Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Repos

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REPOS. (subst. masc.) Repos, lorsqu’on parle de peinture, désigne certaines parties de la composition d’un tableau qui semblent tranquilliser la vue.

Cette expression figurée, est tirée de l’opposition du repos physique avec le mouvement.

Le bruit de plusieurs objets fatigue l’oreille ; quelques momens de silence la reposent. Il en est de même de la vue, & dans les tableaux qui offrent l’image du mouvement, & rapellent quelquefois l’idée même du bruit, il est nécessaire de rappeler aussi ou de procurer effectivement du repos à la vue & à l’esprit.

Il faut donc que le peintre dispose dans ses compositions des repos, c’est-à-dire, des parties sur lesquelles les regards & l’attention se trouvent moins occupés Un appelle cela ménager des repos.

Ce principe, tiré de la nature, & qui appartient à son systême comme besoin, est par là, tout aussi nécessaire dans les arts qui ont pour but de l’imiter.

On peut dire figurément que i’esprit & les sens, tantôt te fatiguent & tantôt se reposent. Le succès des arts qui se chargent, en captivant l’esprit & les sens, les conduire à leur gré, veut donc que l’exercice qu’ils leurs donnent, leur soit agréable & que, s’ils les fatiguent quelques momens, ils les reposent ensuite autant qu’il est nécessaire pour qu’ils ne soient ni excédés ni rebutés.

De là naît, par développement, la nécessité d’une proportion entre les repos & les occupations.

Un poëme qui seroit continuellement animé, pathétique, touchant, fatigueroit le lecteur ; une composition théatrale, ou les personnages deroit le spectateur. Une musique sans cesse travaillée ou bruyante, charge & penible à l’oreille ; fin tableau qu’une action compliquée occuperoit tout entier & où les acteurs seroient accumulés, ne seroit pas du goût de ceux qui auroient compté sur un plaisir moins fatiguant, en venant le considérer. La raison établit donc la loi des repos dans les arts, & la raison occupée de leurs succés, veut que les repos soient ménagés & gradués, s’il est possible.

Aussi, dans les poëmes & les drames qui représentent une succession d’instans, les repos doivent être moins prolongés en approchant du terme, surtout lorsqu’on a fait naître un désir vif d’y arriver,

Dans la peinture où il ne peut être question que d’un instant & où l’unité doit être rendue physiquement visible, le repos doivent être ménages de manière à designer aux regards leur route & à les arrêter ; car les regards ont la mobilité dont manque la peinture. Dans les tableaux, l’intérêt ne peut qu’attendre & appeller ; dans les ouvrages de quelque autres arts, il marche & entraine avec lui.

Je ne suivrai pas plus loin ces rapprochemens qui m’entraîneroient à mon tour plus loin peut-être que je ne dois aller. Je me contenterai d’ajouter que dans la peinture, les repos ont lieu par les masses ou par les fonds. J’entends par masses, principalement celles de clair-obscur, c’est-à-dire, des lumières harmonieuses étendues ou des ombres élargies. Par fonds, j’entends une union ou assemblage de couleurs douces, aëriennes, si bien mariées & si bien fondues que le regard s’y complaît, s’y repose, & que les objets qui doivent leur faire opposition, en deviennent plus brillans.

C’est donc par le raisonnement qu’on apperçoit la nécessité des repos. C’est du raisonnement qu’on apprend à les placer, & c’est l’étude du clair-obscur & de l’harmonie qui en fournit les moyens. Le repos est une partie de l’art qui appartient à l’effet. On donne du repos à un ouvrage en étendant les masses, en eteignant des lumières trop pétillantes, en salissant des couleurs qui ont trop d’éclat. Quand un tableau est bien d’accord, quand il est harmonieux, il a le repos nécessaire.

(Article de M. Watelet.)

Repos. Deux principes rendent le repos nécessaire dans les ouvrages de l’art : l’un est l’unité d’intérêt, l’autre est l’harmonie.

Pour que la vue & l’attention du spectateur, que la partie capitale de la composition doit seule intéresser, ne soient pas distraites par les parties subordonnées, il faut que celles-ci soient & le laissent dans un état de repos, & que la première ait seule le droit de l’appeller & de le fixer.

Pour que l’ouvrage soit harmonieux, il ne faut pas que des parties brillantes, dispersées çà & là, se disputent entr’elles & détruilent l’accord qui constitue un tout-ensemble.

« La vue trouve de la tranquillité & du repos dans un tableau, dit Mengs, quand il n’y règne point de confusion, & lorsqu’il y a une bonne entente & une juste dégradation de couleurs locales & de clair-obscur ; de manière que l’œil & l’esprit puissent saisir avec facilité l’idée de l’article. Un tableau dont le peintre aura épuisé tout le sujet, & qu’il aura chargé de trop d’objets, ou bien dont il aura mal disposé les couleurs locales, pour lui donner de la variété, fera un effet contraire au repos dont nous parlons, »

Mengs fait ici un seul vice de la confusion & du manque de repos : mais quoiqu’une ordonnance confuse puisse & doive même nuire au repos, on applique spécialement ce mot à l’effet. Ainsi dans la langue ordinaire de l’art, le repos consiste dans l’accord des tons & des couleurs, & dans la distribution intelligente des lumières & des ombres. Il pourroit donc y avoir du repos dans un ouvrage avec de la confusion dans l’ordonnance.

C’est dans le sens que nous donnons au mot repos, qu’il a été employé par le poëte législateur de la peinture :

Sintque ita discreti inter se ratione colorum,
Luminis, umbraumque anteorsum, ut corpora clara
Obscura umbrarum requies, spectanda relinquat.

Du Fresnoy, de art graph. v. 282.

« Après de grands clairs, dit de Piles en commentant ces vers, il faut de grandes ombres qu’on appelle des repos, parce que la vue seroit effectivement fatiguée, si elle étoit continuellement attirée par une continuité d’objets pétillans. Ces repos se font de deux manières, dont l’une est naturelle, & l’autre artificielle. La naturelle se fait par une étendue de clairs ou d’ombres qui suivent naturellement & nécessairement les corps solides, ou les masses de plusieurs figures grouppées, lorsque le jour vient à frapper : l’artificielle consiste dans les corps des couleurs que le peintre donne à de certaines choses telles qu’il lui plaît, les composant de telle sorte qu’elles ne fassent point de tort aux objets qui sont auprès d’elles. Une drapperie, par exemple, que l’on aura


fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra, être dans un autre de couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. On doit prendre occasion, autant qu’il est possible, de se servir de la première manière, & de trouver les repos dont nous parlons par le clair ou par l’ombre qui accompagnent naturellement les corps solides : mais comme les sujets que l’on traite ne sont pas toujours favorables pour disposer des figures ainsi qu’on le voudroit bien, on peut, en ce cas, prendre son avantage par le corps des couleurs, & mettre, dans les endroits qui doivent être obscurs, des drapperies ou d’autres objets que l’on peut supposer être naturellement bruns ou salis, lesquels vous feront le même effet, & vous donneront les mêmes repos que les ombres qui n’ont pu être causées par la disposition des objets. »

Ce seroit un grand vice, tant contre le repos que contre la vérité, d’employer deux jours égaux : c’en seroit un encore d’employer deux couleurs égales, soit qu’elles fussent tendres ou fiéres. Il doit toujours y avoir une couleur principale qui domine sensiblement toutes les autres. (L)