et d’adjectifs, c’est le nominatif ancien, c’est-à-dire une forme sans trace de nasale (puisque *-ō et *-ōn aboutissaient également à zéro à la finale arménienne), qui a été généralisé ; c’est ce qu’on rencontre dans les mots en -ik –իկ et -uk –ուկ : ałǰik աղջիկ « jeune fille », gén. ałǰkan աղջկան, nom. plur. ałǰkunk‘ աղջկունք ; manuk մանուկ « enfant », gén. mankan մանկան, nom. plur. mankunk‘ մանկունք ; p’ok’rik փոքրիկ « petit », génit. p‘ok‘rkan փոքրկան ; peut-être aussi dans le mot isolé k‘ar քար « pierre », nom. plur. k‘arink‘ քարինք – Dans tous les autres mots, on trouve -n –ն, par exemple gaṙn գաղն « agneau » en face de gr. Ϝαρήν (Warên) : ce -n –ն n’est pas explicable directement ; il résulte en partie de l’influence des anciens neutres du type šaržumn չարժումն ; il y a eu en même temps contamination de *anj qui serait la forme de nominatif et de *anjinn qui serait la forme d’accusatif. On ne saurait rendre compte du détail, mais on entrevoit l’explication.

46. — Dans un grand nombre de mots, une flexion à nasale apparaît aux cas du singulier autres que le nominatif-accusatif sous la forme suivante : hangist հանգիստ « repos », génit. hangstean հանգստեան, p‘axust փախուստ « fuite », génit. p‘axstean փախտեան ; žołovurd ժողովուրդ « assemblée, peuple », génit. žołovrdean ժողովրդեան, tesil տեսիլ « vision », génit. teslean տեսլեան ; etc. Dès lors il est naturel de considérer le type en -ut‘iwn –ութիւն, génit. -ut‘eanութեան comme une forme élargie du type en -oyt‘ –ոյթ qu’on a dans erewoyt‘ երեւոյթ « apparition » ; et, comme ce dernier type appartient à la flexion en -i-, en réalité -t‘iwn –թիւն est ici *-ti- suivi d’un suffixe d’élargissement en -n-, c’est-à-dire qu’on doit rapprocher le type latin de mentiō, mentiōnis ; le -wn –ւն de -ut‘iwn –ութիւն, au nominatif, ne peut être qu’analogique ; à l’accusatif, un ancien -*iōnn̥ aurait abouti à -*wnn –ւնն.

D’une manière générale les thèmes arméniens en -n- représentent des thèmes indo-européens en -n- ; ainsi ełn եղն « cerf » répond à v. sl. jelen-. Le type en -mn de jermn ջերմն « fièvre », sermn սերմն « semence, descendance », répond à celui de skr. jánima « naissance » (génit. jánimanah), gr. πνεῦμα (pneuma) « souffle », etc. Le -u- de -umn –ումն dans le type šaržumn doit être phonétiquement le reste d’un ancien élargissement indo-européen (cf. § 21) et s’explique par la nécessité de donner plus de corps au suffixe ; Osthoff a essayé de déterminer le point de départ de cette addition dans les Sprachwissenschaftliche Abhandlungen de L. v. Patrubány, II, 62 et suiv.

47. — Les thèmes en -r –ր– et –ղ– sont moins nombreux et leur aspect est moins archaïque que celui des thèmes en -n-, en ce sens qu’on n’y trouve plus trace d’alternances vocaliques de la syllabe prédésinentielle. Les paradigmes sont :

Singulier :
Nom. acc. oskr ոսկր « os » astł աստղ « astre »
Gén. dat. loc. osker ոսկեր asteł աստեղ
Abl. oskerē ոսկերէ astełē աստեղէ
Instr. oskerb ոսկերբ astełb աստեղբ

Pluriel :
Nom. oskerk’ ոսկերք astełk’ աստեղք
Acc. loc. oskers ոսկերս astełs աստերս
Gén. dat. loc. oskeraç ոսկերաց astełaç աստերաց
Instr. oskerawk’ ոսկերաւք asteławk’ աստերաւք

Le vocalisme e de la syllabe prédésinentielle a été généralisé ; astełk‘ աստեղք répond à gr. ἀστέρες (asteres) (sauf la différence de r et ł) ; dsterk‘ դստերք (nom. plur. de dustr դուստր « fille ») à gr. θυγάτερες (thugateres) etc. – L’extension de -a –ա– du type vocalique en -a- ne s’est pas produite dans tous les mots : le génitif-datif-ablatif pluriel de hamr համր « muet » et de tarr տարր « élément » est hamerç համերտց, tarerç տարերց. Mais le -a du type oskeraç ոսկերաց, astełaç աստերաց remonte probablement à une formation de collectifs (cf. B.S.L. XXXIII, p. VII).

48. — Trois thèmes en -r- –ր–, tous trois termes de parenté, ont conservé un aspect plus archaïque et, par suite, anomal : hayr հայր « père », cf. gr. πατήρ (patêr), mayr մայր « mère », cf. gr. μήτηρ (mêtêr), ełbayr հղբայր « frère », cf. gr. φράτηρ (fratêr). Ils se fléchissent ainsi :

Singulier :
Nom. acc. hayr հայր cf. πατήρ (patêr) ; ancien nominatif généralisé comme dans les mots en -k –կ, v. § 45.
Gén. dat. loc. hawr cf. gr. πατρός, πατρί (patros, patri), skr. (datif) pitrê.
Abl. hawrē հաւրէ dérivé de la forme précédente.
Instr. harb հարբ la forme radicale har- հար– fait phonétiquement difficulté.
Pluriel :
Nom. hark‘ հարք
Acc. loc. hars հարս repose peut-être phonétiquement sur *pətr̥ns.
Gén. dat. loc. harç հարց
Instr. harbk‘ հարբք

49. — Les thèmes en -u- indo-européens étaient sujets à être élargis par *-en- et *-er-, de là des thèmes alternants en *-wen- et *-wer- dont le plus remarquable est skr. pívan- (masculin), féminin pívarī, gr.πιών (piôn), neutre πῖαρ (piar), féminin πίειρα (pieira). De là vient que les adjectifs arméniens thèmes en -u- tels que p’ok‘r փոքր « petit » ont une flexion compliquée dont le nominatif singulier en -r- –ր repose sans doute sur une ancienne finale de neutre en *-ur et dont le pluriel a le suffixe -n- ; ce qui montre que -ur- est une finale de neutre, c’est que le mot erēç երէց « ancien, prêtre », qui ne peut représenter qu’un masculin, a l’élargissement -n-, mais non pas le nominatif en -r ; ainsi :


Singulier :
Nom. acc. p‘ok‘r փոքր erēç աստղ
Gén. dat. loc. p‘ok‘u փոքու eriçu աստեղ
Abl. p‘ok‘uē փոքուիէ eriçuē աստեղէ
Instr. p‘ok‘u փոքու eriçu աստեղբ

Pluriel :
Nom. p‘ok‘unk‘ փոքունք eriçunk‘ երիցունք
Acc. loc. p‘ok‘uns փոքունս eriçuns երիցունս
Gén. dat. loc. p‘ok‘unç փոքունց eriçanç երիցանց
Instr. p‘ok‘umbk‘ փոքումբք eriçambk’ երիցամբք

Les thèmes neutres qui étaient en indo-européen des thèmes en -u- comme celui du nom du « genou » (skr. jânu, duel jânunī ; gr.γόνυ, γόν(ϝ)ατος (gonu, gon(w)atos)) n’ont pas en arménien -n-, mais ils ont au nominatif-accusatif -r –ր : cunr ծունր « genou » ; de même mełr մեղր « miel », génit. mełu մեղու, asr ասր « toison », génit. asu ասու, etc. Plusieurs de ces mots ne sont plus fléchis en arménien ; c’est le cas de cunr ծունր « genou », de artawsr արտաւսր « larme », cf. gr. δάϰρυ (dakru).

Par ailleurs la flexion en -r- -n- de skr. yákr̥t, yaknáḥ, gr. ἧπαρ, ἥπατος (hêpar, hêpatos), lat. iecur, iecinoris ne s’est pas conservée en arménien ; mais il en subsiste une trace dans l’opposition de hur հուր « feu », cf. gr. πῦρ (pur), v. h. a. fiur et du dérivé hnoc̣ հնոց « four », cf. got. fon, génit. funins « feu ».

γ) Mots anomaux.

50. — En arménien, comme dans les autres langues, les mots anomaux sont en grande partie des restes isolés de types autrefois réguliers.

Le nominatif-accusatif singulier k‘oyr քոյր « sœur » est l’ancien nominatif *swesôr (v. § 15) ; le génitif-datif-locatif k‘eṙ քեռ représente *swesros, *swesrei, *swesri (v. § 20) ; l’instrumental k‘erb քերբ a été refait sur le génitif, car *swesṛbhi aurait sans doute abouti à *k‘arb, et l’on expliquera de même le génitif-datif-ablatif pluriel k‘erc̣ քերց ; le nominatif pluriel k‘or-k‘ քորք repose sur i.-e. *swesores.

De ayr այր « homme » il faut rapprocher gr. ἀνήρ (anêr) ; ayr այր serait l’ancien nominatif à identifier à gr. ἀνήρ (anêr) ; le génitif-datif-locatif aṙn առն répond à ἀνδρός, ἀνδρί (andros, andri) et représente une transposition de nr en rn, d’où ṙn ռն ; l’instrumental aramb արամբ serait fait sur aṙn առն ; l’accusatif pluriel ars արս peut s’expliquer par *anr̥ns, cf. ἄνδρας (andras), et de là le nom. plur. ark‘ արք. – On a vu § 19 que tēr տէր est composé de ti- (ancien *tē-) et ayr ; ceci posé, la flexion de tēr տէր « seigneur », gén. teaṙn տեառն s’explique d’elle-même.

Sur la flexion de awr աւր « jour », gén. dat. abl. awur աւուր (d’où abl. awrē աւրէ ancien *awurē), v. § 25.

51. — Les mots otn ոտն « pied » et jeṙn ձեռն « main », thèmes en -n- au singulier, font au pluriel, l’un otk‘ ոտք, otic̣ ոտից, l’autre jeṙk‘ ձեռք, jeṙac̣ ձեռաց ; c’est que ce ne sont pas d’anciens thèmes en -n- la nasale du singulier provient de ce que la forme de nominatif-accusatif singulier repose sur l’ancien accusatif, étant donné que l’arménien ne distingue pas le nominatif de l’accusatif au singulier. Ici c’est la forme de l’accusatif qui a été généralisée : otn ոտն répond à gr. πόδα (poda), jeṙn ձեռն à gr. χεῖρα (cheira) ; sur le nom.-accusatif il a été fait une flexion du singulier en -n- ; mais le pluriel n’a pas suivi ; otk‘ ոտք répond à gr. πόδες (podes). De même, si duṙn դուռն « porte » est thème en -n-, c’est que duṙn դուռն repose sur un ancien accusatif *dhurn̥ ; mais ici le pluriel même a passé à la flexion en -n-, et les formes sans -n- ne sont conservées que partiellement ; toutefois l’adverbe durs դուրս « dehors » employé comme lat. forās, révèle l’ancienne forme, et d’ailleurs l’accusatif pluriel durs դուրս, le génitif-datif-ablatif drac̣ դրաց, l’instrumental drawk‘ դրաւք subsistent à côté de drunk‘ դրունք, dranc̣ դրանց. Dans plusieurs langues, le nom de la « porte » est un « plurale tantum » : lat. forēs, v. sl. dvĭri, etc. – Plusieurs autres thèmes en -n- s’expliquent sans doute comme otn ոտն, jeṙn ձեռն et duṙn' դուռն, mais ils n’ont pas conservé l’ancien pluriel sans -n-.

Il est possible que la nasale de akn ակն « œil » soit aussi celle d’un ancien accusatif singulier. Le pluriel ač̣k‘ աչք « yeux » génit. ač̣ac̣ աչաց, du même mot représente un ancien duel, cf. homér. ὄσσε (osse), v. sl. oši, lit. akì (v. § 23), auquel a été ajoutée la caractéristique du pluriel arménien -k‘ –ք. — Le mot unkn ունկն « oreille », évidemment inséparable de av. uši « les deux oreilles », gr. οὖς (ous), etc. mais de formation obscure, suit le modèle de akn ակն ; pluriel akanǰk, ականջք « oreilles » avec ǰ ջ après n, c’est-à-dire la sonore attendue après n en regard de č̣ չ (v. § 15). Il n’est pas impossible que cungk‘ ծունգք « genoux » à côté de cunr ծունր « genou » repose sur un duel *g´onwī, qui aurait aussi passé en arménien à la flexion du pluriel ; g գ représenterait alors w après n.

52. — Le caractère anomal de la flexion du nom de la « femme » en indo-européen a persisté en arménien ; l’alternance vocalique de *gwen- : gwon-, gwn-, attestée par l’irlandais : nom. ben « femme », génit. mnâ, et le contraste entre un thème simple et un thème élargi, attesté par gr. γυνή, γυναῖϰες (gunê, gunaikes), subsistent dans arm. nom.-acc. sing. kin կին « femme », cf. v. pruss. genna, v. sl. žena, et nom. plur. kanayk‘ կանայք, cf. gr. γυναῖϰες (gunaikes). L’instrumental kanamb կանամբ et le gén.-dat.-abl. pluriel kananc̣ կանանց rappellent les formes correspondantes de ayr այր « homme » : aramb արամբ, aranc̣ արանց, et en sont analogiques. Il reste le génitif-datif-locatif singulier knôǰ կնոջ, qui doit probablement son o et son ǰ à l’influence des thèmes en -o- (cf. § 39 fin).

L’explication du génit. tuənǰean տուըջեան de tiw տիւ « jour » est inconnue, comme aussi celle de l’espèce de locatif i tuē ի տուէ « le jour ». – Et l’on ne connaît même pas l’étymologie de giwł գիուղ « village », gén.-dat. gełǰ գեղջ, loc. giwl զիւղ ։

δ) Sort ultérieur de la déclinaison arménienne.

53. — Bien que résultant déjà d’innovations analogiques étendues et systématiques, le système de la déclinaison de l’arménien ancien n’était pas encore parvenu à un état d’équilibre durable.

Le singulier et le pluriel n’étaient pas parallèles, l’un distinguant là où l’autre confondait, et inversement ; par exemple le singulier confondait le nominatif et l’accusatif, et le pluriel les distinguait. Le -k’ –ք du pluriel provoquait des groupes de consonnes étranges et compliqués. Toutes les difficultés ont été levées par la substitution de collectifs aux anciens pluriels ; l’ancien arménien avait déjà quelques cas de ce fait : orear րեար « les gens », gén. oreroy որերոյ ; mardik մարղիկ « les hommes », gén. mardkan մարգկան, servant ordinairement de pluriel à mard մարգ « homme » ; mankti մանկտի « enfants » de manuk մանուկ « enfant » ; awagani աւագանի « grands » de awag աւագ « grand » ; xozean խոզեան « porcs » de xoz խոզ « porc » ; toutefois, en arménien classique, la valeur collective subsiste nettement et c’est erkuc̣ mardoc̣ երկուց մարդոց qui traduit δύο ἀνθρώπων (duo anthrôpôn) Jean VIII, 17. Le type en -ear –եար de orear որեար et celui en -ani –անի de awagani աւագանի sont devenus réguliers l’un dans les monosyllabes, l’autre dans les polysyllabes. C’est par là que la flexion du pluriel est devenue la même que celle du singulier, en arménien moderne comme dans les langues caucasiennes du sud, coïncidence frappante.

D’autre part, les divers types de déclinaisons ont des formes communes ; le nominatif-accusatif en particulier n’a une forme caractéristique dans aucun type ; au singulier, un thème en -i- et un thème en -a- ne se distinguent qu’à l’instrumental, tous les autres cas ayant même finale. Des confusions étaient donc faciles et on en rencontre dès l’ancien arménien : zawr զաւր « force », thème en -u- au génitif singulier zawru զաւրու, est thème en -a- au génitif pluriel zawrac̣ գաւրաց. Il en résulte que, au cours du développement de l’arménien, les divers types ont tendu à se réduire à un seul.

La déclinaison, telle qu’elle apparaît en arménien ancien, est donc dans une période de transition.

B. DÉCLINAISON DES DÉMONSTRATIFS, INTERROGATIFS, ETC.

54. — Les démonstratifs, interrogatifs, indéfinis, etc. avaient en indo-européen une déclinaison dont la plupart des cas avaient des formes propres ; l’arménien a conservé cette particularité dans une certaine mesure. La flexion de no-yn նո–յն « ce même » (où no- est l’élément fléchi et -yn une particule invariable) et celle de ov ով « qui » illustreront le fait si on les rapproche de celle du substantif thème en -o- get գետ (v. § 31) ; seul, l’ancien masculin en *-o- est représenté ; le féminin en *-ā- des mêmes thèmes n’existe pas :

Singulier :
Nom. acc. no-yn նո–յն ov ով
Gén. nor-in նոր–ին oyr ոյր
Dat. loc. nm-in նմ–ին (de *num֊in) um ում
Abl.
»
umē ումէ
Abl. Instr. nov-in նով–ին
»
Pluriel :
Nom. nok‘-in նոք–ին oyk‘ ոյք
Acc. loc. nos-in նոս-ին oys ոյս
Gén. dat. abl. noc̣-in նոց֊ին oyc̣ ոյց

55. — Le datif et le locatif qui ont des formes distinctes dans les substantifs thèmes en -o- ont au contraire ici une même forme, qui répond au datif attesté par skr. tásmai « à celui-ci », v. pruss. stesmu, cf. got. Ϸamma, et au locatif attesté par skr. tásmin, v. sl. tomĭ. La même forme a sans doute aussi servi d’ablatif, car les démonstratifs du type de ayn այն ont encore, quand ils précèdent le substantif et qu’ils ne sont par suite pas accentués, un ablatif tel que aynm այնմ ; ainsi yaynm kolmanē յայնմ Կողմանէ « de ce côté-là » ; la formation est alors comparable à l’ablatif skr. tásmāt (ce qui ne veut pas dire qu’elle soit indo-européenne) ; d’ordinaire la caractéristique -ē –Է de l’ablatif est ajoutée, ainsi dans umē ումէ « de qui ».

La caractéristique -r –ր du génitif nor-in նոր-ին, oyr ոյր n’est pas d’origine aussi claire que -m du datif-locatif ; le sanskrit a le démonstratif tásya « de celui-ci », comme le substantif mártasya « du mortel », la langue homérique a τοῖο (toio) comme βροτοῖο (brotoio) ; mais, de même que le latin et le slave, l’arménien s’est constitué un génitif propre au type des démonstratifs ; les innovations de ce genre, étant limitées à une seule langue, ne sauraient être expliquées que d’une manière hypothétique ; arm. nor- et oyr sont obscurs comme lat. istius et v. sl. togo. Étant donné qu’il y a eu en indo-européen des flottements entre *r et , dont donne une idée le flottement entre astł աստղ en face de gr. ἀστήρ (astêr) (voir § 47), on doit rapprocher de l’r ր du génitif du démonstratif arménien le l du hittite : kēl « de celui-ci », kuēl « de qui ? ». Ainsi le r ր de nor-in Նոր–ին, nor-a նոր–ա s’expliquerait directement. Quant à {{lang|hy-Latn|oyr ոյր de l’interrogatif le oy rappelle l’ancien *-osyo attesté par skr. kásya. Le ē է de ēr էր « de quoi » rappelle gâthique čahyā et v. sl. ceso « de quoi ». Il y aurait donc eu contamination de l’ancien type à désinence -syo- et de la forme caractérisée par -r –ր. Il reste à rendre compte du con traste de oyr ոյր, oyk‘ ոյք, etc. et de nor-in նոր-ին, nok‘-in Նոք–ին, etc. ; la diphtongue finale *-oi du nominatif pluriel (homér. τοί (toi) « ceux-ci ») devait donner arm. -o, de même que *-ai final a donné -a –ա (v. § 26) ; donc no-k‘-(in) նո-ք-ին est la forme attendue au nominatif pluriel ; le -k‘ –ք n’empêche pas le traitement de la finale (v. § 34) ; au contraire *-osyo devait donner -oy -ոյ ; -o- –n– aurait été généralisé dans les démonstratifs et -oy- –ոյ dans l’interrogatif. La prédominance du génitif singulier dans l’interrogatif tient à ce que le singulier ov ով est plus usuel que le pluriel et à ce que l’indéfini o-k‘ ո-ք « quelqu’un » (cf. skr. káç ca) a seulement le singulier.

56. — La flexion qui vient d’être décrite se retrouve seulement dans deux groupes : 1° les démonstratifs ; 2° les interrogatifs et indéfinis.


1. Démonstratifs.

Les démonstratifs forment trois séries parallèles, caractérisées par les consonnes radicales, s ս pour l’objet rapproché (notamment de la personne qui parle) ; d գ pour un objet moins proche (rapproché par exemple de la personne à qui l’on parle) ; ո ն pour l’objet éloigné. L’élément s ս est identique au radical du démonstratif indiquant l’objet rapproché dans la plupart des autres langues : v. sl. , lit. šis, alb. si-, got. hi-, lat. cis, citrā, phrygien σεμουν (semoun) et hittite kas « celui-ci » ; arm. aysawr այսաւր « aujourd’hui » répond à v. sl. dĭnĭ sĭ, lit. señdĕn, got. himma daga, gr. σήμερον (sêmeron) (de *kyâmeron). L’élément ն est le même que dans v. sl. onŭ, lit. ans « celui-là », got. jains, etc. Enfin d դ a été rapproché ci-dessus (§ 11) du thème skr. tá-, gr. το.

De chaque série on a : 1° un « article » : s ս, d ղ, n ն, particule invariable, qui sert à déterminer un mot, un groupe de mots ou une phrase et se postpose : mard-s մարղ–ս « l’homme-(ci) ». — 2° un démonstratif proprement dit : ays այս, ayd այդ, ayn այն. — 3° un anaphorique : sa սա, da ղա, na նա, composé d’un élément fléchi so-, do-, no-, suivi d’une particule -a, ancien *-ai (v. § 26) ; le nominatif sa սա est *so-ay, gén. sor-a սոր–ա, dat. sm-a սմ-ա. — 4° un adjectif et pronom marquant identité soyn սոյն, doyn դոյն, noyn նոյն, composé du même élément fléchique le précédent et d’une particule -in, sans doute identique au -ὶν (in) de gr. οὑστος-ὶν. — 5° des adverbes de lieu, pour les trois questions ubi, quo et unde (sur aydr այղր ayti այտի, cf. R.E.A. I, 34), chacun accompagné d’une forme à particule -in –ին marquant identité.

ubi : ast աստ « hic »   aydr այդր « istic »   and անդ « illic »
quo : aysr այսր « huc »   aydr այդր « istuc »   andr անդր « illuc »
unde : asti աստի « hinc »   ayti այտի « istinc »   anti անտի « illinc »

L’opposition du t de ast աստ « hic » et du d de and անդ « illic » montre qu’il s’agit d’un *-t- indo-européen ; au contraire asti աստի « hinc » et anti անտի « illinc » ont un ancien *d ; le -r –ր de aysr այսր « huc », etc., rappelle celui de ur ուր « où » (ubi et quo), cf. lit. kuř. Les formes à addition d’enclitiques comme ure-k‘ ուրեք « quelque part », astēn աստէն « ici même » (de *aste-yn), andrēn անգրէն « là même » (de *andre-yn), etc. indiquent que la voyelle finale qui est tombée dans ces adverbes est un e, cf. v. sl. kŭde « où ». Il faut citer aussi astust աստուստ « d’ici », et andust անդուսա « de là », cf. usti ուստի « d’où ». – 6° Des mots signifiant « voici, voilà » : awasik աւասիկ, awadik աւադիկ, awanik աւանիկ.

Les démonstratifs ays այս, ayd այդ, ayn այն ont, aux cas autres que le nominatif-accusatif singulier, deux formes, l’une brève employée quand ils précèdent le substantif, l’autre longue quand ils suivent le substantif qui est alors muni de l’article : aysm lerin այսմ լերին « à cette montagne » ou lerin-s aysmik լերինս այսմիկ « à cette montagne-ci ». La forme longue est caractérisée par l’élément -ik –իկ qui maintient la voyelle précédente ; dans la forme brève la voyelle tombe phonétiquement ; soit le génitif *aynor : forme brève aynr այնր, forme longue aynorik այնորիկ.

2. Interrogatifs et indéfinis.

57. — Les interrogatifs sont, pour les personnes : ov ով « qui », cf. skr. káh, v. sl. kŭ-to, pour les choses : i- « quoi », cf. gr. τί (ti), v. sl. čĭ-to, lat. quid ; le v final du nominatif-accusatif ov ով n’a pas de valeur étymologique : c’est sans doute le traitement phonétique de *-os et *-on à la finale d’un monosyllabe ; le nominatif-accusatif *i est inusité ; on ne trouve que z-i զ–ի ou *inč̣ ինչ. La flexion du singulier est donc :


Nom. acc.   ov ով   z-i ղի (et z-inč̣ զ-ինչ)
Gén.   oyr ոյր   er եր
Dat. loc.   um ում   him հիմ, im իմ.
Abl.   umè ումե   imē իմե (et z-mē զ-մե)
Instr.   (remplacé par orov որով)   iw իւ.

Dans l’adjectif interrogatif or որ, qui sert aussi de relatif, à en juger par les formes d’autres langues telles que v. sl. kotorŭ, koterŭ, il doit y avoir trace du suffixe indo-européen indiquant opposition de deux notions. La forme du suffixe ne serait pas la forme complète en -*iero-, mais la forme simple en -*ro-, -*ero-, qui apparaît dans got. hwarjis « lequel » ; le même suffixe se retrouve dans gr. ἔνεροι (eneroi), inferi, et dans arm. ner- de ner-k‘in ներ–քին « inférieur » et dans les adjectifs possessifs arméniens mer մեր « notre », jer ձեր « votre ». Le or որ arménien peut reposer sur *kwo-ro (Voir Revue des Études arméniennes, « Sur l’étymologie de or որ », t. V, p. 183-184 ; « À propos de l’interrogatif et adjectif or որ », t. VII, p. 1-3.)

Les indéfinis (employés dans les propositions négatives et conditionnelles) s’obtiennent par addition de la particule -k‘ –ք, ancien *-khe, correspondant à skr. ca, lat. que, gr. τε (te) la flexion présente quelques complications :


Nom. acc.   ok‘ ոք   *ik‘ *իք (dans č̣ik‘ չիք, « rien »)
Gén.   uruk‘ ուրուք   irik‘ իրիք
Dat. loc.   umek‘ ումեք   imik‘ իմիք
Abl.   umek‘ē ումեքէ   imek‘ē իմեքէ
Instr.   »   iwik‘ իւիք

Un autre indéfini, omn ոմն « quelqu’un » (employé dans les propositions positives), n’avait rien à faire originairement avec les mots précédents ; il est identique, pour la forme, à got. sama « le même » (cf. gr. ὁμός (homos)) et, pour le sens, à got. sums « quelqu’un », gr. (οὐδ-)αμός ((oud-)amos) « personne » ; mais l’action de ov ով, ok‘ ոք a maintenu au nominatif l’o qui devait devenir u devant m et changé toute la flexion, d’où, au singulier : nom. acc. omn ոմն, gén. urumn ուրումն, dat. umemn ումեմն, mais instrumental omamb ոմամբ, et plur. nom. omank‘ ոմանք, etc.

Emploi de la désinence -um –ում de datif-locatif singulier.

58. — La désinence -um –ում de datif-locatif singulier se rencontre en outre dans beaucoup d’adjectifs qui se fléchissent aux autres cas suivant le modèle de get գետ, instr. getov գետով ; ces mots ont l’ablatif correspondant en -mē –մէ :

le relatif, qui sert aussi d’adjectif interrogatif, or որ « qui, lequel », gén. oroy որոյ, dat. loc. orum որում, abl. orme որմէ ;

les adjectifs possessifs : im իմ « mien », gén. imoy իմոյ, dat. loc. imum իմում ; et de même : k‘o քո « tien », mer մեր « notre », jer ձեր « votre » ;

les mots signifiant « autre » : ayl այլ (aył այղ des vieux manuscrits), cf. cypr. αἶλος (ailos) et miws միւս (combinaison arménienne de mi-ews « un encore » ; dat. loc. aylum այլում, miwsum միւսում ; le grec a de même le neutre ἄλλο (allo) ; le sanskrit fléchit ânyaḥ « autre », dat. anyásmai, loc. anyásmin ; le latin alius, génit. alius, etc. ;

le mot signifiant « un », mi մի, génit. mioy միոյ, dat. loc., locatif}} mium միում ; mais il y a une autre forme concurrente très anomale pour le génitif, mioǰ միոջ, et c’est de là qu’est tiré l’ablatif mioǰe միոջե ; cette finale -oǰ –ոջ est la même qu’au locatif tełwoǰ տեռւոջ (cf. § 31, observ. 6 ; et § 39) et au génitif-datif-locatif knoǰ կնոջ (v. § 52). Pour la flexion de démonstratif, cf. lat. ūnus, ūnius, skr. ékaḥ, loc. ékasmin, etc. ;

les adjectifs en -inին, comme aṙaǰin աոաջին « premier », locatif aṙaǰnum առաջնում, cf. le datif skr. púrvasmai « pour le premier » ; et de là d’autres ordinaux qui ne sont pas thèmes en -o-, ainsi erkrordum երկրորդում « second » (au locatif). Au contraire աջ « droit », gén. aǰoy աջոյ, dat. loc. aǰum աջւմ, abl. aǰmë աջմէ, n’a pas agi sur aheak ահեակ « gauche », qui n’est pas thème en -o-.

En arménien classique, la désinence -um –ում n’a pas franchi ces limites ; néanmoins on trouve déjà chez un écrivain aussi pur qu’Eznik : i hnumn ew i norums ի հնւմն եւ ի նորումս « dans l’ancien et le nouveau (Testament) ».

La désinence -um –ում s’est étendue ensuite en fonction de locatif ; elle fournit des locatifs à des substantifs quelconques dans le langage spécial des traductions philosophiques, et aujourd’hui dans les dialectes orientaux.

C. PRONOMS PERSONNELS.

59.Flexion.


1re pers. sing. 2me pers. sing. 1re pers. plur. 2me pers. plur.
Nom. es ես du դու mek‘ մեք duk‘ գուք'
Gén. im իմ k‘o քո mer մեր jer ձեր
Acc. loc. is իս k’ez քեզ mez մեզ jez ձեզ
Dat. inj ինձ k’ez քեզ mez մեզ jez ձեզ
Abl. inēn ինէն k‘ēn քէն mēnǰ մէնջ jēnǰ ձէնջ
Instr. inew ինեւ k‘ew քեւ mewk‘ մեւք jewk‘ ձեւք

L’interprétation des formes de pronoms personnels est difficile dans toutes les langues indo-européennes parce que ces pronoms n’avaient pas, à proprement parler, de formes casuelles en indo-européen.

Le nominatif a conservé son indépendance vis-à-vis des autres cas ; es ես a été expliqué § 26 et du դու § 11 ; mek‘ մեք « nous » rappelle lit. mēs (et v. sl. my) ; duk‘ դուք « vous » est sans doute un arrangement de la forme (*ǰuk‘ ?) correspondant à lit. jũs, got. jus, av. yūš, d’après le singulier du դու.

Les thèmes des autres cas sont : im իմ, cf. gr. ἐμέ, ἐμοῦ (eme, emou) (n intérieure de inēn ինէն, inew ինեւ est due à l’influence de *ins, d’où is իս, et de inj ինձ) ; k’e- քե– cf. gr. σέ (se) de *τϝέ ; me- մե– et je- ձե–, ces deux derniers assez obscurs ; le nominatif mek‘ մեք « nous » est sans doute pour beaucoup dans la fixation de me- մե– ; quant à je- ձե–, on sait que le pronom de 2me personne du pluriel a des formes divergentes dans les diverses langues.

Le -r –ր du génitif mer մեր « de nous » et jer ձեր « de vous » est l’ancien suffixe indiquant opposition de deux comme dans le latin nostrum, uestrum, cf. got. unsar, izwar (voir § 57) ; il se retrouve dans le réfléchi iwr իւր, qui repose sur *sewe-ro- ou *sewo-ro ; cf. les accusatifs lit. savę, homér. έ(ϝ)έ.

La distinction de l’accusatif-locatif is իս « moi » et du datif inj ինձ « à moi » montre que la confusion de l’accusatif-locatif et du datif dans les autres pronoms est secondaire. Le j ձ de inj ինձ répond au h de skr. máhyam « à moi » et de même à h de lat. mihī, ombrien mehe ; il a passé de là aux autres pronoms en devenant z entre voyelles. Le -s –u de is իս peut représenter un plus ancien c, comme celui du nominatif es ես et alors on y verrait le correspondant du i.-e. *g’e de got. mik, gr. ἐμέ-γε ; la nasale de l’ancien accusatif *ins répondant à gr. ἐμέ est tombée devant s. Dans les autres pronoms, l’accusatif-locatif *k‘es, etc. et le datif k‘ez, etc. ont été identifiés l’un à l’autre.

D. EMPLOI DES FORMES NOMINALES.
a) Genre.

60. — L’arménien, conservant une distinction de thèmes en -o- et en -a-, aurait pu opposer les genres masculin et féminin ; néanmoins il n’a pas trace d’une distinction de ces deux genres ; il est remarquable que l’iranien de Perse ait éliminé la notion de genre grammatical, notion qui ne se retrouve pas non plus dans les inscriptions achéménides élamites, ni dans les langues caucasiennes du sud.

b) Nombre.

61. — Le duel a disparu, comme il avait disparu à la même date ou était en voie de disparition dans toutes les langues indo-européennes autres que le baltique, le slave et le celtique.

L’emploi du singulier et du pluriel est le même que dans les autres langues. Le pluriel indiquait souvent en indo-européen un objet unique composé de plusieurs parties, et l’arménien a conservé cet emploi : le pluriel eresk‘ երեսք « visage » désigne un objet unique de même que homér. πρόσωπα ; aławt‘k‘ աղաւթք « prière » est synonyme de lat. precēs ; etc. Mais le sens l’a emporté d’autres fois et un singulier a été créé ; ainsi l’arménien a le singulier duṙn գուռն « porte » en regard des pluriels lat. forēs, v. h. a. turi, lit. dùrys, etc.

c) Cas.

62. — Sauf le vocatif qui n’a plus d’existence propre, tous les cas indo-européens sont demeurés distincts les uns des autres en arménien. Souvent deux cas n’ont qu’une forme commune dans certaines flexions, mais ils ont ailleurs des formes différentes ; et c’est assez pour maintenir la distinction. Ainsi le locatif est un cas à part, bien qu’il soit presque toujours identique à une forme d’un autre cas, d’abord parce qu’il a une forme propre dans le type i tełwoǰ ի տեղւոջ « dans le lieu » (et dans des mots isolés, surtout y-amsean յամսեան « dans le mois » en regard du génitif-datif amsoy ամսոյ de amis ամիս « mois »), et ensuite parce qu’il ne se confond pas toujours avec le même cas, mais qu’il est identique tantôt à l’accusatif et tantôt au datif. — Le maintien de la déclinaison en arménien coïncide avec la présence d’une déclinaison très riche dans les langues caucasiennes du sud.

Les cas à sens local net sont toujours accompagnés de prépositions, comme ils tendent aussi à l’être dans les autres langues.

Les emplois indo-européens des cas se sont maintenus en général.

63. — Le nominatif est resté le cas du sujet et du prédicat qui se rapporte au sujet.

L’accusatif sert à déterminer un verbe : Luc I, 13 cnc̣i k‘ez ordi ծնցի քեզ որդի γεννήσει υιόν σοι (gennêsei uion soi), et, avec double accusatif : Luc VI, 9 harc̣ic̣ inč̣ zk‘ez հարցից ինչ զքեզ (rogabo te aliquid), ou avec prédicat : Mt. XV, 32 arjakel zdosa nawfis ա րձա կե լոո ոաաաաա նաւթիս Ա7ՀՕնւ) ἀπολῦσαι αὐτοὺς νήστεις (apolusai autous nêsteis). Il indique aussi la durée : Luc I, 56 ekac̣ amiss eris եկաց ամիսս երիս ἔμεινεν …μῆνας τρεῖς (emeinen …mênas treis). Avec les prépositions i ի « dans », aṙ առ « près », ənd ընդ « à travers » (sur les emplois de cette préposition cf. Finck, K. Z. XXXIX, p. 501-538), ց « vers », il marque le lieu vers lequel est dirigée l’action, ainsi Luc I, 23 gnaç i tun iwr գնաց ի տուն իւր ἀπῆλθεν εἰς τὸν οἶϰον αὐτοῦ (apêlthen eis ton oikon autou). L’arménien reproduit ici le même état que les autres langues de la famille. — Le nominatif-accusatif anun անուն, dans les exemples tels que Luc I, 5 k’ahanay omn anun Zak‘aria քահանայ ոմն անուն Զաքարիա ἱερεύς τις ὀνόματι Ζαχαρίας (hiereus tis onomati Zacharias) répond au nominatif-accusatif gr. ὄνομα (honoma) dans homér. ϰύϰλωπες δ’ ὄνομ’ ἦσαν (kuklôpes d’onom’êsan) ou v. perse nâma dans Kambuǰiya nāma « un nommé Cambyse ». — L’innovation la plus considérable de l’arménien est celle-ci : tout accusatif d’un nom déterminé reçoit la préposition z զ, s’il n’est pas précédé de quelque autre préposition, ainsi Luc I, 32 taçē nma… zat‘oṙn Dawt‘i տացէ նմա զաթոռն Դաւթի δώσει αὐτῷ τὸν θρόνον Δαυείδ (dôsei autô ton thronon Daueid), les démonstratifs et les pronoms personnels étant déterminés par essence sont toujours accompagnés de z զ, et même l’interrogatif zi զի « quoi » n’est attesté qu’avec la préposition z զ, si bien que zi զի a fini par servir de nominatif. Cette innovation de l’arménien est achevée dès les plus anciens textes ; il est donc impossible d’en suivre le développement ; la valeur ancienne de z զ était ici sans doute « par rapport à ».

64. — Le génitif indo-européen était le cas auquel se mettait le complément d’un substantif ; et, en second lieu, il exprimait le tout dont on prend une partie ; en ce second sens il pouvait servir de complément direct d’un verbe : homér. λωτοῖο φαγών (lôtoyo phagôn) « ayant mangé du lotus ». L’arménien n’a conservé que le premier emploi, mais avec toute son étendue ancienne ; le génitif prédicat n’en est qu’un cas particulier, ainsi dans Luc III, 11 oyr ic̣en erku handerjk‘ ոյր իցեն երիու հանդերձք (de qui sont deux vêtements) ὁ ἔχων δύο χιτῶνας (ho echôn duo chitônas). Le génitif n’est jamais accompagné d’aucune des prépositions proprement dites, non plus qu’en indo-iranien ou en latin. — Il y a de plus deux emplois particuliers : 1o Le génitif absolu, semblant servir de sujet au verbe qui suit : Luc VIII, 54 nora haneal zamenesin artak‘s kalaw նորա հանեալ զամենեսին արտաքս կալա… αὐτὸς δὲ ἐϰϐαλὼν ἔξω πάντας ϰαὶ ϰρατήσας… (autos de ekbalôn exô pantas kai kratêsas) 2o Le génitif semblant servir de sujet à la forme impersonnelle (à la 3me pers. sing.) composée du participe en -ealեալ (en principe seulement quand celui-ci est transitif) et du verbe être : Luc II, 26 ĕr nora hraman areal էր նորա հրաման արեալ « il avait reçu le décret… » ; avec im իմ au lieu de nora նորա f la phrase signifierait « j’ai reçu… » ; avec mer մեր « nous avons reçu… », etc. Ce tour, qui semble trahir des influences caucasiennes, suppose sans doute que les participes arméniens en -ealեալ seraient d’anciens substantifs (v. § 98).

65. — Le datif indique à qui ou à quoi l’action est destinée : Luc I, 49 arar inj mecamecs արար ինձ մեծամեծս ἐποίησέν μοι μεγάλα (epoiêsen moi megala) ; le datif avec un verbe signifiant « entendre » signifie en arménien, comme en sanskrit, en grec et en latin, « entendre pour obéir à quelqu’un, obéir » : Luc IX, 35 dma luaruk‘ դմա լուարուք « écoutez-le » (obéissez-lui). La construction du type lat. est tibi nomen est fréquente : Luc V, 27 orum anun ēr որում անուն Էր dont le nom était ». — Le datif ne s’emploie dans les diverses langues indo-européennes qu’avec très peu de préposition (en védique avec kám postposé, en slave avec , en avestique avec ā) ; en arménien il se trouve avec əst ըստ « selon » : Luc I, 38 ełic̣i inj əst bani k‘um եղիցի ինձ էստ բանի քում γένοιτο μοι ϰατὰ τὸ ῥῆμά σου (genoito moi kata to rhêma sou) ; Luc II, 22 est awrinac̣ ϰατὰ τὸν νόμον (kata ton nomon) ; Luc II, 24 əst asac̣eloyn ըստ ասացելոյն ϰατὰ τὸ εἰρημένον (kata to eirêmenon), chacune des formes citées ici est ambiguë, mais rapprochées elles indiquent nécessairement le datif, car bani k‘um բանի քում est datif ou locatif, awrinac̣ աւրինաց et asac̣eloyn ասացելոյն génitif-datif ou ablatif : le datif seul est commun. — On a aussi le datif avec ənd ընդ : Luc V, 36 ənd hnoyn č̣miabani ընդ հնոյն չմիաբանի τῷ παλαιῷ οὐ συμφωνήσει (tô palaiô ou sumphônêsei).

66. — Le locatif, toujours accompagné de préposition en arménien, indique le lieu et le temps où l’action s’accomplit, ce qui est la valeur indo-européenne. La préposition est le plus souvent i ի, sans doute identique à gr. ἐν (en), lat. in, got. in, etc. : Luc I, 10 kayin yaławt‘s artak‘oy i žamu xnkoc̣n կային յազաւթս արտաքոյ ի ժամու խնկոցն ἦν προσευχόμενον ἔζω τῇ ὥρᾳ τοῦ θυμιάματος (ên proseuchomenon exô tê hôra tou thumiamatos) (littéralement : étaient en prière dehors à l’heure…) ; la nasale de la préposition est conservée devant voyelle initiale dans la langue des philosophes : n-ent‘akayum ն—ենթակայում « dans le sujet » ; on attendrait *in-, mais les petits mots non accentués qui s’appuient sur un mot suivant tendent à perdre leur voyelle, cf. oč̣ ոչ « ne pas » : č̣-ē չ—Է « il n’est pas ». La préposition peut aussi être aṙ առ « près de » (cf. gr. παρα), ainsi Luc X, 39 nstaw aṙ otsn teaṙn նստաւ առ ոտսն տէառն παραϰαθεισθεῖσα πρὸς τοὺς πόδας τοῦ ϰορίου (parakathestheisa pros tous podas tou koriou), ou ənd ընդ « avec ».

67. — L’ablatif marque, comme en indo-européen, le point de départ. Il se trouve le plus souvent avec la préposition i ի « de » (cf. v. sl. jis, jiz, lit. iš ?) : i skzbanē ի սկզբանէ « dès le commencement » ; c’est l’ablatif avec i ի qui indique le tout dont on prend une partie : mi i noc̣anē մի ի նոցանէ « սոսs ex eis », et qui, avec un verbe passif, indique la personne qui fait l’action : Luc II, 21 or koč̣ec̣eal ēr i hreštakēn որ կոչեցեալ էր ի հրեչտակէն τὸ ϰληθὲν ὑπὸ τοῦ ἀγγέλου (to klêthen hupo tou aggelou). L’ablatif se trouve aussi avec ənd ընդ ainsi Luc I, 11 ənd ajmē sełanoy xnkoc̣n ընդ աջմէ սեղանոյ խնկոցն ἐϰ δεξιῶν τοῦ θυσιαστηρίου τοῦ θυμιάματος (ek dexiôn tou thusiastêriou tou thumiamatos) etc. ; avec z զ pour signifier « autour de, au sujet de » : Luc VIII, 54 kalaw zjeṙanē nora կալաւ զձեռանէ նորա ϰρατήσας τῆς χειρὸς αὐτῆς (kratêsas tês cheiros autês) ; Luc II, 38 : xawsēr znmanē խաւսէր զնմանէ ἐλάλει περὶ αὐτῆς (elalei peri autês). La préposition ne manque que dans des tours particuliers, comme Luc X, 7 mi p‘oxic̣ik‘ tanē i tun մի փոխիցիք տանէ ի տուն μὴ μεταβαίνετε ἐξ οἰϰίας εἰς οἰϰίαν (mê metabainete ex oikias eis oikian).

68. — L’instrumental, qui marque, comme en indo-européen, avec qui ou avec quoi s’accomplit l’action, a toujours une forme distincte de celle des autres cas ; aussi s’emploie-t-il souvent sans préposition ; ainsi pour exprimer l’accompagnement : Marc III, 7 Yisus ašakertawk‘n iwrovk‘ Յիսուս աչակերտաւքն իւրովք ὁ Ἰησούς μετὰ τῶν μαθητῶν αὐτοῦ (ho Iêsous meta tôn mathêtôn autou) ; en ce sens l’instrumental est d’ordinaire suivi de handerj հանդերձ : Maremaw handerj Մարեմաւ հանդերձ « avec Marie » ; — pour exprimer l’instrument, le moyen employé : Luc I, 51 arar zawrut‘iwn bazkaw iwrov արար զաւրութիւն բազկաւ իւրով « il a fait un miracle avec son bras ». — Diverses prépositions peuvent aussi accompagner l’instrumental, ainsi ənd ընդ « sous » : Luc VII, 6 : et‘e ənd yarkaw imow mtanic̣es եԹե ընդ յարկաւ իմ մտանիցես ἵνα ὑπὸ τὴν στέγὴν μου εἰσέλϑῃς (hina hupo tên stegên mou eiselthês) ; z զ « autour de, au delà de » : L. V, 25 aṙ ziwrew առ զիւրեւ « il a pris avec lui » ; L. I, 7 anc̣eal ein zawurbk‘ iwreanc̣ անցեալ եին զաւուրբք իւրեանց προβεβηϰότες ἐν ταῖς ἡμέραις αὐτῶν ἧσαν (probebêkotes en tais hêmerais autôn hêsan) ; aṙ առ « le long de » : L. VIII, 5 ēr or ankaw aṙ čanaparhaw էր որ անկաւ առ ճանապարհաւ ὁ μὲν ἔπεσεν παρὰ τὴν ὁδόν (ho men epesen para tên hodon).

Jusqu’aujourd’hui les cas ont conservé en arménien leur principale valeur indo-européenne sans changement essentiel, et cette conservation est d’autant plus remarquable qu’on n’en retrouve l’équivalent nulle part en dehors du slave et du baltique.