Esprit des lois (1777)/L24/C17


CHAPITRE XVII.

Continuation du même sujet.


Lorsqu’il y a beaucoup de sujets de haine dans un état, il faut que la religion donne beaucoup de moyens de réconciliation. Les Arabes, peuple brigand, se faisoient souvent des injures & des injustices. Mahomet[1] fit cette loi : « Si quelqu’un pardonne le sang de son frere[2], il pourra poursuivre le malfaicteur pour des dommages & intérêts : mais celui qui fera tort au méchant après avoir reçu satisfaction de lui, souffrira au jour du jugement des tourmens douloureux. »

Chez les Germains, on héritoit des haines & des inimités de ses proches : mais elles n’étoient pas éternelles. On expioit l’homicide, en donnant une certaine quantité de bétail, & toute la famille recevoit la satisfaction : chose très-utile, dit Tacite[3], parce que les inimitiés sont fort dangereuses chez un peuple libre. Je crois bien que les ministres de la religion, qui avoient tant de crédit parmi eux, entroient dans ces réconciliations.

Chez les Malaïs[4], où la réconciliation n’est pas établie, celui qui a tué quelqu’un, sûr d’être assassiné par les parens ou les amis du mort, s’abandonne à sa fureur, blesse & tue tout ce qu’il rencontre.


  1. Dans l’alcoran, liv. I. chap. de la vache.
  2. En renonçant à la loi du talion.
  3. De moribus German
  4. Recueil des voyages qui ont servi à l’établissement de la compagnie des Indes, tom. VII. pag. 303. Voyez aussi les mémoires du comte de Forbin, & ce qu’il dit sur les Macassars.