Enlevé ! (traduction Varlet)/Chapitre XX

Traduction par Théo Varlet.
Albin Michel (p. 486-492).

XX. La fuite dans la bruyère : les rocs

Nous marchions et nous courions alternativement ; et à mesure que le matin approchait, nous marchions moins souvent et courions davantage. Bien que le pays semblât, à première vue, un désert, il s’y trouvait des cabanes et des chaumières habitées. Nous dûmes passer à côté d’au moins vingt d’entre elles, nichées aux lieux les plus secrets des montagnes. En arrivant à l’une de ces maisons, Alan me laissa sur la route et alla lui-même heurter au mur et parler un moment à la fenêtre avec le dormeur qu’il avait réveillé. C’était afin de communiquer les nouvelles ; et la chose était, dans ce pays, si bien considérée comme un devoir, qu’Alan dut faire halte et s’en acquitter au cours même de sa fuite pour la vie ; et chacun s’en acquittait si bien que dans plus de la moitié des logis où il s’adressa, on était déjà au courant du meurtre. Dans les autres, autant que je pus comprendre (car je restais à distance et l’on parlait une langue étrangère), la nouvelle était reçue avec plus de consternation que d’étonnement.

En dépit de notre hâte, le jour pointait, que nous étions encore loin de tout asile. Il nous trouva dans une vallée fantastique, parsemée de rochers, où courait une rivière torrentueuse. Des montagnes farouches l’encaissaient ; il n’y venait ni herbes ni arbres ; et j’ai souvent imaginé, depuis, que cette vallée pouvait bien être celle de Glencoe[29], où eut lieu le massacre au temps du roi Guillaume. Mais quant au détail de notre itinéraire, je l’ignore absolument ; notre chemin suivait tantôt des raccourcis, tantôt de grands détours ; notre allure était précipitée, nous voyagions surtout de nuit ; et les noms de lieux par lesquels on répondait à mes questions étant en gaélique, je les ai oubliés depuis longtemps.

Les premières lueurs du matin, donc, nous découvrirent cet affreux paysage, et je vis le front d’Alan se plisser.

– Ce n’est pas l’endroit qui nous convient, me dit-il. On viendra forcément par ici.

Et il se mit à courir plus vite jusqu’au bord de l’eau, en un point où la rivière était coupée en deux bras par trois rochers. Elle se précipitait avec un épouvantable bruit de tonnerre qui me résonnait dans le ventre ; et un nuage d’embrun flottait sur le courant. Sans regarder ni à droite ni à gauche, Alan s’élança d’un bond sur le rocher du milieu, s’y laissa retomber à quatre pattes pour se retenir, car le rocher n’était pas large, et il aurait pu facilement passer par-dessus. Je n’avais pas encore eu le loisir d’évaluer la distance ou de comprendre le danger, que je l’avais suivi, et qu’il m’avait empoigné et arrêté.

Nous étions donc là, côte à côte sur un étroit rocher tout glissant d’embrun ; il nous restait un bras encore plus large à sauter, et la rivière mugissait tout alentour de nous. Quand je me vis là, une affreuse nausée de crainte m’envahit, et je me cachai les yeux, de la main. Alan me secoua ; je le voyais parler, mais le bruit du rapide et le trouble de mon esprit m’empêchaient de l’entendre ; je m’aperçus toutefois que son visage rougissait de colère, et qu’il frappait du pied le rocher. Le même coup d’œil me montra les eaux profondes, et l’embrun suspendu dans l’air ; aussi je me voilai de nouveau la face, en frissonnant.

L’instant d’après, Alan m’avait mis aux lèvres la gourde d’eau-de-vie et il m’obligeait d’en boire la valeur d’un gobelet, ce qui me fit remonter le sang au cerveau. Puis, se faisant un porte-voix de ses mains qu’il appliqua contre mon oreille, il cria : « Pendu ou noyé ! » et, me tournant le dos, il sauta par-dessus le deuxième bras du courant, et prit terre sans encombre.

J’étais alors sur le rocher, ce qui me laissait plus de place ; l’eau-de-vie chantait à mes oreilles ; j’avais encore sous les yeux ce bon exemple, et juste assez de raison pour discerner que si je ne sautais pas sans retard, je ne sauterais pas du tout. Je fléchis sur mes jarrets et m’élançai, avec cette espèce de fureur désespérée qui tient parfois lieu de courage. En vérité, ce furent mes mains seules qui atteignirent l’autre bord ; elles glissèrent, se rattrapèrent, glissèrent de nouveau ; et j’allais retomber dans le courant, lorsque Alan me saisit, d’abord par les cheveux, puis au collet, et, d’un grand effort, m’attira sur la rive.

Sans dire un mot, il reprit sa course à toutes jambes, et il me fallut me remettre debout et courir derrière lui. J’étais fatigué, avant cela, mais je me sentais affreusement brisé, et à moitié ivre de l’eau-de-vie ; je trébuchais tout courant, un point de côté horrible me lancinait ; et lorsque Alan fit halte sous un gros roc qui se dressait parmi beaucoup d’autres, ce ne fut pas trop tôt pour David Balfour.

Un gros roc, dis-je ; mais c’étaient en réalité deux blocs qui s’arc-boutaient par leurs sommets, de vingt pieds de haut chacun et, à première vue, inaccessibles. Même Alan (qui paraissait doué de quatre mains) dut s’y reprendre à deux fois pour arriver au haut. À la troisième tentative, et en se mettant debout sur mes épaules, et de là s’élançant avec une telle violence que je pensai avoir l’échine rompue, il réussit à y prendre pied. Une fois là-haut, il me tendit son ceinturon de cuir ; et avec l’aide de ce ceinturon et d’une couple de crevasses où se posa mon pied, je me hissai à côté de lui.

Je découvris alors pourquoi il était monté là ; car les deux blocs, étant un peu creusés à leurs sommets qui se rejoignaient, formaient une sorte d’assiette ou de coupe, où trois et même quatre hommes auraient pu se cacher à l’aise.

Cependant, Alan n’avait pas prononcé une parole, mais il avait couru et grimpé avec une frénésie de hâte farouche et muette qui indiquait chez lui la crainte de quelque danger imminent. Même quand nous fûmes tous deux sur le roc, il ne dit rien, non plus qu’il ne dérida son front soucieux : il se tapit tout à plat, et, ne gardant qu’un œil au-dessus du rebord de notre lieu d’asile, promena tout autour de l’horizon un regard investigateur. L’aurore était venue, très pure ; nous découvrions les flancs pierreux de la vallée, et son fond parsemé de rochers, et la rivière qui serpentait d’un bord à l’autre et formait de blanches cascades ; mais pas la moindre fumée d’habitation, et nul être vivant, que des aigles croassant alentour d’une falaise.

Alors enfin Alan se dérida.

– Oui, dit-il, à cette heure nous avons une chance ; puis me regardant avec quelque ironie : Vous n’êtes pas un fameux sauteur !

Je dus rougir d’humiliation, car il ajouta aussitôt :

– Bah ! je ne vous en blâmerai guère. Avoir peur d’une chose et pourtant l’accomplir, c’est ce qui fait l’homme brave par excellence. Or, il y avait là-bas de l’eau, et l’eau est capable de m’intimider moi-même. Non, non, ajouta-t-il, ce n’est pas vous qui êtes à blâmer, c’est moi.

Je lui en demandai la cause.

– Parce que je me suis conduit comme un imbécile, cette nuit. Pour commencer, je me suis trompé de route, et cela dans mon pays natal d’Appin ; aussi, le jour nous a surpris où nous n’aurions pas dû être ; en conséquence, nous nous trouvons ici exposés à quelque danger et à plus d’inconfort. Et ensuite (ce qui est le pire des deux, pour qui est familiarisé avec la bruyère comme moi) je suis parti sans bouteille à eau, et nous sommes condamnés à passer ici tout un long jour d’été sans rien à boire que de l’alcool pur. Vous pouvez croire que c’est là une petite affaire ; mais avant la tombée de la nuit, David, vous m’en direz des nouvelles.

J’étais fort désireux de lui donner meilleure opinion de moi, et lui offris, s’il consentait à vider l’eau-de-vie, de descendre et de courir jusqu’à la rivière, remplir la gourde.

– Non, dit-il, je ne voudrais pas gaspiller ce bon alcool. Il nous a rendu cette nuit un fameux service, car sans lui, à mon humble avis, vous seriez encore perché sur cette pierre là-bas. Et qui plus est, vous avez pu remarquer (vous, si observateur) qu’Alan Breck Stewart a peut-être marché un peu plus vite qu’à son ordinaire.

– Vous ! m’écriai-je, vous couriez à tout rompre.

– En vérité ? Eh bien, dans ce cas, je vous garantis qu’il n’y avait pas de temps à perdre. Et maintenant, assez causé ; faites un somme, garçon, et je veillerai.

Je m’installai donc pour dormir. Un peu de terre tourbeuse s’était amassée entre les sommets des deux blocs, et il y poussait quelques fougères, dont je me fis un lit. Le dernier bruit que je perçus était le croassement des aigles.

Il pouvait être neuf heures du matin, lorsque je fus réveillé brutalement par Alan, dont la main me comprimait la bouche.

– Chut ! susurra-t-il. Vous ronfliez.

– Eh mais, dis-je, surpris de lui voir le visage anxieux et assombri, – où est le mal ?

Il lança un coup d’œil par-dessus le rebord du roc, et me fit signe de l’imiter.

Le soleil était haut et ardait dans un ciel sans nuages. La vallée apparaissait nette comme une peinture. À environ un demi-mille en amont se trouvait un campement d’habits-rouges ; ils étaient rassemblés autour d’un grand feu, sur lequel plusieurs faisaient la cuisine ; et tout près, sur le haut d’un roc presque aussi élevé que le nôtre, se tenait une sentinelle, dont les armes étincelaient au soleil. Tout le long de la rivière, vers l’aval, d’autres sentinelles se succédaient, ici très rapprochées, ailleurs plus largement espacées ; les unes comme la première, debout sur des points culminants, les autres au niveau du sol et se promenant de long en large, pour se rencontrer à mi-chemin. Plus haut dans la vallée, où le terrain était plus découvert, la chaîne de postes se prolongeait par des cavaliers, que nous voyions au loin marcher de côté et d’autre. Plus bas, c’étaient encore des fantassins ; mais comme le cours d’eau s’y enflait brusquement par l’adjonction d’un fort affluent, ils s’espaçaient davantage, et surveillaient uniquement les gués et les pierres de traverse.

Je leur jetai un simple coup d’œil et me recouchai aussitôt à ma place. C’était un spectacle étrange, de voir cette vallée, si déserte à l’aube, tout étincelante d’armes et parsemée d’habits et pantalons rouges.

– Vous le voyez, David, dit Alan, c’est bien ce que je craignais : ils surveillent les bords du torrent. Ils ont commencé d’arriver voilà environ deux heures ; mais, ami, vous êtes un rude dormeur ! Nous sommes dans une mauvaise passe. S’ils montent sur les versants de la vallée, ils n’auront pas besoin de longue-vue pour nous découvrir ; mais si par bonheur ils ne quittent pas le fond, nous pouvons nous en tirer. Les postes sont plus clairsemés, en aval ; et, vienne la nuit, nous tâcherons de passer entre deux.

– Et qu’allons-nous faire jusque-là ? demandai-je.

– Rester ici, et rissoler.

Cet authentique mot écossais, rissoler[30], résumait en effet l’histoire de cette journée que nous avions alors à passer. On doit se souvenir que nous étions sur le sommet dénudé d’un bloc de rocher, telles des châtaignes à la poêle ; le soleil tombait d’aplomb sur nous, impitoyablement ; le roc devint brûlant au point que l’on pouvait à peine en supporter le contact ; et le minuscule espace de terre et de bruyère qui restait un peu plus frais ne pouvait recevoir que l’un de nous deux à la fois. Nous nous relayâmes pour rester couchés, sur le roc nu, position fort analogue à celle du saint qui fut martyrisé sur un gril ; et je vis une singularité frappante dans le fait que, sous la même latitude et à peu de jours d’intervalle, j’eusse pu souffrir si cruellement, d’abord du froid sur mon île, et à présent de la chaleur sur ce rocher.

Cependant, nous manquions d’eau, et n’avions à boire que de l’alcool pur, ce qui était pis que rien ; mais nous tenions la gourde aussi fraîche que possible, en la plongeant dans la terre, et nous trouvâmes quelque soulagement à nous humecter de son contenu les tempes et la poitrine.

Tout le jour, les soldats ne cessèrent de s’activer dans le fond de la vallée, tantôt à relever les sentinelles, tantôt à envoyer des patrouilles en reconnaissance parmi les rocs. Ceux-ci étaient en si grand nombre que chercher des hommes entre eux équivalait à chercher une aiguille dans une botte de foin, et, vu l’inutilité de la tâche, elle se trouvait exécutée avec peu de soin. Pourtant, nous voyions les soldats fouiller les bruyères de leurs baïonnettes, ce qui me donnait froid dans le dos, et de temps à autre ils rôdaient alentour de notre rocher, et nous osions à peine respirer.

Ce fut dans cette occasion que j’entendis pour la première fois parler bon anglais. Un homme s’en vint poser la main sur la face ensoleillée du bloc sur lequel nous étions, et la retira aussitôt avec un juron. « Je vous garantis que c’est chaud ! » dit-il ; et je fus surpris de l’entendre manger la moitié des mots et chanter pour ainsi dire en parlant, et aussi de cette singulière manie d’élider les h. J’avais déjà, il est vrai, entendu Ransome ; mais il empruntait ses façons à toutes sortes de gens, et il parlait si mal en somme, que j’attribuais le tout à son enfantillage. Mon étonnement fut d’autant plus fort, de retrouver cette manière de parler dans la bouche d’un homme fait ; et au vrai, je ne m’y suis jamais habitué, pas plus d’ailleurs qu’à la grammaire anglaise, comme peut-être un œil très exercé pourrait çà et là le découvrir jusque dans les présents mémoires.

La fastidiosité et les souffrances de ces heures passées sur notre rocher ne firent que s’accroître à mesure que le jour s’avançait ; le roc devenait toujours plus brûlant et le soleil plus féroce. Nous avions à supporter des vertiges et des nausées, avec des douleurs aiguës comme des rhumatismes. Je me rappelai alors, et me suis souvent rappelé depuis, ces vers de notre psaume écossais :

La lune durant la nuit ne te blessera pas,

Non plus que, de jour, le soleil.

Et ce fut bien réellement par la permission de Dieu que nous n’attrapâmes d’insolation ni l’un ni l’autre.

À la fin, vers deux heures, le supplice était devenu intolérable, et en outre de la douleur à subir, il nous fallait résister à une tentation. Car le soleil était à cette heure un peu dans l’ouest, et il y avait un espace d’ombre sur le flanc de notre rocher, qui était le côté invisible aux soldats.

– Autant une mort que l’autre, dit Alan. Et se laissant glisser par-dessus le rebord, il sauta à terre du côté de l’ombre.

Je le suivis sans hésiter, et m’étendis aussitôt de mon long, tout épuisé et vertigineux de cette interminable torture. Nous demeurâmes sans bouger une heure ou deux, courbaturés de la tête aux pieds, anéantis, et exposés sans remède aux yeux de tout soldat qui fût passé par là. Mais personne ne vint, car tous prenaient l’autre côté ; si bien que notre rocher demeurait notre égide, même dans cette nouvelle situation.

Peu à peu nous recouvrâmes quelques forces ; et comme les soldats s’étaient alors rapprochés de la rivière, Alan fut d’avis que nous pourrions tenter de fuir. À ce moment, je n’avais plus peur que d’une chose au monde : retourner sur le rocher ; tout le reste m’était égal. Nous nous mîmes donc aussitôt en ordre de marche, et entreprîmes de nous glisser d’un roc à l’autre successivement, tantôt rampant à plat ventre dans l’ombre, tantôt galopant dans l’intervalle, le cœur sur les lèvres.

Après avoir exploré méthodiquement ce côté de la vallée, et peut-être alourdis par la touffeur de l’après-midi, les soldats s’étaient fort relâchés de leur vigilance, et somnolaient à leur poste ou ne surveillaient plus que les rives du torrent ; aussi, de la façon que je viens de dire, descendant la vallée et obliquant un peu vers la hauteur, nous nous éloignâmes par degrés de leur voisinage. Il eût fallu avoir cents yeux tout autour de la tête, pour rester caché sur ce terrain inégal et à portée de voix de toutes ces sentinelles dispersées. Lorsque nous avions à franchir un espace découvert, la promptitude ne suffisait pas, il fallait encore scruter à l’instant, outre les embûches de tout le paysage, la solidité de chacune des pierres sur lesquelles nous devions poser le pied ; car l’après-midi était tombé à un silence tel qu’un simple caillou faisait, en roulant, le bruit d’un coup de pistolet, et réveillait tous les échos des hauteurs et des précipices.

Au coucher du soleil, en dépit de l’allure si lente de nos progrès, nous avions déjà parcouru quelque distance, bien que la sentinelle sur le roc fût toujours visible. Mais nous arrivâmes alors devant un objet qui nous fit oublier toutes nos craintes. C’était un torrent profond et rapide qui se précipitait devant nous, pour rejoindre le courant principal.

Nous nous jetâmes à terre sur son bord et plongeâmes dans l’eau nos têtes et nos bras ; et je ne saurais dire ce qui était le plus délicieux, du grand frisson éprouvé au contact de la torrentueuse fraîcheur ou des avides gorgées que nous en avalions.

Nous restâmes là (cachés par les rives), buvant coup sur coup, nous baignant le torse, laissant pendre nos poignets dans l’eau vive, jusqu’à ce que la fraîcheur les endolorît, et pour finir, ainsi admirablement revigorés, nous sortîmes le sac à farine et fîmes le drammach dans notre casserole de fer. Ce mets – simple pâte de farine d’avoine délayée dans l’eau froide – ne laisse pas d’être fort appétissant pour quelqu’un d’affamé ; et quand il n’y a pas moyen de faire du feu, ou si l’on a (comme dans notre cas) toute raison de n’en pas faire, le drammach est le meilleur soutien de ceux qui ont pris la bruyère.

Sitôt la nuit tombée, nous nous remîmes en route, d’abord avec les mêmes précautions, puis bientôt avec plus de hardiesse, nous redressant de tout notre haut et allant d’un bon pas. Le chemin était très compliqué, suivant des flancs de montagne abrupts, et longeant des précipices ; des nuages s’étaient rassemblés, au coucher du soleil, et la nuit était froide et obscure ; aussi je marchais sans grande fatigue, mais dans une crainte continuelle de tomber ou de rouler à bas des pentes, et sans soupçonner rien de notre direction.

La lune se leva comme nous étions encore en route ; elle était à son dernier quartier, et resta longtemps voilée de nuages ; mais à la fin, elle se dégagea claire et me montra une foule de sombres cimes montagneuses, tandis qu’elle se reflétait loin au-dessous de nous dans le bras étroit d’un loch maritime.

À cette vue, nous fîmes halte tous deux, moi frappé d’étonnement de me trouver à pareille hauteur et marchant (me semblait-il) sur les nuages ; Alan pour vérifier sa direction.

Il fut apparemment satisfait, et il dut à coup sûr nous juger hors de portée des oreilles ennemies ; car toute la dernière partie de notre course nocturne, il trompa l’ennui du chemin en sifflant des tas d’airs, guerriers, joyeux, mélancoliques ; airs de danse qui faisaient accélérer le pas ; airs de mon pays du sud qui faisaient aspirer au retour et à la fin de mes aventures ; et tous, parmi les grandes montagnes sombres et désertes, nous tenaient compagnie le long du chemin.