Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Raccorder

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R

RACCORDER (v. a.) On sent aisément sans doute que ce verbe vient du mot accord, & qu'il a rapport aux mots retouche & retoucher. Un tableau que finit un peintre, ne lui paroît-il pas parfaitement harmonieux, soit lorsqu'il le regarde à vue fraîche, c'est-à-dire, après l'avoir quitté quelque tems, soit lorsqu'à l'aide d'un miroir, dans lequel il l'observe, il l'embrasse, le voit plus entier, comme s'il en étoit plus éloigné : on peut même ajouter que cet intermédiaire lui sait croire que l'ouvrage qu'il examine n'est pas le sien ? Il reprend la palette, les pinceaux : il éteint quelques lumières trop brillantes, adoucit quelques tons tranchans, rompt quelques couleurs trop crues, bouche quelques trous, & ces soins qu'il prend s'expriment par le mot dont il s'agit dans cet article.

Hélas ! un raccommodeur de tableaux, & le moindre brocanteur en fait autant aujourd'hui sur le tableau le plus précieux qu'il n'a pas peint, mais qu'il repeint, qu'il retouche, qu'il raccorde à son gré, sans témoin, sans connoissance, & sans redouter aucun juge qui punisse cet attentat.

Cet abus, pour parler moins figurément, est un mal moderne qui menace la plupart des beaux ouvrages de peinture d'une destruction plus prochaine que celle à laquelle ils étoient destinés ; car en supposant celui qui raccorde du nombre infiniment borné de ceux qui ont de l'intelligence, quelque habitude de peindre & (le dirois-je) de la pureté & de la délicatesse d'intention, il raccorde en effet les tons desaccordés ; mais plus il les rend justes pour le moment, plus il est certain qu'en pela de tems ils le seront peut-être moins qu'ils ne l'étoient, avant qu'il y eût touché. La nature physique des couleurs occasionne immanquablement un changement qui, dans un tableau qu'on peint, est à peu-près commun à toutes les teintes, qui prennent ensemble plus de ton ; mais le raccord fait sur un ouvrage ancien éprouve le sort inévitable de devenir plus coloré, tandis que tout le reste du tableau qui, depuis longtems, a éprouvé cet effet, garde le son qu'il a acquis. Qu'arrive-t-il ? On a recours à un autre médecin qui, à son tour, promettant de guérir mieux, applique un nouveau topique aussi peu certain que le premier ; mais altére de nouveau l'ouvrage, soit en ôtant le repeint, soit en faisant place, aux dépens de


la couleur originale, à celle qu'il veut employer. Supposons, pour dernier ma heur & pour suivre ma comparaison, qu'au lieu de s'adresser à un médecin, on remette le malade à un charlatan : il excorie sans pitié, repeint sans connoissance, gâte sans remord, & répand au hazard des couches de vernis sur le malheureux tableau, qu'en le frottant & le tourmentant, il a conduit à la décrépitude.

Laissons le peintre raccorder le tableau qu'il termine, comme nous laissons le poëte & l'orateur retoucher & repolir leurs ouvrages ; mais plaignons les tableaux & les ouvrages qui sont livrés, à la discrétion, ou plutôt à l'indiscrétion des raccordeurs de profession, c'est-à-dire, aux artisans de ce métier. (W.)