Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Prospectus general

Panckoucke (1p. iii-v).

____________________________________________________________________________


ENCYCLOPÉDIE


PAR ORDRE DE MATIERES,


OU


BIBLIOTHEQUE COMPLETE

DE TOUTES LES CONNOISSANCES HUMAINES.

La méthode des Dictionnaires, inconnue à l’antiquité, est d’une utilité qu’on ne peut contester ; ils sont faits pour être le dépôt des Sciences ; & l’Encyclopédie imaginée par MM. D’ALEMBERT & DIDEROT, achevée par eux & par leurs Associés, avec tant de succès, malgré ses défauts, en est un assez bon témoignage.

VOLTAIRE, Q. sur l’Ecycl. p. 278, T. III, & Mélanges.

UNE édition de l’ECYCLOPÉDIE, par ordre de matières, est sans doute une entreprise utile ; mais l’époque de son exécution est le moment qu’il faut saisir pour donner à ce grand ouvrage toute la perfection dont il est susceptible. Cette perfection consiste principalement dans l’ensemble & l’accord de ses différentes parties. Dans toutes les éditions de l’Encyclopédie, publiées jusqu’ à ce jour, les matériaux qui la composent sont accumulés & confondus, & n’ont d’autre ordre que celui de l’alphabet. Les objets les plus disparates se touchent, se heurtent, & se succèdent brusquement. Les parties de cet ensemble sont brisées & rejettées à des distances éloigées. La chaîne en est par-tout interrompue : enfin il naît de ce mélange un désordre dans les choses & dans les idées, qui égare le lecteur, & qui ne lui laisse aucun fil pour se guider dans ce vaste labyrinthe.

Le projet d’une Encyclopédie universelle, raisonnée & méthodique, rangée par ordre de matières, de laquelle on feroit disparoître l’ordre alphabétique, quoique très-séduisant dans la spéculation, est cependant impraticable dans l’exécution, parce que l’Encyclopédie étant un dictionnaire, on ne peut pas tirer des traités didactiques de ce genre d’ouvrage, quelque parfaits qu’ils puissent être d’ailleurs : qu’on prenne, par exemple, le Dictionnaire de Chimie de M. Macquer[1], qui passe pour le meilleur ouvrage de ce genre ; celui qui entreprendroit d’en faire disparoître l’ordre alphabétique pour n’en composer


qu’un Traité de Chimie, n’en feroit qu’un ouvrage imparfait, parce que l’Auteur n’a point disposé & travaillé ses matériaux dans cette vue, ni pour cet objet : il en est de même de toutes les parties de l’Encyclopédie. On peut en tirer des Dictionnaires généraux & particuliers, les compléter, les corriger, leur donner toute la perfection dont ce genre d’ouvrage est susceptible ; mais on ne feroit que des ouvrages imparfaits, si l’on entreprenoit de faire de chacune des parties autant de Traités suivis, desquels on feroit disparoitre l’ordre alphabétique.

Non seulement c’étoit une nécessité de ne faire de l’Encyclopédie que des Dictionnaires particuliers ; mais quand la raison de nécessité n’eût point existé, une Encyclopédie divisée par ordre de matières, dont chaque partie seroit un Traité suivi de science ou d’art, ne pourroit être qu’un ouvrage imparfait & très-dangereux à tenter. Dans ce dernier plan, il faudroit donc refaire une nouvelle Histoire Naturelle. Il faudroit de même refaire des ouvrages suivis sur tous les objets des connoissances humaines : mais n’avons-nous pas sur l’Histoire Naturelle le bel ouvrage de M. le Comte de Buffon, & une foule de livres excellens sur la Physique, la Jurisprudence, la Médecine, la Chirurgie, l’Anatomie, l’Art Militaire, la Théologie, &c. &c. ? & peut-on espérer de faire mieux en ce genre que ce qui est fait sur tous ces objets ? Supposons toutefois que ce projet fût praticable, quelle utilité réelle en résulteroit-il pour le public ? Il auroit un plus grand nombre de traités didactiques sur chaque science ; mais ces ouvrages ne pourtoient point remplacer, même en leur supposant des tables bien faites, l’utilité, l’avantage, & la commodité des dictionnaires, qui, par le plan sur lequel ils sont exécutés dans cette nouvelle Encyclopédie, comme on le détaillera plus bas, & par les tableaux d’analyse qui seront à leur tête, présenteront comme autant de Traités suivis & complets de chaque science ou art ; de sorte qu’on a tout à la fois l’Encyclopédie par ordre de matières & par ordre alphabétique. Cette seule raison auroit suffi pour nous déterminer au parti que nous avons pris ; mais elle n’est pas la seule qui devoit nous y engager. Nous avons, ainsi que nous le disions ci-dessus, une foule d’excellens traités didactiques sur toutes les parties des sciences & des arts; mais si l’on en excepte le dictionnaire de Chimie de M. Macquer, le répertoire universel de Jurisprudence de M. Guyot, &c., & quelques autres dictionnaires, en bien petit nombre, comme le dictionnaire du Commerce, celui de Médecine, dont les éditions manquent depuis plus de dix ans, nous n’avons point dans notre langue de dictionnaires bien faits sur toutes les autres parties des connoissances humaines ; & on pourra s’en convaincre en lisant la liste de ceux que nous offrons au public : car il ne faut pas compter une foule d’ouvrages qu’on a publiés dans ces derniers temps sous toutes sortes de formats, & auxquels on a donné le nom de dictionnaires portatifs ([2]) ; presque tous ne sont que des compilations modernes, extraites mot pour mot d’autres livres, faites sans plan, sans vue, sans méthode, par des écrivains obscurs & mercenaires, auxquels il est impossible de prendre aucune confiance, & que l’on ne peut regarder comme des ouvrages nationaux ; & cependant le nombre de ces dictionnaires est si prodigieux, qu’on nous a proposé dernièrement un manuscrit intitulé : Dictionnaire des Dictionnaires, &c.

L’Encyclopédie étant un dictionnaire, on ne peut donc changer sa forme primitive ; on ne peut que diviser ce dictionnaire universel en autant de Dictionnaires Encyclopédiques qu’il renferme de parties principales ; & c’est l’objet qu’on se propose dans l’entreprise qu’on annonce. On s’est attaché à réduire ces dictionnaires au plus petit nombre possible, en groupant les objets qui ont entre eux une analogie sensible & qui peuvent s’éclairer, se soutenir, & s’expliquer par leur rapprochement.

Ainsi, ces dictionnaires particuliers formeront des touts séparés dont la collection composera l’ensemble de l’Encyclopédie.

Il est aisé de voir que la nouvelle Encyclopédie, arrangée de la maniere que l’on vient de l’exposer, & distribuée en autant de dictionnaires que l’arbre des connoissances humaines a de branches essentielles & capitales, aura tous les avantages de l’ancienne Encyclopédie, sans en avoir les défauts. Elle formera le recueil le plus riche, le


plus vaste, le plus intéressant, le plus exact, le plus complet & le mieux suivi qu’on puisse désirer, puisqu’elle réunira avec ordre ce que renferment de connoissances réelles plusieurs milliers de volumes, sans en copier aucun, dont la recherche seroit pénible & souvent infructueuse, la lecture impossible & le prix énorme.

Le célèbre Bacon, qui a donné la première idée de cet ouvrage, ne se proposoit pas d’en faire un seul dictionnaire ; il savoit que cette forme trop générale qui sépare ce qui devroit être joint, qui rapproche ce qui devroit être séparé, qui mêle les sciences les plus sublimes avec les métiers les plus médiocres, n’étoit point propre à son plan.

Supérieurs à Bacon & placés dans un siècle plus éclairé, MM. d’Alembert & Diderot entreprirent ce qu’il n’avoit fait que projeter. Ces deux grands philosophes savoient bien que la nomenclature n’étoit convenable qu’aux seuls ouvrages qui ne troitent qu’une matière, comme cela a lieu dans cette édition ; & ils n’ignoroient pas combien cette même nomenclature avoit d’inconvéniens pour un recueil qui embrassoit toutes les matières ; mais croyant ne faire que dix volumes, ces inconvéniens leur parurent supportables. Malgré cela, il n’en sera pas moins vrai qu’un des plus beaux monumens de l’espris humain est dû à leurs travaux ; & bien loin de chercher à leur en enlever la gloire, on se propose de rendre ce monument plus durable, plus digne des regards de la postérité, en perfectionnant sa construction, complétant toutes ses parties, & donnant au tout une meilleure forme.

Pour donner au public une idée de ce qui reste à faire, si l’on veut porter ce grand ouvrage à sa perfection, nous allons citer le jugement que M. Diderot, principal éditeur, en a lui-même porté.

« L’imperfection de l’Encyclopédie a pris sa source dans un grand nombre de causes diverses. On n’eut pas le temps d’être scrupuleux sur le choix des travailleurs. Parmi plusieurs hommes excellens, il y en eut de foibles, de médiocres, & de tout à fait mauvais; de là cette bigarrure dans l’ouvrage, où l’on trouve une ébauche d’écolier à côté d’un morceau de main de maître ; une sottise voisine d’une chose sublime ; une page écrite avec force, pureté, chaleur, jugement, raison, élégance, au verso d’une page pauvre, mesquine, plate, & misérable. Les uns travaillant sans honoraires, par pur attachement pour les éditeurs & par goût pour l’ouvrage, perdirent bientôt leur première ferveur ; d’autres, mal récompensés, nous en donnèrent, comme on dit, pour notre argent ;… il y en eut qui remirent toute leur besogne à des espèces de tartares qui s’en chargèrent pour la moitié du prix qu’ils avoient reçu. Les articles communs à différentes matières ne furent point faits, précisément parce qu’ils devoient l’être par plusieurs; on se les renvoyoit l’un à l’autre. L’art de faire des renvois suppose un jugement bien précis.... L’on négligea de remplir les renvois qui appartenoient à la partie même dont on étoit chargé…. On trouve souvent une réfutation à l’endroit où l’on alloit chercher une preuve.... Il n’y eut aucune correspondance rigoureuse entre le discours & les figures, &c. »

Nous sommes bien éloignés d’adopter en entier ce jugement un peu rigoureux, sur un ouvrage dont M. Diderot pouvoit se croire en droit de faire les honneurs; car si l’Encyclopédie, considérée dans chacune de ses parties séparées, est très-incomplète, il n’est pas moins vrai qu’elle


renferme une multitude d’articles excellens, faits de main de maître, auxquels il faut bien se garder de toucher. Il y a même des parties presque entières, comme les Mathématiques, la Littérature, les Arts & Métiers mécaniques, qui sont plus complètes dans l’Encyclopédie que dans aucun autre ouvrage; & on ne doit jamais perdre de vue, en corrigeant & en complétant ce dictionnaire, en lui procurant les degrés de perfection qui lui manquent, qu’il a été composé en grande partie par les hommes les plus célèbres de notre nation, & que dans son état d’imperfection, il est encore, on le répète, un des plus beaux monumens que les hommes, dans aucun temps, aient jamais élevé à la gloire des lettres, des sciences, & des arts.

__________________________

  1. Et cependant M. Macquer, dans sa nouvelle édition , convient lui-même que son ouvrage n’est réellement point un Dictionnaire : la grande longueur de beaucoup d’articles le fait rentrer, en grande partie, dans la classe des Traités, dont les objets font suivis & liés les uns aux autres.
  2. Nous en exceptons le Dictionnaire géographique de Vosgien, le Dictionnaire historique de l’Advocat, & quelques autres qui sont véritablement des ouvrages estimables.