Enlevé ! (traduction Varlet)/Dédicace

Traduction par Théo Varlet.
Albin Michel (p. 389-390).

DÉDICACE

Mon cher Charles Baxter,

Si jamais vous lisez cette histoire, vous vous poserez probablement plus de questions que je ne me soucierais de fournir de réponses : comme, par exemple, comment il se trouve que le meurtre Appin ait eu lieu dans l’année 1751, comment les rochers de Torr ont glissé si près d’Earraid, ou pourquoi le compte rendu imprimé du procès est muet sur tout ce qui touche à David Balfour. Ce sont des noix qu’il n’est pas dans mes possibilités de casser. Mais si vous me mettez en cause sur le point de savoir si Alan est coupable ou innocent, je crois pouvoir défendre mon texte. À ce jour vous trouverez la tradition d’Appin nettement en faveur d’Alan. Si vous vous informez, vous pourrez même entendre dire que les descendants de l’« autre homme » qui a tiré le coup de feu sont encore aujourd’hui dans le pays. Mais le nom de cet autre homme, demandez autant que vous voudrez, vous ne l’apprendrez pas ; car le Highlander donne une valeur à un secret pour lui-même et pour l’exercice consistant, comme il convient, à le garder. Je pourrais continuer longtemps pour justifier un point et en reconnaître un autre indéfendable ; il est plus honnête de confesser immédiatement à quel point je suis peu accessible au désir d’exactitude. Ce n’est pas un ouvrage pour la bibliothèque de l’écolier, mais pour la salle de classe le soir en hiver, quand les devoirs sont terminés et qu’approche l’heure d’aller se coucher ; et l’honnête Alan, qui, de son temps, était un sinistre saltimbanque avaleur de feu, n’a pas dans ce nouvel avatar d’intention plus désespérée que de distraire un jeune gentleman de son « Ovide » et de l’emmener avec lui pour un instant dans les Highlands et le siècle dernier, et de le mettre ensuite au lit avec quelques images attrayantes à mêler à ses rêves.

Quant à vous, mon cher Charles, je ne vous demande même pas d’aimer ce conte. Mais quand il sera plus âgé, peut-être votre fils l’aimera-t-il. Il sera peut-être heureux de trouver le nom de son père sur la page de garde ; et en attendant, il me plaît de le faire figurer là, en souvenir de bien des jours qui furent heureux et de quelques autres (qui sont peut-être aujourd’hui aussi agréables à se remémorer) qui furent tristes. S’il est étrange pour moi de regarder en arrière, à la fois dans le temps et l’espace pour me reporter à ces aventures lointaines de notre jeunesse, cela doit être plus étrange pour vous qui suivez les mêmes rues – qui pouvez demain ouvrir la porte du vieux Spéculatif, où nous avons commencé à aller de pair avec Scott et Robert Emmet et le cher et obscur Macbean – ou qui pouvez tourner au coin de l’enclos où cette grande société, les L. J. R., tient ses réunions et boit sa bière assise sur les sièges de Burns et de ses compagnons. Je crois vous voir, vous déplaçant en plein jour, apercevant avec vos yeux naturels les endroits qui sont devenus pour votre compagnon une partie du décor de ses rêves. Comme dans les intervalles des affaires d’aujourd’hui, le passé doit éveiller des échos dans votre mémoire ! Que ces échos ne s’éveillent pas trop souvent sans qu’il s’y mêle d’amicales pensées de votre ami.

R. L. S.