Michel Lévy frères (p. 217-228).

XXII

CE QUE FEMME VEUT Une sorte d’intimité s’était établie entre le château, où gouvernait le seigneur Mathéus, et le bois, où campaient les dragons. Magnus en profitait pour rendre visite aux murailles de Drachenfeld, dont tous les recoins lui furent bientôt familiers. Il changeait d’apparence plus aisément et plus promptement qu’un caméléon. Tantôt charbonnier, tantôt colporteur, il échappait à tous les soupçons. Il céda une fois aux instances de M. de la Guerche et franchit la herse du château en compagnie de son maître déguisé en pèlerin.

Sur le coup d’une heure, ils virent une porte s’ouvrir au fond d’une galerie, et un cortège parut, se dirigeant vers la chapelle.

Il pleuvait ce jour-là, et Mme d’Igomer éprouvait le besoin de faire ses dévotions.

Derrière Mme de Liffenbach, roide et gourmée, marchaient deux jeunes femmes ; de longs voiles de dentelle pailletés d’or les enveloppaient jusqu’aux pieds et dissimulaient mal la richesse de leurs vêtements. Mais, quelle pâleur sur leurs fronts ! On aurait dit deux statues arrachées au marbre du tombeau. Que devint Armand-Louis en reconnaissant Adrienne et tout près d’elle Mlle de Pardaillan ! Un cri faillit partir de ses lèvres ; Magnus, qui s’était mis à genoux près de lui, saisit son bras et le serrant :

— Pas un mot, pas un geste, ou vous les perdrez avec nous ! murmura-t-il.

M. de la Guerche se contint, mais on le voyait trembler comme un arbre secoué par le vent.

— Tendez la main…, reprit Magnus, n’êtes-vous pas un pèlerin et ne devez-vous pas demander l’aumône ?

Le cortège passa près d’eux ; le pan de la robe d’Adrienne frôla le vêtement du pèlerin. Incapable de se maîtriser, Armand-Louis porta le bout flottant de cette robe à ses lèvres.

Mlle de Souvigny ralentit sa marche, et, laissant tomber une aumône aux mains de cet inconnu :

— Priez pour moi, dit-elle.

Sa voix était si triste, que les yeux de M. de la Guerche se remplirent de larmes.

— Baissez la tête, voici le seigneur Mathéus, reprit son inflexible gardien.

Les genoux d’Armand-Louis restèrent cloués au sol ; mais, quand il se releva, le feu de la colère et de l’exaltation enflammait son visage.

— J’y laisserai mes entrailles ou je la sauverai ! dit-il.

Un matin, c’était le quatrième depuis l’arrivée des dragons, la trompette retentit de nouveau dans les bois. C’était un escadron de Croates qui venait de traverser toute l’Autriche pour se rendre sur le théâtre de la guerre. Un peu harassé de son long voyage, il faisait halte. Quelques gentilshommes huguenots lui rendirent visite.

M. de Collonges rentra dans la soirée, enchanté de sa promenade.

— Réjouissez-vous, messieurs, dit-il, nous allons peloter en attendant partie. Les choses ont tourné si bien dans notre visite, que nous avons eu cette bonne fortune d’attraper quatre ou cinq duels pour demain… c’est de la graine… on peut semer.

— Nous ferons lever la moisson, dit M. d’Aigrefeuille, alléché.

Les duels promis eurent lieu au soleil levant, dans une clairière qui se trouvait à égale distance des deux bivacs. On tua deux Croates et on en blessa trois grièvement.

M. de Voiras eut une égratignure au bras.

Bien ménagé, l’escadron de Croates pouvait durer quinze jours.

— Après quoi nous ferons maigre, dit M. de Saint-Paer.

Mais tandis que les dragons ne trouvaient plus si maussade le séjour des bois, Magnus avait remarqué une bohémienne jeune et jolie qui avait ses libres entrées au château. Cette bohémienne appartenait à une tribu dont les tentes se faisaient voir à une petite distance de Drachenfeld, au pied d’une colline. Elle paraissait avoir de seize à dix-sept ans. On la rencontrait à toute heure sur le chemin de la poterne, armée de son tambour de basque, et il était rare qu’un officier de la garnison ne la guettât pas à la sortie.

Magnus fit causer deux ou trois femmes et quelques laquais. Il apprit que la bohémienne voyait fréquemment Mlle de Souvigny et Mlle de Pardaillan, qui semblaient l’avoir prise en amitié. Elle dansait et disait la bonne aventure. Un des lieutenants du gouverneur, Patricio Bempo, la trouvait fort de son goût. Magnus se gratta l’oreille.

— Là est peut-être le chemin du château, se dit-il : si on avait la bohémienne, on aurait Patricio Bempo ; et si on avait Patricio, on aurait Drachenfeld.

À son tour, et sans en avoir l’air, il rôda autour de la petite sauvage, qui riait et montrait trente-deux dents blanches chaque fois que Patricio Bempo lui parlait.

Ce qui surprenait le plus Magnus, c’est que la bohémienne, quand elle attachait sur lui ses yeux plus noirs que le charbon, avait dans son regard quelque chose de particulier dont la signification lui échappait. Il lui semblait aussi qu’il avait vu ce visage brun quelque part. Mais il avait beau chercher, il ne trouvait rien.

— J’ai tant vu de visages jeunes et vieux, joyeux ou tristes, charmants ou laids !… c’est un océan ! se disait-il.

Un soir, la trouvant seule sur la lisière du bois trottant comme un chevreau, et par aventure privée de la compagnie de Patricio Bempo, il l’aborda résolument.

La bohémienne s’arrêta.

— Vous plairait-il, mon enfant, de rendre service à un gentilhomme qui serait heureux de passer à votre cou un collier fait de cent ducats d’or fin, dit-il, et pareil à cette bague, qui va si bien à votre doigt ?

La bohémienne ne regarda même pas la bague que Magnus venait de tirer de sa poche.

— Vous plairait-il, à votre tour, de me conduire à ce gentilhomme ?… répondit-elle ; quand je l’aurai vu, peut-être serai-je plus disposée à lui rendre le service pour lequel il a besoin de moi.

Magnus hésita.

— Le camp des Espagnols n’est pas si loin, reprit-elle avec un sourire ; marchez, je vous suis.

Mais la bohémienne ne suivait pas son guide, déjà elle le précédait.

Magnus fit route à côté d’elle ; du coin de l’œil il l’observait ; il voyait au fond de sa mémoire confusément un visage à peu près pareil à celui qu’il avait sous les yeux, comme on voit sans en bien saisir les traits une image réfléchie par l’ eau d’une fontaine. La bohémienne pressait le pas. Elle bondissait comme un jeune chevreuil au travers de la forêt. Au bout d’un quart d’heure, et sans avoir retourné la tête, elle arriva au camp, et, montant sur un tertre, chercha partout du regard.

— Pourquoi cherchez-vous un cavalier que vous ne connaissez pas ? lui dit Magnus.

— Et que savez-vous si je ne le connais pas ? D’ailleurs, ignorez-vous que j’appartiens à une race qui a le don de seconde vue ?

Un groupe de dragons se tenait sur la lisière du camp. La bohémienne se dirigea rapidement de ce côté et s’approchant d’un cavalier assis sur le tronc d’un bouleau renversé :

— Monsieur de la Guerche, reprit-elle tranquillement, que puis-je faire pour vous ?

Armand-Louis tressaillit. Magnus saisit la bohémienne par le bras.

— Eh ! eh ! dit-il, tu sais des choses qu’il ne fait pas bon de savoir !

La bohémienne ne chercha pas à se dégager de l’étreinte du vieux soldat, et regardant toujours M. de la Guerche.

— S’il ne vous souvient plus de Yerta, reprit-elle, Yerta n’a rien oublié.

— Yerta ! c’est toi la petite Yerta !… s’écria Armand-Louis.

— Moi-même… et si vous avez passé près de moi sans me reconnaître, mes yeux et mon cœur vous ont deviné du premier instant que je vous ai vu !…

— C’est donc pour cela que je voyais toujours en esprit ce regard noir ?… s’écria Magnus, qui lâcha la bohémienne. Mais, si tu savais si bien qui nous sommes, pourquoi ne t’es-tu pas nommée ?

— M. de la Guerche portait un habit et des couleurs qui ne lui appartiennent pas… son déguisement et le vôtre pouvaient tromper tous les yeux, excepté ceux d’une bohémienne… J’ai pensé que vous ne vouliez pas être reconnus, et j’ai fait comme si je ne vous voyais pas.

— Voilà une enfant qui a le cœur d’un homme ! murmura Magnus.

— J’ai le cœur d’une femme qui se souvient. Si maintenant vous avez besoin de Yerta, Yerta est à vous.

Elle croisa les bras sur sa poitrine et attendit.

— Eh bien ! Yerta, tu peux en un jour payer au centuple ce que j’ai fait pour toi !… s’écria M. de la Guerche.

— Ordonnez, j’obéis.

— Tu entres au château de Drachenfeld et tu en sors librement ?

— Aussi librement que l’oiseau vole dans les forêts.

— Tu as dû y voir deux jeunes filles, deux prisonnières.

— Je les ai vues… l’une qui rit quelquefois ; l’autre qui prie… toutes deux belles comme le matin.

— Yerta, il faut m’aider à les sauver.

— La langue parle de deux jeunes filles, mais le cœur ne pense qu’à une : celle-là est blonde, avec des yeux bleus plus doux que le ciel, plus tristes que la nuit ; elle prie bien souvent et s’appelle Adrienne.

— Quoi ! tu sais… ?

— Il y avait dans votre tente, sur le champ de bataille de Leipzig, un médaillon entre deux épées ; quand j’ai vu au château de Drachenfeld une femme dont les traits ressemblaient au visage peint sur le médaillon, j’ai pensé qu’un jour vous viendriez, c’est pour cela que j’ai attendu.

— Bonne Yerta !

— Elle n’est pas ingrate, celle pour qui vous vous êtes exposé à mille morts ! Ne l’eussé-je pas reconnue, je l’aurais devinée à sa tristesse. Hélas ! celles dont le cœur est pris ne sont pas gaies !

Un soupir souleva la poitrine de Yerta ; promenant alors son regard sur la forêt :

— À présent que vous êtes venu, poursuivit-elle, indiquez-moi ce qu’il faut que je fasse, je le ferai.

— Peux-tu, ne fût-ce que pendant une heure, nous introduire dans le château ? Peux-tu faire en sorte que la poterne soit ouverte un soir ? dit Magnus ; il me semble qu’elle n’est pas toujours fermée.

Yerta rougit.

— Oui, dit-elle, un homme en sort quelquefois sur les pas d’une zingara dont la pensée est ailleurs ; il est amoureux, donc il est aveugle ; si je le veux, la poterne sera ouverte.

— Alors Adrienne est sauvée ! s’écria M. de la Guerche.

On vit comme une ombre passer sur le visage de Yerta.

— Il y a un homme que je tromperai…, reprit-elle avec effort.

— Patricio Bempo ? dit Magnus.

— Oui, Patricio Bempo : si le sang doit couler, vous lui laisserez la vie sauve ?

— Je te le jure, répondit Armand-Louis.

Yerta ôta la bague que Magnus avait passée à son doigt.

— Reprenez ce bijou : il ne doit y avoir entre nous ni or ni argent, reprit-elle ; ce soir je verrai Patricio Bempo.

— Un mot encore ! s’écria M. de la Guerche, qui retint Yerta au moment où elle s’éloignait. Si par toi, et ma vie ne sera pas assez longue pour te bénir, je dois sauver Adrienne, essaye de la voir, dis-lui que des amis veillent autour d’elle, qu’elle soit prête à nous suivre lorsque sonnera l’heure de la délivrance.

Yerta parut réfléchir un instant. Ce n’était plus la jeune fille que M. de la Guerche avait vue le visage souillé de sang et noir de poudre, hâve et meurtri ; c’était une femme dans tout l’éclat d’une beauté sauvage, fière et triste, le front tout rayonnant d’intelligence, le regard lumineux.

— Trouvez-vous demain, à la première heure du soir, devant la poterne du château, derrière cet épais rideau de chênes qu’on voit d’ici, reprit-elle ; j’en aurai la clé, et une lumière qui brillera à la plus haute fenêtre de la tour là-bas, du côté du couchant, vous dira que celle que vous aimez ne dort pas et qu’elle attend.

Yerta s’enfonça lentement dans les bois, où le regard de M. de la Guerche la suivait ; bientôt la silhouette légère de la bohémienne disparut, et l’on n’entendit plus sur les feuilles sèches le bruit de sa marche. Deux larmes coulaient silencieusement le long de ses joues.

— Sait-elle seulement combien elle est heureuse, cette captive ? dit-elle, comme si la voix se fût échappée de ses lèvres à son insu.

Baissant alors la tête, elle gravit la pente qui conduisait au château.

Un moment après, on pouvait la voir dans la galerie où Mme d’Igomer aimait à réunir les personnes du voisinage auxquelles son hospitalité offrait le divertissement de quelque fête. Yerta faisait résonner son tambour de basque et s’arrêtait auprès de chaque groupe ; mais son regard, vif comme celui des oiseaux, cherchait partout un visage qu’elle ne voyait pas. Une porte s’ouvrit enfin, et Adrienne parut.

— Toujours la dernière, et la dernière pour être mieux admirée ! dit la baronne s’avançant vers Mlle de Souvigny.

Mais Yerta l’avait précédée, et posant l’index sur le bras de la jeune fille :

— L’aurore suit les ténèbres… le rossignol chante après l’ orage, dit-elle ; je lis dans vos traits qu’avant que l’année entière soit écoulée, vous serez mariée à un jeune et puissant seigneur qui vous aime…

— Et qui bientôt sera ici, n’est-ce pas ? ajouta Mme d’Igomer, qui pensait à Jean de Werth.

— Oui, bientôt il sera ici !… Comme vous je le sais, comme vous je le vois.

Adrienne retira son bras vivement.

— Ne voulez-vous pas que je vous dise son nom ? poursuivit Yerta.

— Puisque le sort vous protège, laissez parler le sort, mignonne, dit la baronne, qui s’éloigna après avoir échangé un regard d’intelligence avec la bohémienne.

Déjà Yerta s’était emparée de la main qu’on lui refusait.

— Armand-Louis, murmura-t-elle tout bas.

Adrienne trembla de la tête aux pieds.

Mais la bohémienne, qui feignait d’examiner attentivement les lignes tracées dans la main d’Adrienne, continua :

— On nous observe : ne tremblez pas, essayez même de sourire ; je l’ai vu, il est près d’ici, il vous délivrera… Mais, tenez-vous prête au premier signal ; vous laisserez votre lampe allumée… Et si vous m’entendez chanter la nuit, que votre porte alors reste ouverte, quelqu’un ne sera plus loin… À présent, laissez croire à Mme d’Igomer que vous êtes résignée. On peut souffrir un peu pour qui vous aime beaucoup !

Yerta laissa tomber la main d’Adrienne, et, passant le pouce sur la peau sonore du tambourin, elle chanta doucement :

J’aime ! dit la lune blonde,
Qui dans l’onde
Baigne son disque d’argent.

J’aime ! dit la fleur fanée,
Entraînée
Par le ruisseau négligent.

Le tambour ronfla, tandis qu’elle en agitait les anneaux de cuivre, et Yerta poursuivit, en jetant un regard furtif sur Patricio Bempo, qui la dévorait des yeux :

J’aime ! dit l’onde à la lune Sous la dune Où monte son flot puissant. J’aime ! dit l’oiseau qui glousse Sous la mousse Parmi les blés jaunissant.

— Eh bien ? demanda Mme d’Igomer, qui laissa tomber une pièce d’or dans la main de Yerta.

— Eh bien ! répondit Adrienne, il faut se résigner à vouloir ce que veut le sort !

Mme d’Igomer l’embrassa sur le front.

Yerta venait de disparaître, mais elle n’avait pas quitté seule la galerie. Patricio la suivait ; il la vit s’arrêter au bord d’un fossé et y jeter la pièce d’or que la baronne lui avait donnée, et tandis que la pièce brillante s’enfonçait dans l’eau verdâtre, Yerta se frottait les mains par un mouvement convulsif de colère et de dégoût.

— Ah ! ce mot que je viens d’entendre, ce mot que répète votre chanson, serez-vous seule à ne le dire jamais ? s’écria Patricio Bempo.

Yerta le regarda fixement.

— Et pourquoi le dirais-je à qui ne ferait rien pour le mériter ? répondit-elle.

— Et que m’avez-vous demandé qui vous autorise à parler ainsi ? Ne vous ai-je pas tout offert ? — Oui, tout ce que je ne voulais pas accepter !

Elle quitta les remparts ; Patricio marchait à côté d’elle, ébloui par sa beauté.

— Commandez, ordonnez ! s’écria-t-il.

— Paroles que tout cela ! reprit Yerta en l’interrompant. D’autres m’ont offert de l’or, des bijoux, des parures à rendre jalouses des duchesses, toutes les choses enfin que le sabre d’un soldat peut conquérir. Aucun ne m’a dit : « Voilà mon cœur, voilà ma vie ; que tout périsse, je suis à vous ! »

— Et ne savez-vous pas que je vous appartiens ? Ne savez-vous pas… ?

Yerta posa sa petite main sur la bouche de Patricio, et, attachant sur lui ses yeux pleins des plus douces flammes :

— Plus de promesses ! murmura-t-elle. Si je vous demandais deux choses, je gage que vous me refuseriez.

— Moi ? Parlez, dit le lieutenant de Mathéus, les lèvres collées sur la main de Yerta.

— Deux choses, rien que deux : la clé de cette petite porte percée aux pieds des remparts…

— De cette porte dont la garde m’est confiée ?

— Et, de plus, le mot d’ordre qui en permet la libre entrée, dix sentinelles fussent-elles le mousquet au poing le long du mur.

— Le mot d’ordre aussi ? Mais c’est ma vie que vous me demandez, et avec ma vie mon honneur de soldat !

Yerta ferma les yeux à demi, puis les rouvrant :

— Craignez-vous de me les confier ?

— Yerta, tout, excepté cela.

— Que vous ai-je dit ? N’en parlons plus, vous êtes comme les autres ! Triste amour que cela qui ne sait rien donner ! Adieu, Patricio. Yerta fit quelques pas du côté de la forêt. Patricio la suivait toujours. Elle ne le regardait plus.

— Mais cette clé et ce mot d’ordre, pour quoi faire ? reprit-il.

— Pourquoi ? dit Yerta, qui marchait lentement. J’avais fait un rêve, il me semblait qu’avec cette clé on pouvait entrer à Drachenfeld, sans être vue, à l’heure où la nuit vient. La porte ouverte, avec le mot d’ordre on passait inconnue et rapide devant les sentinelles. Le matin, on s’échappait comme un oiseau qui part du nid, et mes frères de la tribu ne savaient pas qu’une bohémienne avait déserté sa tente.

— Yerta ! est-ce vrai ? me promettez-vous ?

— Moi, je ne promets rien. Mais, comme l’hirondelle, je vais et je viens. Un hasard peut me conduire au pied de ces murailles, un hasard peut m’en faire chercher la porte. Mais, pourquoi l’ouvrir, lorsque derrière ce fer et ce bois impénétrables se cache un capitaine prudent comme un lièvre et soupçonneux comme une anguille ? Ah ! Patricio Bempo, vous êtes comme ces incendies qui de loin brillent et sont tout en flammes. On accourt, et quand on arrive ce ne sont plus que des cendres.

— Yerta, voici la clé ! s’écria Patricio Bempo vaincu.

— La clé, c’est bien ; mais ce n’est pas tout. Il y a le mot d’ordre.

Patricio soupira comme un homme auquel une force supérieure fait violence :

— Dux et imperator ! dit-il.

Et, tombant aux genoux de Yerta, il cacha sa tête entre ses mains.