L’ANANDRYNE.


Les plus fameux rabbins ont pensé que nos premiers pères avaient les deux sexes et naissaient hermaphrodites pour accélérer la propagation ; mais qu’après un certain temps écoulé, la nature cessa d’être aussi féconde, à l’époque où les substances végétales ne suffirent plus à notre nourriture, et où les hommes commencèrent à user de la viande.

Il est d’abord certain, et nous l’avons vu dans ces Mélanges[1], qu’Adam fut créé avec les deux sexes. Dieu lui donna une compagne ; mais l’Écriture ne dit point si, dans ce miracle, Adam perdit l’un de ses attributs. La Genèse ne s’expliquant donc point d’une manière précise sur ce sujet, le système des rabbins a conservé longtemps un grand nombre de sectateurs.

On a soutenu un système mitigé, qui a semblé à quelques-uns plus vraisemblable. C’est qu’il y avait trois sortes d’êtres dans le premier âge du monde : les uns mâles, les autres femelles, d’autres mâles et femelles tout ensemble ; mais que tous les individus de ces trois espèces avaient chacun quatre bras et quatre pieds, deux visages tournés l’un vers l’autre et posés sur un seul cou, quatre oreilles, deux parties génitales, etc. ; ils marchaient droit ; quand ils voulaient courir, ils faisaient la culbute ; leurs excès, leur insolence, leur audace les firent dédoubler ; mais il en résulta un grand inconvénient : chaque moitié tâchait sans cesse de se réunir à l’autre, et quand elles se rencontraient, elles s’embrassaient si étroitement, si tendrement, avec un plaisir si délicieux, qu’elles ne pouvaient plus se résoudre à se séparer ; plutôt que de se quitter, elles se laissaient mourir de faim.

Le genre humain allait périr ; Dieu fit un miracle ; il sépara les sexes, et voulut que le plaisir cessât après un court intervalle, afin que l’on fît autre chose que de rester collés l’un à l’autre. Il est arrivé de là, et rien n’est plus simple, que le sexe femelle, séparé du sexe mâle, a conservé un amour ardent pour les hommes, et que le sexe mâle aspire sans cesse à retrouver sa tendre et belle moitié.

Mais il est des femmes qui aiment d’autres femmes ? Rien de plus naturel encore ; ce sont des moitiés de ces anciennes femelles qui étaient doubles. De même certains mâles, dédoublement d’autres mâles, ont conservé un goût exclusif pour leur sexe. Il n’y a rien là d’étrange, quoique ces couples d’hommes réunis et désunis paraissent bien moins intéressants. Voyez combien quelques connaissances de plus ou de moins doivent donner plus ou moins de tolérance ! Je souhaite que ces idées en imposent aux moralistes déclamateurs. On peut leur citer des autorités graves ; car ce système, dont la source est dans Moïse, a été très-étendu par le sublime Platon. Et Louis Le Roi, professeur royal à Paris, a fait sur cette matière de vastes commentaires, auxquels ont travaillé avec succès Mercerus et Quinquebze, lecteurs du roi en hébreu.

On ne sera peut-être pas fâché de trouver ici les Vers originaux de Louis Le Roi :

Au premier âge que monde vivoit
D’herbe, de gland, trois sortes y avoit
D’hommes ; les deux, tels qu’ils sont maintenant,
Et l’autre double estoit ; s’entretenant
Ensemblement, tant mâle que femelle.
Il faut penser que la façon fut belle ;
Car le grand Dieu qui vivre les faisoit,
Faits les avoit, et bien s’y connoissoit.
De quatre bras, quatre pieds et deux têtes
Estoient formées ces raisonnables bêtes ;
Le reste vaut mieux pensée que dite,
Et se verroit plutôt peinte qu’escrite.
Chacun estoit de son corps tant aisé,
Qu’en se tournant il se trouvait baisé ;
En estendant ses bras on s’embrassoit ;
Voulant penser on se contrepensoit ;
En soi voyoit tout ce qu’il vouloit voir,
En soi trouvoit ce qu’il falloit avoir.
Jamais en lieu ses pieds porté ne l’eussent,
Que quand et lui ses passe-temps ne fussent.
Si de son bien lui plaisoit mal user,
Facile estoit envers soi s’excuser.
De lui n’estoit fait ni rapport ni compte,
Ne connoissoit honnesteté ni honte.
Si de son cœur sortaient simples desirs,
Il y entroit tant de doubles plaisirs,
Qu’en y pensant chacun est incité
A maintenir que la félicité
Fut de tel temps, et le siècle doré.

Antoinette Bourgnon, dans sa préface du Nouveau Ciel, adopte aussi ce système, qui paraît de nature à être regretté du beau sexe. Elle attribue au péché ce triste dédoublement, et dit qu’il a défiguré dans les hommes l’œuvre de Dieu, et qu’au lieu d’hommes qu’ils devaient être, ils sont devenus des monstres de nature, divisés en deux sexes imparfaits, impuissants à produire seuls leurs semblables, comme se reproduisent les plantes, qui sont bien plus favorisées et parfaites en cela que l’espèce humaine, condamnée à ne se propager que par la réunion momentanée de deux êtres qui, s’ils éprouvent alors quelques délices, ne peuvent achever ce grand œuvre de la reproduction qu’avec tant de douleurs.

Quoi qu’il en soit de ces idées, on a vu encore de nos jours des phénomènes analogues qui portent à croire que la tradition de Moïse n’est pas une chimère. L’un des plus étonnants, est celui d’un moine à Issoire, en Auvergne, où le cardinal de Fleury fit exiler, en 1739, le garde des sceaux Chauvelin. Ce moine avait les deux sexes ; on lit dans le couvent ces vers à son sujet[2] :

J’ai vu vif, sans fantôme,
Un jeune moine avoir
Membre de femme et d’homme,
Et enfant concevoir.
Par lui seul, en lui-même,
Engendrer, enfanter,
Comme fait autre femme,
Sans outils emprunter.

Cependant les registres du couvent portent que ce moine ne s’engrossa point lui-même ; il n’avait pas été tout à la fois agent et patient. Il fut livré à la justice et détenu jusqu’à sa délivrance. Néanmoins, le registre ajoute ces mots remarquables : « Ce moine appartenait à monseigneur le cardinal de Bourbon ; il avait les deux sexes, et de chacun d’iceux s’aida tellement, qu’il devint gros d’enfant. »

Je sais que l’on peut instituer une différence entre l’hermaphrodite proprement dit et l’androgyne. L’androgyne et l’hermaphrodite, pure invention des Grecs, qui voulaient et savaient tout embellir, ont été célébrés ainsi à l’envi par tous les poëtes, qui en faisaient des descriptions charmantes, tandis que les artistes les représentaient sous les formes les plus agréables et les plus propres à réveiller les sentiments de la volupté ; Pandore ne réunissait que les perfections de son sexe. L’hermaphrodite réunit toutes les perfections des deux sexes. C’est le fruit des amours de Mercure et de Vénus, comme l’indique l’étymologie du nom[3]. Or, Vénus était la beauté par excellence ; Mercure à sa beauté personnelle joignait l’esprit, les connaissances et les talents. Si on se forme l’idée d’un individu en qui toutes ces qualités se trouvent rassemblées, on aura celle de l’Hermaphrodite, tel que les Grecs ont voulu le représenter. Les androgynes, au contraire, sous la véritable acception de leur nom, ne sont que des participants aux deux sexes, que l’on n’a nommés hermaphrodites que parce que les anciens avaient feint que le fils de Mercure et de Vénus avait les deux sexes. Mais il n’en est pas moins vrai que, comme il y a eu de tout temps des femmes qui ont tiré un grand parti de cette conformité androgyne, elles ont su la rendre précieuse. Lucien, dans un de ses dialogues, instruit deux courtisanes, dont l’une dit à l’autre : « J’ai tout ce qu’il faut pour contenter tes désirs ; » à quoi celle-ci répond : « Tu es donc hermaphrodite[4] ? » Saint Paul reproche ce vice aux femmes romaines[5]. On a peine à croire ce qu’on lit dans Athénée sur les excès de ce genre commis par ces femmes[6]. Aristophane, Plaute, Phèdre, Ovide, Martial, Tertullien et Clément d’Alexandrie, les ont désignées d’une manière plus ou moins directe, et Sénèque les accable d’une effroyable imprécation[7].

Les hermaphrodites parfaits sont à présent très-rares ; ainsi il paraît que la nature ne produit plus de ces hommes androgynes ; mais il faut convenir que l’on remarque fréquemment des effets de ces dédoublements que nous venons d’expliquer ; de tout temps et dans l’antiquité la plus reculée, comme dans les siècles plus voisins de nos jours, on a vu la passion la plus décidée de femme à femme. Lycurgue, ce sévère Lycurgue, qui rêva des choses si bizarres et si sublimes, faisait représenter publiquement des jeux qu’on appelait gymnopédies, où les jeunes filles paraissaient nues ; les danses, les attitudes, les approches, les enlacements les plus lascifs, leur étaient enseignés. La loi punissait de mort les hommes qui auraient été assez téméraires pour les approcher. Ces filles habitaient entre elles jusqu’à ce qu’elles se mariassent ; le but du législateur était apparemment de leur apprendre l’art de sentir, qui embellit beaucoup celui d’aimer ; de les instruire de toutes les nuances de sensation que la nature indique, ou dont elle est susceptible ; en un mot, de les exercer entre elles, de manière à tourner un jour au profit de l’espèce humaine tous les raffinements qu’elles s’enseignaient mutuellement. Enfin, on leur apprenait à être amoureuses avant d’avoir un amant ; car on est amoureuse sans amour, comme on assure quelquefois qu’on aime sans être amoureuse. N’a pas du tempérament qui veut ; n’aime pas qui veut ; c’est une morale de ce genre que Lycurgue a développée dans ses lois ; c’est cette morale qu’Anacréon a éparpillée dans ses immortels badinages, comme les feuilles de la rose. Qui se serait attendu à trouver Anacréon et Lycurgue dans les mêmes principes ? Sapho, avant le poëte de Théos, les avait réduits en système pratique, et en avait décrit les symptômes. Oh ! quel peintre et quelle observatrice était cette belle, dévorée de tous les feux de l’amour !

Cette Sapho, qui n’est guère connue que par les fragments de ses poésies brûlantes et ses amours infortunées, peut être regardée comme la plus illustre des tribades. On compte au nombre de ses tendres amies les plus belles personnes de la Grèce[8], qui lui inspirèrent des vers. Anacréon assure qu’on y trouve tous les symptômes de la fureur amoureuse. Plutarque apporte un de ces morceaux de poésie en preuve que l’amour est une fureur divine qui cause des enthousiasmes plus violents que ne l’étaient ceux de la prêtresse de Delphes, des Bacchantes et des prêtres de Cybèle ; qu’on juge quelle flamme brûlait le cœur qui inspirait ainsi[9] !

Mais Sapho, longtemps amoureuse de ses compagnes, les sacrifia à l’ingrat Phaon, qui la réduisit au désespoir. N’aurait-il pas mieux valu pour elle de continuer à poursuivre des conquêtes que les familiarités facilitées par la conformité du sexe, les sûretés qu’il procure et l’ascendant de son esprit devaient lui rendre si aisées ? D’autant plus qu’elle était douée de tous les avantages que l’on peut désirer dans cette passion, à laquelle la nature semblait l’avoir destinée, car elle avait un clitoris si beau, qu’Horace donnait à cette femme célèbre l’épithète de mascula, c’est-à-dire, en français, femme-hommesse.

Il paraît que le collége des Vestales peut être regardé comme le plus fameux sérail de tribades qui ait jamais existé, et l’on peut dire que la secte Anandryne a reçu dans la personne de ces prêtresses les plus grands honneurs. Le sacerdoce n’était pas un de ces établissements vulgaires, humbles et faibles dans leurs commencements, que la piété hasarde, et qui ne doivent leur succès qu’au caprice. Il ne se montre à Rome qu’avec l’appareil le plus auguste : vœu de virginité, garde du palladium, dépôt et entretien du feu sacré[10], symbole de la conservation de l’empire, prérogatives les plus honorables, crédit immense, pouvoir sans bornes. Mais combien tout cela eût été payé cher par la privation absolue de ce bonheur auquel la nature appelle tous les êtres, et les supplices affreux qui attendaient les Vestales, si elles succombaient à sa voix ! Jeunes et capables de toute la vivacité des passions, comment y seraient-elles échappées sans les ressources de Sapho, tandis qu’on leur laissait la liberté la plus dangereuse, et que leur culte même les appelait à des idées si voluptueuses ? car on sait que les Vestales sacrifiaient au dieu Fascinus, représenté sous la forme du Phallum égyptien. Il y avait des cérémonies singulières observées dans ces sacrifices ; elles attachaient cette image du membre viril aux chars des triomphateurs ; ainsi le feu sacré qu’elles entretenaient était censé se propager dans tout l’empire par les voies véritablement vivifiantes ; mais qu’un tel objet de contemplation était peu nécessaire à exposer à la vue de jeunes filles vouées à la virginité !

On voit que les tribades anciennes avaient d’illustres modèles. L’abbé Barthélemi, dans ses Antiquités palmyréniennes, cite les habits qu’elles affectaient en public : c’étaient, selon lui[11], l’énomide et la callyptze. L’énomide serrait étroitement le corps et laissait les épaules découvertes. Quant à la callyptze, on ne la connaît que par son nom, comme la crocote, la lobe turentine, l’anobolé, l’encyclion, la cécriphale et les tuniques teintes en couleurs ondoyantes, qui désignaient assez bien cette ardeur des tribades qui appètent sans cesse, comme les flots se succèdent sans jamais se tarir, Elles arboraient ces vêtements suivant les situations dans lesquelles elles se trouvaient. La callyptze était pour le public extérieur ; elles portaient l’énomide lorsqu’elles recevaient du monde dans leur intérieur ; la tarentine servait dans les voyages ; la crocote était pour le boudoir, lorsqu’elles étaient dans un exercice solitaire ; l’anobolé pour la tribaderie de tête-à-tête ; la cécriphale pour les rendez-vous nocturnes ; l’encyclion pour tenir cercle licencieux ; les tuniques teintes, pour les grandes confréries, les orgies ; et la couleur de la tunique annonçait l’office dont la tribade qui la portait était chargée pour ce jour. Chaque genre de service avait sa couleur ondoyante particulière.

Il est certains cas où la tribaderie a été conseillée par des physiciens très-savants. On sait que David ne recouvra sa chaleur que par des femmes qui tribadaient par-dessus son corps. Quant à Salomon, il n’employait sans doute ses trois mille concubines qu’à faire exécuter en sa présence des évolutions en grand. De nos jours, la chaleur idiopathique se restitue dans le corps humain par les jeux d’une multitude de femmes, au milieu desquelles s’établit celui qui veut recouvrer ses forces. Ce remède était conseillé par Dumoulin toujours avec succès. On sent qu’aussitôt que le malade ressentait les effets idiopathiques de la chaleur, il devait se retirer pour laisser rasseoir et raffermir l’incandescence qui paraissait se montrer ; autrement, il en serait résulté un effet contraire. Ce système est fondé sur ce que l’homme n’a besoin que de la présence de l’objet pour ressentir l’espèce de chaleur dont il s’agit, laquelle le meut plus ou moins fortement, selon qu’il est plus ou moins débilité. En général, la fréquence des accès de cette chaleur vivifiante dure autant et plus que les forces de l’homme. C’est une des suites de sa faculté de penser, et de se rappeler subitement certaines sensations agréables, à la seule inspection des objets qui les lui ont fait éprouver. Ainsi celle qui disait « Que si les animaux ne faisaient l’amour que par intervalles, c’est qu’ils étaient des bêtes,  » disait un mot plus philosophique qu’elle ne pensait.

Au reste, en tribaderie, comme en tout, les excès sont nuisibles ; ils énervent au lieu d’exciter. Il arrive quelquefois, à force de recherches, des aventures singulières et funestes dans ces sortes d’exercices. Il y a peu de temps qu’à Parme, une fille accoutumée à tribader avec sa bonne amie, se servit d’une grosse aiguille à tête d’ivoire, de la longueur d’un doigt, qui dans les secousses fit fausse route et tomba dans la vessie de domenica. Elle n’osa déclarer son aventure, souffrit et patienta : elle urinait goutte à goutte : au bout de cinq mois, il s’était formé une pierre autour de l’aiguille, que l’on tira par les voies ordinaires. Dans les couvents, vastes théâtres de tribaderies, il est arrivé beaucoup d’événements pareils ; ici c’est un cure-oreilles, là un pessaire ; dans un autre, un affiquet ou un canon de seringue ; ailleurs, une fiole d’eau de la reine d’Hongrie, pour la laisser distiller goutte à goutte ; une petite navette de tisserand ; un épi de blé qui monte de soi-même, qui chatouille le vagin, et que la pauvre nonnette ne peut plus retirer, etc. On ferait un volume de pareilles anecdotes.

M. Poivre nous apprend dans ses Voyages que les plus fameuses tribades de l’univers sont les Chinoises ; et comme en ce pays les femmes de qualité marchent peu, elles tribadent à travers des hamacs suspendus. Ces hamacs sont faits de soie plate à mailles, de deux pouces en carré ; le corps y est mollement étendu, les tribades se balancent et s’agitent sans avoir la peine de se remuer. C’est un grand luxe de mandarin que d’avoir dans une salle, au milieu des parfums, vingt tribades aériennes qui s’amusent sous ses yeux.

Le sérail du Grand-Seigneur n’a pas d’autre but ; car que ferait un seul homme de tant de beautés ? Quand le Sultan blasé se propose de passer la nuit avec une de ses femmes, il se fait apporter son sorbet au milieu de la pièce des Tours (All’hachi) ; c’est ainsi qu’on la nomme. Les murs sont couverts des peintures les plus lascives ; à l’entrée de cette pièce, on voit une colombe d’un côté, et une chienne de l’autre, par où l’on sort ; symbole de volupté et de lubricité.

Au centre des peintures se lisent vingt vers turcs qui décrivent les trente beautés de la belle Hélène, et dont M. de Saint-Priest a envoyé dernièrement un fragment avec ces détails ; ce fragment a été traduit par un Français du quartier de Péra[12].

Je n’essaierai point de traduire ces vers en français ; ils n’ont pas été faits par un poëte. Ce calcul arithmétique, ces trente qualités coupées gravement trois à trois, glaceraient toute verve. On ne calcule point les charmes qu’on adore ; on s’enivre, on brûle, on les couvre de baisers ; ce n’est qu’alors qu’on est intéressant ; la belle qui verrait compter par ses doigts les attraits dont elle est ornée, prendrait le calculateur pour un sot, et ferait elle-même une pauvre figure. Il y en a bien plus de trente ; il y en a plus de mille. Quoi ! lorsqu’on voit Hélène nue, a-t-on la tête si nette[13] ?… Mais les Turcs ne sont pas galants.

Le Sultan arrive dans cette salle, où les Muets ont tout fait préparer. Il s’accroupit dans un coin, d’où il rase la terre pour voir les attitudes sous un angle favorable ; il fume trois pipes, et pendant le temps qu’il y emploie, ce que l’Asie produit de plus parfait paraît nu dans cette salle. Elles s’accouplent d’abord suivant le tableau de la belle Hélène, puis se mêlent et diversifient les groupes et les postures dont les murs leur offrent les modèles, qu’elles surpassent par leur agilité. Il y a entre autres, dans ce salon voluptueux, sept tableaux de Boucher, dont un représente des fictions d’après le Caravage, et le dernier Sultan les faisait exécuter en naturel d’après le peintre des Grâces. Oh ! si l’on employait autant d’efforts à former les mœurs qu’à les corrompre, à créer les vertus qu’à exciter les désirs, que l’homme aurait bientôt atteint le degré de perfection dont sa nature est susceptible !

  1. Voyez l’Anélytroïde, page 21.
  2. Ce n’est point dans le couvent d’Issoire que se lisent ces vers, mais dans la chronique en vers de Jean Molinet. Ce fait eut lieu en 1478, et non pas de nos jours. Tous les historiens du temps en font mention. (Voyez la Description des principaux lieux de France, par Dulaure, tome V, pag. 337.)
  3. Lucian., t. I, Dialog. deor. XV ; et Diod. de Sic., liv. IV, pag. 252, édit, de Westhling.
  4. Dialog. meret. V.
  5. Ad Rom., cap. I, v. 26.
  6. Liv. IV, cap. XVI.
  7. « Dii illas deæque male perdant ! Adeo perversum commentæ genus impudicitiæ ! Viros ineunt. » (Epist. XCV.)
  8. Thélésyle, Amythone, Atthys, Anactorie, Cydno, Mégare, Pyrrine, Andromède, Mnaïs, Cyrine, etc.
  9. On lisait aux pieds de la statue de Sapho, par Silanion : « Sapho, qui a chanté elle-même sa lubricité et qui fut amoureuse à la rage. »
  10. Vesta vient du grec et signifie feu. Les Chaldéens et les anciens Perses appelaient le feu avesta. Zoroastre a intitulé son fameux livre, Avesta, la garde du feu. La porte des maisons, l’entrée s’est appelée vestibule, parce que chaque Romain avait soin d’entretenir ce feu de Vesta à la porte de sa maison. C’est de là sans doute que l’entrée du vagin s’appelle le vestibule du vagin, comme étant le lieu où, s’entretient le premier feu de ce temple.
  11. Je ne doute pas que quelque érudit ne me fasse ici plus d’une difficulté… Mais on n’aurait jamais fini s’il fallait répondre à tout.
  12. On sent bien que la dignité de M. de Saint-Priest l’empêchera d’en convenir ; et quelque littérateur, encouragé par ce désaveu, viendra me soutenir que ces vers sont tout simplement imités d’un passage de la Sylva nuptialis, de J. de Nevisan ; et puis vite, il citera le morceau. Le voici :

    Trigenta hæc habeat, quæ vult formosa vocari
     Fæmina ; sic Helenam fama fuisse refert ;
    Alba tria et totidem nigra, et tria rubra puella ;
     Tres habeat longas, tres totidemque breves ;
    Tres crassas, totidem graciles, tria stricta, tot ampla.
     Sint ibidem huic formæ, sint quoque parva tria.
    Alba cutis, nivei dentes, albique capilli,
     Nigri oculi, cunnus, nigra supercilia.
    Labra, genæ atque ungues rubri. Sit corpore longa,
     Et longi crines, sit quoque longa manus,
    Sintque breves dentes, aures, pes ; pectora lata,
     Et clunes, distent ipsa supercilia ;

    Cunnus et os strictum, stringunt ubi cingula stricta,
     Sint coxæ et collum, vulvaque turgidula,
    Subtiles digiti, crines et labra puellis ;
     Parvus sit nasus, parva mamilla, caput ;
    Cum nullæ aut raro simul hæ formosa vocari
     Nulla puella potest, rara puella potest.

    Mais je le prie de me dire où est l’impossibilité que ces vers soient traduits en turc dans le sérail ?… Enfin, on ne dispute point contre les faits.

  13. Et puis comment traduire en vers, avec grâce et noblesse, cunnus, clunes, vulva ? On aurait de la peine à s’en tirer dans un mauvais lieu. Mais l’amour veut être servi dans un temple.