Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Tome 2/Pratique C

(p. 444-458).

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CALQUE. (subst. masc.) Il est des occasions où le plus habile dessinateur, au lieu de copier le trait d’un ouvragé d’un autre maître, ou même de son propre ouvrage, doit, ou pour une plus grande précision, ou pour une plus grande promptitude, en prendre le calque. Cela est sur-tout nécessaire toutes les fois qu’on ne peut se permettre de faux traits pour parvenir au véritable. Ce seroit, par exemple, une bien folle prétention au peintre à fresque, de vouloir chercher sur l’enduit le trait de sa composition, de risquer de faire de faux traits sur cet enduit, & de le laisser sécher pendant le temps qu’il emploieroit à trouver le trait juste. Quelque habile dessinateur qu’il puisse être, il calque donc sur l’enduit le trait du dessin qu’il a établi sur ses cartons. Le graveur ne peut pas non plus se permettre de faux traits sur son cuivre. Sa première opération est donc de prendre un trait bien arrêté de l’ouvrage qu’il veut graver, & de le calquer sur le vernis dont il couvre sa planche. Enfin quand on veut avoir une copie très-fidèle d’un ouvrage précieux par la pureté du dessin, il est toujours plus sûr d’en calquer le trait que de se fier à la justesse de ses yeux.

Il est différentes manières de calquer. Si l’on ne craint pas de gâter le dessin original, on le frotte par derrière de crayon noir ou rouge : on place sur cette surface noircie ou rougie un papier blanc ; on passe ensuite une pointe mousse sur tous les traits du dessin, & ils s’impriment sur le papier blanc. Si l’on ne craint pas de passer la pointe sur les traits du dessin, mais que cependant on ne veuille pas le rougir ou le noircir par derrière, on frotte de crayon une feuille de papier minco, on l’applique derrière le dessin, & sur cette seuille de paper frottée de crayon, on applique une autre seuille de papier, & ensuite on passe la pointe sur les traits du dessin, en appuyant un peu plus que dans la première opération.

Pour frotter le derrère du dessin, on réduit en poudre du crayon, & on l’étale sur le papier avec un linge ou avec une grosse estompe : mais un linge vaut mieux.

Une autre manière de calquer est de prendre du papier serpente huilé ou vernis. On l’applique sur le destin, & l’on voit tous les traits à travers ce papier, presque comme à travers une glace : on n’a que la peine de suivre ces traits à la plume.


Les graveurs qui ont besoin d’avoir un trait extrêmement fin, pour le reporter avec précision sur leur vernis, avec le moins d’épaisseur qu’il est possible, ne prennent pas ce trait à la plume, mais à la pointe. Ils se servent pour cela de papier vernis, ils l’appliquent sur le dessin, & passent une pointe fine sur tous les traits. Ces traits se détachent en blanc sur le papier vernis.

Quand le dessin qu’on veut calquer n’est pas grand, on peut le couvrir d’une feuille de papier, & l’appliquer sur une vître bien nette, au grand jour. On voit alors tous les traits de l’original, & on les prend au crayon. La plume ne réussiroit pas bien dans cette opération ; il faudroit la tenir dans une position horisontale, & l’encre ne couleroit pas.

La manière de calquer à la plume ou au crayon sur du papier serpente huilé est très-commode pour les artistes : elle leur procure le moyen prompt & facile de prendre le trait de dessins ou d’estampes dont ils n’ont la jouissance que pour peu de temps. J’ai connu des artistes qui s’étoient fait de très-bonnes collections de semblables traits, & qui trouvoient un grand avantage ou beaucoup de plaisir à pouvoir les consulter dans l’occasion.

Le mot calque pourroit venir du Teuton kalck qui signifie craie, parce qu’on s’est servi de craie pour calquer lui un enduit ou un papier de demi-teinte.

CAMÉE. (subst. masc.) C’est le nom qu’on donne aux pierres fines gravées en bas-relief : on peut regarder le camée comme la miniature du bas-relief de la scuipture en grand. Les principes de la composition de ces ouvrages sont les mêmes que ceux des bas-reliefs qui ont peu de saillie & dont les anciens nous ont laissé de si beaux modèles. Les figures y doivent être isolées : il y faut éviter ces multiplications de plans dégradés & de grouppes de figures qui ont la prétention de se détacher les uns sur les autres, & qui en effet se détachent fort mal.

Les François ont emprunté le mot camée de l’italien cameo : mais quelle est l’origine de cette dernière expression ? Je présume que les antiquaires Italiens qui l’ont introduite dans leur langue, l’ont tirée du mot grec καμαί, qui signifie à terre, sur la terre. En effet le relief des camées ayant fort peu de saillie & se détachant foiblement de leur fond, ces antiquaires ont pu comparer le champ du camée à un terrein, & les objets que l’artiste représente sur ce champ, à des objets qui sont à ras de terre.

C’est aussi du mot cameo que les François ont formé le mot camayeu, dont ils se sont d’abord servis pour exprimer ce que les Italiens appellent des camées, & qu’ils ont employé dans la suite à désigner ces peintures d’une seule couleur que les Grecs appelloient monochromata, & que les Italiens nomment chiaro scuro. Dans l’origine de cette sorte de peinture chez les modernes, elle étoit constamment destinée à imiter l’effet & la composition des camées & des bas-reliefs. La mode en a fait un genre bâtard & subalterne, quand elle a voulu le consacrer à imiter la composition des tableaux, & quand au lieu de s’en tenir au blanc & au noir qui, par leur mêlange, rendent la couleur de la pierre, elle a voulu que les artistes fissent des camayeux bleus, rouges, &c. Cette mode trop long-temps consacrée aux dessus-de-portes & de cheminées, & aux panneaux des appartemens & des voitures, est à — présent tout-à-fait oubliée, & mérite bien de l’être. Une autre mode règne à— présent : c’est celle de l’imitaion des camées, c’est-à-dire de ces gravures où l’artiste profitant des variétés de couches d’une agathe, détache les figures en clair sur un fond obscur. Les miniatures des tabatières, des bracelets, des diverses parures de femmes imitent les camées, & ce sont aussi des camées que représentent les boutons des habits d’hommes. Ce caprice peut avoir sur l’art une influence favorable, s’il amène parmi nous le goût de l’antique, dont ces petits ouvrages sont des imitations plus ou moins heureuses.

« Le travail de la gravure en creux, dit M. Mariette, dans son traité des pierres gravées, se trouve en quelque manière perdu, puisqu’il ne se distingue parfaitement que lorsqu’on en tire des empreintes ; il n’en est pas ainsi des camées Ils n’ont besoin d’aucun secours pour se montrer dans toute leur beauté ; ils offrent continuellement à la vue de petits bas-reliefs précieux… Souvent même, ils deviennent entre les mains d’un habile homme de petits tableaux infiniment agréables, & où l’art & la nature semblent agir de concert. Car les camées se sont avec des agathes, & si le graveur sait profiter des différences nuances, ainsi que des couleurs accidentelles qui sont presque toujours répandues sur ces pierres fines, il peut en faire des applications heureuses, & faire paroitre la sculpture embellie de couleurs qui sembloient réservées à la peinture. C’est ce qui a été pratiqué plus d’une fois par d’excellens graveurs… »

« A l’imitation des plus beaux bas-reliefs,


les figures, sans presque avoir de faillie, prennent cependant de la rondeur, & assez de corps pour se détacher de dessus leur fond, & ne pas sembler y être adhérentes : peu travaillées en apparence, elles sont exprimées dans toutes leurs parties avec tant de goût, de justesse & de précision, qu’il n’est pas possible de rien faire de plus élégant ni de plus exact. La science y est soumise à une noble & aimable simplicité, qui n’offre aux yeux que ce qu’il faut pour élever les idées. Il est à présumer que cette grande manière illustra les plus beaux jours de la Grèce. J’en prends à témoin cet admirable fragment d’un plus grand camée du cabinet de M. Crozat, représentant Ganimède enlevé par l’aigle, morceau a grec, qui est de l’antiquité la plus avérée & qui, dans son peu de relief, est tellement gravé de chair, qu’il semble la chair même. C’étoit aussi la manière favorite du fameux Dioscoride ([1]), à en juger par le travail de plusieurs belles pierres gravées du cabinet du Roi. Mais je fuis obligé d’avouer que je n’en connois point, dans ce cabinet, d’une aussi grande perfection que la cornaline qui a appartenu pendant assez long-tems à M. Sevin, & qu’il a enfin cédée à milord duc de Devonshire. Elle représente Diomède qui enlève le Palladium, & l’on y lit très-distinctement le nom de Dioscoride écrit en grec… »

« Le travail des camées ne paroît pas si difficile que celui de la gravure en creux. L’artiste a continuellement son ouvrage sous les yeux, il en voit les progrès, & il abbat la matière par-tout où il le juge à propos, sans crainte d’en trop ôter, & sans avoir besoin de consulter à chaque instant l’empreinte en cire de ce qu’il grave, comme lorsqu’il opère de l’autre façon. Il sembleroit que toute son attention dût se borner à suivre exactement le modèle qu’il s’est proposé d’imiter. Cependant il ne suffit pas d’être bon dessinateur & d’avoir de la main ; ce genre de gravure demande beaucoup d’intelligence & de génie, & peut-être encore plus que celle qui se fait en creux. L’artiste y est extrêmement assujetti ; il y employe des agathes-onyx & des sardoines-onyx sur lesquelles la nature a jetté au hasard diverses couleurs ; & s’il veut réussir & plaire, il faut qu’il tire parti de ces couleurs, qu’il les distribue dans les places convenables, qu’il les adapte aux divers objets qu’il a dessein de représenter, qu’il les y fasse cadrer, & que ces dispositions paroissent si naturelles qu’on n’ose prononcer, en voyant son ouvrage devenu colorié, si c’est le graveur qui a su profiter d’un jeu de la nature, ou la nature qui, sans y avoir été forcée, a fait l’opération toute seule. »

« On voit de ces camées qu’une main industrieuse a rendu très-singuliers & infiniment agréables. Dans les uns, c’est une tête, ou bien ce sont des figures entières représentées en bas-relief, lesquelles ont été épargnées dans un morceau d’agathe où se sont rencontrés deux lits de différentes couleurs, couchés l’un sur l’autre, l’un blanc, & l’autre de toute autre couleur qu’on voudra supposer : les figures ont été taillées dans l’épaisseur du premier lit, & le second lit qui est demeuré entier & resté à découvert, sert de fond à ces figures, qui, par cette opposition de couleurs, prennent un grand relief, & se dessinent beaucoup mieux sur leur champ que si la pierre n’étoit que d’une seule couleur : la gravure ne feroit que l’effet d’un simple bas-relief de marbre, & elle imite un tableau peint en clair-obscur. Dans d’autres camées, où les couleurs de l’agathe sont plus mêlangées & plus diversifiées, on verra, par exemple, une tête, mais dont la coëffure, la barbe, les cheveux, les draperies, la chair même, se peignent d’une couleur qui approche du naturel. Effets du hasard qui, saisis par un graveur intelligent, produisent quelquefois des tons de couleur si vrais, & dont l’application est si juste, & la rencontre si heureuse, qu’on ne sait souvent lequel admirer le plus ou de l’ouvrage de l’art, ou de celui de la nature. »

« Que ne puis-je, pour le mieux faire appercevoir à mes lecteurs, mettre sous leurs yeux cette admirable sardoine-onyx que M. Crozat montroit comme un des morceaux qui faisoit le plus d’honneur à son cabinet, & qui se trouve actuellement dans celui de M. le Duc d’Orléans (*) ? Dans un assez petit espace, elle renferme trois têtes de femmes d’une beauté ravissante, toutes trois de profil, rangées l’une sur l’autre, sur trois plans différens, & ce qu’on appelle accollées. Les chairs légérement teintes en quelques endroits d’un incarnat qui leur donne de la vie, sont restées blanches, sans que cette couleur se mêle avec celle du fond ni avec celle des draperies dont chaque tête est voilée, & qui sont coloriées d’un beau rouge. Car il ne sera pas hors de propos de remarquer que c’est un grand défaut dans un camée, lorsque la couleur qui peint les objets qu’on y voit


représentés, participe en quelque partie, & principalement sur les extrêmités, de la couleur de l’objet voisin, ou de celle du fond. Il faut que toutes les couleurs tranchent net, & qu’elles ne se boivent pas, comme s’expriment les gens du métier. Les plus beaux camées sont antiques. »

Quoiqu’on n’ait parlé dans cet article que des gravures exécutées sur des pierres qui ont des lits diversement coloriés, on grave cependant aussi en bas-relief sur des pierres d’une seule couleur. Le travail en est moins difficile ; mais il est aussi moins agréable.

Voyez sur la pratique de la gravure des camées, l’article Gravure en pierres fines.

CARMIN. (subst. masc.) Belle couleur rouge tirant sur le cramoisi, dont la base est la cochenille, insecte qu’on ramasse au Mexique, sur une plante nommée Nopal. On assure qu’il seroit aisé de naturaliser la cochenille dans les plaines de la Guadeloupe & de Saint Domingue. On posséde deja, dans cette dernière colonie, une espèce de cochenille qui donne la même couleur, mais en moindre quantité. Nous en avons une en France qu’on nomme Kermes, & qu’on recueille sur un arbrisseau du genre des chênes verds ; mais elle n’a pas la beauté de la cochenille américaine. Le haut prix de la cochenille entraîne nécessairement la cherté du carmin.

On ne fait guère usage de cette couleur dans la peinture à l’huile, parce qu’elle n’a pas assez de consistance, & qu’elle tourne, avec le temps, à la couleur naturelle de la cochenille, qui tire sur le violet. Si elle étoit moins chère, elle feroit un bel effet dans la peinture à la détrempe. On ne l’employe guère que dans les deux genres de détrempe en petit, qu’on nomme gouazze ou gouache, & miniature : on en fait aussi des pastels.

On trouve dans les Mémoires de l’Académie des Sciences, la manière suivante de faire le carmin.

Prenez cinq gros do cochenille.

Trente-six grains de graines de chouan : c’est une semence dont on ne connoît pas encore la plante, & qui vient du Levant ; elle est d’un verd jaunâtre, & d’une saveur légérement aigrelette.

Dix-huit grains d’écorce de roucou, arbre cultivé dans toutes les îles de l’Amérique.

Dix-huit grains d’alun de roche.

On pulvérise à part, dans un mortier de marbre ou de verre, chacune de ces substances ; on fait bouillir dans un vaisseau d’étain bien net, deux pintes & demi d’eau de riviere, ou de pluie, bien nette, bien pure, & même filtrée. Pendant que l’eau bout, on y jette le chouan, & on le laisse bouillir trois bouillons, en remuant continuellement avec une spatule de bois bien propre, & on passe promptement la liqueur à travers un linge blanc de lessive. On remet cette eau dans le vaisseau d’étain bien lavé, & on la met au feu. Quand elle commence à bouillir, on y met la cochenille, qu’on laisse bouillir trois bouillons ; puis on y jette le roucou qu’on ne laisse bouillir qu’un bouillon. Enfin on jette l’alun, & on ôte en même temps le vaisseau de dessus le feu. On passe promptement, & sans expression, toute la liqueur dans un plat de fayence, ou de porcelaine, ou de verre bien net ; puis on la laisse reposer pendant sept à huit jours. On verse alors doucement la liqueur qui surnage, & on laisse sécher les feces au soleil ou dans une étuve, & quand elles sont bien séches, on les conserve dans des vases à l’abri de la poussiere.

On remarquera que, dans un temps froid, on ne peut pas faire le carmin, car il ne se précipite pas au fond, & la liqueur devient comme une gelée & se corrompt.

Ce qui reste dans le linge peut être remis au feu dans le même vase, avec de nouvelle eau, pour avoir, par la même opération, un second carmin ; mais il sera moins beau & en plus petite quantité. On peut aussi en faire de la laque fine, en le mêlant avec la teinture de bourses d’écarlatte.

On a trouvé dans les papiers de M. Watelet, une autre recette pour faire le carmin. Il annonce qu’il l’a extraite d’un manuscrit de M. Sage, célebre chymiste.

On fait bouillir dans deux pintes & demi d’eau un demi-gros de chouan. Après l’espace de deux ou trois minutes d’ébullition ; on passe la décoction. On la remet ensuite sur le feu. On jette dedans cinq gros de cochenille pulvérisée : après qu’elle a bouilli deux ou trois minutes, on y met un demi-gros d’autour concassé. (L’autour est une écorce légère, spongieuse, sans odeur, & d’une faveur insipide, que les marchands tirent du levant par la voie de Marseille. Elle est assez semblable à la canelle, mais elle est plus pâle en-dessus : en dedans, elle a la couleur de la noix muscade, avec des points brillans.) On laisse bouillir l’autour à peu près le même temps que la cochenille, & l’on a soin de remuer avec une spatule de bois. Ensuite on retire la décoction du feu, on la passe à travers un linge très-fin. Le carmin tombe au fond ; on décante l’eau, & l’on met sécher le sédiment au soleil. Cette couleur est peu siccative. On peut varier les tons ou nuances du carmin, suivant la proportion de cochenille qu’on voudra employer, ou par l’addition de la dissolution d’étain.

L’auteur du Traité de mignature, dont la troisième édition est de l’année 1678 (Paris, Ballard) donne deux recettes pour faire le, carmin.

Première recette. Faites tremper trois ou quatre


jours dans un bocal de vinaigre blanc, une livre de bois de Brésil Fernambouc, de couleur d’or, après l’avoir bien rompu dans un mortier. Faites le bouillir une demi-heure. Passez-le par un linge bien fort, & remettez-le sur le feu. Ayez un autre petit pot dans lequel sera détrempé huit onces d’alun dans du vinaigre blanc, mettez cet alun détrempé dans l’autre liqueur, & le remuez avec une spatule. L’écume qui en sortira sera votre carmin : recueillez-la & la faites sécher.

Sceonde recette du même auteur. Ayez trois chopines d’eau de fontaine, qui n’ait pas passé par des canaux de plomb : versez-la dans un pot de terre vernissé : quand elle est près de bouillir, mettez-y une demi-once ou un quart d’once de chouan bien pulvérisé, puis laissez-la bouillir environ trois quarts d’heure, c’est-à-dire, jusqu’à ce que l’eau soit diminuée d’un quart. Mais prenez garde que le feu soit de charbon ; après quoi, coulez cette eau par un linge dans un autre vase vernissé, & faites-la chauffer jusqu’à ce qu’elle commence à bouillir. Alors ajoutez-y une once de cochenille, & un quart d’once de roucou, le tout mis en poudre à part ; puis faites bouillir cette matière jusqu’à la diminution de la moitié, ou, pour mieux dire, jusqu’à ce qu’elle fasse une écume noire & qu’elle soit bien rouge ; car à force de bouillir, elle devient colorée. Sortez-la du feu, & semez-y demi-once d’alun de roche pulvérisé, ou de l’alun de Rome qui est rougeâtre & meilleur. Un demi-quart d’heure après, passez-la par un linge dans un vase vernissé, ou bien distribuez-la dans plusieurs petites écuelles de fayence, ou de terre vernissée, où vous la laisserez reposer pendant douze ou quinze jours. Vous verrez qu’il se fera une peau moisie au-dessus, qu’il faut ôter avec une éponge, & laisser la matière du fond exposée à l’air ; & quand l’eau qui surnage sera évaporée, vous ferez bien sécher la matière qui reste au fond, & vous la broyerez sur un marbre ou porphyre, & vous la passerez ensuite par un tamis très-fin.

Remarquez que la dose de ces drogues n’est pas tellement déterminée à ce que j’ai dit, qu’on ne les puisse mettre à discrétion, suivant qu’on voudra que la couleur soit plus ou moins relevée, & tire plus ou moins sur le cramoisi. Si on veut faire le carmin plus rouge, on met plus de roucou ; si on le veut plus cramoisi, on met plus de cochenille : mais tout doit se pulvériser à part ; le chouan doit bouillir le premier tout seul, & les autres drogues toutes ensemble, comme dessus.

L’auteur du Traité de la peinture au pastel (Paris, Defer de Maison-neuve, 1788) donne une manière de composer une espéce de carmin qui, dit-il, réussit à l’huile.

Faites bouillir à petit feu, près d’une heure, une poignée d’écorce de bouleau ; passez la 448 CAR CAR liqueur au travers d’un linge ; pulvérisez un gros de cochenille, & mettez-la dans le même vase. Après trois ou quatre bouillons, retirez-la & versez la décoction dans un plat de sayence, pour la séparer de la lie, à moins que vous ne préfériez de la passer au travers d’un tamis de crin. Pour lors versez dans le plat, goutte à goutte, une certaine quantité de dissolution d’étain. Voici comment se fait cette dissolution. Versez dans une carasse une once d’acide nitreux, & moitié moins d’acide marin : ce mêlange est ce qu’on nomme eau régale : ayez soin d’éviter qu’il ne vous en tombe sur les doigts. Joignez-y, s’ils sont très fumans, un petit verre d’eau de fontaine ou de riviere bien limpide. Faites dissoudre dans ce mêlange de l’étain, soit de Malaca, soit de Cornouailles, réduit en petits fragmens, ajoutez de l’étain par intervalles, jusqu’à ce que le dissolvant n’agisse plus. Alors mettez la carasse sur la cendre chaude, pour que l’eau régale acheve de se saturer. La dissolution d’étain étant, comme on vient de le dire, versée dans te plat, la cochenille se rassemblera bientôt en petits flocons d’un rouge de sang. Laissezla reposer quelques heures, elle se précipitera d’elle-même. L’eau restera jaune. On peut la etter par inclinaison, & verser le précipité sur le papier lombard. Quelques momens après, il faut répandre, à plusieurs reprises, sur le papier, mais à côté du précipité, beaucoup d’eau chaude, pour le bien laver & le dessaler entierement. On donneroit à la fois plus de corps & plus de solidité au carmin, par cette manière de le préparer. Il résulte de quelques épreuves qu’on a faites, que le sue de l’écorce de bouleau, verte ou séche, fixe la couleur des bois de teinture, tels que le campêche & le fernambouc, toute fugitive qu’elle est : à plus forte raison peut-on compter que celle de la cochenille, beaucoup plus permanente, auroit toute la consistance nécessaire.

En effet, quelques gouttes de décoction de cochenille pure, sur du papier, deviennent, en séchant, d’un violet terne & sombre : elles restent, sur le même papier, d’un violet rougeâtre & net, avec l’eau de bouleau.

Quant à la chaux de l’étain, dissout par les acides, on sait qu’elle n’éprouve point de changement. C’est pour cela que je la substitue à la terre de l’alun, beaucoup plus susceptible d’altération. S’il falloit d’ailleurs des autorités pour justifier cette préférence, je pourrois citer MM. Hellot, Scheffer, Macquer, Bergman, qui, depuis longtemps, ont indiqué l’étain pour les opérations de la teinture, au lieu de l’alun, principalement dans la teinture de cochenille.

Je dois prévenir, au surplus, que quelquefois on ne réussit pas, & qu’il ne se fait pas de précipité ; de sorte que l’eau ne passe pas au travers du filtre, & qu’au lieu d’être jaunâtre, elle


reste couleur de sang. Il faut alors y joindre d’autre eau, chargée d’alkali fixe, pour opérer la séparation, ce qui même ne réussit pas toujours, lors, par exemple, que la dissolution d’étain qu’on employe ne devient pas laiteuse par l’addition de l’eau pure. Dans la teinture, c’est tout le contraire : le teinturier manquera son opération, si la dissolution d’étain devient laiteuse avec de l’eau, parce que la chaux métallique ne pénétrera pas alors dans les pores de la substance dont le tissu, qui doit recevoir la teinture, est composé. C’est une raison pour n’employer à cet usage qu’une dissolution d’étain faite par l’acide marin seul. Cet acide, avec le secours d’un feu très-léger, dissoud fort bien l’étain. Je n’ai pas cru devoir omettre cette observation, quoiqu’angère ici, vû son importance. La plûpart des ouvriers ne tirent que des teintures médiocres des bois de Fernambouc, de Brésil & de Campêche, faute de connaître ce mordant qui leur donneroit des couleurs solides, en y joignant la décoction de l’écorce de bouleau.

CARTON. (subst. masc.) Comme la peinture à fresque doit être exécutée sur un enduit frais, l’artiste ne peut pas tâtonner sur cet enduit la composition de son sujet, ni les formes & les contours de ses figures. Il. est donc obligé d’en faire d’avance des dessins de la même grandeur que seront ces objets peints, & il les calque sur l’enduit. Ce sont ces dessins qu’on appelle des cartons, parce qu’ils sont faits sur de grand papier qu’on nomme en italien Cartone. Souvent les peintres colorent ces dessins de la même manière qu’ils ont le projet de colorer leur fresque, & par ce moyen ils exécutent hardiment & avec promptitude ce qu’ils ont sous les yeux, & ce qu’ils ont déja bien étudié. Les cartons des grands maîtres sont très précieux. On regrette ceux de Léonard de Vinci & de Michel Ange, qui ont été détruits. Les cartons de Raphael déposés au château de Hamptoncourt, & gravés par P. Dorigny, sont comptés par les amateurs des arts, parmi les richesses de l’Angleterre. La France s’enorgueillit de posséder des cortons de Jules-Romain : les uns appartiennent au Roi, & les autres au Duc d’Orléans.

CENDRES BLEUES. Elles sont d’un grand usage dans la peinture en détrempe. Il y en a qui sont très vives en couleur : mais elles noircissent dans la peinture à l’huile & deviennent verdâtres. Elles ne sont autre chose qu’une terre chargée d’une certaine quantité de chaux naturelle de cuivre, & elles tiennent de la nature du ver-de-gris. On les trouve en pierre tendre & presque réduite en poudre, dans les lieux où il y a des mines de cuivre ou de rosette, surtout dans les mines de cuivre de Pologne, & dans un
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endroit de l'Auvergne nommé Puy-de-Mur. On ne fait que les broyer à l'eau pour les réduire en poudre fine. Cette espéce de bleu est surtout d'un grand usage pour les peintures à détrempe, qui ne doivent être vues qu'aux lumières, telles que les décorations de théatre ; & elle conserve alors une belle couleur, même quoiqu'on y mêle beaucoup de blanc. Elle tire seulement un peu sur le verdâtre, au contraire du bleu d'émail qui est très vif au jour, & qui paroît gris aux lumières.

On trouve quelque fois des cendres bleues qui sont aussi belles que l'outremer : mais en les mêlant avec un peu d'huile, on reconnoît bientôt que ce ne sont que des cendres, car elles ne brunissent pas, au lieu que l'outremer mêlé avec de l'huile, devient fort brun. D'ailleurs elles deviennent noires au feu, changement que ne subit pas l'outremer.

Il seroit dangereux d'employer des cendres bleues, même à fresque ou à détrempe, dans des ouvrages importans. Toutes les chaux de cuivre, toutes les terres cuivreuses sont la peste des tableaux. Mais on peut suppléer ces cendres, qui sont d'un bleu naissant très agréable, par le bleu céleste que l'auteur du Traité de la peinture au pastel a fait connoître. Voyez BLEU CÉLESTE.

CENDRES VERTES. Le nom de cendres a été donné fort improprement à cette substance d'une consistance terreuse, dont la couleur est d'un verd tantôt clair, tantôt foncé. On l'appelle en latin œrugo nativa terrea (verdet naturel) C'est une espéce d'ochre, ou de rouille de cuivre, très riche en métal. Cette couleur est dangereuse, & pousse au brun même dans la détrempe.

CHAMBRE OBSCURE, Machine d'optique, dont on attribue la première invention à Jean-Baptiste Porta, gentilhomme napolitain, célébre par la variété de ses connoissances, & par des rêveries qui ont préparé celles de Lavater.

Toute chambre peut devenir chambre obscure, pour vû qu'elle soit fermée avec soin de toutes parts ; mais pour répondre à l'objet proposé, il faut qu'elle donne sur une place ou sur une campagne dont les objets soient variés. On laisse seulement une petite ouverture au volet de l'une des fenêtres. 1°. Adaptez à cette ouverture un verre lenticulaire plan, convexe, ou convexe des deux côtés, qui forme une portion de surface d'une assez grande sphère. 2°. Tendez à quelque distance, laquelle sera déterminée par l'expérience même, un papier blanc, ou quelques étoffes blanches, à moins que la muraille elle-même ne soit blanche ; au moyen de quoi, vous verrez les objets peints sur la muraille de haut en bas. 3°. Si vous voulez les voir représentés dans leur situation naturelle, vous n'avez qu'à placer un verre lenticulaire entre le centre & le foyer


du premier, ou recevoir les images des objets sur un miroir plan, incliné à l'horizon sous un angle de quarante-cinq dégrés ; ou enfermer deux verres lenticulaires, au lieu d'un, dans un tuyau de lunette. Si l'ouverture est très-petite, les objets pourront se peindre, même sans qu'il soit besoin de verre lenticulaire.

Pour que les images des objets soient bien visibles & bien distinctes, il faut que le soleil donne sur ces objets : on les verra encore beaucoup mieux, si l'ou a soin de se tenir auparavant un quart d'heure dans l'obscurité. Il faut avoir grand soin qu'il n'entre de la lumière par aucune fente, & que la muraille ne soit pas trop éclairée.

D'après cette description, on peut définir la chambre obscure une chambre exactement fermée de toutes parts, & dans laquelle les rayons des objets extérieurs étant reçus à travers un verre convexe, ces objets sont représentés distinctement, & avec leurs couleurs naturelles, sur une surface blanche placée en dedans de la chambre, au foyer du verre.

La chambre obscure sert à beaucoup d'usages différent. Elle jette de grandes lumières sur la nature de la vision ; elle fournit un spectacle fart amusant, en ce qu'elle présente des images parfaitement semblables aux objets ; qu'elle en imite toutes les couleurs & même les mouvemens, ce qu'aucune autre forte de représentation ne peut faire. Par le moyen de cet instrument construit de la manière qui sera donnée à l'article DESSIN, une personne qui ne fait pas dessiner, pourra néanmoins tracer les objets avec la dernière justesse. Les plus savans dessinateurs ne négligent pas de se servir de la chambre obscure, quand ils veulent rendre quelques vues avec la plus grande précision. (Extrait d'un article de DALEMBER dans l'ancienne Encyclopédie.)

CHAMP-LEVER (v. act.) C'est enlever, dans une pièce de métal qui doit être émaillée, une partie de l'épaisseur du champ qui est destiné à recevoir l'émail, en sorte qu'il reste un rebord capable de contenir cet émail.

CHAPE (subst. fém.) Plusieurs pièces d'un moule. de plâtre le réunissent dans une chape aussi de plâtre, qui les enveloppe à leur surface supérieure, les contient, & fait que ces différentes pièces réunies n'en composent en quelque sorte qu'une seule. On appelle aussi chape une double pièce de cuivre qui enveloppe le touret des graveurs en pierres fines.

CHARNIÈRE (subst. fém.) Outil des graveurs en pierres fines. Il sert à faire des trous, & à enlever de grandes parties.

CHARPENTE (subst. fém.) Les artistes donnent le nom de charpente aux os, parce qu’ils soutiennent l’édifice du corps, comme la charpente soutient les édifices d’architecture. Voyez l’article OSTEOLOGIE.

CHASSIS (subst. masc.) On appelle chassis l’ouvrage de menuiserie sur lequel on étend la toile destinée à recevoir de la peinture. Il doit être ferme & solide ; tine traverse l’assujettit de haut en bas, & s’il est fort grand, une autre traverse le contient dans sa largeur : des pièces de bois nommées écharpes assurent les angles. On tend la toile, & on l’attache avec de petits clous nommés broquettes, en la faisant déborder sur l’épaisseur du chassis. On a inventé assez récemment des chassis qu’on appelle à clefs, parce qu’au moyen de clefs, on tend la toile plus fortement toutes les fois qu’elle se relâche : ces clefs le mettent dans tous les coins d’assemblage & aux bouts de chaque traverse.

Les peintres, les dessinateurs & sur-tout les graveurs sont usage d’une aune espèce de chassis. C’est un quarré composé de quatre tringles de bois assemblées dont l’espace intermédiaire est divisé de haut en bas, & d’un côté à l’autre, par des fils ou des soies qui forment des quarrés parfaits. On place derrière ce chassis le tableau ou le dessin que l’on veut copier ou réduire : & sur le papier ou la toile qui doit recevoir la copie, on trace le même nombre de carreaux plus grands, ou plus petits que ceux du chassis, ou égaux à ceux de ce chassis, suivant que l’on veut donner à la copie une proportion plus grande, ou plus petite que celle de l’original, ou que l’on veut conserver la même proportion.

Les graveurs ont encore un autre chassis, compose de même de quatre tringles de bois, & formant un quarré. On colle sur ce chassis du papier serpente huilé ou vernis, ou de la gaze d’Italie, de la même manière qu’on tend sur le chassis la toile qui doit être peinte. Ce chassis se place devant la fenêtre dans une position inclinée. Son effet est d’empêcher que la lumière tombant dans tout son éclat sur le cuivre ne le fasse briller comme une glace ; ce qui nonseulement nuiroit aux yeux de l’artiste, & y causeroit un éblouissement dangereux, mais l’empêcheroit même de voir & de juger ses travaux. Quand les graveurs travaillent le soir aux lumières, ils interposent un semblable chassis entre la lumière & leur cuivre.

CHEMISE (subst. fém.). Dans les grandes fontes, après le recuit dit moule de potée, on lui donne ce qu’on appelle une chemise avant de l’enterrer. Cette chemise est un enduit de plâtre dont on l’enveloppe.

CHEVALET. (subst. masc.) Instrument qui soutient le tableau d’un peintre pendant qu’il travaille. On ne peut dire qu’elle doit être sa grandeur, puisqu’elle doit être proportionnée à celle du tableau : trop petit, le chevalet ne seroit pas assez ferme ; trop grand, il causeroit un embarras inutile. Cependant cette grandeur n’est pas tellement subordonnée à celle du tableau, qu’on ne puisse peindre sur le même chevalet des tableaux de petite & de moyenne grandeur : ce n’est que pour de fort grands tableaux qu’il faut en changer : car pour de petits ouvrages, un trop petit chevalet qui paroîtroit leur être proportionné seroit en effet très-incommode. On n’auroit pas la sacilité, en travaillant, d’appuyer le pied dessus sans le faire reculer, & il vacilleroit par le mouvement de la brosse.

Le bois le plus propre à faire un chevalet, est le noyer. On peut néanmoins se servir de tout autre bois, pourvu que les deux momtans ne soient pas de sapin ni d’autre bois blanc, parce que la mollesse de ces bois ne permettroit pas d’y percer des trous assez nettement pour que les chevilles s’y tinssent bien droites & s’y plaçassent arec facilité.

Le chevalet est composé de deux tringles do bois assez fortes qui en font les montans, & qui sont assemblées par deux traverses, l’une en haut & l’autre en bas : les montans sont fort écartés par le bas, & très-rapprochés par le haut, en forte que toute la machine décrit un triangle fort allongé. Par derrière est une traverse plus longue que les tringles de devant ; elle se nomme queue : elle sert de trosième pied avec les deux autres traverses, pour soutenir la machine, & fait l’office de la traverse à-peu-près semblable qui est placée derrière les miroirs de toilette & qui les soutient. Les deux montans sont percés de trous à distances égales ; ces trous reçoivent des chevilles saillantes, sur lesquelles se pose une planchette qui sert de soutien au tableau. On donnera une description plus détaillée du chevalet à l’article Peinture.

Les sculpteurs ont aussi des chevalets, mais bien plus solides, sur lesquels ils posent leurs bas-reliefs.

Voici les bonnes proportions d’un chevalet. Supposez que les deux branches ou montans aient cinq pieds & demi de haut ; elles seront écartées par en bas de deux pieds dix pouces, & par le haut de onze pouces. Le dessous de la barre d’en-bas sera à dix pouces de terre : le doslier, à deux pieds deux pouces de terre, & aura seize pouces de hauteur : la queue, atchée à six pouces plus bas que le haut du chevalet, sera de la même longueur que les montans. La queue & les montans auront environ neuf lignes d’épaisseur, & deux pouces & demi de large.
CIN CIN 451

CINNABRE. (subst. masc.) C’est, dit M. Valmont de Bomare, en quelque sorte, la mine de mercure la plus connue, & qui, par une méchanique accidentelle & naturelle, a été combinée dans des cavités souterraines, avec un quart de son poids, & même plus, de soufre plus ou moins pur ; ensuite sublimée par des feux locaux aux voûtes des mines où cette substance se trouve. Du moins le procédé dont on se sert en chymie, pour en faire d’artificiel, fait présumer que les choses se passent ainsi.

Ainsi le cinnabre n’est que du mercure minéralisé par le soufre. Les anciens l’ont connu sous le nom de minium, qu’il ne faut pas confondre avec celui des modernes ; car notre minium n’est qu’une chaux rouge do plomb.

Lorsque le cinnabre est en masse, les parties dont il est formé sont disposées en aiguilles ou stries de couleur rouge ; en certains endroits, on croit appercevoir une couleur grise & brillante ; mais quand il est bien divise, & bien broyé sur le porphyre, sa couleur rouge devient de la plus grande beauté.

Le cinnabre qui se trouve dans le commerce est une production de l’art, que l’on doit à l’industrie des Hollandois. Ce n’est pas que les chymistes de toutes les nations ne sachent faire du cinnabre ; tous l’obtiennent en sublimant du soufre avec du mercure ; mais on semble avoir abandonné jusqu’ici aux Hollandois cette opération en grand.

Voici les détails que donne sur cette manipulation l’auteur du Traité de la peinture au pastel.

« Il faut d’abord faire fondre, dans un creuset, une livre, par exemple, de soufre en poudre, avec quatre ou cinq livres de mercure. On mêle bien ces deux matières. Quand elles commencent à se combiner, elles s’enflamment. On couvre le creuset pour étouffer la flamme, après l’avoir laissé durer deux ou trois minutes : la matière est alors ce qu’on nomme de l’œthiops. On la tire du creuset, on la pulvérise, on la tient près du feu pour l’entretenir presque brûlante. On prend un grand matras de verre, on le place dans un bain de sable, & l’on met dans le cou du matras un entonnoir qu’on lutte bien. On passe par l’ouverture de l’entonnoir une baguette de verre, afin de pouvoir de temps en temps remuer l’œthiops : mais cette baguette porte un bourrelet ou noyau de lut, en forme d’anneau coulant, pour ferme tout passage à l’air, & faciliter le moyen d’introduire de nouvel œthiops dans le matras ; car il ne faut le mettre que par parcelles. On chausse doucement le vaisseau ; en augmente le feu jusqu’à faire rougir le fond du matras. A mesure que l’œthiops se sublime, on en ajoute de nouveau par l’entonnoir


qu’on referme aussitôt ; & l’on entretient le feu, jusqu’à ce que toute la matière se soit convertie en cinnabre par la sublimation. »

Je trouve, dans une note d’un célèbre chymiste, qu’on a reconnu qu’il ne falloit qu’en viron une partie de soufre, pour minéraliser sept parties de mercure.

Il ne faut jamais acheter le cinnabre en poudre, si l’on veut être sûr de ne pas avoir ce que les modernes appellent du minium pour du cinnabre. On le choisit en belles pierres, fort pesantes, brillantes, à longues aiguilles & d’une belle couleur rouge. Le minium, quoique plus orangé, lui ressemble ; mais en prenant le cinnabre en pierre, on ne peut être trompé.

Il est d’un rouge à peu-près écarlate quand il est broyé. Les peintres à l’huile craignent cette couleur, & sont persuadés, les uns, qu’elle ne résiste pas à l’air, les autres, qu’elle noircit. Cependant le savant auteur du Traité de la peinture au pastel, assure qu’il n’est pas à craindre qu’elle change, même à l’huile, pourvu qu’elle ne soit pas mêlée de minium.

« Il est constaté, dit-il, que le mercure, dans l’état de cinnabre, ne se prête à l’action d’aucun dissolvant, parce qu’il est défendu par le soufre, & ne conserve aucun caractère salin. Qu’on l’expose à la vapeur du foie de soufre, ou qu’on en verse dessus, il n’en reçoit pas la plus légère impression. Quelle vapeur assez putride pourroit donc l’altérer, s’il résiste à cette épreuve ? Presque tous les peintres à l’huile, ceux de Londres sur-tout, prétendent qu’il noircit. Je le crois bien. C’est pour l’ordinaire du vermillon qu’ils employent ; c’est-à-dire, un mêlange de cinnabre & de minium, qu’on a même lavé peut-être avec de l’urine, comme le prescrit un petit livre composé sur la miniature ; ce qui ne peut que disposer encore plus ce mêlange à s’altérer. Or comment ne noirciroitil pas dans des villes chargées d’autant d’exhalaisons fétides que Londres & Paris ? »

On dit dans la note dont nous avons parlé, que, pour reconnoître si le cinnabre est altéré par le minium, il suffit de le mettre en digestion avec du vinaigre. Alors la couleur changera ; le vinaigre perdra son acidité, & prendra un goût sucré & nauséabonde. Si l’on fait l’essai sur une petite quantité de cinnabre, il ne faut employer que peu de vinaigre pour reconnoître plus facilement le minium. Dans le cas où l’on craindroit de goûter la dissolution qui aura été faite par le vinaigre, il faudra rapprocher, par l’évaporation, la dissolution, ensuite en verser quelques gouttes dans un verre d’eau de puits. Si l’eau se trouble & devient laiteuse, c’est une preuve certaine que le cinnabre contient du minium. Les autres terres métalliques qu’on auroit pu ajouter pour augmenter la couleur, 452 CIR COL ne pourroient être reconnues par cette expérience.

CIRE (subst. fém.) Substance que les abeilles élaborent & qu’elles tirent des végétaux. La facilité qu’elle a de prendre & de conserver toutes les formes qu’on lui donne l’a fait adopter par les sculpteurs pour la confection de leurs modèles : mais ils lui font subir quelque préparation pour la rendre plus maniable. Sur une livre de cire, ils ajoutent une demi livre d’arcançon ou de colophone, & quelquefois de la térébentine, & ils ajoutent à ce mélange une plus ou moins grande quantité d’huile, suivant qu’ils veulent la rendre plus ou moins facile à pétrir. Elle doit être plus dure en été qu’en hiver. On fait fondre ces substances mêlées ensemble, on les jette dans de l’eau tiede, on les paîtrit en forme de bouses, & on les garde sous cette forme, jusqu’à ce qu’on veuille en faire usage. Pour donne à cette cire une couleur plus agréable, un y joint du vermillon ou du brun-rouge.

Les graveurs à l’eau forte employent aussi de la cire pour en faire, autour de leur planche, un rempart qui contienne l’eau forte. Souvent ils se servent de la cire verte dont on fait usage dans les offices : mais elle est gluante & s’attache aux doigts d’une maniere incommode. On doit lui préférer la cire à modeler dont nous venons de donner la recette. Comme il seroit fort inutile de rechercher pour cet usage l’agrément de la couleur, on n’y ajoute pas de vermillon.

Sur les cires qui, dans le travail des fontes, reçoivent l’empreinte du moule de plâtre, & donnent celle du moule de potée, voyez l’article FONTE.

CIRE. Peinture à la cire. Voyez l’article ENCAUSTIQUE.

CISEAU (subst. masc.) Instrument à l’usage des sculpteurs en marbre. Il y en a de différentes formes, & il en sera parlé à l’article SCULPTURE.

COLLE. (subst. fém.) On se sert de la colle de gants, tant pour la peinture en détrempe, que pour encoller les toiles qui doivent recevoir l’impression pour la peinture à l’huile. Elle se fait avec de la rognure de peau blanche de moutons qu’on fait macérer & dissoudre dans l’eau bouillante pendant trois ou quatre heures. On la coule ensuite à travers un tamis dans un vase très propre. Quand elle est refroidie, elle a la consistance d’une gelée.

La colle de parchemin est de la même espèce,


mais plus belle. Voyez la manière de la faire à l’article DORURE.

La colle de brochette & la colle de Flandre, ne différent des deux autres que parce qu’on y employe des peaux plus grossières, & elles servent à ce que les peintres en bâtimens appellent de gros ouvrages. La première se fait avec de gros parchemin, quo les tanneurs tirent des peaux préparées ; & la seconde avec des rognures peu choisies de peaux de moutons, & d’autres animaux.

Les doreurs sur bois se servent, pour préserver le bois des vers, d’une colle dont on trouvera la recette à l’article DORURE.

COLOGNE. La terre de Cologne tire son nom de la ville d’où elle vient. Elle est d’un brun foncé. & très divisée. Elle contient de la terre calcaire, de la terre martiale, en très grande quantité, & un peu de matière bitumineuse. Elle a peine à s’imbiber d’eau, & répand, à cause du bitume qu’elle recèle, une odeur désagréable & fétide. On se plaint de ce qu’elle s’affoiblit à la peinture à l’huile. L’auteur du Traité de la peinture au pastel assure que ce vice ne doit être attribué qu’au défaut de préparation ; & il est persuadé qu’en général les plaintes que l’on fait sur plusieurs substances qu’on employe en peinture cesseroient bientôt, si l’on avoit soin de les purifier parfaitement, suivant leur nature, soit par l’eau, soit par le feu. Il veut qu’on fasse calciner longtemps la terre de Cologne sur la braise, dans une cuiller de fer, ou dans un creuset. Quand on l’aura tiré du feu toute rouge, on la portera dans un lieu aéré pour l’y laisser bruler, jusqu’à ce qu’elle s’éteigne d’elle-même. Alors on la broyera longtemps avec de l’eau sur le philtre pour l’arroser abondamment. Elle sera d’un brun obscur & olivâtre.

COMPAS (subst. masc.) Instrument plus ou moins nécessaire dans les différents arts qui dépendent du dessin. On s’en sert pour décrire des cercles, mesurer des lignes, a’assurer des distances. Le compas ordinaire est composé de deux branches ou jambes de laiton, de ser, d’acier, ou de quelqu’autre métal. Ces jambes sont pointues par en bas, & jointes en haut par un rivet, sur lequel elles se meuvent comme sur un centre. Les dessinateurs ont assez ordinairement un compas qu’on nomme à quatre branches, quoiqu’il n’y en ait jamais que deux au moment où l’on s’en sert. L’une de ces branches est immobile, les autres se changent à volonté & se fixent au moyen d’une vis. L’une se termine en pointe comme la branche immobile. L’autre est creusée en manière de bec de plume & sert à tracer
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des cercles à l’encre : la troisieme est un portecrayon meublé de son crayon.

Les sculpteurs & quelquefois les graveurs se servent d’un compas dont les branches se courbent & viennent se rencontrer. Il en sera parlé à l’article SCULPTURE.

CONTR’ÉPREUVE. Voyez l’article CONTR’ÉPREUVE dans le dictionnaire de la Théorie des arts. Nous ne répétons ici ce mot que parce que nous avons omis dans l’article que nous indiquons, une opération nécessaire : celle de mettre sous le dessin que l’on veut contr’épreuver, ou sous l’estampe encore fraîche, une planche de cuivre non gravée, ou qui oppose au dos de l’estampe ou du dessin le côté qui n’est pas gravé.

CONTRE-TAILLE. (subst. fem.) Les contre tailles sont des tailles qui en croisent d’autres quartément ou en lozange : elles sont également en usage dans la gravure à l’eau forte, au burin, & en bois. Les graveurs les appellent plus ordinairement secondes & troisièmes tailles, &c. suivant le nombre de tailles dont ils croisent les premieres qu’ils ont établies.

« Les contre-tailles sont d’autant plus difficiles à faire, dans la gravure en bois, dit M. Papillon dans l’ancienne Encyclopédie, que chaque quarré qu’elles décrivent doit être coupé des quatre côtés, & le bois du milieu enlevé, sans que les croisées des tailles où la pointe aura passé en faisant nécessairement deux coups, soient ébrechées : d’où l’on doit sentir que pour faire des triples tailles en cette espèce de gravure, il faut encore plus d’attention & d’adresse ; car les trois coupes qui préparent à les faire, passant dans les croisées des unes & des autres, les rendent sujettes, si l’on n’y prend garde, à enlever quelques traits, & à rendre les triples tailles ce qu’on appelle pouilleuses, c’est-à-dire, coupées & cassées par-ci par-là & interrompues ; accident qui peut arriver aussi aux contre-tailles, & c’est particulièrement à ces opérations que les commençans échouent, de même que les graveurs médiocres, qui ne savent point diriger comme il faut la pointe à graver. »

On ne soupçonnera pas M. Papillon, artiste exercé dans la gravure en bois, d’avoir exagéré à cet égard les difficultés de son art ; la plus folble théorie de cet art suffit pour faire reconnoître qu’elles existent : mais ne pourroit-on pas dire qu’il est bon de les éviter autant qu’il est possible, & que la gravure en bois ne réussit jamais mieux que lorsqu’elle n’emploie qu’une seule taille ? Mellan, célèbre par ses gravures au burin à tailles non croisées, est peut-être le meilleur modele que puissent se proposer les graveurs en bois. Ils trouveroient aussi de beaux exemples de plus petite proportion dans les estampes de Spier, & pour le très-petit dans le Clerc, &c.

COQUILLES (subst. fem.) Les enlumineuses ; les peintres éventallistes & quelques peintres à gouazze en petit se servent de coquilles de moules de riviere pour mettre leurs couleurs.

COQUILLES. (Or en coquilles.) Il est ainsi nommé, parce que, réduit en poudre, il se met dans de semblables coquilles. Voyez Or.

COUCHE. (subst. fem.) On appelle ainsi une teinte de couleur posée en une seule fois & à plat sur une surface. Cette expression n’est en usage que pour l’impression des toiles & des panneaux, destinés à recevoir de, la peinture, ou pour la peinture d’impression. On ne dit pas d’un peintre artiste qu’il met sur son tableau plusieurs couches de couleur ; mais qu’il le repeint à plusieurs fois.

COUCHER les couleurs. On doit employer les couleurs avec propreté, & coucher les principales teintes à leur place, sans les mêler avec le pinceau ou avec la brosse ; on en met ensuite entr’elles d’autres qui participent des unes & des autres, & on finit par les unir plutôt par application que par frottement. Ce qui fait que les couleurs ne paroissent point fraîches, ou qu’elles ne conservent pas longtems leur éclat & leur beauté, c’est que le peintre les tourmente quelquefois trop en les travaillant. En les brouillant ainsi, il s’en trouve qui altèrent les autres, les corrompent, & en émoussent la pointe & la vivacité.

Il faut encore avoir bien attention de ne pas mêler ensemble les couleurs qui sont ennemies entr’elles, ou qui sont capables de corrompre les autres par leur extrême pesanteur, comme les noirs ; ou par leur mauvaise qualité, comme le noir de fumée, le verd de gris, & quelques autres qu’on doit employer à part, si l’on est forcé de s’en servir. Lors même qu’il est cécessaire de donner plus de force à quelque partie d’un ouvrage, on doit attendre qu’il soit sec, siies couleurs avec lesquelles on veut le retoucher sont capables de nuire aux autres. Il y a des peintres gui ne sont point toutes ces observations ; elles sont néanmoins très — nécessaires pour conserver la beauté du coloris.

Ceux qui travaillent avec jugement, couchent les couleurs à petits coups & sans précipitation. Ils les mettent plus épaisses aux carnations, les couvrant & recouvrant plusieurs fois, ce que les peintres appellent bien empâter. Les couleurs à l’huile ont l’avantage de pouvoir se mêler facilement par le maniement du pinceau ; mais aussi il est à craindre qu’à force de les tourmenter, on n’en faise perdre la fraîcheur, surtout dans les carnations, & qu’elles ne deviennent sales & terrestres. C’est pourquoi, pour ne pas gâter ainsi les couleurs, il y a des peintres qui finissent en hachant avec des teintes participantes, ce qui réussit admirablement dans les grands ouvrages.

Pour obvier à cet inconvénient, il y a deux choses à observer : la première est de s’accoutumer à peindre & à mêler ses couleurs avec promptude & légéreté de pinceau, ensorte que, s’il étoit possible, on ne passât pas plus de deux fois sur le même endroit. La seconde est qu’après avoir ainsi mêlé légérement ses couleurs ensemble, il faut prendre soin de ne retoucher par dessus qu’avec des couleurs vierges & fraîches, qui conviennent aux endroits où on les met, & qui soient de même ton que celles qui auront déja été peintes & mêlées par-dessous. Pour apprendre à peindre de cette sorte, il n’y a rien de mieux à faire que de copier quelques morceaux du Corrége & de Van Dick pour la légéreté du pinceau ; & d’autres de Paul Véronese & de Ruben, pour les teintes vierges.

Plus un tableau est nourri de couleur, lorsqu’elle est pure, & qu’elle n’est pas patrouillée avec d’autres couleurs des dessous, plus il conserve d’éclat en vieillissant. Aussi n’approuvet’on pas l’usage de quelques peintres qui finissent leurs tableaux sur les ébauches, en mettant peu de couleurs & beaucoup d’huile, comme s’ils ne faisoient que glacer : quelque fois même ils se servent d’huile de térébentine pour faire couler la couleur plus aisément : c’est le moyen d’expédier de l’ouvrage ; mais cette prat que est dangereuse. Avec le temps, les tableaux semblent n’être plus apperçus qu’à travers un brouillard coloré, & perdent toute leur vivacité, parce que la trop grande quantité d’huile, & surtout de celle de térébentine, absorbe & fait mourir les couleurs. (Elémens de peinture pratique.)

COULEURS. (Choix des couleurs.) Il m’a paru que les couleurs à préférer pour la peinture a l’huile, sont les terres en général, telles que

L’ochre jaune.

L’ochre de rut, brulé & non-brulé.

La terre de Sienne aussi brulée ou non brulée, est excellente.

La terre d’Italie a le même avantage : elle est superbe après i’action du feu.

J’estime fort le brun-rouge, aussi brulé.

Le jaune de Naples ne se brule pas : c’est-à-dire, qu’il n’éprouve aucun changement après avoir passé au feu.

Les terres de Cologne & de Cassel sont brunes, grasses, & par cette raison difficiles à sécher.


Les noirs d’ivoire, de pêches & de charbon, sont très-bons : surtout celui de racine de vigne qui mérite d’être distingué par sa légéreté, & par les tons argentins qu’il procure. Il produit un merveilleux effet dans les ciels.

Les stils de grain sont de très-mauvaises couleurs ; ils sont susceptibles de s’évaporer & de noircir. Les anciens peintres ne les connurent point ; c’est Antoine Coypel qui le premier en a fait usage en France lorsqu’il peignoit la galerie du Palais Royal. On a pu voir le mauvais effet qu’ils ont produit.

Les orpins ne sont pas toujours bons : mais on peut les rendre moins mauvais en les purifiant de la maniere suivante. Il faut mettre l’orpin dans un vase de terre, le couvrir d’esprit de vin, & y mettre le feu : laisser évaporer la liqueur, & lorsqu’elle est absolument absorbée, laisser réfroidir. Ensuite, avec la pointe d’un couteau, on enléve la croute noire qui est sur la couleur. Il faut avoir attention de ne pas respirer sur le vase, tant que la couleur est en évaporation.

Je me suis servi du cinnabre avec succès, tel qu’il le trouve dans la mine : il est peut être préférable en cet état par son éclat & sa bonté.

Le vermillon de Chine doit avoir la préférence sur tous les autres : il a un éclat, une affinité, une solidité dont les autres sont privés.

Le beau bleu de Berlin est peut-être, du moins à plusieurs égards, préférable à l’outremer. Il s’incorpore mieux avec les autres couleurs, & ne s’en sépare pas.

La lacque de Venise est la meilleure. On peut connoître sa bonté par l’épreuve du jus de citron.

(Cette note a été trouvée dans les papiers de M. Watelet. On voit que l’auteur est un peintre, puisqu’il appelle plusieurs fois en témoignage sa propre expérience. Les liaisons de M. Watelet avec M. Pierre, premier Peintre du Roi, pourroient faire soupçonner qu’elle est l’ouvrage de cet artiste.

COULEURS. (Remarques sur leur altération par le contact de la lumière, de l’air, & de différentes vapeurs.) Les matières colorées qu’on employe dans la peinture sont, presque toutes, des terres plus ou moins fines, unies à des chaux métalliques. Souvent même ce sont des chaux métalliques toutes pures qui ont subi quelques préparations particulières. Le zinc, le fer & le cuivre fournissent la plûpart des couleurs.

La chymie apprend que toutes ces préparations sont susceptibles de s’altérer par le contact de la lumière. Les chaux de zinc, d’argent, de mercure, prennent des couleurs plus ou moins vives, & se rapprochent d’autant plus du noir, qu’elles ont été exposées plus longtemps, ou d’une manière plus directe, aux rayons du soleil.

L’influence de la lumière sur les végétaux, & le phénomene de l’héliosément des plantes, ont frappé depuis longtemps les naturalistes observateurs, & l’on a fait, depuis quelques années, plus d’attention aux altérations que le contact des rayons lumineux fait éprouver à un grand nombre de corps. Dans les laboratoires de chymie, où l’on conserve sur des tablettes une grande quantité de préparations diversement colorées, on observe tous les jours des changemens singuliers & inattendus dans la couleur & les autres propriétés de ces substances, surtout lorsqu’elles sont placées dans des lieux immédiatement éclairés & frappés des rayons du soleil. Si l’on observe ce qui se passe dans les magasins où l’on conserve les couleurs dans des vaisseaux transparens, on reconnoîtra bientôt l’action de la matière lumineuse sur ces préparations. Si on les agite, on observe que la couche la plus voisine des parois dit bocal qui les contient, est d’une nuance plus foncée que celles qui sont placées dans le milieu de ce vaisseau.

On ne peut nier, d’après de telles observations, qu’une connoissance exacte de ces altérations est extrêmement importante pour la peinture. En effet les peintres savent qu’en broyant & agitant fortement leurs couleurs sur la palette, elles éprouvent des changemens notables dans leur ton, & prennent quelquefois des nuances très-différentes de celles qu’elles avoient d’abord. Aussi se hâtent-ils toujours de les employer le plus vîte qu’il est possible, après leur préparation, & n’en délayent-ils qu’une une petite quantité à la fois. L’expérience leur a même fait acquérir sur ces changemens des connoissances précieuses.

Si l’on joint à cette sorte d’altération par le contact de la lumière, celle que le contact de l’air fait naître dans les couleurs, ainsi que celle qui est produite par l’humidité répandue dans l’athmosphère, on trouvera la raison des changemens malheureux qui arrivent aux tableaux. Quoique ces altérations ne marchent que d’un pas lent, & par une progression insensible dans leurs différentes périodes, elles ne parviennent pas moins, avec le temps, à détruire les chefs-d’œuvre les plus précieux des grands maîtres. On ne sauroit douter que l’acide contenu dans l’air, cet acide sur lequel les anciens avoient des apperçus qu’ils n’avoient pû confirmer par l’expérience, & dont les modernes ont démontré l’existence par des essais connus de toutes les personnes qui ont quelques idées des miracles de la chymie moderne, n’entre pour beaucoup dans les altérations qu’éprouvent les peintures. En effet, cet acide que les Anglois ont appellé air fixe ou fixé, que M Bergmann a nommé acide aérien, & que presque tous les chymistes françois connoissent aujourd’hui seus le nom d’acide crayeux, a une action marquée sur les couleurs végétales. Si, dans les expériences de chymie,


on ne lui découvre pas aisément une énergie bien forte sur la couleur des chaux métalliques, on n’en conçoit pas moins qu’à la longue, & par un contact successif, il doit être susceptible de les dissoudre, de les changer, & d’en altérer la nuance.

Ces idées générales suffisent pour l’objet donc on s’occupe ici ; elles éclairent sur l’art de conserver les tableaux. On voit pourquoi les peintures sur les murs, & sur les plafonds, sort d’autant plus vîte altérées & gâtées, qu’elles sont plus exposées au contact du soleil, & que les appartemens sont plus éclairés : on apprend que, pour bien conserver les chefs-d’œuvre des peintres, on doit écarter le contact immédiat des rayons solaires, & éclairer les chambres qui les contiennent par des coupoles élevées : on apprend qu’il faut couvrir soigneusement les surfaces peintes, les défendre de l’humidité & des vapeurs de toute espèce, surtout de celles des flambeaux, ou de tous les corps combustibles allumés en trop grande quantité.

Avant que la chymie eût fait de grands progrès, les Italiens, les Flamands, éclairés seulement par la connoissance des effets dont ils n’avoient pas étudié les causes, reconnurent qu’il falloit dérober aux impressions extérieures les peintures précieuses, & ils couvrirent de volets peints les tableaux pour lesquels ils avoient conçu une estime plus particulière.

Pour se convaincre davantage des effets énergiques du soleil sur les couleurs, qu’on jette les yeux sur des rideaux bleus, rouges ou jaunes : non-seulement ils pâlissent, mais encore ils sont peu-à-peu rongés & corrodés. Plus leur couleur est foncée, & plus vîte ils éprouvent ces altérations.

On observera encore que de deux rideaux placés depuis le même temps, l’un couvrant la fenêtre & destiné à briser & à arrêter les courans trop rapides de la matière lumineuse ; l’autre tendu au fond du même appartement, & servent simplement d’ornement, ou de défenses contre les courans d’air, le premier sera altéré en quelques mois, surtout dans les chambres exposées au midi ; & l’autre conservera bien plus longtemps sa couleur & sa fraîcheur.

La même observation appliquée aux toiles étendues devant les tableaux, apprendra que la couleur blanche est celle qui convient à ces toiles, parce qu’elle est, pour ainsi dire, le garant de leur conservation, tandis que les toiles bleues ou vertes absorbant une grande partie des rayons lumineux, peuvent leur ouvrir un passage, & les laisser pénétrer jusques sur la surface même du tableau. Ainsi, routes choses égales d’ailleurs, ils sont plus capables d’y faire naître un commencement d’altération.

Un autre ennemi encore plus dangereux pour les couleurs fraîches ou séches, parce qu’il les attaque avec plus de fureur & de promptitude, c’est le gaz inflammable. Tous les chymistes savent combien ce gaz dénature & altère les chaux métalliques, & quels singuliers changemens il fait naître dans leurs couleurs. Toutes les chaux blanches, celles d’arsenic, de régule d’antimoine, de bismuth, de zinc, d’étain, & de plomb, sont brunies ou noircies par le contact de ce fluide aëriforme. On sait, d’après ce fait chymique, pourquoi il faut éloigner des couleurs & des tableaux, les œufs chauds, les dissolutions hépatiques & métalliques, les vapeurs des latrines, celles des ateliers où l’on prépare des matières animales, les charbons embrâsés, la fumée, les substances en putréfaction, &c. Dans tous ces phénomenes, il se dégage du gaz inflammable, dont l’action sur les couleurs est d’autant plus à craindre, qu’il est plus prompt & plus certain.

(Cette note a été trouvée dans les papiers de M. Watelet ; mais elle n’étoit ni de sa main, ni de celle de son copiste. Elle lui avoit été sans doute fournie par l’un des savans chymistes avec lesquel, il entretenoit des liaisons.)

COUPE (subst. fem.) Terme usité dans la gravure au burin & dans la gravure en bois. On dit d’un graveur au burin qu’il a une belle coupe ; on admire dans quelques estampes une belle coupe de burin. On dit franchise de coupe, pour exprimer la liberté avec laquelle le burin a coupé le cuivre C’est par la franchise & la beauté de la coupe que Balechou a excité l’admiration des amateurs, admiration qu’en général les artistes n’ont point partagée.

« La coupe, dit M. Papillon, dans l’ancienne Encyclopédie, est, dans les principes de la gravure en bois, la première & l’une des principales opérations où le coup de pointe est donné & enfoncé dans le bois avec la pointe à graver, en tirant, de gauche à droite, la lame appuyée devers soi sur le plan incliné du biseau qui forme le taillant de cet outil, afin de préparer le bois à l’endroit où cette coupe se fait, à pouvoir ensuite être enlevé par la recoupe à la seconde opération de la gravure. »

COUSSINET, (subst. masc.) C’est un petit coussin de cuir ou de peau, rempli de sable fin ou de cendre, épais & large à la volonté de l’artiste. Les graveurs au burin ont besoin de cet ustensile. Comme ils sont obligés souvent de tourner le cuivre, il ne faut pas qu’il soit posé à plat sur la table : mais ils en jouissent plus aisément quand il est posé sur un coussinet, & le prenant par un des angles, ils le sont tourner à leur gré. Il est assez indifférent que le coussinet soit rond ou quarré ; mais l’usage qu’on en fait exige qu’il ait la surface plane.


COUTEAU à couleur : la lame en est droite, longue de sept à huit pouces, égale des deux bords, peu tranchante, arrondie à son extrêmimité, mince & ployante. Les peintres se servent de ce couteau pour placer les teintes sur la palette, peur les ramasser sur la pierre à broyer, ou pour les enlever de dessus la palette.

Le couteau à couleur des peintres en émail est plus petit, plus fin, plus tranchant ; mais il a la même forme & les mêmes usages.

COUVRIR, (verbe act.) C’est un terme de la gravure à l’eau forte. Quand les travaux les plus délicats ont été suffisamment creusés par l’acide, il faut les couvrir ; ce qui se fait avec du vernis mêlé de noir de fumée, ou avec un corps graisseux, tel que le suif, aussi mêlé de noir.

CRAIE, (subst. fem.) Pierre calquaire, plus ou moins friable, farineuse, privée de saveur & d’odeur, communément blanche, s’attachant à la langue, attirant & absorbant l’humidité de l’air. Pulvérisée, tamisée, lavée, bien purifiée, elle fournit un blanc qui est d’usage dans la peinture en détrempe.

CRAYON, (subst. masc.) Il est aisé de voir que ce mot dérive de craie, parce que la craie fournit des crayons blancs à l’usage de plusieurs artistes & de plusieurs artisans. Les peintres se servent de ces crayons pour tracer leurs sujets sur la toile, & les dessinateurs pour rehausser de blanc leurs dessins sur papier de demi-teinte. On les fait sans autre préparation que de scier la craie en morceaux longs de quelques pouces, à-peu-près quarrés, & gros comme le petit doigt ou un peu moins : on taille ces morceaux en pointe.

Les deux autres crayons dont on fait le plus d’usage, dans l’art du dessin, sont le crayon rouge & le crayon noir.

Le crayon rouge est fait de sanguine, pierre d’un rouge plus ou moins foncé & friable, mais moins que la craie. On croit que c’est une espèce d’ochre de fer, précipitée dans une terre argilleuse & mêlée à une hæmatite décomposée. On la scie & on la taille comme la craie, pour en former des crayons.

Le crayon noir se taille dans une pierre schisteuse, noire, tendre & friable. On emploie des crayons noirs tendres, & des crayons noirs durs. Avec les premiers on dessine à l’estompe, avec les seconds en hachant & grenant. Quelquefois, dans un même dessin, on fait un mêlange du crayon rouge, du crayon noir dur & tendre, & du crayon blanc.

Les dessinateurs se servent aussi quelquefois du crayon de mine de plomb, mais il est encore plus à l’usage des particuliers de tout état qui l’emploient à prendre des notes, sans avoir l’embarras de se procurer de l’encre & des plumes. Ce crayon se fait d’une substance que les naturalistes nomment molybdène, qui est noirâtre & brillante comme du plomb fraîchement coupé, friable, douce au toucher, & en quelque forte savoneuse. M. Valmont de Bomare dit que pour faire les crayons enchâssés en bois que nous appellons capucines, on réduit en poudre la molybdène, qu’on en fait une pâte avec de la colle légère de poisson, & qu’on en remplit des bâtons évidés auxquels on pratique une rainure que l’on bouche avec une petite tringle qui s’y enchâsse exactement. On ménage maintenant à ces crayons une coulisse qui procure la facilité de les porter dans la poche sans les renfermer dans en étui. On taille aussi la mine de plomb comme les crayons blancs, noirs ou rouges, & alors on les emploie à l’aide du porte-crayon. La meilleure mine de plomb ou molybdène vient du comté de Cumberland, en Angleterre. Cette mine est à peu de distance de Carlisle, & est unique en son espèce, ou du moins, on n’en connoît pas d’autre jusqu’à-présent qui puisse lui être comparée. Il est défendu d’en exporter la molibdène avant qu’elle soit employée en crayons. Notre mine de plomb commune se tire de la Hesse & de la Finlande. On en trouve quelquefois dans les mines de plomb & d’étain.

Indépendamment des crayons dont nous venons de parler, on en fait d’un grand nombre de couleurs & de teintes différentes pour peindre au pastel. Voyez l’article PASTEL.

CRAYON. Dessin au crayon. On commence ordinairement par faire dessiner les jeunes élèves au crayon rouge ou de sanguine, sur papier blanc. Comme ce crayon, quand on l’efface, répand sur le papier une teinte jaune & une espèce de graisse, on leur fait chercher le trait avec du charbon de fusain. Quand ce trait est arrêté, on l’efface avec de la mie de pain rassis, assez légèrement pour qu’on puisse encore le distinguer. L’élève reprend ce trait à la sanguine. Il ébauche ensuite les masses de son dessin, sans établir aucun travail sur le voisinage des lumières, & enfin il le termine. On doit l’accoutumer à tailler fort rarement son crayon. Un crayon dont la pointe est fine, produit des hachures maigres : mais lorsque la pointe en est arrondie, il forme un grené moëlleux, & en terminant, toujours avec un gros crayon, on donne à ce grené plus de fermeté en le couvrant de hachures larges. Par un dernier travail, on frappe des touches larges & moëlleuses qui assurent l’effet du dessin. Dans cette manière de dessiner, c’est le papier qui fait les lumières.


La pratique du dessin au crayon noir, sur papier blanc, n’est pas différente.

On se sert aussi sur papier blanc de crayon de mine de plomb. La manœuvre est la même que pour les crayons rouge ou noir : elle ne diffère que par la proportion ; car on ne fait guère à la mine de plomb que des dessins en petit.

Si l’on dessine sur du papier de demi-teintes, c’est-à-dire sur du papier gris, bleu, &c., la pratique est la même quant aux ombres : mais il faut avoir recours à un second crayon, c’est-à-dire au crayon blanc, pour les lumières. On ne charge de crayon blanc que les rehauts, c’est-à-dire les endroits frappés de la lumière la plus brillante ; on ménage le crayon blanc pour gagner les demi-teintes qui elles-mêmes sont toutes faites par la couleur du papier. Comme les rehauts sont les touches des lumières, il faut les réserver, ainsi que les touches d’ombre, pour le dernier travail. Ces dessins se nomment aux deux crayons. On y emploie le plus souvent le crayon noir ; ceux au crayon de sanguine ont beaucoup de douceur, mais moins d’effet, & ils exigent un papier d’une demi-teinte plus foible.

On appelle dessins aux trois crayons ceux dans lesquels on emploie les crayons noir, rouge & blanc. Le blanc s’emploie comme dans la manière de dessiner dont nous venons de parler. Le mêlange des crayons rouge & noir dépend de goût & de l’intelligence. Le crayon noir joue le premier rôle dans les plus fortes ombres. Ces dessins, quand ils sont bien faits, approchent déjà de la peinture à quelques égards, puisque les trois crayons, bien conduits, produisent des variétés de teintes. Ils s’en rapprochent encore davantage, quand on y joint des crayons de pastel. On n’emploie guère ce dernier mêlange pour les dessins d’étude : on le réserve pour des ouvrages qui ont la prétention de plaire par cette sorte de coloris bâtard.

Souvent on se sert de l’estompe pour étendre le crayon. Voyez l’article ESTOMPE.

CREUSER, (v. act.) Creuser une taille, c’est, dans la gravure au burin, la rentrer pour qu’elle soit plus profonde.

Mais quand il est question de la gravure en bois, c’est ajuster le bois pour y graver ensuite les lointains & portées éclairées ; manière pratiquée pour la première fois en 1725 par M. Papillon, & perfectionnée depuis. Elle consiste, 1.˚ à creuseravec la gouge ces endroits peu-à-peu, artistement & assez pour que les balles, en touchant la planche, n’y mettent point trop d’encre, & que le papier, posé dessus au moment de l’impression, n’y atteignant que légèrement, ces parties ne viennent pas trop dures & trop noires, & ne soient pas d’une force égale à celles qui forment les grandes

Beaux-Arts. Tome II. M m m ombres. 2.° A se servir de quelque grattoir à creuser, pour polir & unir ces fonds, afin de pouvoir dessiner dessus & les graver. On verra, dans l'article Gravure en bois, la manière de faire proprement ce creusage. (M. Papillon, dans l'ancienne Encyclopédie.)

CREUX, (adj. pris substantivement.) C'est le nom que les sculpteurs & les mouleurs donnent à un moule pris sur un modèle, & qui doit servir à mouler en plâtre ou autrement une ou plusieurs figures semblables à ce modèle. Ce mot ne s'emploie que pour les moules en plâtre ; car on ne dit pas un creux de potée, mais un moule de potée.

CROISER, (v. act.) Croiser les tailles est


la même chose que faire des contre-tailles ; c'est couper une suite de tailles par une suite d'autres tailles prises dans un sens différent. Les graveurs disent croiser les tailles & non contre-tailler.

CUIVRE, (subst. masc.) Métal dont sons faites les planches sur lesquelles on grave à l'eau-forte, au burin, en manière-noire, en couleurs, à la manière du lavis, à la manière pointillée. Nous dirons, à l'article Gravure, les qualités que doit avoir le cuivre pour être bon à cet usage. Il suffira de dire ici qu'on n'emploie que le cuivre rouge. On dit cependant que le cuivre jaune seroit préférable pour la gravure en manière-noire.



  1. (*) Dioscoride n’appartient pas au plus bel âge de l’art chez les Grecs ; il vivoit du temps d’Auguste, & étoit le graveur de ce prince.