Michel Lévy frères (p. 341-354).

XXXIII LES MORTS VONT VITE modifier

Comme il revenait sur ses pas lentement, avec les dragons groupés autour de MM. de Saint-Paer et de Collonges, Armand-Louis rencontra Renaud, qui, flanqué de Carquefou, galopait à côté d’un bas officier revêtu de l’uniforme de la cavalerie croate. On fit halte un instant.

— Cet homme m’a promis de me conduire au logis de M. de Pappenheim, dit le marquis ; s’il tient sa promesse, il aura cent pistoles ; s’il y manque, la balle de ce pistolet lui cassera la tête.

— À toi le grand maréchal de l’empire, à moi le capitaine Jacobus ! répondit M. de la Guerche.

Les deux frères d’armes échangèrent une vigoureuse poignée de main ; on lisait sur leur visage la marque d’une résolution implacable.

M. de Collonges intervint.

— Mon cheval est frais, dit-il, je l’ai emprunté à un officier des gardes de Wallenstein à qui je l’ai payé d’un coup d’épée… je vais donc m’attacher à la fortune de M. de Chaufontaine ; M. de Saint-Paer restera avec M. de la Guerche… Ainsi chacun de nous aura sa part dans l’œuvre commune. Les dragons se divisèrent en deux bandes, les mieux montés se rangeant autour de M. de Collonges.

— Adieu, Baliverne, dit Carquefou à Magnus ; Frissonnante me paraît en danger de mort, mais elle a aussi une petite rancune à payer… Si chemin faisant nous expirons de compagnie, pardonne-nous en souvenir des émotions qui ne nous ont pas été ménagées.

Bientôt après, la troupe qui suivait Renaud s’effaça dans l’éloignement.

Lorsque M. de la Guerche reparut sur le champ de bataille, le jour était fini. On ne voyait plus çà et là, au milieu des clartés douteuses du crépuscule, que quelques blessés qui se traînaient lentement pour gagner les ambulances.

Dix mille morts couvraient la plaine. Un silence funèbre enveloppait cette foule immobile, tout à l’heure agitée par le vent de toutes les passions violentes. Au milieu des ombres qui allaient s’épaississant de minute en minute, Armand-Louis, M. de Saint-Paer et Magnus cherchaient le corps du roi.

Comme ils erraient silencieusement au milieu des rangs confondus des Impériaux et des Suédois, il leur sembla qu’une forme noire pareille aux fantômes allait et venait dans la nuit.

— Serait-ce déjà le capitaine Jacobus ? murmura Magnus.

Armand-Louis s’approcha. Une femme alors, levant son voile, le regarda.

— Ne me reconnaissez-vous pas ? dit-elle.

— Marguerite !

— Oui, Marguerite, qui pleure et ne se consolera jamais ! Partout où le roi est allé, je suis allée ; à Leipzig, au passage du Lech, à Nuremberg ! Il était ce matin à Lutzen, j’y étais aussi. Il combattait, et je priais. Dieu n’a pas voulu que l’ Allemagne connût le héros qui l’a sauvée de l’esclavage ; mais si son âme est là-haut, il faut du moins que sa dépouille mortelle soit rendue à la Suède.

— Voilà une heure que je cherche celui qui fut Gustave-Adolphe. Hélas ! qui sait ce qu’il est devenu ?

— Suivez-moi, et si vous ne le trouvez pas, moi je le trouverai.

Marguerite poursuivit sa marche d’un pas ferme, passant au milieu des morts renversés les uns sur les autres. Son visage avait l’aspect du marbre.

« Ah ! que je l’ai vue heureuse et belle ! pensait Armand-Louis. »

La fille d’Abraham Cabeliau arriva ainsi auprès d’un amas de cadavres groupés dans toutes les attitudes de la mort. La terre était toute imbibée de sang et couverte de débris d’armes.

Ce n’était que mousquetaires et cuirassiers entassés pêle-mêle, tous criblés de blessures, mutilés, éventrés, la tête fendue, le visage encore empreint de furie.

Marguerite chercha dans cet amoncellement de corps méconnaissables, çà et là labourés par les fers de mille chevaux.

Tout à coup, elle tomba à genoux, et, soulevant dans ses bras une tête froide voilée des ombres de la mort :

— Le voilà ! dit-elle.

Il y avait tant de larmes et de douleur dans ce seul cri, que Magnus détourna la tête et se mit à pleurer.

Mais alors Marguerite se redressant et jetant derrière sa tête le long voile qui lui faisait comme un linceul, les yeux noyés de larmes, le visage en feu :

— Et celui qui a tué ce héros, il vit peut-être ! s’écria-t-elle. Dieu du ciel, où est Ta justice ?

M. de la Guerche lui saisit la main : — Oui, madame, cet homme vit, dit-il ; mais par l’âme de celui qui ne m’entend plus, je vous jure que Gustave-Adolphe sera vengé !

Magnus, passant rapidement la main sur ses yeux :

— À l’œuvre donc ! dit-il. À présent que nous savons où est le corps du roi, laissons-le pour une heure à cette place. Vous, madame, allez prier sous l’ombre de ces arbres déchirés par la mitraille. Vous êtes une femme, on peut vous voir et vous entendre sans concevoir aucun soupçon. Combien de veuves et de mères qui pleureront ce soir !… Vous, monsieur de Saint-Paer, mettez-vous en embuscade, là-bas, derrière ce pan de mur, qui vous permet de tout observer sans être remarqué.

— Que prétends-tu faire ? dit Armand-Louis.

— Nous sommes en chasse ; tendons le piège où le tigre doit être pris.

— Ah ! je comprends. Mais s’il ne vient pas ?

— S’il ne vient pas ? Savez-vous un coin de l’Allemagne que la pointe de Baliverne ne puisse pas fouiller ? Mais, rassurez-vous… le tigre a flairé l’odeur du sang ; il voudra voir si sa victime est morte.

— Bien, Magnus, bien ! Moi, je vais attendre là, à l’abri de ce bouquet de sapins, et vingt dragons feront un cercle dans la plaine pour qu’il ne puisse approcher sans être aperçu, et tenter de fuir sans être pris.

— Pas un mot surtout, pas un mouvement ; il y a partout des quartiers de rochers, des troncs d’arbres rompus, des chaumières en ruine, des remparts de cadavres… que ce soient autant de retraites où vous restiez ensevelis ; mais, quand vous me verrez debout, l’épée au poing, criant : « Gustave-Aldolphe ! » alors levez-vous tous !

— Et alors à moi de le tuer ! s’écria M. de la Guerche. Les dragons s’éloignèrent.

Marguerite s’agenouilla sur un tertre, et tout bruit mourut dans la plaine.

Magnus, resté seul, se pencha parmi les morts et choisit une casaque aux couleurs impériales, qu’il endossa ; le sang et la poudre dont il macula son visage lui firent un masque ; il se coiffa d’un casque bosselé, et, méconnaissable à tous les yeux, le vieux partisan gagna l’extrême limite du champ de bataille.

Quelques gémissements s’élevaient de la plaine et indiquaient seuls qu’un reste de vie s’y débattait.

Nous allons abandonner pour un instant M. de la Guerche et Magnus, et rejoindre M. de Chaufontaine, lancé avec M. de Collonges à la poursuite du grand maréchal de l’empire. Il lui fallait cet homme, mort ou captif.

Le Croate, dont il surveillait les mouvements, galopait dans la direction de Leipzig. Çà et là, mais à de rares intervalles, on apercevait quelques groupes de soldats débandés. Ceux-là jetaient leurs armes à la vue des dragons suédois et prenaient la fuite ; d’autres, épouvantés, se mettaient à genoux et demandaient grâce ; un certain nombre, infidèles au drapeau vaincu, et privés de leurs chefs, se ralliaient à l’escorte du marquis et criaient :

— Vive Gustave-Adolphe !

Une pauvre maison, dont les vitres à demi rompues brillaient dans la nuit, se montra sur l’un des côtés de la route. Le Croate étendit la main.

— C’est là ! dit-il.

Des ombres passaient devant les fenêtres ; un groupe de cuirassiers sanglants, mutilés, mais l’épée au poing, veillaient autour de la maison. À l’aspect de Renaud, ils se rangèrent devant la porte.

— Bas les armes ! dit Renaud ; vous êtes dix et nous sommes trente !

Une voix mâle se fit entendre dans l’intérieur de la chaumière ; M. de Chaufontaine reconnut la voix de M. de Pappenheim.

— Laissez entrer ! cria-t-il, l’ennemi verra comment sait mourir le maréchal de l’empire d’Allemagne.

Sombres et muets, les cuirassiers s’écartèrent de la porte, et M. de Chaufontaine entra, suivi de M. de Collonges.

Carquefou, Frissonnante à la main, se glissa derrière eux.

M. de Pappenheim, sans cuirasse, la tête nue, couvert déjà des ombres de la mort, gisait sur un lit misérable. Quelques gouttes de sang suintaient à travers l’appareil posé sur les blessures et tombaient à terre. Son épée, brisée par le milieu, était couchée en travers du drap.

À la vue du marquis, il se souleva sur le coude, et, le saluant de la main :

— Il y a loin de la Grande-Fortelle à Leipzig ! dit-il. Depuis lors nous nous sommes rencontrés dans bien des fortunes diverses… Soyez le bienvenu dans ma dernière maison.

M. de Chaufontaine se découvrit ; Carquefou abaissa la pointe de Frissonnante.

Alors, posant la main sur la garde du fer brisé, qu’il n’avait pas abandonné :

— Si c’est là ce que vous cherchez, poursuivit le grand maréchal, attendez encore quelques minutes, la mort va me l’arracher.

Une ombre de colère et de désespoir passa sur son visage.

— Vous m’avez rencontré sur dix champs de bataille, continua-t-il ; par respect pour la mort qui plane ici, oubliez nos longues inimitiés, et répondez en soldat à celui qui fut le Soldat. Votre présence ici me dit assez que la bataille est perdue. Que reste-t-il de l’armée impériale ? — Quelques bandes en déroute, des escadrons dispersés.

— Et le duc de Friedland, notre chef ?

— Il est en fuite.

— S’il est vivant, rien n’est perdu.

M. de Pappenheim fit un effort, et, sans quitter la garde de son épée :

— Et Gustave-Adolphe ? ajouta-t-il.

M. de Chaufontaine baissa la tête sans répondre.

— Et Gustave-Adolphe ? répéta le blessé avec plus de force.

— Il est mort, dit Renaud.

— Mort ! s’écria le grand maréchal ; mort, le roi de Suède !

Alors, levant son corps, les mains toutes frémissantes, le visage transfiguré :

— Béni soit le Dieu qui m’a permis d’apprendre avant la dernière heure que l’implacable ennemi de ma religion et de mon pays a perdu la vie ! s’écria-t-il. Non, la bataille n’est pas perdue si Gustave-Adolphe n’est plus ! Qu’importe que cinquante régiments aient été brisés comme ce fer est brisé lui-même ! Je meurs content… Lui mort, l’Autriche est triomphante !

Un coup violent frappé à la porte l’interrompit ; un cuirassier entra, précédant un courrier qui mit un genou en terre.

— J’arrive de Madrid, dit cet homme, et le roi mon maître m’a ordonné de remettre ce coffret aux mains du grand-maréchal de l’empire.

M. de Pappenheim s’empara du coffret et l’ouvrit. Bientôt les insignes éclatantes de l’ordre fameux de la Toison d’or brillèrent entre ses doigts tremblants ; une sorte d’extase illumina son visage.

— Enfin ! murmura-t-il.

Un frisson le prit.

— Adieu la gloire ! adieu la terre ! dit-il.

Une pâleur mortelle s’étendit sur son front ; la croix rouge parut faiblement à l’angle interne des sourcils ; alors, tournant vers M. de Chaufontaine ses yeux où les flammes de la vie s’éteignaient :

— Je vous ai toujours connu un homme de guerre brave et généreux, dit-il ; en mémoire des jours où nos épées se sont heurtées, laissez mes cuirassiers m’ensevelir avec ces deux souvenirs d’ici-bas.

— Que votre volonté soit faite ! dit Renaud.

— À présent, que Dieu m’appelle : je suis prêt ! s’écria le grand maréchal.

Et bientôt, les deux mains étendues sur le collier de la Toison d’or et la garde de son épée, il rendit l’âme.

— Oui, c’était un soldat ! murmura M. de Chaufontaine.

— Dieu m’accorde une pareille mort ! répondit M. de Collonges, qui s’était agenouillé.

Tandis que ces choses se passaient dans l’humble maison où le hasard de la bataille avait jeté mourant l’un des meilleurs hommes de guerre du XVIIe siècle, Armand-Louis, Magnus et M. de Saint-Paer attendaient sur le champ funèbre de Lutzen.

Le silence était profond ; quelque souffle de vent passait dans les arbres comme une plainte ; la lune, immobile dans un ciel pur, éclairait la plaine, où dormait une foule glacée.

Parfois un cheval blessé relevait la tête et poussait un long hennissement, puis tout se taisait.

La nuit était déjà avancée ; Armand-Louis commençait à croire que le capitaine Jacobus ne viendrait pas. En ce moment, le vieux Magnus, qui errait sur la lisière du champ de bataille, aperçut un homme qui marchait lentement et regardait autour de lui. Sa haute taille jetait une ombre sur la terre ; il tenait une épée nue à la main. — C’est lui ! murmura Magnus.

Et il se dirigea vers le capitaine, tout en ayant l’air de chercher de côté et d’autre sur le sol.

Le capitaine s’arrêta, tira un pistolet de sa ceinture et considéra pendant quelques minutes cet inconnu qui allait et venait parmi les morts.

— Un maraudeur ! fit-il enfin.

Remettant alors le pistolet dans les plis de la soie :

— Eh ! l’ami ! s’écria-t-il.

Magnus releva la tête, hésita comme un homme surpris et mécontent, puis se dirigea vers le capitaine, la main sur la garde de son épée.

— Laisse-là ce joujou, poursuivit le capitaine Jacobus. Si tu pilles les cadavres, moi je n’en veux trouver qu’un seul. Donc, point de querelles entre nous !

— Alors, causons, répondit Magnus, mais faisons vite ; le jour n’est pas loin, et il ne ferait pas bon de rencontrer quelque patrouille suédoise par ici.

— Écoute ! Si tu m’aides à découvrir celui que je cherche, il y a pour toi plus d’or dans cette bourse que tu n’en découvriras dans les poches de cent officiers.

— Parlez.

— L’homme dont je parle est tombé auprès d’un champ de sarrasin, non loin d’un bouquet d’arbres, à un endroit où la route fait un coude.

Magnus se gratta le front.

— J’ai vu dans un endroit semblable un amoncellement extraordinaire de cadavres ; ils étaient couchés comme les épis d’une gerbe déliée, les uns sur les autres. L’un d’eux portait un justaucorps de peau de buffle à gorgerin d’acier ; il avait le bras gauche cassé par une balle.

Le capitaine saisit Magnus par le poignet :

— Marche, je te suis ! dit-il. Magnus, sans répondre, prit hardiment un sentier qui coupait diagonalement le terrain de la bataille. Le capitaine marchait sur ses traces, à la distance d’une épée. Ses regards inquiets sondaient partout la douteuse clarté de la nuit, mais rien ne bougeait dans l’immense plaine. D’ailleurs, l’homme qui marchait devant lui avait l’épée au fourreau.

Ils arrivèrent ainsi auprès d’un champ de sarrasin foulé et haché par les déchirements d’une lutte acharnée. Magnus, du doigt, fit remarquer au capitaine Jacobus un bouquet de quatre ou cinq arbres, et la route, dont la ligne blanche traçait un angle.

— Oui, c’est là, murmura l’aventurier.

Un amas de corps sanglants couvrait la terre comme un tapis ; partout des armes en débris, partout des visages pâles tournés vers le ciel.

Magnus franchit un premier cercle de cadavres, et, au cœur même de cette hécatombe d’êtres humains, sa main désigna le corps du roi.

Alors, se découvrant, et d’une voix tonnante :

— Gustave-Adolphe ! cria-t-il.

Un homme se leva à ce cri, puis un autre, puis dix, puis vingt, et tous, l’épée nue à la main, marchèrent vers Magnus.

— Ah ! traître ! cria le capitaine Jacobus.

Et, s’armant d’un pistolet, il fit feu ; mais le vieux soldat avait fait un bond de côté, et la balle passa à quelques pouces de son front.

— Trop vite et trop tard ! dit froidement Magnus.

Déjà M. de la Guerche et M. de Saint-Paer étaient auprès de lui, et, autour d’eux, un cercle de dragons : point d’issue pour s’échapper.

Le capitaine Jacobus venait de reconnaître M. de la Guerche, et, derrière lui, debout comme un spectre, Marguerite Cabeliau.

Il jeta à ses pieds l’arme inutile, et, croisant les bras sur sa poitrine :

— Ah ! un guet-apens comme à la Grande-Fortelle, dit-il ; le gentilhomme fait œuvre de bandit !

M. de la Guerche fit un geste de la main ; M. de Saint-Paer et Magnus s’écartèrent, et, se plaçant en face de l’aventurier :

— Je croirais ma tâche mal remplie si je ne vous tuais pas ; donc, haut l’épée, capitaine Jacobus, et défendez votre vie ; car, aussi vrai que je m’appelle Armand-Louis de la Guerche, l’un de nous tombera ici pour ne plus se relever.

Le capitaine tira du fourreau sa rapière d’un seul élan ; puis, tout à coud rompant d’un pas :

— Est-ce franc jeu, moi contre vous ? dit-il.

— Franc jeu ; vous contre moi, un contre un.

— Sans pitié ni merci, avec la dague et l’épée ?

— Avec l’épée et la dague, sans quartier ni pardon.

— Et si je vous tue ?

— Vous serez libre, foi de gentilhomme !

M. de Saint-Paer fit un mouvement.

— Laissez, reprit Armand-Louis, cet homme m’appartient.

— Magnus n’est pas gentilhomme, il n’a rien promis, dit Magnus.

Le capitaine Jacobus fit ployer son fer entre ses mains, et le regardant :

— Toi, ce n’est rien, fit-il d’un air dédaigneux.

— À présent, en garde, et priez Dieu ! s’écria M. de la Guerche.

Le fer croisa le fer, et le duel commença.

Marguerite, à genoux, soutenait la tête livide du roi et la tournait vers les combattants, comme si elle eût voulu que le mort fût le témoin de cette lutte implacable destinée à le venger.

Cette fois, Armand-Louis avait affaire au plus terrible jouteur qu’il eût rencontré. Pas de feinte, pas de ruse qui fussent inconnues au capitaine Jacobus ; il se faisait de l’épée et du poignard un bouclier agile et vivant, d’où partaient mille ripostes promptes comme la foudre. Un nuage passa sur le front de Magnus, qui serra la poignée de Baliverne.

Mais Armand-Louis parait tous les coups et multipliait les siens avec une rapidité et une précision qui augmentaient avec la résistance.

On n’entendait que le cliquetis du fer et le souffle de deux respirations courtes, pressées, ardentes.

À mesure que les deux adversaires changeaient d’attitude, Marguerite tournait entre ses genoux la tête du roi mort, afin que sa face blême menaçât toujours le capitaine Jacobus.

Un instant, les yeux de l’aventurier rencontrèrent ce visage terrible ; il frissonna, et l’épée d’Armand-Louis le toucha en pleine poitrine ; mais le fer rencontra les fines mailles d’un justaucorps d’acier pris sous le pourpoint de buffle, et vola en éclats.

— Ah ! bandit ! s’écria M. de la Guerche.

Un cri de joie féroce lui répondit.

Magnus devint pâle, et on le vit brandir Baliverne ; mais au moment où Jacobus, qui se croyait sûr de la victoire, fondait sur M. de la Guerche, la main de Marguerite tendit au gentilhomme une épée rouge qu’elle avait ramassée dans le sang.

— C’est l’épée du roi ; tuez cet homme ! dit-elle.

Le bras du capitaine Jacobus hésita ; le coup qu’il destinait à son adversaire se perdit dans le vide, et presque aussitôt la pointe d’un fer dont il avait appris à connaître la force, le menaça de nouveau.

— C’est à la gorge qu’il faut frapper ! dit Magnus d’une voix sombre.

Mais déjà le duel recommençait plus âpre et plus acharné.

— Mort de ma vie ! j’en viendrai à bout cependant ! murmura le capitaine.

Il se ramassa sur lui-même comme un tigre, et son jeu terrible devint plus rapide et plus serré. On voyait luire ses dents blanches à travers ses moustaches rouges.

Quelques gouttes de sang parurent bientôt après sur les vêtements de M. de la Guerche, qu’une armure de fer ne protégeait pas. Deux fois déjà l’épée du capitaine en avait déchiré l’étoffe. Un ricanement ouvrit ses lèvres.

— Mon épée a soif ; prends garde ! dit-il.

Il fit un pas, et Magnus passa la main sur son front trempé de sueur ; mais soudain le fer d’Armand-Louis brilla comme une flèche et atteignit l’aventurier au défaut de l’épaule.

— Tonnerre ! s’écria celui-ci en rompant.

M. de la Guerche laissa tomber son épée, fit un bond, et, tandis que sa main droite saisissait le bras gauche du capitaine, avec la rapidité de l’éclair, de son autre main, il lui plantait dans la gorge son poignard tout entier.

La coquille d’acier heurta le gorgerin, et un jet de sang noir jaillit sur le bras du vainqueur.

Le capitaine Jacobus jeta la tête en arrière et tomba comme un chêne ; ses talons et ses mains battirent le sol ; puis ses membres se roidirent, et il resta couché par terre, la face noyée dans le sang. Alors, jetant au loin l’arme qui avait terrassé l’assassin du roi :

— Justice est faite ! dit Armand-Louis. À la pointe du jour, deux troupes de cavaliers se rencontrèrent sur la route de Leipzig : l’une était conduite par M. de Chaufontaine, l’autre par M. de la Guerche. L’une avait vu mourir le comte de Pappenheim ; l’autre ramenait le corps du roi Gustave-Adolphe. Bientôt après, les deux gentilshommes entraient chez M. de Pardaillan.

— Crois-tu que Frissonnante pourra se reposer maintenant ? demanda Carquefou.

— Qui sait ! Baliverne n’est pas fatiguée, répondait Magnus.

Adrienne et Diane attendaient leurs fiancés.

— Un homme avait osé lever les yeux sur vous, il n’est plus, dit Renaud.

M. de Pardaillan prit la main de Diane et la mit dans celle du marquis.

— Madame, dit alors M. de la Guerche, la dragonne dont Jean de Werth parait la poignée de son épée, la voici, et l’homme qui a porté la main sur le roi, je l’ai tué.

— Madame de la Guerche, dit M. de Pardaillan, embrassez votre mari.

FIN