ACADÉMIE. {Littérature.) On désigne par ce mot une réunion de personnes qui professent les belles-lettres, les sciences on les beaux-arts. Ce terme remonte à une haute antiquité. C’est dans les retraites mystérieuses des jardins d’Académus, si favorables par la fraîcheur de leurs ombrages aux méditations de la philosophie, que le divin Platon, surnommé Le Cygne de l’académie, établit son école, rassembla ses disciples et professa sa morale sublime. La secte de cet illustre philosophe prit de là le nom de secte académique. Les sages qui adoptèrent ses doctrines furent appelés académiciens. Ce titre ne désigna pendant long-temps que les disciples de Platon, mais il fut donné par la suite à tous ceux qui firent partie des diverses sociétés savantes ou littéraires instituées sous le nom d’académies, pour étendre, à l’exemple de l’école d’Athènes, le domaine des connaissances humaines.
Les anciens, qui exprimaient leurs pensées par des allégories ingénieuses, représentaient l’académie sous les traits d’une femme d’un âge.mûr, et d’un caractère grave, la tête ceinte d’une couronne d’or et revêtue d’un voile de couleurs variées. De la main droite elle tenait une lyre, avec cette devise, Detrahit atque polit, elle retranche et polit ; et de la gauche une guirlande entrelacée de laurier, de lierre et de myrte, plantes poétiques qui faisaient allusion à la poésie héroïque, lyrique et pastorale : il la guirlande étaient suspendues deux grenaaes, symboles d’union. Elle était assise, au milieu d’un pays délicieux, sur un siége orné de branches d’olivier et de cèdre, emblêmes de la paix et de l’immortalité. Des livres étaient entassés à ses pieds , et les instruments de musique dont elle était entourée annonçaient que l’harmonie est nécessaire aux arts. Plusieurs académies s’établirent dans Athènes et ne purent égaler la gloire de celle de Platon ; ces académies n’étaient, à proprement parler, que des écoles où Arcésilas, Carnéade, Philon, Antiochos et d’autres philosophes moins connus , expliquaient les différents systèmes qu’ils cherchaient tour à tour à faire prévaloir sur ceux de leurs prédécesseurs, et qui sont tombés depuis dans un profond oubli. Ptolémée-Soter, après qu’il se fut assuré par de brillantes victoires la paisible possession de l’Égypte, voulut .unir au titre de conquérant le titre plus glorieux de protecteur des leltrt>s. Il fonda, sous le nom de Mu1éon, la célèbre académie d’Alexandrie, dans laquelle il réunitles philosophes et les savants les plus distingués de son temps, et les chargea de travailler à la recherche des vérités philosophiques ct au perfectionnement des arts. C’est par leurs soins que se forma la fameuse bibliothèque brûlée depuis par le farouche Omar. Cette académie s’honora par d’utiles travaux, étendit l’empire des sciences , et servit de modèle aux académies modernes, soit dans les formes, soit dans le but admirable de son institution. Elle s’associait tous les poëles, tous les philosophes étrangers ; on venait de toutes les parties de la terÎ’e puiser ou déposer dans son sein de nouvelles connaissances. On s’y enrichissaitmutuellement par l’échange des pensées et des découvertes. Cette illustre académie fut longtemps le centre de · l’instruction. On y recueillait tous les trésors littéraires épars dans les contrées qu’envahissait la barbarie ; elle hérita vers le temps de la décadence de ·la Grèce, de la sagesse du portique, de la gloire du lycée , et brilla sur les bords du Nil, comme un phare étincelant , d’où partaient toutes les lumières qui éclairaient alors le monde, et dont les rayons ont traversé les âges et guidé les académies modernes dans la recherche des clartés et des vérités non. velles. Rome n’eut point d’académies. Les sciences ne parurent qu’un objet se- 4 !Qndaire et de peu d’importance aux yeux des conquérants de l’univers. Virgile Je reconnaissait lui-même, quand il disait dans l’Énéide que les Romains devaient céder aux autres peuples la gloire des arts, et se borner tl la gloire des armes. Les poëtes et les écrivains latins se formèrent à l’école des Grecs. Aucun établissement national ne favorisa leurs progrès, ni sous la république , qui les dédaignait , ni sous les tyrans, qui les redoutaient Auguste lui- même ne récompensait dans .les poètes que ses flatteurs ; les réunions des écrivains célèbres chez Mécène pouvaient seules être regardées comme uue sorte d’académie, dont le but était moins de propager la gloire des lettres que de goûter, dans les douceurs d’un commerce entièrement épicurien, les jouissances que leur doivent les esprits éclairés et délicats. Quand le moyen âge commença à repousser les ténèbres dont plusieurs 76
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siècles d’ignorance avaient enveloppé vecl’Université, dontquelquesanteurs l’Europe , la passion de l’instruction attribuèrent à tort la fondation à Chardevint une mode, et créa une foule de lemagne. Ce prince , qui aimait assez sociétés savantes qui marchèrent si- l’égalité pour dire aux nobles ambimultanémentàlarecherchedessciences tieux et paresseux, a Je vois que vous el des arts, oubliés et presque perdus 1 comptez sur le mérite de vos aïeux , dans les mêmes contrées où ils avaient 1 mais apprenez qu’ils ont reçu leur eu le plus d’éclat. Les Gaules éclairées » récompense, et que l’état ne doit par les Romains et par Julien le philo- » rien qu’à ceux qui se rendent capasophe, étaient retombées , sous les 1 bles de le servir et de l’honorer par rois fainéants de la première race et » leurs talents », voulut effacer toute les maires du palais , dans la plus distinction de rang entre les académiprofonde ignorance : les moines y pas- cieus, et exigea que chacun d"eux se saient pour savants lorsqu’ils savaient choisit un nom purement littéraire , et lire. Ils s’opposaient par politique à qui ne rappelât ni sa dignité ni sa naisl’instruction des peuples, ce qui fai- sance. Egilbert , le plus spirituel des sail dire à Charlemagne : « Le clergé grands de sa cour , prit modestement » veut seul être savant, et rester seul le nom d’Homère ; l’archevêque de » l’interprète des sciences et des lois.1 Mayence s’appela Damœtus ; Alcuin , Cependant ce prince, digne de vivre Albinos ; Éginard, Calliopus ; Adélard, dans un siècle moins barbare, tenta abbé de Corbie, Augustin ; Théodulphe de ressusciter les lettres, dont il avait se nomma Pindare ; et Charlemagne quelque connaissance, mais dont il re- lui-même, sans doute à cause de son tardait l’essor, sans s"en douter·, en goût pour la composition des cantipréférant trop exclusivement, selon ques , se décerna le nom de David. les préjugés de celte époque, la littéra- L’académie de Charlemagne obtint. ture sacrée, qui n’est pas la meilleure, une grande célébrité ; quoiqu’elle ait à la littérature profane. ll reprochait laissé peu de monuments , elle préà Reibode , archevêque de Trèves, son para l’essor des sciences, en répandit admiration pour les poésies de Virgile, le goût, et jeta peut-être les premiers et lui disait qu’il aimerait mieux pos- fondements de la langue française, séder l’esprit des quatre évangéliste• idiome encore grossier, composé d’un que celui des douze livres de L’Enéide. mélange barbare du langage des Goths, Aussi eut-il la prétention d’être un du latin et du vieux gaulois. L’acadéhabile théologien , et ne s’appliqua-t-il mie de Charles soumit cette langue à qu’à composer quelques cantiques, ce .des principes, et en fit une langue réqui ne l’empêcha pourtant pas de fon- gulière, qui devint la langue romance. der dans son palais même une acadé- Charles voulut , contre l’usage de son mie consacrée à l’étude de la gram- temps , faire rédiger dans cette langue maire, de l’orthographe , de la rhéto- les hymnes, les prières et les lois ; mais rique, de la poésie, de l’histoire, de le clergé s’opposaopiniâtrément à cette l’astronomie et des mathématiques. innovation , qui lui aurait enlevé une Cette académie offrait plus de ressem-
.partie de son influence , en lui ôtant
hlaoce avec notre Institut actuel qu’a- l’interprétation des lois civiles et cliviACA nes , et retarda ainsi les heureux résultats que Charles espérait obtenir de la fondation de son académie , dont les travaux utiles, quoique entravés dès leur naissance par l’intérêt personnel des moines , ne furent pas moins Ja source des premières clartés qui se répandirent sur la France , et la préparèrent à sortir de la barbarie. Dans le siècle · suivant , Alfred-le-Grand, roi d’Angleterre, digne émule du premier législateur français, fonda la fameuse académie d’Oxford. Vers la même époque , ·les Maures d’Espagne, célèbres par leur galanterie , leurs mœurs chevaleresques et leur goftt pour la poésie , la musique et les lettres , eurent aussi des académies à Grenade et à Cordoue. En ~ 525 , la France vit nattre à Toulouse , sous le nom d’académie des Jeux Floraux, la plus ancienne des académies qui subsistent encore aujourd’hui. Les membres de cette association littéraire prirent le nom de mainteneurs de la gaie science. Les prix que l’on - _ décernait dans cette académie, et qui consistaient en fleurs d’or et d’argent, entretenaient l’émulation parmi les troubadours languedociens. Cette société, que Clémence Isaure dota de ses biens et fit son héritière, jouit encore d’une réputation méritée ; et presque tous les jeunes poètes, en attendant qu’ils soient dignes de se couronner des véritables lauriers du Parnasse , vont au commencement de leur carrière y disputer la violette , le souci , l’amarante et l’églantine. Larenaissance des lettres au quinzième siècle fit éclore une foule d’académies. C’est en Italie qu’elles forent plus nombreuses : chaque ·vine voulut avoir la sienne. Ces académies prirent les noms les plus bizarres ou qui peignaient le mieux la passiou que l’ou affectait alors pour les sciences. Rome eut ses lincei, Naples ses ardenti ~ Parme ses imensati, et Gênes ses addormentati , nom que pourraien• prendre beaucoup d’académiciens modernes. La plus célèbre de ces académies fat celle de la Crusca de Florence, qui a couvert le ridicule de son nom , qui veut dire son, et des attributs qu’elle s’est donnés, par des travaux utiles et la confection de son dictionnaire, Vocabulario degli academici deUa Crusca, qui fait encore loi en matière de gollt dans la patrie do Dante, de Boccace et de Pétrarque. Sous Charles IX, le poête Ronsard réunit à Saint-Victor les écrivains dont on admirait alors le génie. Ils formèrent une académie que Charles IX venait souvent présider ; car ce prince eut, comme Denis-le-Tyran et Néron, avec lesquels il eut tant d’autres traits de ressemblance, la manie de faire des vers, et n’en fit comme eux que de mauvais. Cette société, renouvelée soixante ans après par Desmarests et Chapelain, devint , sous la protection du cardinal de Richelieu , l’académie française , et reçut du roi Louis XIJJ , en ~ 635 , des lettres-patentes , que le parlement qui craignait déjà les progrès des lumières , refusa de vérifier et d’enregistrer pendant deux ans. · Le chancelier Séguier fut, après la mort de Richelieu , le protecteur de · c ette illustre compagnie, qui réunissait tout ce que la France possédait de génies supérieurs. Elle dut bientôt one nouvelle splendeur à Louis XIV, qui la recréa pour ainsi dire, l’établit au Louvre et la gouvernadespotiquement. o ;9 ;tized by
78 ACA Ses travaux, qui œosistèrent pJ :ioci.. .paiement, comme ceux de l’académie . della Crwca, dans la confection d’ua .Dictionnaire français, destiné à .fixer le seos et l’application des mots de la )augne, la rendirent moins célèbre que les talents et la réputation de ses membres. L’académie devint bientôt .la pépinière des flatteurs de Louis XlV. Les grands seigneurs eurent l’ambition d’y pénétrer, et d’y remplacer des hommes de génie, ce qui fit dire à Patru • que lorsqu’il se brisait one . • corde à la lyre , on en remettait une • d’argent qui ne rendait aucun son.» Cependant Louis XIV voulut, à l’exemplede Charlemagne, que l’égalité entre les membres fût la première règle de l’académie, et le cardinal d’Estrées, comme prince de l’Église , s’étant lait apporter un fauteuil , le roi en fit doo- .ner à tous les académiciens . L’abbé Bignon, pour mettre la compagnie lOOS la dépendance du ministère et se rendre maitre des nominations , offrit de lui accorder des jetons d’or qui auraient pu valoir f ,200 francs de rente à chacun des membres ; mais les plus pauvres mêmes, que leurs successeurs .a ctuels n’ont guère imités, donnèrent . le noble et inutile exemple de préférer leur indépendance à des pensions. Le mérite ne décida pas toujours du choix . des candidats : Molière ne fut point . admis parce qu’il était comédien ;Pascal , les deux Rousseau , Diderot et . plusieurs autres, forent constamment . repoussés ; Corneille même ne fut reçu . que lorsqu’il se présenta pour la troi- . sième fois. L’académie a cependant contribué puissamment à la prospérité des lettres ; les prix qu’elle a décernés
- ont enflammé les jeunes littérateurs ,
. el l’espoir de parvenir dans son seiD a SBDS cesse entretenu l’émulation parmi les écrivains. En U92, l’académie fut dissoute , el rétablie en ~ 805 , sous la dénomination de classe de la langue et de la littérature française , faisant partie de L’lmtitut ; depuis ~ 8~ 5 , elle a repris son ancien nom. Plusieurs membres furent alors éliminés ou nommés par ordonnance. Sans disco- 1er’ l’équité de cette mesure, nous nous ferons observer que Louis XIV même laissa à la mort le droit des éliminations, et à l’académie l’apparence de la liberté dans ses choix. Depuis cette époque , les nominations, faites quelquefois 80US l’influence de l’esprit de parti, n’ont pas toujours eu l’approbation générale. Le fauteuil est regardé comme le bâton de maréchal des littérateurs. On a vu souvent donner le bAton à des généraux qui avaient mal fait , mais rarement à des généraux qui n’avaient rien fait. Si l’académie ne revient à cet égard aux principes d’équité de Patru, si elle ne remonte sa lyre qu’avec des cordes d’argent, elle finira par perdre sa considération, sa poire ; et sa devise , à l’immoJ’l4lité, ne sera plus qu’un ·vain mot. Les académies des sciences, des in-ICTÏptimu et beUes-lettres , des bemu :arts , d’tJTchitectxre , et celle des sciencu morales, dont les noms dési· gnent assez la destination 1 se sont réunies à l’académie principale , sous le titre de classes, et n’en forment plus qu’une seule appelée l’Institut, foyer de sciences et de lumières , destiné à renouveler la gloire de la fameuse académie d’Alexandrie , et à la surpasser par ses bienfaits. Depuis la révolution de ~ 850 , les membres éliminés ontété rappelé$ dans le sein de l’académie. Parmi les aeadéfllies etran~res qni rlvalisént avec la nôtre ou marchent do moins sor ses traces, on cite surtout la société royale de Londres , et les académies de Berlin , de Madrid et de Pétersbourg. On appelait jadis academie l’écolè où l’on apprenait à monter à cheval et d’autres exercices militaires. Ce nom, qui désignait du temps de Platon l’école de la sagesse et de la. morale, a été donné aux lieux inf’âines où l’on joue sur une carte on sur un dé sa for- ~e et son honneur. Académie , en terme de peinture , est une figure entière dessinée d’après un modèle. L’Opéra a reçu le titre d’Académie royale de musique. Autrefois , quand Louis XlV figurait dans les divertissements de sa cour et montait sur Je théâtre, les gentilshommes et les demoiselles nobles avaient le privilége de pouvoir chanter l’opéra sans déroger. Ce privilége s’explique aisément. E. Dupaty.