Escalades dans les Alpes/CHAPITRE XIII

Traduction par Adolphe Joanne.
Librairie Hachette et Cie (p. 288-298).

Arête méridionale du Grand Cornier.

CHAPITRE XIII.

ASCENSION DU GRAND CORNIER.

Une longue série de succès continus avait signalé notre campagne de 1864, mais je n’avais même pas tenté la grande ascension que j’avais un si vif désir d’accomplir. Tant que ce désir ne serait pas réalisé, ma satisfaction ne pouvait être entière. D’autres raisons m’attiraient encore vers les Alpes. Je voulais parcourir divers endroits où je prendrais seul la responsabilité de la direction, car il m’importait de savoir s’il m’était permis de compter sur mon propre jugement pour choisir la meilleure route à suivre dans les montagnes.

Tel fut donc en 1865 le but principal de mon voyage. Aussi arrêtai-je un programme passablement ambitieux, car son exécution comprenait l’ascension de presque tous les grands pics qu’aucun montagnard n’avait encore pu escalader ; il ne fut toutefois ni entrepris légèrement ni exécuté avec précipitation. Aucune précaution ne fut négligée pour en assurer le succès. Je mis à contribution tous les touristes qui pouvaient me fournir quelques renseignements ; j’étudiai avec soin les expéditions qui n’avaient pas réussi, afin d’éviter les fautes qu’elles avaient pu commettre. Les résultats que j’obtins furent dus à une sage prévoyance et des calculs soigneusement médités, bien plus encore qu’a un hasard heureux.

La victoire n’est pas, en général, une chance favorable, et il y a toujours une bonne raison pour expliquer une défaite. Quand un fait remarquable ou extraordinaire se produit, nous sommes trop disposés à ne considérer que le succès sans en rechercher les causes. Au contraire, une entreprise ne réussit-elle pas, nous nous demandons de suite pourquoi elle a échoué. Ainsi, les défaites sont quelquefois plus instructives que les victoires, et les fautes des uns profitent aux autres.

Mon programme s’exécuta complétement et heureusement jusqu’à un certain point. Nos efforts furent couronnés de succès toutes les fois que nos excursions se firent telles qu’elles avaient été réglées. Beaucoup eurent lieu au jour et à l’heure fixés depuis plusieurs mois ; et toutes s’accomplirent par comparaison si facilement que l’absence de tout danger et de toute difficulté leur ôte l’intérêt qu’elles auraient pu offrir si nous avions commis quelques grosses bévues ou manqué de jugement. Peut-être, avant d’en faire le récit, ne serait-il pas inutile d’exposer les raisons qui nous avaient décidés dans le choix des routes que nous suivîmes.

Mes anciennes idées sur les escalades des Alpes avaient subi dans les cinq dernières saisons un changement complet ; mon antipathie pour la neige avait disparu et ma prédilection pour les rochers était fort diminuée. Comme tous ceux qui ne sont pas nés dans les montagnes, j’étais à mes débuts fort mal à l’aise sur les pentes de neige un peu raides. Dans mon opinion, la neige devait toujours glisser et entraîner tous ceux qu’elle portait. La neige d’une certaine qualité est, en effet, très-susceptible de glisser quand elle a une certaine inclinaison. On ne saurait décrire exactement celle qui est dangereuse ou sûre. L’expérience seule peut apprendre à les discerner ; tant qu’on n’a pas acquis cette expérience, la neige ne peut inspirer de confiance. À mesure que cette confiance augmentait en moi, ma préférence pour les rochers diminuait. Évidemment la neige était préférable aux rochers — je ne parle ici que des couches de neige ordinaires et de la neige qui recouvre les glaciers, — et, dans mes dernières excursions, j’ai toujours recherché avec soin les points où les pentes de neige et les glaciers couverts de neige s’élèvent le plus haut sur les montagnes. (V. p. 207.)

Toutefois il arrive rarement que l’on puisse faire l’ascension d’une haute cime en montant exclusivement sur la neige et les glaciers. On est forcé d’escalader les arêtes qui surgissent de distance en distance à leur surface. Dans mes premières grimpades, j’avais le plus souvent suivi, ou mon guide m’avait fait suivre, les arêtes rocheuses, et un grand nombre de touristes préfèrent cette voie par principe, comme étant la plus naturelle et la plus commode. D’après ma propre expérience, on a tort quand on peut faire autrement. Je l’ai dit et je le répète, la gelée a désagrégé la crête de toutes les principales arêtes des grands pics des Alpes. Souvent une petite brèche, qui paraît insignifiante à distance, offre de près une barrière infranchissable ; il faut faire un grand détour ou descendre longtemps pour tourner cet obstacle. Quand on s’est aventuré sur une arête, on est presque toujours forcé de suivre une direction donnée, dont il est très-difficile de dévier. Rencontre-t-on quelque obstacle sérieux, on est exposé à perdre un temps précieux ; un insuccès complet n’est même pas improbable.

Rarement un grand pic alpestre se trouve entièrement séparé des neiges et des glaciers qui l’environnent. Si ses flancs sont trop abrupts pour que la neige puisse s’y fixer, elle reste du moins dans ses couloirs. J’ai démontré à la page 242 les avantages de ces couloirs de neige.

En général, on peut monter facilement très-près du sommet des grands pics alpestres, en suivant les glaciers, les pentes de neige qui les dominent, puis enfin les couloirs qui y aboutissent. L’ascension finale nécessitera peut-être inévitablement l’escalade d’une arête. Moins longue sera cette escalade, plus le touriste devra s’en féliciter.

Certaines montagnes sont quelquefois dépourvues de couloirs de neige. En ce cas, il vaudra probablement mieux suivre de préférence les faces ou les petites arêtes et les petits ravins que les grandes arêtes. On se dirige plus aisément à droite ou à gauche sur une face que sur la crête d’une arête ; un obstacle se présente-t il, il est plus facile à surmonter.

Quand je choisis les chemins que je pris en 1865, je recherchai tout d’abord les points où les neiges et les glaciers s’élevaient à la plus grande altitude sur les montagnes que je me proposais de gravir, ou sur les arêtes qu’il me fallait traverser, puis les couloirs de neige montant encore plus haut, et enfin, du sommet de ces couloirs, j’achevais l’ascension, en escaladant les versants ou les faces de préférence aux arêtes. Les ascensions du Grand Cornier (3969 mètres), de la Dent Blanche (4364 mètres), des Grandes Jorasses (4206 mètres), de l’Aiguille Verte (4030 mètres), de la Ruinette (3876 mètres) et du Cervin (4482 mètres) furent toutes exécutées d’après ce principe, sans compter d’autres excursions dont je parlerai ci-dessous. La route choisie avant le départ fut scrupuleusement suivie.

Avant d’entreprendre l’ascension de toutes ces montagnes, j’avais commencé par les étudier avec soin des hauteurs voisines. J’expliquais aux guides le chemin que j’avais l’intention de prendre ; et si les directions à suivre étaient un peu compliquées, j’en dressais le plan sur le papier afin de prévenir toute erreur. Quelquefois les guides me proposaient des changements, et mon plan ne fut jamais adopté qu’après une discussion approfondie. Mais l’exécution en restait confiée aux guides ; rarement j’intervenais dans la pratique ou j’essayais de les aider.

Je passai la journée du 13 juin 1865 dans la vallée de Lauterbrunnen, avec le révérend W. H. Hawker et les guides Christian et Ulrich Lauener ; le 14, je traversai le Petersgrat avec Christian Almer et Johann Tännler pour gagner Tourtemagne dans le Valais. Là, je congédiai Tännler, parce que Michel Croz et Franz Biener m’attendaient.

On ne saurait trouver deux guides-chefs dont les facultés se combinassent plus harmonieusement que celles de Croz et d’Almer. Biener leur était tout à fait subordonné ; si nous le leur adjoignîmes, ce fut par convenance plus que par nécessité. Croz ne parlait que le français ; Almer ne parlait guère qu’allemand. Biener comprenait les deux langues, ce qui le rendait parfois très-utile ; rarement il prit la tête, excepté le matin, quand il n’y avait aucun obstacle sérieux à surmonter ; il nous servit de porteur bien plus que de guide.

Je ne saurais trop insister sur l’extrême importance qu’il y a, dans les courses de montagnes, à ménager ses forces en cas d’événement imprévu. Tant que nous restâmes ensemble, nous en eûmes toujours une ample provision ; nous ne fûmes jamais ni pressés ni exténués. Quoi qu’il pût advenir, nous étions prêts. Une série de hasards fâcheux, que je regretterai toute ma vie, m’obligea bientôt à me séparer de Croz, et, par conséquent, à renvoyer mes autres guides. Forcé d’abandonner un plan qui avait été arrêté après de mûres délibérations et qui réussit toujours dans la pratique, parce qu’il avait pour base des principes solides, je fis fortuitement partie d’une expédition qui se termina par la catastrophe dont ce livre est le sujet et qui mit un terme fatal à la série de mes grimpades dans les Alpes[1].

Le 15 juin, nous allâmes de Tourtemagne à Z’meiden, et, de là, à Zinal, par le col de la Forcletta. Nous nous écartâmes un peu du col pour escalader les hauteurs voisines afin d’examiner le Grand Cornier. D’après cette étude, aucune tentative n’était possible par le versant septentrional. Bien que cette montagne fût à plus de dix kilomètres de nous, on pouvait, sans craindre de se tromper, la déclarer inaccessible du côté où nous étions.

Le 16, à deux heures cinq minutes du matin, nous quittâmes Zinal où nous avions été un instant très-intrigués par un récit consigné dans le livre de l’hôtel[2]. Remontant par le glacier de Zinal, nous contournâmes, en nous en tenant à une certaine distance, la base de notre montagne afin de la mieux examiner ; nous en fîmes peu à peu le tour jusqu’à son versant méridional, avant de découvrir un chemin qui nous permit d’arriver au sommet.

À huit heures trente minutes, nous atteignîmes le plateau du glacier qui descend, vers l’est, entre le Grand Cornier et la Dent Blanche ; de là, le chemin fut bientôt tracé. Nous suivîmes le glacier en nous dirigeant au nord (comme on peut le voir sur la carte), vers l’arête qui s’incline à l’est. Nous montâmes par des pentes de neige sur cette arête, et, de cette arête, au sommet où nous arrivâmes avant midi et demi. Presque toute la route put se faire sur la neige.

Les arêtes qui partent au nord et au sud du sommet du Grand Cornier offraient un exemple frappant des effets extraordinaires que peuvent produire de brusques alternatives de chaleur et de froid. L’arête méridionale, toute fendue et crevassée, présentait l’aspect le plus sauvage ; l’arête septentrionale n’était pas moins désagrégée et impraticable ; on y remarquait les singulières
Partie de la chaîne septentrionale du Grand Cornier.
formes des rochers que représente le dessin ci-joint. Quelques petits blocs vacillèrent et tombèrent en notre présence ; en descendant ils en entraînèrent d’autres qui formèrent une véritable avalanche que nous entendîmes se précipiter avec un bruit terrible sur les glaciers situés au-dessous.

Il est tout naturel que les grandes arêtes offrent les formes les plus étranges, non pas à cause de leurs dimensions, mais en raison de leurs positions. Exposées à la chaleur torride du soleil, elles sont rarement à l’ombre tant qu’il reste au-dessus de l’horizon. Aucun abri ne les protége, et elles subissent tour à tour les attaques des vents les plus furieux et des froids les plus intenses. La roche la plus dure ne saurait résister à de tels assauts. Ces grandes montagnes, image apparente de la solidité et de l’éternité, qui semblent immuables, indestructibles, sont cependant soumises à une altération incessante et tombent peu à peu en poussière. Leurs arêtes en ruine sont la preuve évidente de leur lutte avec les éléments. Je le répète, toutes les principales arêtes des grands pics alpestres que j`ai vues ont subi une semblable décomposition ; tous les sommets rocheux que j’ai escaladés ne sont que des amas de ruines.

Les arêtes inférieures n’offrent pas en général des formes aussi singulières que les grandes arêtes. Moins exposées, elles sont aussi moins décomposées ; aussi peut-on penser que leur dégradation annuelle est moins considérable que celle des sommités.

La dégradation des montagnes ne s’arrête pas même l’hiver, car les grandes arêtes ne sont jamais complétement recouvertes par la neige[3], et le soleil conserve de la force pendant les jours les plus froids de la mauvaise saison. L’œuvre de destruction, qui ne cesse pas un moment, devient plus considérable d’année en année. En effet, plus vastes sont les surfaces exposées à l’action incessante du soleil et de la gelée, plus grands sont les dégâts qu’elles subissent.

Les chutes de rochers qui ont constamment lieu sur toutes les montagnes rocheuses sont dues à ces causes ; personne n’en doute : mais, pour bien s’en convaincre, il faut voir par ses propres yeux les carrières d’où ces matériaux ont été extraits, et assister, pour ainsi dire, à la formation de ces avalanches de pierres.

La chaleur du soleil détache de petites pierres ou de petits fragments de rochers qui s’étaient arrêtés sur une pente ou une corniche où ils avaient été soudés ensemble par la neige ou par la glace. Combien j’en ai vu ainsi délivrés de leurs liens quand le soleil avait atteint son point le plus élevé ! D’abord ils tombaient très-doucement, puis leur vitesse augmentait avec leur volume ; l’avalanche se formait peu à peu et descendait comme une trombe, laissant en arrière une traînée blanchâtre semblable au nuage de poussière qui suit un train express. En outre, l’eau, qui filtre pendant le jour dans les crevasses et dans les moindres fissures, s’y congèle pendant la nuit, aussi est-ce surtout pendant la nuit ou durant les plus grands froids qu’ont lieu les avalanches de pierres les plus considérables[4].

Qui a vu et entendu des avalanches de pierres comprend facilement pourquoi les glaciers ont des moraines. Ce dont on doit s’étonner, c’est que les moraines ne soient pas beaucoup plus considérables. Ces masses de débris, qui peut l’ignorer, ne sont pas produites par le travail d’excavation des glaciers. Les moraines des glaciers proviennent des versants des montagnes. Le soleil les crée, et la glace les transporte.

Les Alpes pourraient à plus juste titre être appelées « éternelles », si elles jouissaient d’une température invariable, et si elles cessaient d’être soumises à des alternatives d’un froid glacial et d’une chaleur brûlante. Peut-être continueraient-elles à tomber en détail, mais leur chute serait beaucoup moins rapide.

Les rochers recouverts par un glacier jouissent d’une température invariable. Les différences extrêmes qui séparent l’été de l’hiver leur sont inconnues ; le thermomètre, placé sous cette couche de glace, ne baisserait ou ne monterait que d’un petit nombre de degrés[5]. Ils ne se désagrégent pas ou se désagrégent peu par suite d’une dilatation et d’une contraction inégales. La gelée, ne pénétrant pas dans l’intérieur de la pierre, ne peut en détacher d’énormes masses ; ils sont usés par un lent frottement au lieu d’être fendus. Ce ne sont pas des fragments mais des atomes qui disparaissent. La glace forme un pont au-dessus des fissures et des surfaces inclinées qu’elle ne peut atteindre. (Voy. p. 150.) Après plusieurs siècles d’érosion, on trouve encore dans les lee-sides une quantité de surfaces anguleuses qui existaient déjà quand l’action de la glace n’avait pas encore commencé à se faire sentir.

Les principaux effets de la chaleur, du froid, de l’eau et de la glace sur les rochers diffèrent ainsi que nous allons le rappeler. Les trois premiers de ces agents de destruction profitent des moindres fêlures, des plus petites fissures, pour y pénétrer ; le quatrième agit tout autrement. La chaleur, l’eau, le froid peuvent agir au-dessous des masses de glace les plus épaisses, la glace ne le peut pas. Les effets des trois premières causes augmentent incessamment, parce qu’elles mettent constamment de nouvelles surfaces à découvert en formant de nouvelles fissures, de nouvelles crevasses, de nouveaux trous ; les effets produits par les glaciers diminuent constamment, parce que les surfaces sur lesquelles ils opèrent diminuent à mesure qu’elles deviennent plus unies et plus planes.

Quelle conclusion tirer de ces préliminaires, si ce n’est que le soleil, la gelée et l’eau ont infiniment plus contribué que les glaciers à donner aux montagnes et aux vallées leurs formes actuelles ? Des forces, en tout temps, en tous lieux, toujours actives et persistantes, ont dû, qui refuserait de le croire ? produire des effets plus considérables qu’une force isolée et de toute nécessité locale, dont non-seulement l’action n’a pu se faire sentir comparativement que pendant un laps de temps assez court, mais dont la puissance tend sans cesse à diminuer.

Quelques personnes refusent encore de croire que l’action combinée du soleil, de la gelée et de l’eau ont joué un rôle important dans la configuration des Alpes ; elles soutiennent comme un article de foi que la région alpestre « doit principalement sa conformation actuelle à l’action de ses anciens glaciers[6] ! »


Croz vint interrompre ma rêverie en me faisant observer qu’il était temps de nous remettre en route. Moins de deux heures nous suffirent pour redescendre sur le plateau du glacier où était déposé notre bagage ; trois quarts d’heure plus tard nous atteignions la dépression située entre le Grand Cornier et la Dent Blanche (col du Grand Cornier[7]) ; et à six heures du soir nous arrivions à Abricolla ou Bricolla. Croz et Biener, qui avaient soif de lait, descendirent jusqu’à un village situé plus bas dans la vallée ; pour moi, je restai avec Almer, et nous passâmes la nuit à grelotter sur quelques misérables planches dans un chalet à moitié brûlé[8].



  1. En 1864, avant de m’en séparer, j’engageai Croz pour l’année 1865 ; quand je lui écrivis au mois d’avril pour fixer les dates de son engagement, j’appris que, se croyant libre (puisque je ne lui avais pas écrit plus tôt), il s’était engagé avec un M. B…., à partir du 27 juin. Je lui rappelai vainement sa promesse ; il crut qu’il ne pouvait honorablement se dégager. Ses lettres lui faisaient honneur ; l’extrait ci-joint de la dernière qu’il m’écrivit est un intéressant souvenir de cet homme aussi honnête que courageux :
  2. L’auteur de cette note décrivait l’ascension du Grand Cornier (nous supposions qu’elle n’avait jamais été faite) par le versant que nous venions justement de considérer comme inaccessible ! Enquête faite, il fut constaté que cette expédition, dont Biener faisait partie, avait simplement gravi un des points de l’arête située au nord du Grand Cornier, le Pigne de l’Allée, si je ne me trompe (3414 mètres) !
  3. Voici ce que j’écrivais à ce sujet dans l’Athenæum du 29 juillet 1863 : « Cette action de la gelée ne cesse pas pendant l’hiver, d’autant plus que la forme du Cervin s’oppose à ce qu’il soit jamais entièrement couvert de neige. Certaines montagnes, dont les flancs sont moins escarpés, peuvent être totalement couvertes de neige pendant l’hiver ; si leur hauteur n’augmente pas, l’action destructive de la dégradation est au moins suspendue… Nous devons donc en conclure que : les pics couverts de neige, comme le Mont-Blanc, augmenteront peut-être d’altitude par la suite des siècles, tandis que le Cervin décroîtra de plus en plus. » Ces remarques ont été confirmées.

    Pendant l’hiver de 1865, M. Dollfus-Ausset avait laissé plusieurs individus dans son observatoire élevé au sommet du col Saint-Théodule : ils remarquèrent que la neige fondait en partie sur les rochers voisins du 19 au 27 décembre 1865 inclusivement, sauf le 24 et le 25 ; le 22, ils consignèrent dans leur Journal : « Nous avons vu au Cervin que la neige fondait sur les rochers et qu’il s’en écoulait de l’eau. » (Matériaux pour l’étude des glaciers, tome vii, part. ii, p. 77 ; 1869.)

  4. Pendant chacune des sept nuits que je passai sur l’arête du sud-ouest du Cervin en 1861-63 (entre 3600 et 4000 mètres d’altitude), les pierres ne cessèrent de tomber sous forme d’averse ou d’avalanches. (Voir p. 185.)
  5. Les différences de température sont certainement plus fortes sur les côtés des glaciers. Il n’est pas moins évident que le froid de l’hiver ne pénètre pas au centre même des glaciers ; en effet, les ruisseaux continuent à couler sous la glace pendant toute l’année, en hiver comme en été, dans les Alpes et dans le Groënland, la température du fond des glaciers est même au milieu de l’été, à environ 00, comme l’expérience le prouve.
  6. Tyndall, « De la Conformation des Alpes. » Phil. Mag., sept. 1862.
  7. Ce col avait été traversé pour la première fois quelques mois auparavant.
  8. Les détails suivants peuvent intéresser quelques touristes. — Nous quittâmes Zinal (1678 mèt.) à deux heures du matin. Cinq heures vingt-cinq minutes nous furent nécessaires pour monter sur le plateau situé au S. E. du Grand Cornier et deux heures et demie pour monter de ce plateau au point culminant de cette montagne. Les derniers cent mètres de l’arête, très-escarpés et très-étroits, offraient une grande corniche d’où pendaient des stalactites de glace. Nous fûmes obligés de marcher sous cette corniche et de nous tailler un passage dans les stalactites. Du sommet au plateau, la descente nous prit une heure quarante minutes (violent ouragan de neige avec tonnerre). Du plateau au col du Grand Cornier par des rochers faciles, quarante-cinq minutes nous suffirent. Enfin, nous descendîmes en une heure dix minutes du col à Abricolla (cinquante-cinq minutes sur le glacier) situé à 2420 mètres.