NOTES SUR L’ANANDRINE[1]



 Καί γυναῖκες ανδρίζονται παρα φύσιν, γαμούμεναι τε καὶί γαμοῦσαι.
 Et fœminæ viri sunt contrà naturam et nubunt et item ducunt uxores.

Clemens Alexandrinus


Les Tribades préfèrent les jouissances avec leur propre sexe, et poursuivent les jeunes filles avec la même fureur presque que font les hommes.
Virey, Diss. sur le Libertinage, d’après Soranus.


Page 62. — « Le but du législateur (Lycurgue) était apparemment de leur apprendre l’art de sentir, qui embellit beaucoup celui d’aimer, de les instruire de toutes les nuances de sensation que la nature indique, ou dont elle est susceptible. »

En instituant à Sparte les Gymnopédies[2], lieux de jeux, où les jeunes filles, sous les yeux des magistrats et d’une foule de citoyens, paraissaient sans voiles et dans une entière nudité, pour disputer entre elles le prix de la course sur les bords de l’Eurotas ou sur le mont Taygète, Lycurgue, ce grand législateur, n’a point eu en vue, comme le prétend à tort Mirabeau, « de leur apprendre l’art de sentir et de faire sentir tous les raffinements de l’amour, » mais il a voulu émousser la pointe de cette passion que les jeunes gens conçoivent pour les filles, les appeler ainsi, non à la jouissance, mais à la gloire, et contribuer, par ces exercices, à dénouer le corps, en le rendant plus sain et plus robuste, persuadé que la propagation de l’espèce humaine en ressentirait les plus heureux effets.

Les brillants paradoxes de législation que le génie mâle et austère de ce grand homme créa, eurent pour but, dans l’État qu’il voulait former, de proscrire la pudeur comme impuissante à conserver la chasteté. C’est sans doute la raison pourquoi il permit aux vierges de Sparte de porter des robes tellement entr’ouvertes et indécentes qu’au moindre mouvement elles trahissaient leurs charmes les plus secrets. Armé d’une haine vertueuse contre le célibat, il le nota d’infamie, et la seule faveur qu’il accordait aux célibataires qui sentaient quelque envie d’avoir des enfants, était de ne pas leur défendre d’emprunter la femme de leur ami, pourvu qu’il y consentît expressément. Si un vieillard, uni à une jeune femme, désespérait de laisser après lui de la postérité, il était obligé de s’associer un jeune homme vigoureux, de l’introduire dans le lit de son épouse et d’en adopter la progéniture. La licence de ses institutions, dit un auteur, était poussée si loin, que, voulant empêcher le sang des familles de dégénérer et donner à l’État des enfants, qu’il ravissait à l’individu qui les avait fait naître, il permit la communauté des femmes.

C’est ainsi que Lycurgue, en se jouant de la morale, bannit toutes les fureurs de l’amour et de la jalousie, et qu’il prévint, en sage législateur, tous les crimes qui sont souvent le résultat de ces deux passions.

Lycurgue et Anacréon ne se sont donc pas trouvés dans les mêmes principes, comme le veut Mirabeau ; car le législateur de Sparte, par son système audacieux sur la pudeur, blessait toutes les convenances, dépouillait l’homme de ses affections les plus naturelles, ôtait à l’amour son charme le plus puissant ; tandis que le vieillard de Téos ; poëte érotique par excellence, passait son temps à fêter la bonne chère, le vin et l’amour, et que, non content de la jouissance d’un nombre infini de maîtresses, il conçut la passion la plus violente et la plus déréglée pour Bathyle, Cléobule, Mégiste et Smiridias, dont il fit ses gîtons.


Page 65. — « Sapho… peut être regardée comme la plus illustre des tribades. »

Cette célèbre, mais trop infortunée Sapho, qui vécut du temps de Stésicore et d’Alcée, environ 600 ans avant l’ère chrétienne, se distingua non-seulement par ses habitudes lesbiennes de κλειτοριὰζεῖν[3], que Sénèque et saint Augustin lui reprochent avec tant de véhémence, mais encore par son beau talent poétique, qui la fit surnommer la dixième Muse. Elle inventa deux sortes de rhythmes, le Saphique et l’Éolique, et dans la faible partie de ses œuvres, que l’ignorance et la barbarie ont laissé parvenir jusqu’à nous, son âme respire tout entière dans les vers brûlants d’amour qu’elle soupirait pour le volage Phaon.

L’ardeur, ou plutôt le feu de son tempérament, dit Virey, la fit accuser d’un vice… qui la rendit presqu’un homme : Mascula Sapho. Inspirée par l’amour et les dédains de Phaon, elle put transmettre à la postérité la peinture de ses ardeurs ou plutôt les transports de son érotomanie ; elle les eût moins vivement représentés, s’ils eussent été assouvis. Tout prouve donc que le génie ne s’allume que par la chaleur amoureuse, et celle-ci ne brille que dans les caractères virils, même chez les femmes de lettres les plus célèbres[4].

Voici la traduction, par Boileau, d’une des odes que Sapho adressa à une Lesbienne, et qui fera juger de son beau génie :

Heureux qui, près de toi, pour toi seule soupire,
Qui jouit du plaisir de t’entendre parler,
Qui te voit quelquefois doucement lui sourire.
Les Dieux, dans son bonheur, pourraient-ils l’égaler ?

Je sens de veine en veine une subtile flamme
Courir par tout mon corps sitôt que je le vois ;
Et dans les doux transports où s’égare mon âme,
Je ne saurais trouver de langue ni de voix.

Un nuage confus se répand sur ma vue,
Je n’entends plus, je tombe en de douces langueurs ;
Et pâle, sans haleine, interdite, éperdue,
Un frisson me saisit, je tombe, je me meurs !

  1. Formé de ανανδρύνομαι, devenir lâche, diminuer, composé de l’α privatif et de l’ν euphonique ; efféminéité.
  2. Du grec γυμνὸς, nu, et παῖς, enfant, fille.
  3. Voyez la Linguanmanie, page 128. C’est cette erreur lascive qui justifie la résection du clitoris dans les pays méridionaux, où les femmes, par le prolongement quelquefois prodigieux de cette portion externe des nymphes, ont propagé cette nouvelle manière d’aimer de Sapho. Voyez l’Akropodie, pag. 77.
  4. Virey, Effets de l’amour sur l’esprit.