Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Vrai (le)

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VRAI (le) (subst. mas.) Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est aimable. Le vrai est de l’essence des beaux arts, & torts les avantages qui lui sont attribués, leur appartiennent aussi.

Sans le vrai l’art est nul. La fonction spéciale de l’art étant du parler aux yeux, son but est manqué s’il ne leur présente le vrai.

C’est par lui seul que l’art peut nous montrer les élémens, les saisons, les climats, les distances, les corps, les habitations, les rangs, les caracteres ; & c’est lui. qui donne les nuances aux passions.

Sans le vrai, l’art n’a rien exprimé ; il ne peut alors être ni jugé ni senti.

C’est dire combien un artiste est voisin de la perfection, que de louer sa supériorité dans le mérite d’être vrai : s’il ne la possède pas il n’y a plus d’ensemble, de sagesse, de variété, de simplicité, de grand, ni de mouvement dans ses ouvrages. D’où il suit que malgré tous ses efforts, l’artiste qui laisse voir des parties symmétriques où il faut des contrastes qui, par systême ou par manie met indifféremment de l’agitation dans toutes les figures, ou qui ne leur fait pas exprimer tout ce qu’elles doivent sentir : cet artiste, dit-je, quelque talent qu’il ait d’ailleurs est un artiste foible. Nous convenons pourtant qu’on peut intéresser les gens de l’art par des beautés d’exécution. Ces parties peuvent faire réussir quelque tems un artiste ; mais ses succès seront passagers. En vain le Vouet, par l’aisance de ses compositions, la hardiesse de son pinceau & la témérité de ses teintes, si je puis m’exprimer ainsi ; en vain, dis-je ce peintre est parvenu, par ses partisans exaltés, à faire éloigner le Poussin de notre France, ce même Vouet n’est aujourd’hui connu que de quelques possesseurs de tableaux, au lieu que le nom du Poussin sert à indiquer tout ce qui se rencontre de grand & de sage dans un ouvrage de peinture.

La première pensée d’un tableau ou d’une statue doit avoir le vrai pour base. Si ce premier point n’est rempli, les détails les plus précieux ne pourront fixer l’admiration. Il ne suffit pas d’être copiste insipide pour imprimer à une composition le caractère du vrai ; il faut s’occuper de répondre, par une disposition poëtique, aux idées que les spectateurs ont dû se former des sujets ou des personnages qu’on a le désir de leur faire reconnoître. C’est moins pour satisfaire les hommes qui auront connu ses modèles, que pour les peindre aux siècles futurs, que l’artiste doit travailler : sa tâche est de transmettre à la postérité les vertus & les caractères de ses héros.

Or, ce n’est pas avec des vérités individuelles, & présentées sans chaleur & sans choix, que l’artiste remplira cette tâche noble & difficile. Ni le statuaire Dupré, ni le peintre de Marie de Médicis, Rubens, ne nous ont représenté Henri le Grand avec une stature petite & mesquine, telle que la nature l’avoit donnée à ce héros. Dans sa statue au milieu de cette capitale, & dans cette suite de tableaux enchanteurs que le public pouvoit admirer n’aguère dans la galerie du Luxembourg, la figure de Henri est noble, fière & d’un bel ensemble.

C’est avec raison qu’on a blamé Pigale d’avoir copié servilement la corpulence lourde & engorgée du Maréchal de Saxe. Une proportion bien découplée, des formes vigoureuses & ressenties, eussent peint à la postérité & l’ame de ce guerrier & le physique agile & robuste que l’histoire lui attribuera dans ses descriptions.

Si le vœu de ce citoyen raisonnable, qui demande que la statue de Voltaire soit érigée dans la place Dauphine, étoit mis à exécution, je ne voudrois pas que l’artiste nous le présentât sous la forme d’un vieillard desséché & d’une nature abjecte, ainsi que se montre la statue de Pigale. Je ne voudrois pas même que, courbé sous la charge pesante des années, il parût assis & drapé en philosophe


antique, ainsi que l’a rendu M. Houdon avec tant de finesse & de pureté. Non, il faudroit que simplement couvert de la tunique des poëtes antiques, saisi dans cet âge heureux où il enrichit notre scêne, de Mérope, d’Alzire & de Mahomet, on le montrât debout, l’air inspiré, tout occupé de la perfection de sa Henriade, fixant ses yeux enflammés sur la statue de son héros immortel. Son attitude élancée concourroit avec sa taille svelte à exprimer le mouvement & la légèreté précieuse dont il anima toutes ses productions. Enfin nos neveux, & nous même trouverions la statue de Voltaire en rapport avec cette abondance, cette subtilité d’esprit & ce sel inimitable, qu’il a su répandre dans ses ouvrages.

On voit donc qu’il ne suffit pas de copier indifféremment la nature. On voit qu’il faut la choisir avec sentiment, & que c’est au génie seul a nous donner le vrai.

Qu’on n’aille pas cependant croire que pour être vrai, on doive, dans tous les cas, être élégant & recherché ; un véritable artiste, c’est-à-dire celui qui n’est pas borné à l’exécution méchanique de son art, se transporte à toutes les scènes qu’il veut peindre : il est simple & pauvre dans la chaumière de Philemon & Baucis ; il est voluptueux dans les bosquets où il nous découvre le grouppe de Renaud & d’Armide ; il répand de la grace à Paphos, & de la sublime, & respectable beauté dans la grotte où Diane & ses nymphes se reposent d’une chasse fatigante. Enfin c’est en s’oubliant soi-même, c’est en faisant passer dans son âme le caractère propre de ses sujets que l’artiste peut nous montrer le vrai.

Une fois bien pénétré de ce besoin de peindre toujours à l’esprit, les vérités de détails viendront d’accord se placer dans son ouvrage. Il ne peindra pas les malheurs de Marseille sous un ciel brillant & serein : l’air, le feuillage des arbres, les habitations elles-mêmes, tout dans son tableau, prendra la teinte de cette vapeur empestée qui répand sur toutes les figures la douleur, l’horreur & la mort. Mais par qu’elle route parvient-on à commander, pour ainsi dire, à son art, & à le faire plier à ses volontés ? cette route est simple & malheureusement peu fréquentée. Les systêmes d’école, la manie de suivre ses maîtres en esclave, nous écartent des moyens de trouver & de rendre le vrai.

Ces moyens se bornent, comme nous l’avons dit à l’article instruction, à n’acquérir de science qu’avec son propre esprit, qu’avec ses propres yeux, à bien étudier l’antique, les organes & les couses des mouvements des êtres animés, enfin la nature dans toutes ses circonstances.

C’est par des vues solides sur le vrai & sur les moyens d’y atteindre, qu’on sentira le vuide de cette question ridicule : doit-on, pour faire des progres dans l’art, copier la nature telle qu’elle se présente, ou corriger ses imperfections en l’étudiant ? nous répondrons en un mot, que pour la rendre dans ses ouvrages avec choix & variété, il faut apprendre à l’imiter avec toutes ses différences.

C’est par cette fimple méthode que s’annulera la recherche de ces distinctions métaphysiques & pueriles du vrai simple, du vrai composé & du vrai idéal, si laboriesement discucutées par de Piles.

Il n’est qu’une manière d’être vrai pour les yeux, dans l’art du statuaire & dans celui du peintre ; c’est d’être vrai pour l’esprit ; & comme nous l’avons dit, & ce à quoi se résument toutes nos réflexions, on y parvient en n’offrant le savoir que sous l’empreinte du jugement, du goût & du génie. (Article de M. Robin.)

VUE (subst. fem.) On appelle vue le portrait d’un site qu’on a fait d’après la nature. On dit dessiner des vues, peindre des vues, saisir une vue.

Ce terme, comme on le voit, est de la dépendance du paysage, & j’ai parlé déja du sujet de cet article dans celui qui a été consacré au paysage.

Le genre des vues s’étend à une infinité d’objets particuliers. Une marine, une chaumière, un terrein singulier, des roches, tout cela (lorsque l’étude en est faite sur la nature) s’appelle des vues.

Une des occupations les plus amusantes qu’occasionne la pratique de l’art dont je traite, est celle de dessiner ou de peindre des vues ; c’est pour les grands artistes un délassemnet, parce qu’ils les saisissent avec une facilité qui leur est agréable, & qui fait jouir ceux qui les voyent opérer de l’exercice de leur talent, & parce que cet exercice qu’ils en font leur donne occasion de remarquer & de sentir une infinité : d’objets, de détails, de vérités qui ne s’offrent jamais à eux sans leur procurer des sensations intéressantes.

Pour les jeunes élèves, dessiner des vues est un amusement quelquefois trop attrayant par l’espèce de facilité qu’ils y trouvent & les libertés qu’ils se croyent autorisés à prendre. Dans les pays riches en vues pittoresques, le artistes se livrent au plaisir de dessiner les sites heureux avec une espèce d’enthousiasme, qui peut les détourner des études plus essentielles auxquelles ils doivent consacrer des momens précieux & courts ; mais pour les simples amateurs qui s’occupent à exercer l’art du dessin,


saisir passablement un site est une ressource contre le désœuvrement, qui peut flatter leur amourpropre, par quelques succès, qui leur sont généralement interdits dans les genres plus difficiles. Bien dessiner la figure d’après la nature est un de ces pas que peu d’amateurs ont le temps ou le courage de franchir. C’est le fruit d’une étude assidue de la bosse, étude souvent rebutante & toujours difficile : dessiner, composer & peindre avec l’inspiration du génie, ou tout au moins avec le secours d’un véritable talent, sont des progrès qu’il est extrêmement rare de voir faire à ceux qui ne se consacrent pas entièrement à la peinture, & qui sont difficiles même à obtenir par les artistes qui n’ont pas d’autre occupation ni trop souvent d’autre ressource.

Mais lorsque ceux qu’un goût naturel & vrai entraîne à s’amuser de la peinture, ne pouvant s’y dévouer exclusivement, se trouvent doués de quelques dispositions, ils peuvent parvenir, en les cultivant avec fuite, à dessiner & même à peindre, dans les momens de loisir, ce que la nature compose sans cesse autour d’eux, pour leur donner l’envie de l’imiter ; alors dans les campagnes, près des villages, dans une ferme, cette douce occupation, en leur faisant passer délicieusement des momens qui souvent seroient vuides, les conduit à observer & les effets de la lumière & des détails même qui peuvent souvent inspirer leur bienfaisance & les rapprocher de la véritable : humanité, en les fixant à la véritable nature.

Il est dans les arts, & dans quelques sciences, des plaisirs & des utilités qui ne sont guère connus que de ceux qui les ont éprouvés.

L’exercice des sciences profondes a des avantages incontestables pour la société ; il en a même pour ceux qui les exercent par l’attrait qu’elles leur présentent & l’occupation à laquelle elles les fixent ; mais on ne peut guère nier qu’elles ne tendent à isoler d’autant plus, qu’on s’y applique plus exclusivement. La pratique des beaux-arts, qui ont tous pour but l’imitation des hommes & des choses, en obligeant ceux qui les exercent à tout voir, à tout observer, doit naturellement les rendre plus sociables &, si on l’osoit dire, plus humains.

Au reste, nous sommes peu maîtres de nos penchans : l’art de les diriger, c’est-à dire, d’en tirer avantage pour les autres & pour nous, quoique dépendant de nous-mêmes. suppose encore plus de bonheur & de réflexions qu’on ne pense.

On trouvera au mot paysage quelques détails relatifs au sujet de cet article, & je ne dois pas les répéter. (Article de M. Watelet.)

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