Esprit des lois (1777)/L12/C13

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CHAPITRE XIII.

Des écrits.


Les écrits contiennent quelque chose de plus permanent que les paroles ; mais lorsqu’ils ne préparent pas au crime de lese-majesté, ils ne sont point une matiere du crime de lese-majesté.

Auguste & Tibere y attacherent pourtant la peine de ce crime[1] ; Auguste, à l’occasion de certains écrits faits contre des hommes & des femmes illustres ; Tibere, à cause de ceux qu’il crut faits contre lui. Rien ne fut plus fatal à la liberté Romaine. Cremutius Cordus fut accusé, parce que dans ses annales il avoit appelé Cassius le dernier des Romains[2].

Les écrits satiriques ne sont guere connus dans les états despotiques, où l’abattement d’un côté, & l’ignorance de l’autre, ne donnent ni le talent ni la volonté d’en faire. Dans la démocratie, on ne les empêche pas, par la raison même qui, dans le gouvernement d’un seul, les fait défendre. Comme ils sont ordinairement composés contre des gens puissans, ils flattent dans la démocratie la malignité du peuple qui gouverne. Dans la monarchie, on les défend ; mais on en fait plutôt un sujet de police, que de crime. Ils peuvent amuser la malignité générale, consoler les mécontens, diminuer l’envie contre les places, donner au peuple la patience de souffrir, & le faire rire de ses souffrances.

L’aristocratie est le gouvernement qui proscrit le plus les ouvrages satiriques. Les magistrats y sont de petits souverains, qui ne sont pas assez grands pour mépriser les injures. Si dans la monarchie, quelque trait va contre le monarque, il est si haut que le trait n’arrive point jusqu’à lui. Un seigneur aristocratique en est percé de part en part. Aussi les décemvirs, qui formoient une aristocratie, punirent-ils de mort les écrits satiriques[3].


  1. Tacite, Annales, liv. I. Cela continua sous les regnes suivans. Voyez la loi unique au code de samos. libellis.
  2. Tacite, Annales, liv. IV.
  3. La loi des douze tables.