Enquête sur l’évolution littéraire/Les Mages/M. Papus

Bibliothèque-Charpentier (p. 52-54).


M. PAPUS


M. Papus est l’un des Mages que l’on s’accorde généralement, dans les milieux occultes, à considérer comme le plus sérieux et le plus renseigné. C’est un savant en même temps qu’un Mage, et son avis sur l’état et le développement du Magisme, que je devinais désintéressé des influences des chapelles, devait avoir quelque valeur à côté des autres :

— Croyez-vous, lui demandai-je, qu’il y ait une relation entre le développement du magisme et le mouvement littéraire ?

— Certainement. Quoique très philistin au point de vue littéraire, je puis cependant assurer que le magisme répond à une réaction contre les doctrines matérialistes en science, de même que le symbolisme, la psychologie, le décadentisme, répondent à une réaction nécessaire contre le positivisme, dont est issue l’école naturaliste. Joséphin Péladan, le premier écrivain qui ait su exceller dans l’application du magisme à la littérature, Paul Adam, Léon Hennique, et même Maurice Barrès, qui ont depuis appliqué les principes du magisme à des points de vue qui leur étaient entièrement personnels, sont les principaux, représentants de cette réaction.

— Y a-t-il d’autres écrivains contemporains qui, consciemment ou inconsciemment, se sont trouvés influencés dans leurs œuvres par les doctrines de la kabbale ?

— De tout temps, les littérateurs ont été évidemment initiés aux sciences occultes. Sans remonter jusqu’au Dante, jusqu’à Shakespeare ou Léonard de Vinci, de nos jours Gœthe, Balzac, Edgard Poë étaient des initiés ; Victor Hugo (dans son William Shakespeare) ; Dumas fils, élève de d’Arpentigny et de Desbarolles ; Zola qui nous donne une leçon de chiromancie à l’acte III scène 10 de Renée, Sardou et Flammarion, spirites notoires, se rattachent de près ou de loin à l’ésotérisme. Parmi les jeunes actuels, le poète Albert Jhouney qui a paraphrasé le Zohar en de fort beaux vers ; notre maître, Catulle Mendès, qui a écrit les vers superbes d’Hespérus, inspiré de Swedenborg, sont, eux, des interprètes conscients de la Kabbale.

— Croyez-vous au développement continu du magisme ?

— Je pense que le magisme est un courant de transition qui répond à un besoin actuel de l’esprit humain. Le succès de nos publications nous montre la réalité de cette idée. Quant à croire que ce mouvement doive être continu, je ne le peux pas. La méthode de la science occulte appliquée à nos sciences expérimentales, à notre littérature, à notre politique même (comme le fait M. Saint-Yves d’Alveydre), donnera naissance à un courant d’idées nouveau ; mais le magisme n’aura été qu’un élément de transition. À mon avis les symbolistes, les psychologues, les décadents, se font illusion en croyant que chacun de leurs mouvements marquera une grande époque littéraire. Ce sont des Malherbe succédant à des Ronsard, mais non des Racine. Un pendule mis en mouvement va d’abord à un point extrême, puis à l’autre, et ne revient à la perpendiculaire qu’après de multiples oscillations : en littérature, les deux points extrêmes auront été, d’un côté le naturalisme, de l’autre le symbolisme ; le magisme, lui, essaye de rétablir l’équilibre en ressuscitant une méthode restée longtemps occulte…

Qu’en sortira-t-il ?… L’avenir ou M. Tailhade nous le diront. »