Enfances célèbres/Agrippa d’Aubigné

Librairie de L. Hachette et Cie (p. 91-108).



AGRIPPA D’AUBIGNÉ




NOTICE SUR AGRIPPA D’AUBIGNÉ.


Théodore-Agrippa d’Aubigné naquit à Saint-Maury, près de Pons, en Saintonge, le 8 février 1550, d’une famille très-ancienne, qui avait embrassé la réforme des calvinistes. Sa mère mourut en le mettant au monde, ce qui lui fit donner le nom d’Agrippa, ægre partus (né difficilement) ; il reçut de son père une forte et savante éducation ; à six ans, il lisait déjà le latin, le grec et l’hébreu.

Il se trouva à treize ans au siége d’Orléans, et s’y distingua ; quand il perdit son père, on l’envoya étudier à Genève, sous le célèbre de Bèze, qui le prit en affection. Dégoûté des études, il s’enfuit à Lyon, et bientôt s’engagea dans les armées du roi de Navarre (depuis Henri IV). Il se fit aimer du roi par sa gaieté et son esprit ; ce fut dans les camps qu’il composa sa tragédie de Circé.

Henri IV dut beaucoup à d’Aubigné dans les guerres qu’il fut obligé d’entreprendre pour reconquérir son royaume. À la mort de ce roi, d’Aubigné fut persécuté pour avoir publié une histoire très-hardie sur les hommes et les événements de son temps ; il se réfugia à Genève. Ses biens furent confisqués, et ses ennemis obtinrent un arrêt qui le condamnait à avoir la tête tranchée.

D’Aubigné s’était marié, en 1588, avec Suzanne de Lerny ; il eut de ce mariage plusieurs enfants, entre autres Constant d’Aubigné, qui fut le père de Mme de Maintenon. Il mourut à Genève, âgé de quatre-vingts ans, et fut enterré dans le cloître de l’église de Saint-Pierre. Il avait composé lui-même son épitaphe.

D’Aubigné a laissé un grand nombre d’ouvrages en prose et en vers d’où l’on pourrait tirer de magnifiques extraits.

AGRIPPA D’AUBIGNÉ.

Quand j’entends les écoliers de nos jours se plaindre et murmurer pour quelques méchantes et faciles versions grecques ou latines, je ne puis m’empêcher de songer à ce qu’étaient les fortes et universelles études des jeunes lettrés de la Renaissance, et quels écoliers ce furent que les Étienne Dolet, les Rabelais, les Montaigne, les Ronsard et ce petit Agrippa d’Aubigné, dont je vais entretenir mes lecteurs.

Par un jour d’automne pluvieux, trois hommes, couverts de longues robes fourrées, se chauffaient auprès de la vaste cheminée d’une salle toute lambrissée de panneaux de chêne. Cette salle était la bibliothèque du vieux château fort de Saint-Maury, en Saintonge. Une grande table, tendue de cuir, s’élevait au milieu, jonchée de livres, de papiers et d’écritoires de fer. À cette table était assis, dans un grand fauteuil, un petit garçon de sept ans, à la tête déjà méditative, à l’œil vif, à la bouche sérieuse. L’enfant restait courbé, presque immobile ; seulement son regard rapide se portait alternativement du cahier qu’il lisait à un livre grec ouvert devant lui.

Les trois hommes assis auprès du feu n’échangeaient aucune parole, comme s’ils eussent craint de troubler le petit savant ; mais d’un sourire ou d’un signe ils se communiquaient leur surprise et leur contentement. Ce fut l’enfant qui rompit le premier le silence.

» J’ai fini, dit-il en se levant et en remettant le cahier au plus âgé des trois personnages ; voyez, mon père, si vous êtes content.

— C’est à messire Henri Étienne [1] d’en juger, répondit le père, prenant son fils sur ses genoux et tournant au feu ses petites jambes ; chauffe-toi, mon enfant, pendant que ton précepteur suivra sur le texte grec, et que messire Étienne relira ta traduction et s’assurera qu’aucun contre-sens ne t’est échappé. »

[Note 1 : Petit-fils du premier imprimeur de ce nom.]

L’enfant hocha la tête pour dire qu’il était bien sûr de lui, et remit avec un sourire d’espérance son cahier à Henri Étienne.

Maître Béroalde le précepteur se leva, prit le gros volume grec qui était sur la table, et s’étant incliné :

» Je suis aux ordres de M. Étienne, » dit-il, et ses yeux se fixèrent sur la page ouverte.

Le célèbre imprimeur commença la lecture du cahier de l’enfant, dont les boucles blondes se jouaient sur l’épaule de son père tandis qu’il écoutait.

Ce n’était point un conte de fée, ce n’était point un thème facile et court qu’Henri Étienne, le typographe le plus renommé de l’époque, était venu collationner avec tant d’attention : c’était un des fameux dialogues de Platon, le Criton, que le petit Agrippa d’Aubigné s’était exercé à traduire » Bien, très-bien ! disait le savant imprimeur à mesure qu’il lisait.

— Merveilleux ! s’écriait le précepteur, qui suivait sur le texte grec ; il a deviné le génie de la langue de Platon et s’en est souvent approprié les expressions. »

À ces éloges, l’enfant regardait son père et semblait lui demander s’il était satisfait. Le seigneur d’Aubigné restait muet, mais quelques larmes roulaient dans ses yeux baissés et avaient grand’peine à ne pas en jaillir. Quand la lecture fut terminée, il embrassa tendrement son fils et lui dit :

» Je tiendrai la promesse que je t’ai faite, Agrippa ; notre ami Henri Étienne emportera ton manuscrit à Paris, et l’imprimera avec ton portrait en tête.

— Ce sera fait prestement, ajouta Henri Étienne, et l’âge de notre cher petit traducteur sera indiqué dans une préface que j’écrirai moi-même. Quant au portrait, je vous enverrai un de nos meilleurs graveurs, pour qu’il le fasse ici même d’après le modèle. »

Le petit Agrippa restait pensif, appuyé contre l’épaule de son père.

» Quoi ! vous n’êtes pas plus réjoui que cela ? lui dit le précepteur ; monseigneur d’Aubigné outrepasse pourtant la promesse qu’il vous avait faite ; il avait bien dit qu’il ferait imprimer votre traduction, mais y mettre en tête votre portrait, c’est une seconde récompense qui devrait vous rendre tout fier.

— Ce n’est point mon portrait que je voudrais y voir, répliqua l’enfant.

— Et lequel ? reprit maître Béroalde ; peut-être le mien, pensait-il tout bas, car enfin c’est moi qui l’ai instruit.

— Celui de ma mère, dit l’enfant avec émotion.

— Cher enfant, dit le père en le baisant au front, pourquoi cette pensée ?

— Pourquoi ? s’écria le petit Agrippa, parce que ma mère, qui est morte en me donnant le jour, ne m’a point quitté cependant, et vient bien souvent la nuit me parler, me conseiller et me presser dans ses bras.

— Oui, monseigneur, ajouta le précepteur, il a de ces visions ; je n’avais pas osé vous le dire.

— Laissez-le parler, répliqua le père ; dis-moi, dis-moi, mon enfant : quand et comment as-tu vu ta mère ?

— Je l’ai vue, répondit l’enfant avec émotion et gravité, depuis le jour où j’ai commencé à penser, et toujours elle m’est apparue sous la même forme, belle, grande, douce, toute blanche ; elle venait la nuit frôler de ses vêtements les rideaux de mon lit ; elle me donnait des baisers ; sa bouche était froide et me brûlait pourtant. Il y a trois mois, quand je commençai ma traduction de Platon, elle m’apparut toute souriante ; je n’entendais pas sa voix, aucune parole ne s’échappait de ses lèvres, et cependant je sentais dans mon esprit qu’elle me disait : » Travaille, mon cher fils, console ton père de ma mort, toi qui l’as involontairement causée ; sois l’honneur de notre maison ; nos jours sont rapides, ne perds pas ceux de l’enfance dans les jeux ; travaille, ta mère te regarde et s’en réjouira. » Elle s’éloigna en me parlant encore des yeux, puis sembla disparaître dans la brume du matin, qui montait devant ma fenêtre. Depuis ce jour, mon père, le travail me devint si facile qu’il me semblait que l’esprit de ma mère, qui fut, m’avez-vous dit, si orné et si grand[2], s’était placé en moi et pénétrait ce qu’un enfant ne peut comprendre encore ; c’est ainsi que j’ai traduit ce dialogue de Platon ; l’intelligence maternelle me le dictait. Comment aurais-je pu, sans cela, en comprendre le sens, en deviner les beautés ? C’est donc le portrait de ma mère qu’il faut placer en tête de ce Dialogue.

[Note 2 : Les femmes des grandes maisons de ce temps-là savaient le latin et le grec.]

— Ton désir sera accompli, répondit le seigneur d’Aubigné en embrassant son fils ; nous confierons à M. Henri Étienne un portrait de ta mère, et tu le retrouveras en tête de ton travail, te souriant et t’encourageant encore. »

L’enfant, satisfait par cette promesse, s’échappa des bras de son père, et, s’élançant sur la plateforme du château, s’exerça à la fronde avec les archers de garde. L’étude ne prenait pas toute son âme. Les penchants guerriers s’y développaient à l’envi de ceux de l’esprit. Il faisait des armes en chantant des vers encore sans rime et sans césure qu’il improvisait. Alors il était gai, bruyant. Une heure après, il traduisait du grec, de l’hébreu et du latin. Il se passionnait pour les héros de l’antiquité, et plus tard il a rappelé ces mâles études dans ses vers, où il se fait dire par la bouche de la fortune :


Je t’épiais ces jours lisant si curieux

La mort du grand Sénèque et celle de Thrasée,


Je lisais par tes yeux en ton âme embrasée

Que tu enviais plus Sénèque que Néron,

Plus mourir en Caton que vivre en Cicéron ;

Tu estimais la mort en liberté plus chère

Que de vivre en servant……

La guerre civile entre les catholiques et les huguenots ravageait alors la France. On faisait des exécutions sanglantes dans toutes les villes. Le seigneur d’Aubigné était zélé calviniste ; en allant à Paris, il passa un jour par Amboise avec le petit Agrippa âgé de neuf ans. Montés sur leurs chevaux qui longeaient les bords de la Loire, ils virent une grande foule se pressant au pied des remparts du château. » Qu’est-ce donc, mon père ? dit l’enfant.

— Suis-moi sans avoir peur, répliqua le père. Je pressens quelque chose de sinistre à la consternation de ce peuple. »

Ils avancèrent à grand’peine, tant la foule s’entassait compacte jusqu’aux premières marches de l’escalier du château. Des hallebardiers étaient là, éloignant à coups de lance les curieux qui s’aventuraient trop près. Le petit Agrippa et son père parvinrent pourtant à se frayer un passage, et découvrirent ce qui attirait la curiosité du peuple.

Dix têtes coupées étaient exposées au haut d’une potence !

Le seigneur d’Aubigné tressaillit : dans ces têtes il venait de reconnaître autant d’amis et de compagnons d’armes. » Oh ! les bourreaux ! s’écria-t-il, ils ont décapité la France ! » Huit mille personnes l’entouraient quand il poussa ce cri d’indignation ; il piqua des deux à son cheval, son fils l’imita, et comme il le dit plus tard dans son poëme des Tragiques :


L’œil si gai laisse alors tomber sa triste vue,

L’âme tendre s’émeut…

Le sang sentit le sang, le cœur fut transporté.

La foule et les archers, comme frappés de stupeur, les laissèrent s’éloigner. Quand ils se retrouvèrent sur les bords de la Loire, le père posa sa main sur la tête d’Agrippa : » Mon enfant, dit-il, il ne faut point que ta tête soit épargnée après la mienne pour venger ces chefs pleins d’honneur ; si tu t’y épargnes, tu auras ma malédiction.

— Mon père, je vous jure, répliqua l’enfant, de ne jamais renier notre foi et notre parti. »

Il tint parole. Plus tard, dans des vers énergiques et pittoresques, il a jeté l’anathème aux horreurs de la guerre civile, et il s’est écrié :


Oh ! que nos cruautés fussent ensevelies

Dans le centre du monde ! oh ! que nos hordes vies

N’eussent empuanti le nez de l’étranger !

Parmi les étrangers, nous irions sans danger,

L’œil gai, la tête haut, d’une brave assurance

Nous porterions au front l’honneur ancien de France.

Puis rappelant les supplices infligés aux huguenots :


Pourquoi, leur dit le feu, avez-vous de mes feux,

Qui n’étaient ordonnés qu’à l’usage de vie,

Fait des bourreaux valets de votre tyrannie ?


Des corps de vos meurtriers, pourquoi, disent les eaux,

Changeâtes-vous en sang l’argent de nos ruisseaux ?

Pourquoi nous avez-vous, disent les arbres, faits

D’arbres délicieux exécrables gibets ?

Le seigneur d’Aubigné, prenant une part active à ces guerres funestes, dut laisser son fils à Paris, sous la direction de son excellent maître Béroalde. Le précepteur et l’élève vivaient retirés, s’occupant à traduire Platon et les écritures saintes ; mais un jour, Béroalde fut averti qu’il était accusé d’hérésie, et qu’ils n’avaient, lui et son élève, d’autre parti à prendre que de se dérober par la fuite à la persécution.

» Non pas ! s’écria le petit Agrippa ; attendons ici, je brûle de tirer l’épée contre ceux qui viendront. »

Maître Béroalde n’écouta pas son élève, mais la prudence. Sur l’heure même on fit équiper des chevaux et l’on prit la fuite. Agrippa noua à sa ceinture une gentille épée à fourreau d’argent que lui avait donnée son père ; il lui semblait qu’ainsi armé il était hors de tout danger. La petite bande, maîtres et domestiques, se mit en route ; mais, arrivée au bourg de Courances (Seine-et-Oise), elle fut arrêtée et conduite en face d’un bûcher allumé pour brûler les huguenots. On dépouilla le petit Agrippa de sa jolie épée : il se débattait et pleurait de rage. On le pressa d’abjurer sa religion, et on fit la même sommation à son maître et à leurs serviteurs. Agrippa, qui avait alors dix ans, répondit bravement : » Jamais ! jamais ! » Et voyant que son précepteur et ses compagnons de fuite étaient tristes, il se mit, pour les amuser, à danser la gaillarde ; il tournait et gambadait autour du bûcher où on allait les jeter. Un des gardes fut ému de compassion à la vue de cette bravoure et de cette gaieté. La nuit commençait à venir : » Fuyez, dit le garde à maître Béroalde ; je vous sauve tous pour l’amour de ce gentil garçon, qui sera un jour un fier homme. » La petite bande courut à travers champs, et après plusieurs jours de marche et de périls, arriva à Montargis, où résidait Renée de France, fille de Louis XII, veuve d’Hercule d’Est. Cette princesse, huguenote comme les fugitifs, leur offrit son château pour asile, et le soir à la veillée, le petit Agrippa, assis à ses pieds sur un carreau de soie, la charmait par le récit naïf de ses aventures.

[Illustration : Agrippa d’Aubigné danse devant le bûcher ou l’on va le jeter]

Il fallut quitter la bonne princesse et se remettre en route. Le seigneur d’Aubigné commandait à Orléans pour ceux de sa religion. Le vieux Béroalde s’était juré de ramener l’enfant à son père. Après bien des périls ils arrivèrent aux portes de la ville assiégée. Mais là un spectacle horrible les attendait. Ils avaient pris la fuite pour échapper à la mort et ils la rencontraient plus hideuse, plus menaçante : les cadavres jonchaient les places et les rues ; des maisons ouvertes s’échappaient des gémissements ; les soldats osaient à peine se montrer sur les remparts pour faire leur service : la peste ravageait Orléans.

[Illustration : Agrippa d’Aubigné raconte ses aventures à Renée de France.]

» N’entrons pas, dit maître Béroalde ; ici la mort est certaine.

— Entrons, répondit Agrippa ; ici est mon père, et je veux partager tous ses dangers. »

Ils franchirent les portes, et bientôt ils eurent rejoint le seigneur d’Aubigné.

» Ici, toi ici, mon pauvre enfant ! s’écria celui-ci. Je ne t’ai donc retrouvé que pour te perdre !

— Non, mon père, je vivrai et je me battrai auprès de vous, » dit l’enfant toujours serein et ferme.

Cependant le fléau l’atteignit. Son père le vit un jour tomber inanimé entre ses bras ; il ne put même pas lui donner ses soins et veiller sur lui : la défense de la ville le réclamait.

» Que faire ? oh ! mon Dieu ! disait le père désespéré ; il faut donc que j’abandonne mon enfant à la mort. »

Le précepteur se mourait lui-même.

Un vieux serviteur, qui n’avait jamais quitté le petit Agrippa depuis le jour de sa naissance, dit avec assurance à son père : » Ayez confiance en Dieu, votre fils ne mourra pas ! Allez, monseigneur, nous défendre de l’ennemi. Je veille ici sur votre enfant et je vous le rendrai plein de vie. » En disant ces mots il coucha l’enfant, déjà brûlé et ravagé par la peste ; et se plaçant à son chevet, il entonna un psaume. Le père hésitait à partir : » Allez sans crainte, répéta le serviteur, il est maintenant sous la garde de Dieu. » Le seigneur d’Aubigné embrassa son fils avec déchirement et se rendit aux remparts pour repousser l’assaut.

Cependant le vieux serviteur veillait et chantait sans s’interrompre ; quand le psaume était achevé, il le recommençait. Tout en donnant à l’enfant les breuvages prescrits, il ne discontinuait pas de chanter. Le huitième jour, le malade fut sauvé ; mais la peste lui avait laissé au front une profonde cicatrice. Quand il fut debout : » Je veux, dit-il, aller retrouver mon père sur les remparts. »

Le serviteur l’arma sans résister, et, ayant fait venir un cheval, il y plaça son jeune maître. Il prit le cheval par la bride, entonna de nouveau un verset du psaume, et conduisit Agrippa au seigneur d’Aubigné. En ce moment, on se battait avec furie. L’enfant voit son père s’élancer en tête d’une sortie contre les assiégeants ; il se précipite à sa suite, l’épée au poing, les yeux en flamme, la tête illuminée par son courage ; il entonne d’une voix inspirée le psaume du vieux serviteur. Les soldats, qu’on entraînait d’ordinaire au combat avec ce chant de la Bible, répondaient en chœur à la voix d’Agrippa. En voyant ce guerrier adolescent, pâle, beau, indomptable, ils croient à quelque ange descendu du ciel pour les guider ; ils se pressent autour de lui, exterminent l’ennemi et le repoussent loin des murailles, toujours devancés par le seigneur d’Aubigné, qui met à profit cette ardeur des siens sans avoir découvert ce qui l’inspire.

Ainsi qu’Agrippa l’a décrit plus tard dans ces vers :


Là l’enfant attend le soldat,

Le père contre un chef combat,

Encontre le tambour qui gronde

Le psaume élève son doux ton,

Contre l’arquebuse, la fronde,

Contre la pique, le canon.

La mêlée devenait de plus en plus sanglante ; le seigneur d’Aubigné, emporté loin de sa troupe, est atteint par un éclat d’obus. Agrippa, qui n’avait pas encore pu rejoindre son père, arrive à ses côtés comme il chancelait : » Toi ici ! toi, mon cher fils ! s’écrie le blessé ; est-ce bien toi, ou n’est-ce que ton spectre ? » L’enfant couvre, son père de larmes et de baisers.

» Frappé ? dit-il.

— À mort, répondit le chef des huguenots.

— Ah ! pourquoi Dieu m’a-t-il laissé vivre, s’il devait vous faire mourir ? murmure Agrippa désespéré.

— Pour que tu continues notre race, dit le mourant que ses soldats entourent. Allons, Agrippa, prends ma place et remplis-la bien ; rends-toi redoutable par l’épée et par la plume, mon brave enfant. »

Il expira en prononçant ces mots.

Le jeune Agrippa d’Aubigné étendit ses bras sur la tête auguste de son père, et là, en face du ciel, à la voix des canons qui grondaient sur ce mort sacré dont l’œil le regardait encore, il fit un serment d’héroïsme qu’il tint glorieusement. Cet enfant devint le compagnon de guerre d’Henri IV, et lui aida à reconquérir son royaume.