Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Lettre O


Panckoucke (1p. 569-584).
◄  Lettre N
Lettre P  ►

569

$6}

O

O O du Giotto . « C’est une de ces sortes d’histoires qui ne signifient pas grand chose, & dont cependant les auteurs sont quelquefois grand bruit. Vous saurez donc que l’envoyé du pape (Benoît IX) ayant vu à Sienne & à Florence tous les peintres les plus fameux, s’adressa enfin au Giotto(pour les ouvrages dont le pontife avoit dessein d’orner l’église de saint Pierre). Après lui avoir témoigné l’intention du pape, il lui demanda quelques dessins pour les lui montrer, avec ceux qu’il avoit déjà des autres peintres. Giotto, qui étoit extrêmement adroit à dessiner, se fit donner aussitôt du papier, & avec un pinceau, sans le secours d’aucun autre instrument, il traça un cercle, & en souriant il le mit entre les mains de ce gentilhomme. Ces envoyé, croyant qu’il se moquoit, lui répartit que ce n’étoit pas ce qu’il demandoit, & qu’il souhaitoit un autre dessin. Mais Giotto, lui repliqua que celui-la suffisoit, qu’il l’en voyât hardiment avec ceux des autres peintres, & que le pape en connoîtroit bien la différence : ce que le gentilhomme fit, voyant qu’il ne pouvoit rien obtenir davantage. »

« Or on dit que ce cercle étoit si également tracé & si parfait dans sa figure, qu’il parut une chose admirable quand on sut de quelle sorte il avoit été fait, & ce fut par-là que le pape & ceux do sa cour comprirent assez combien Giotto étoit plus habile que tous les autres peintres dont on lui envoyoit les dessins. Voilà l’histoire de l’O du Giotto, qui donna lieu aussi-tôt à ce proverbe Tu sei piu tondo che l’O di Giotto, pour signifier un homme grossier & un esprit qui n’est pas fort subtil. « « Il semble par-là que le plus grand savoir de tous ces anciens peintres existât dans la subtilité & la délicatesse de leurs traits ; car ce fut par des lignes très subtiles & très déliées, qu’Apelle & Protogène disputèrent à qui l’emporteroit l’un sur l’autre, & Protogène ne céda à Apelle que quand celui-ci eut coupé avec une troisième ligne plus délicate les deux qu’ils avoient déjà tracées lune sur l’autre. A vous dire le vrai, ni l’O du Giotto, ni ces lignes d’Apelle & de Protogène ne sont point capables de nous donner une haute idée de leur savoir. (Felibien.) »

On reconnoît, dans le passage que nous


venons de citer, le langage d’un homme qus connoît les arts, & qui ne rapporte pas avec admiration ce qui n’est admirable qu’aux yeux de l’ignorance. Tout ce que prouve le cercle tracé sans compas par le Giotto, c’est qu’il avoit la main très sûre, & qu’il pouvoit tracer un beau contour avec fermeté s’il avoit ce beau contour dans la tête, ou s’il savoit le choisir dans la nature : il restoit donc à savoir, & c’étoit le principal, s’il avoit la tête ainsi meublée & s’il étoit capable d’un pareil choix ; à ces conditions, la fermeté de sa main devenoit une qualité estimable. L’Officier du pape raisonnoit donc mieux que ce pontife & toute sa cour, quand il demandoit au peintre un autre dessin.

Quand le Poussin traçoit d’une main tremblante le beau tableau du déluge ; quand Jouvenet paralytique peignoit de la main gauche son Magnificat, ni l’un ni l’autre de ces artistes n’auroit tracé un cercle sans compas, & tous deux firent des ouvrages bien supérieurs à ceux du Giotto. l’Adresse de la main peut aider un artiste, mais le véritable principe de son talent est dans son esprit. C’est abbaisser les arts, c’est n’en avoir pas le sentiment, que d’élever trop haut la partie purement manuelle. (L.)

OBJET (subst. masc.) Ce mot signifie la fin qu’on se propose. Dans ce sens, le premier objet des arts qui tiennent au dessin est d’instruire en plaisant à l’esprit parle sens de la vue. Cet objet important est souvent offert au premier des genres, celui de l’histoire. Une action noble, grande, vertueuse, mise sous les yeux des spectateurs, peut les engager à l’imiter. Cet Objet n’est pas même étranger à des genres inférieurs. Un paysage bien représente peut inspirer ces goûts simples & purs que fait naître l’aspect de la campagne ; le portrait d’un homme qui s’est rendu précieux par ses talens, ses vertus, excite à marcher sur ses traces.

l’Art donne aussi des instructions qui ne sont pas morales, mais dont on ne peut contester l’utilité. Il fait connoître des lieux, des animaux, des végétaux qu’on n’est point à portée de voir. Il sert ainsi le guerrier, l’architecte, l’anatomiste, l’érudit, le narturaliste.

Souvent, il en faut convenir, l’art n’a d’autre

Beaux-Arts. Tome I. C c c c
570 OEC OME

(E C objet que de plaire ; & en cela il n’est pas inférieur à la poësie qui dans un grand nombre de ses productions ne reconnoît pas d’autre fin. C’est ordinairement la seule que se propose l’auteur d’une petite pièce fugitive & quelquefois même d’une comédie.

On appelle aussi dans les arts objet, ce qui est sous les yeux, & quelquefois même seulement dans l’esprit de artiste, & qu’il se propose dimiter. Un tableau original est l’objet, de celui qui en veut faire une copie, un modele vivant celui de l’artiste qui veut le représenter, une campagne celui du paysagiste qui veut la reproduire dans un tableau, un fait historique celui d’un peintre qui n’a pas vu ce fait & qui veut cependant en faire le sujet de son ouvrage ; enfin un sujet purement idéal celui du peintre, du statuaire, du dessinateur qui veut lui donner une existence sensible par le moyen de son art.

On appelle encore objet ce qui est exposé aux regards : c’est dans ce sens que l’on dit qu’il ne faut pas multiplier les objets dans un ouvrage, qu’il faut lier tous les objets dans une composition. (article de M. LEVESQU.)

OBSCUR (adij.) sombre, ténébreux. Ce tableau est trop obscur. Un ton obscur convient à une composition triste. Les teintes obscures donnent de la valeur aux tons brillans.

Le mot obscur, s’oppose au mot clair dans le composé clair-obscur, qui signifie le jeu, l’opposition des lumieres & des ombres.

Mais quand on décompose ce mot, on ne dit point le clair & l’obscur, mais les clairs & les bruns les jours les ombres, la lumiere & l’ombre.

Chambre obscure, instrument d’optique dont les peintres font quelquefois usage il en sera parlé dans le dictionnaire de pratique.

ŒCONOMIE, (subst. fem.) l’œcomomie d’un tableau est la même chose que son ordonnance. Pour donner à son ouvrage une belle œconomie, il faut connoître les parties qui y sont nécessaires, ou qui du moins sont capables de le faire valoir, celles qui y sont inutiles, & qui pourroient même y jetter la confusion ; avoir le talent de mettre dans le plus beau jour, & dans l’attitude la plus convenable, la principale figure, de la faire dominer sur tout le reste, d’attirer sur elle les premiers & les derniers regards, de i’imprimer profondément dans la mémoire du spectateur par sa beauté & par la vérité de son expression ; il faut donc avoir aussi l’art de donner aux figures subordonnées assez de beauté, pour qu’elles soient de bons ouvrages de l’art, sans que’elles deviennent capables de distraire par elles-mêmes, ou par leurs accessoires l’attention


qui doit se reposer sur la figure capitale. Ajoutons que le tableau doit offrir le nombre de figures qu’exige l’action, sans en présenter un trop grand nombre qui feroient foule, & ne se démêleroient pas aisément ; que toutes doivent être convenablement placées, sans se nuire mutuellement, & que toutes doivent avoir le mouvement & l’expression de l’affection que leur prête l’artiste. (L.)

ŒUVRE . (subst.) Ce mot est du féminin, & s’emploie au pluriel quand il est question des ouvrages d’un écrivain : ainsi l’on dit : les œuvres de Racine, de Montesquieu, &c.

Il est du masculin & s’emploie au singulier quand il est question des ouvrages d’un artiste : on dit l’œuvre de Raphaël, de Rubens &c. ; il est difficile de se procurer l’œuvre complet de Rembrandt.

Comme ce mot signifie une collection, il ne s’emploie pas en parlant des ouvrages de peinture ou de sculpture, parce que ces ouvrages sont répandus en divers lieux, & non rassemblés en un seul cabinet. Il faudroit qu’un peintre eût bien peu travaillé, ou que son talent eût bien peu recherchés, pour qu’ils fussent tous réunis dans les mains d’un seul propriétaire. Les ouvrages d’un grand peintre, sont dispersés dans tous les pays de l’Europe où l’on aime les arts.

Le mot œuvre se borne donc à exprimer la collection des estampes gavées d’après un maître : ainsi l’œuvre se Raphaël comprend les estampes que différens graveurs ont faites d’après lui.

Quand ce mot exprime les ouvrages d’un graveur, il signifie ou les estampes qu’il a faites d’après ses propres dessins, comme l’œuvre de Callot, ou celles qu’il a gravées d’après diffërens peintres, comme l’œuvre de le Bas, d’Aliamet.

Quelques amateurs ont la manie de rassembler l’œuvre entier d’un artiste, & pour y parvenir, ils dépensent à se procurer les plus foibles ouvrages d’un auteur, des sommes dont ils pourroient faire un meilleur emploi. Ce sont quelquefois les premiers essais de la jeunesse que l’artiste a taché de supprimer, qu’on se procure le plus difficilement, & que par conséquent on paye le plus cher. On fait des choix par goût, on rassemble desœuvres par vanité & pour avoir la satisfaction de dire qu’on les possède. (L.)

OMBRE (subst. fem.) L’ombre n’est pas la même chose que l’obscurité des ténèbres. Celle-ci est noire & ne permet de rien distinguer, de rien reconnoître : elle n’entre donc pas dans les objets d’un art qui travaille pour le sens de la vue : s’il a quelquefois recours à G M B l’obscurité absolue, c’est seulement pour représenter des enfoncemens profonds, où la lumiére ne peut pénétrer. Mais l’ombre n’est que la privation de la lumière immédiate, & les parties ombrées sont encore éclairées par la lumière éparse dans l’air.

Que l’on regarde un objet éclairé par la lumière immédiate du soleil, les parties enveloppées de l’ombre y seront très-marquées. Cependant ces parties, obscures par opposition à la clarté brillante de celles qui sont frappées du soleil, seront si loin d’être d’une obscurité absolue, qu’elles auront précisément le même degré de lumière que les parties éclairées dans une campagne qui seroit à l’abri du soleil. Pour voir bien distinctement ces parties ombrées, & en discerner aussi bien les détails que si elles étoient lumineuses, il suffit de se placer de manière à pouvoir les considérer seules. Si vous vous promenez au soleil dans une campagne, les parties ombrées vous paroissent obscures : promenez-vous ensuite à l’ombre, ces mêmes parties perdront à vos yeux toute leur obscurité. Alors tournez le dos à la partie éclairée du soleil, & vous verrez dans la partie ombrée où vous êtes des lumières, des ombres & des reflets. Il faut donc reconnoître avec Félibien, que l’ombre n’est qu’un léger nuage qui couvre les corps & les prive seulement de la lumière la plus brillante, sans empêcher que, par le secours d’une autre lumière moins forte, on n’apperçoive les formes & les couleurs. Aussi voit-on dans les tableaux du Titien, que la lumière est doucement & largement répandue sur les parties éclairées, & que les parties ombrées paroissent seulement interceptées par un nuage subtil qui les couvre sans les cacher.

Les préceptes de Dandré Bardon, s’accordent avez ce que nous venons d’établir. « Les ombres donnent, dit-il, aux demi-teintes l’éclat dont celles-ci font briller les lumières. Elles seront traitées d’un ton vague, par masses plates, & n’offriront que de très-légers détails des objets qu’elles voileront. »

Quoique les ombres ne soient pas ténébreuses, quoiqu’il y ait, comme nous l’avons démontré, des moyens d’y reconnoître les détails aussi nettement que dans les parties lumineuses, le savant professeur recommande, avec raison, de n’accuser que légèrement ces détails dans l’ouvrage de l’art. Son principe est fondé sur l’aspect de la nature. En effet, si vous regardez un objet dans son ensemble, c’est-à-dire, à la fois & d’un seul coup d’œil dans ses parties lumineuses & dans ses parties ombrées, l’éclat des premières fera que vous n’appercevrez que légèrement les détails des autres. Ce seroit donc une faute contre la nature considérée grandement & d’un coup


d’œil vaste, que de prononcer les détails dans les ombres comme sur les jours : ce seroit le procédé d’un artiste qui ne considéreroit la nature que par petites parties, & qui, après avoir imité celles qui sont éclairées, s’approcheroit de celles qui sont dans l’ombre pour en étudier mesquinement tous les détails. En se piquant d’exprimer tout ce qu’il peut voir dans la nature, il mentiroit en effet contre la nature : mais continuons d’écouter le professeur.

« C’est, dit-il, de l’uniformité des couleurs des ombres, que naît l’harmonie d’un tout ensemble. Il est néanmoins convenable que tous les corps y conservent la nuance caractéristique qu’ils tiennent de la nature avec les modifications que la privation du jour peut leur donner. Qu’on ne s’y trompe pas ; nous parlons des ombres légères & refletées, telles que les produit le naturel éclairé par les rayons de l’astre du jour ; des ombres qui doivent établir leurs effets, moins par leur obscurité que par leur étendue, enfin des ombres qui sont susceptibles des différentes nuances qu’exige l’intérêt de l’ouvrage ; car tout est relatif. Les ombres ne doivent être obscures qu’à raison de la vaguesse des demi-teintes ; & les demi-teintes ne doivent être sourdes qu’à raison de la vivacité des clairs. Il est aisé de conclure qu’en pratiquant ces principes, on peut faire un tableau très-lumineux, tel qu’on en voit de Romanelli, quoique l’étendue des ombres soit à peu près aussi considérable que le volume réuni des demi-teintes & des lumières. »

« Dans une composition, continue Dandré Bardon, il doit y avoir des ombres principales & des ombres dégradées relativement à leurs sites, & aux objets qui les environnent. Les plus vigoureuses auront leur place dans les endroits voisins des plus brillantes lumières, & dans ceux qui seront le moins refletés. « « Quelquefois les masses les plus brunes occupent les sites les plus éloignés : alors les plus proches de l’œil, ceux qui sont sur les premiers plans du tableau, ne reçoivent de vivacité que par les touches. « « Que la marche des ombres soit diagonale, & les effets triangulaires comme ceux des lumières. La progression de celles-ci doit servir de modèle aux autres, afin que les clairs & les bruns formant entr’eux une balance, concourent mutuellement à l’équilibre de la composition ; la qualité des ombres dépend de l’élévation plus ou moins considérable d’où part la lumière qui les occasionne, & de la proximité du corps qui les produit : aussi sont-elles plus vives, plus obscures & plus prononcées dans un endroit

Cccc ij

$72 O M B renfermé, où le jour vient d’en-haut, tel qu’une église, qu’en pleine campagne où elles sont adoucies par la réverbération des reflets. « « On doit distinguer les ombres qui se nichent dans des creux, & sous des parties fouillées, d’avec celles qui s’étendent & glissent sur les objets. Les premières peuvent être mattes & traitées fièrement ; les autres doivent être moëlleuses, légères, vives à l’endroit d’où elles partent, & fondues à mesure qu’elles s’éloignent du principe qui les produit. Mais dans quelqu’endroit de la composition qn les place, de quelque nature qu’elles soient, les ombres portées seront toujours plus vigoureuses, plus expliquées, plus colorées que celles des corps qui les portent. »

M. Cochin, dans ses lettres á un jeune artiste, après avoir observé qu’André Sacchi a supérieurement entendu l’art de rompre & d’accorder ses ombres pour faire un tableau harmonieux ; que le Titien, Paul Veronese, Rubens, ont tous possèdé cette partie ; que cette magie se décèle sur-tout clairement dans les ouvrages de Luca Giordano : ajoute en parlant des tableaux de ce maître, & de ceux d’André Sacchi, « vous y verrez, en général, un ton d’ombre en quelque sorte le même, mais plus ou moins visible, selon le degré & la force de ces ombres. Vous y verrez que le ton qui fait les ombres fortes d’une draperie blanche, est le même que celui qui fait les ombres fortes d’une draperie bleue, d’une draperie rouge &c. je ne parle pas, dit-il, de la partie ombrée qui reçoit des reflets, dès qu’il peut y arriver des lumières, quoiqu’elles ne soient que de reflet ; car ces ombres refletées reprennent en partie leur couleur propre : mais les enfoncemens entièrement prives sont les mêmes, quelles que soient les couleurs des objets. »

« Cette magie, clairement expliquée par ces maîtres, vous mettra à portée de la reconnoître dans tous les tableaux des autres, dont l’accord vous paroîtra agréable & harmonieux. Delà vous appercevrez que ce principe a été connu de presque tous les peintres qu’on peut appeller peintres ; car je ne parle pas de ceux qui ne sont que dessinateurs. »

« Cet examen vous conduira à remarquer combien d’autres peintres ne se sont pas seulement doutés de cet effet de la nature, qui, bien connu, ajoute tant à l’art. Surtout dans la plupart des fresques dont l’Italie est remplie, vous verrez souvent une draperie bleue ou rouge, ombrée seulement avec le même bleu ou le même rouge, où seulement il est entré moins de blanc ; mais sans, aucune rupture ni mêlange d’autres cou-


leurs qui pussent salir & rompre ce bleu ou ce rouge. Ils n’ont point connu ce secret de la peinture ; mais ce secret d’harmonie a été habilement employé par tous ceux qui se sont rendus célèbres comme coloristes & particulièrement par les Vénitiens. »

« En observant ce principe essentiel, vous verrez en même-temps les erreurs dans lesquelles sont tombés quelques artistes, faute d’avoir bien choisi le véritable ton qui doit, rompre toutes les ombres. Vous verrez Paul Veronese leur donner quelquefois un ton, trop violâtre ; Solimeni, tin trop bleuâtre ; Baccicio, un ton trop jaune &c. Ce sont ces excès qu’il est nécessaire d’éviter. Il faut, pour ainsi dire, que ce ton général, qui sert à donner l’unisson, & à faire chanter tout d’accord, soit tellement rompu, qu’on ne puisse proprement y donner le nom d’aucune couleur. »

Voyez sur la difficulté de bien représenter les ombres, l’article ILLUSION dans la peinture, que nous avons transcrit des œuvres du même artiste.

Mais sur-tout écoutez Rubens sur la manière de traiter les ombres & les lumières. « Commencez, disoit-il, par peindre légèrement vos ombres. Gardez-vous d’y laisser glisser du blanc ; c’est le poison d’un tableau, excepté dans les lumières. Si le blanc émousse une fois cette pointe brillante & dorée, votre couleur ne sera plus chaude, mais lourde & grise. Il n’en est pas de même dans les lumières : on peut y charger ses couleurs tant qu’on le juge à propos. Elles ont du corps : il faut cependant les tenir pures. On y réussit en établissant chaque teinte à sa place, & près l’une de l’autre, en sorte que d’un léger mêlange fait avec la brosse, ou le pinceau, on parvienne à les fondre en les passant l’une dans l’autre sans les tourmenter : & alors on peut revenir sur cette préparation, & y donner les touches décidées qui sont toujours les marques distinctives des grands maîtres. (L) »

OPPOSITION (subst. fem.) se mot est d’un usage fréquent en peinture. En parcourant toutes les occasions où l’on en fait usage, je hazarderai quelques opinions sur l’abus qu’on en fait.

On dit qu’on ne peut faire valoir une teinte ou un ton sans opposition. Dans le premier cas, on entend qu’en plaçant, par exemple, une teinte jaune a côté d’une teinte violette, on fait paroître celle-ci plus violette encore ; de manière que cette teinte violette dont nous parlons, sera réellement d’un violet imperceptible, si elle se voit sur la palette & séparée de la teinte jaune qui doit en être voisine : O P P mais ces deux teintes étant placées sur la toile, le violâtre paroîtra infiniment plus violet, vu à côté de la teinte jaune, & par opposition avec elle : pour moi, je pense que cette manière de s’exprimer est vicieuse, parce que le changement produit est plutôt l’effet de la comparaison que celui de l’opposition ; & mon avis est que, dans cette circonstance, le premier de ces deux mots doit être exclusivement employé.

Il en est de même de ce qui regarde le ton. On dit ce ton n’est pas absolument clair, & il ne paroît tel, que par l’obscurité de celui qui lui est opposé. Je crois qu’il faut absolument dire comparé.

La raison de la préférence que je donnerois dans ces cas, à l’emploi du mot comparaison sur le mot opposition, c est que bien loin que le ton voisin d’un autre ton, & qu’une teinte voisine d’une autre teinte, obtiennent leur vraie valeur par opposition, elles doivent au contraire être approchantes, amies, & ne produisent l’artifice desiré par l’artiste que par la comparaison.

Le mot opposition ne me paroît pas employé avec plus de propriété au sujet des mouvemens des membres. Cependant on dit communément, les bras doivent être en opposition l’un avec l’autre, ou ceux-ci avec les jambes ; la tête avec le corps & ainsi du reste, afin de conserver les règles de l’équilibre, & de suivre les principes reçus pour la grace, la force, l’expression &c. : je crois que le mot contraste doit seul être employé dans cette circonstance.

Quoique l’on doive sentir le vice de ces emplois divers du mot opposition dans les occasions dont nous parlons, puisqu’il ne sert qu’a tenir la place des expressions propres, le mot dont il s’agit est encore plus déplacé quand il exprime la différence de la grandeur des figures, suivant que leurs plans l’exigent. Ainsi de Piles me paroît s’être servi du mot opposition d’une manière peu convenable, quand il s’exprime ainsi, dans sa traduction du poëme de Dufresnoy, au sujet de la diminution des figures. « Les objets du premier plan doivent dominer sur les choses incertaines & fuyantes ; mais que cela se fasse relativement, e’est-à-dire, qu’une chose plus grande & plus forte, en chasse derrière une plus petite, & la rende moins sensible par son opposition. » Comme si la diminution perspective des objets qui entrent dans un tableau, étoit un moyen arbitraire que le peintre pût employer à son gréour les faire fuir ou avancer, & comme s’ils n’avançoient & n’étoient enfoncés que par l’opposition que produit leur grandeur respective & non par une. diminution ou augmentation relative, &


calculée sur l’effet mathématique de la vision.

Voici les vers dont je viens de rapporter la traduction ; de Arte Graphicâ, v. 153 & seqq.


Anteriora, magis semper finita remotis,
Incertis dominentur, & abscedentibus, idque
More relativo, ut majora minoribus extent.


On voit qu’il n’y a pas là un mot d’opposition : mais c’est presque toujours ainsi que de Piles défigure l’ouvrage de Dufresnoi.

Ces emplois abusifs de divers écrivains, ont ainsi dénaturé la vraie signification du mot opposition dans l’art, & les atteliers en ont abusé encore davantage.

Pour moi, je pense qu’il ne peut s’employer avec précision que dans le sens donné par les Rheteurs pour l’art de la parole : chez eux, l’opposition est une figure par laquelle les pensées & les expressions frappent les esprits par leurs grandes différences. L’opposition est approchante del’antithèse.

De même, dans l’art, Rembrandt, Rubens, Giorgion, Tintoret frappent & entraînent nos sens par la forte opposition des grandes masses de lumières & d’ombres. C’est par l’opposition de la beauté des figures de femmes, avec le déchirement de leur douleur, que Daniel de Voltaire, Raphaël & Lebrun émeuvent l’ame du spectateur, ceux-là par le spectacle des saintes femmes aux pièces de la croix, & celui-ci par son tableau du massacre des Innocens, dans lequel il a si bien peint la douleur des mères de ces victimes.

Souvent c’est par l’opposition qui se trouve entre les formes générales d’une composition que l’auteur mérite les grands succès ; les plaines fuyantes d’Arbelles opposées aux grands grouppes du devant du tableau de Lebrun ; la hauteur des combattans sur les éléphans, & celle du char de Darius opposés aux grouppes inférieurs, animent aussi les esprits attachés à cette superbe composition.

Dans le coloris, un vêtement rouge éclate & fixe l’intérêt sur une figure, quand il est opposé à un vaste ciel bien serein, ou à des draperies de couleurs tendres.

Si je me suis bien fait entendre, l’opposition ne doit s’appliquer qu’aux grands effets. Je sens bien que des personnes peu disposées à suivre mes opinions, pourront opposer à la précision que j’assigne à ce mot ; d’abord son emploi usité ; en second lieu, elles pretendront que oppositiondoit avoir la même signification dans les détails que dans les masses, & que par conséquent le violâtre d’une teinte est proportionnellement, & dans le même sens, opposé à la teinte jaunâtre, que la draperie rouge du Bacchus du Titien, l’est au ciel 174

ORD brillant & lumineux qui lui sert de fond : ils suivront le même raisonnement pour ce que j’ai dit sur le mouvement des membres ; mais au moins m’accorderont-ils que ces idées sur les détails, se rendent mieux encore par les mots comparaison & contrastes ; que ces mots mêmes sont techniques ; au lieu qu’on n’en cannoît pas d’autres qu’opposition pour les parties auxquelles je pense qu’il faut seulement l’appliquer, savoir, aux grands effets de composition & d’expression, & qu’il peut servir avec plus d’avantage pour rendre les impressions du coloris & du clair-obscur, seulement dans les grands partis.

Simplifier, ôter toute confusion, me paroissent la bonne manière de bien classer les idées, de les rendre claires, & il me semble que ces moyens sont les seuls pour la perfection du langage, & pour celle des Arts. (Article de M. ROBIN.)

OR . (subst. masc.). Il ne faut qu’un artiste ignorant, desirant de plaire à un amateur plus ignorant que lui, pour introduire des pratiques funestes à l’art. Ce fut ainsi que commença l’usage d’employer l’or dans la peinture. Le pape Sixte IV appella de Florence plusieurs peintres pour décorer sa chapelle. L’un d’eux, Cosme Rosselli, stérile dans l’invention, peu savant dans le dessin, & d’autant plus jaloux de l’emporter sur ses émules qu’il leur cédoit davantage par le talent, imagina, pour fasciner les yeux, d’employer les couleurs les pues vives, les plus tranchantes, & de les rehansser par l’éclat de l’or. Sa charlatanerie out tout le succès qu’il en avoit attendu. Quand les tableaux de la chapelle furent découverts, le Pape fut ébloui de l’éclat que jettoient ceux de Rosselli, & non content de lui donner la préférence sur ses rivaux, il voulut qu’ils retouchassent leurs ouvrages, & qu’à l’exemple de celui qu’il déclaroit leur vainqueur, ils y prodiguassent l’or & l’azur.

Le Pinturicchio enchérit encore sur la maniere du Rosselli. Curieux de séduire les personnes qui ne jugoient du mérite des ouvrages que par leur éclat, il faisoit de relief les ornemens de ses peintures, & les enrichissoit d’or. Les bâtimens qu’il introduisoit dans ses tableaux, avoient autant de saillie que les sculpteurs en donnent à leurs bas-reliefs : il n’a pas eu d’imitateurs dans cette innovation.

Mais l’usage d’introduire l’or dans les tableaux eut plus de durée. Michel-Ange lui-même paroît avoir eu dessein de s’y soumettre dans les ouvrages qu’il faisoit pour le chapelle Sixtine. Le pape Jules II l’en pressoit : la nécessité de s’accorder avec les autres tableaux qui ornoient cette chapelle, lui en faisoient, en


quelque sorte, une loi de convenance : mais l’impatience du pontife qui le hâtoit de finir, & le menaçoit même de le jetter du haut de ses échaffauds, ne lui permit pas de donner à ses peintures cette décoration barbare.

Raphaël, dans sa jeunesse, sacrifia, comme le Pérugin, son maître, au goût général. Dans son tableau connu sous le nom de Théologie, il représenta des Anges & des Chérubins entourés de rayons d’or en relief. Il ne pouvoit alors avoir puer de vingt ans, & ce n’est point à cet âge qu’un Artiste peut lutter contre l’opinion commune. Mais il sentit bientôt que l’or ne s’accorde point avec les couleurs, & que le but de peintre n’est pas de faire des reliefs, mais d’imiter l’apparence du relief sur une surface plane. Ses disciples & ses contemporains suivirent son exemple, & l’orfut exilé de la peinture.

On continua seulement dans des chapelles & dans des appartemens, où la richesse & le luxe sont plus consultés que le goût, de peindre sur des panneaux dorés, & de réserver ce fond pour servir de champ au tableau. On a de ce genre des ouvrages d’habiles maîtres, même de le Sueur. Mais il est aisé de sentir que ces peintures qui semblent découpées collées sur une surface d’or, ne peuvent faire aucune illusion, ni produire un heureux effet. Il est dans la nature, que la vue soit principalement attirée par ce qui a le plus d’éclat : le fond, dans ces sortes d’ouvrages, attire donc principalement les regards, & ne leur permet pas de s’arrêter aux objets qui y sont représentés. (L.)

ORDONNANCE (subst fem.). C’est le résultat da la disposition des objets qui sont représentés dans les ouvrages de l’art. L’ordonnance est confuse quand l’ouvrage est surchargé d’objets qui se nuisent les uns aux autres par leur disposition ou par leur multiplicité. Elle est riche non par le grand nombre des objets, mais quand l’artiste a su la disposer de manière que le champ ne semble pas réduit à une sorte de nudité qui annonce dans l’auteur un défaut de génie. Elle est pauvre, quand elle ne répond pas à la richesse du sujet. Elle est nette, quand tous les objets, sans être isolés ou découpés, se distinguent cependant au premier coup-d’œil. Elle est embarrassée quand elle offre des parties que le spectateur ne démêle pas aisément.

La belle ordonnance differe, je crois, de l’ordonnance riche. La première suppose de la simplicité, la seconde de l’abondance. Les ordonnances de Paul Véronese étoient ordinairement riches ; celles de Raphaël & des grands maîtres de l’école romaine étoient ordinairement belles. Le caractère de celles de Rubens étoit ORD imposant ; le caractère de celles de Coypel étoit théatral.

Le sujet indique quelquefois le genre d’ordonnance que i’artiste doit adopter. Elle doit être riche dans un sujet asiatique ; simple, dans un sujet des temps héroïques. Ce ne sera peut-être pas un défaut qu’elle soit pauvre dans le repas de Philémon & Baucis.

Comme l’ordonnance tient de près à la composition & à la distribution, nous croyons pouvoir ici renvoyer le lecteur aux articles qui traitent de ces deux parties de l’art.

On peut s’en tenir sur l’ordonnance à ce qu’a dit Félibien : « il est impossible de éduire en règles tout ce qui est nécessaire pour bien ordonner les figures qui composent un tableau, parce. que l’ordonnance est une partie qui dépend du génie & du jugement du peintre ; » il pouvoit ajourer, & du sujet. Aussi ne vois-je pas que les grands maîtres qui ont écrit de l’art se soient arrêtés sur cette partie. Ils ont sans doute reconnu que tous les détails dans lesquels ils pourroient entrer auroient trop rarement une juste application.

Un artiste justement célèbre loue les maîtres qui se plaisoient à composer leurs tableaux de grandes figures en petit nombre ; qui les pressoient & les amonceloient en quelque sorte, ce qui les rendoit très grouppées, en sorte qu’elles s’entre-soutenoiont les unes les autres. « Il semble même, ajoute-t-il, qu’ils aient cherché, pour augmenter ce resserrement, à y employer de fréquens raccourcis qui en eflet font tenir plus de choses dans un petit espace. »

Cette manière d’ordonner est-elle conforme à la nature ? Nous avons vu ailleurs que les hommes cherchent naturellement à se rassembler par pelotons ; mais ils ne cherchent pas à se presser, à s’entasser, à moins qu’ils n’y soient engagés par les circonstances.

Cette manière d’ordonner est-elle favorable à la beauté de la composition d N’y a-t-il pas plus de vraie beauté dans les développemens des figures & des grouppes, que dans leurs entassemens ? Une belle composition doit être enchainée, mais non, pour ainsi dire, entassée en paquets.

« J’avoue, continue-t-il, que cette manière riche & qui a quelque chose de grand m’a toujours beaucoup séduit. Cependant je ne disconviens pas qu’elle est peu usitée en France. Lorsque quelqu’un la hasarde, les artistes en sentent le prix & lui donnent des éloges ; mais les critiques disent qu’il n’y a pas d’air entre les grouppes. »

Si cette manière avoir tant de prix aux yeux des artistes François, on la leur verroit adopter, & cependant ceux d’entr’eux qui occu-


pent les premiers rangs semblent s’en éloigner de plus en plus.

Au reste le sujet, & la forme du tableau peuvent quelquefois engager à la suivre : mais les critiques ne paroissent pas avoir tort quand ils veulent qu’on puisse se promener en imagination autour des grouppes, & qu’il y ait de l’air entr’tux comme il y en a dans la nature. Quand les Carraches, que cire notre artiste, ont cru devoir presser & amonceler leur figures, on ne voit pas, autant qu’on en peut juger par ceux de leurs ouvrages qui nous sont connus en originaux ou par la gravure, qu’ils aient négligé de faire sentir qu’il y a de l’air entre les grouppes, & qu’on pourroit en faire le tour, si ces grouppes étoient en effet de relief.

« Enfin, dit encore le même artiste, les raccourcis ne plaisent guere au commun des hommes ; ils ont peine à les concevoir. C’est cependant une beauté dans l’art, puisqu’en-finla difficulté surmontée y doit être comptée pour quelque chose. »

J’ose croire ici que le commun des hommes n’a pas tort, & qu’il raisonne comme devroient raisonner les artistes les plus distingués.

Convenons d’abord qu’on ne peut dessiner une seule figure dans la situation la plus simple, sans exprimer plusieurs raccourcis. Ce n’est donc pas de ces raccourcis que notre artiste veut parler ; mais de ceux qui sont plus rares, qu’on peut le plus souvent éviter, qui exigent plus de science, que le public appelle vulgairement des raccourcis outrés, & qu’on pourroit souvent appeller des raccourcis recherchés.

Ces raccourcis supposent beaucoup de savoir dans ceux qui parviennent à les bien exprime : nous accorderons encore qu’ils supposent une grande difficulté vaincue. Mais le savoir mais l’art de vaincre des difficultés est-il le but de l’art ? Non ; ce but est de plaire. Le savoir, l’art de faire même des choses difficiles ne sont que de moyens de parvenir à ce but. L’affectation de savoir, celle de faire sentir au spectateur qu’on a eu des difficultés à vaincre, en éloignent. Cette affectation a nui même au grand talent de Michel-Ange.

Quel est le vrai moyen de plaire ? Il n’en est qu’un général ; c’est l’expression du beau. Je demanderai donc si ce n’est pas dans leur développement, & non dans leur raccourci, que les formes montrent toute leur beauté. Si cela est vrai, l’artiste doit chercher à développer, éviter autant qu’il le peut les raccourcis. Aussi voyons-nous qu’en général les grands maîtres se sont appliqués à développer leurs principales figures : mais ils ont montré leur savoir ou ont obéi à la nécessité, en admettant y7*

O R D mettant les raccourcis dans des figures subordonnées.

Prenez la belle tête de l’Apollon du Vatican où de la Vénus de Médicis : posez-la de manière que vous n’en voyez guere que le dessous du menton, les narines, une partie du front ; faites-en le dessin le plus précis : ce dessin pourra être fort savant, mais la tête ne sera plus belle.

Choisissez dans la nature le plus beau bras ; posez-le de manière qu’il se présente directement à la hauteur de votre œil, & faites-en un dessin ; ce bras ne sera plus beau.

Mais changez la pose, ou placez-vous de manière que vous voyez ce bras bien développé ; vous pourrez alors en faire un dessin digne de plaire.

Toutes les fois que les artistes travailleront pour le petit nombre des hommes qui peuvent juger la science., & non pour le grand nombre de ceux qui sont sensibles à la beauté, ils ne trouveront qu’un petit nombre d’approbateurs.

L’artiste est obligé d’acquérir toute la science & toute la manœuvre de son art : mais comme ces acquisitions lui ont couté beaucoup de peine, il est porté naturellement à en faire un fastueux étalage, & même à les regarder comme son principal objet : cette disposition lui fait souvent oublier le véritable but auquel il doit tendre.

L’artiste savant recherche les applaudissemens des artistes qui en savent à-peu-près autant que lui, & méprise le public qui ne sait rien : mais c’est à ce public qu’il doit plaire.

De toutes les sciences qui tiennent à l’art, celle d’exprimer le beau est sans doute la plus difficile, puisqu’un si petit nombre d’artistes l’a possédé.

Pauci quos æquus amavit

Juppiter.

(Article de M. Levesque.)

M. de Jaucourt, auteur de l’article ordonnance dans l’ancienne Encyclopédie, distingue avec raison deux sortes de compositions, d’où résultent aussi deux différentes sortes d’ordonnances. Dans la première sorte de composition, qu’il appelle pittoresque, l’artiste s’occupe de l’ordonnanceces objets par rapport à l’effet général du tableau ; dans la seconde, qu’il nomme poëtique, l’artiste cherche surtout à rendre plus vraisemblable & plus touchante l’action qu’il veut représenter.

Nous nous contenterons, ajoute-t-il, de remarquer ici que le talent de la composition poëtique, & le talent de la composition pittoresque sont tellement séparés, qu’on con-


noît des peintres excellens dans l’une & qui sont grossiers dans l’autre. Paul Véronese, par exemple, a très bien réussi dans cette partie de l’ordonnance que nous appellons composition pittoresque. Aucun peintre n’a su mieux que lui bien arranger sur une même scène un nombre infini de personnages, placer plus heureusement ses figures, en un mot bien remplir une grande toile, sans y mettre de confusion : cependant Paul Véronese n’a pas réussi dans la composition poëtique ; il n’y a point d’unité d’action dans la plupart de ses grands tableaux. Un de ses plus magnifiques ouvrages, les noces de Cana, qu’on voit au fond du réfectoire du couvent de Saint Georges à Venise, est chargé de fautes contre la poësie pittoresque. Un petit nombre des personnages innombrables dont il est rempli, paroît être attentif au miracle de la conversion de l’eau en vin qui fait le sujet principal, & personne n’en est touché autant qu’il faudroit. Paul Véronese introduit parmi les conviés des Religieux bénédictins du couvent pour lequel il travaille. Enfin ses personnages sont habillés de caprice, & même il contredit ce que nous savons positivement des mœurs & des usages du peuple dans lequel il choisit ses acteurs.

Comme les parties d’un tableau sont placées l’une près de l’autre, & qu’on en voit l’ensemble du même coup d’œil, les défauts qui sont dans l’ordonnance nuisent beaucoup à l’effet de ses beautés.

ORIGINAL . (ad) Un tableau original, une statue originale, c’est-à-dire un tableau, une statue pour lesquels l’auteur n’a eu d’autre modèle que la nature & son imagination.

On prend aussi ce mot substantivement, & alors on l’oppose au mot copie. « Il est quelquefois très-difficile de distinguer une copie de l’original. » Voyez l’article COPIE.

Le mot original ne s’emploie qu’en parlant d’un ouvrage de l’art, & non d’un modèle qu’offre la nature. Les artistes ne disent pas qu’une académie rend bien l’original pour signifier qu’elle rend bien le modèle vivant d’après lequel on l’a faite. Ils ne disent pas qu’un portrait ressemble bien àl’original, pour exprimer qu’il est ressemblant à la personne qu’il représente. Quan ils s’énoncent ainsi, ils veulent faire entendre que l’académie, ou le portrait s’accorde bien avec une autre académie, ou un autre portrait dont l’ouvrage qu’ils jugent n’est qu’une copie. Lorsqu’un maître copie lui-même un de ses ouvrages, ce second ouvrage ne se nomme pas une copie, mais un double, & il conserve son rang entre les originaux. Une estampe faite d’après un tableau ou un dessin est originale. Une estampe faite d’après une autre estampe, est une copie.

DRî ORIGINALITÉ . (subst. fem.) Qualité pas laquelle un homme se distingue des autres hommes, & un artiste des autres artistes, par des traits de caractère qui lui sont propres. Quand un artiste fait bien, en dédaignant de marcher servilement sur les traces des autres ; quand le caractère particulier qu’il imprime à ses ouvrages, est pour l’art une nouvelle acquisition, une nouvelle richesse, son originalité est louable, & prend même le nom de génie. Quand il ne s’écarte de la voie commune que pour s’égarer, quand il fait moins bien que les grands maîtres, en se piquant de ne pas faire comme eux, son originalité est vicieuse, & prend le nom de bisarrerie. (L.)

ORIGINE Naturelle de la peinture (*) Si l’on cherche l’origine naturelle ou essentielle de la peinture, je veux dire, celle qui est fondée inaltérablement sur la nature de l’homme ; & si l’on veut appercevoir la destination universelle & également inaltérable de cet art, il faut examiner quels sont les besoins & les penchans universels de l’homme, soit qu’il vive en petites sociétés, soit que réuni à un grand nombre, il devienne membre de ces assemblages immenses qu’on désigne par les noms de peuples & de nations. Il faut encore observer en parcourant l’histoire, qu’il est des institutions remarquables, en ce qu’elles s’établissent dans quelque forme de société que les hommes vivent.

Il est nécessaire enfin de reconnoître que les arts libéraux, au nombre desquels la peinture, collectivement avec plusieurs autres branches du dessin, se trouve comprise, sont des langages, & essentiellement les langages sont des institutions attachées à l’état de société indispensable à l’homme. Je crois avoir ouvert le premier la route qui peut conduire à ces notions intéressantes : si ce sujet est au-dessus de mes forces, des esprits plus éclairés que le mien rectifieront mes idées, ou leur donneront l’étendue & la clarté nécessaires.

L’historique de la peinture consiste dans quelques fragmens que les hommes studieux ont recueillis & rassemblés en lisant les écrits des anciens, & en appuyant sur les monumens


antiques qui existent encore, les connoissances qu’ils y ont puisées.

Ces témoignages prouvent effectivement d’une manière indubitable, que la peinture, ainsi que les arts qui ont des rapports avec elle, remonte à-peu-près, à ce que nous nommons une grande antiquité.

Cependant il faut observer qu’il ne reste que des fragmens des peintures les plus anciennes, & un nombre plus considérable, à la vérité, de tableaux déterrés de nos jours dans les ruines d’Herculanum, mais dont la plupart sont altérés. D’où il résulte que l’historique de la peinture & les monumens de cet art que nous possédons, sont assez inutiles aux progrès des modernes & à l’instruction des artistes ; ils sont même insuffisans pour contenter la curiosité raisonnée des esprits qui comparent ces fragmens de travaux de deux ou trois nations anciennes seulement avec la masse générale des hommes, avec le nombre de peuples, qui, depuis si longtemps, couvrent successivement les différentes parties de la terre, & avec la somme des temps, qui paroît à ceux qui la considerent philosophiquement, ce que paroît à un Navigateur au milieu d’une mer immense, l’étendue des eaux qu’il croit sans limites.

Au reste, les savans qui ont parlé le plus des arts, & je pense qu’on ne peut guére nommer que Pline, n’ont pu sans doute donner, faute de matériaux, plus d’étendue qu’ils ne l’ont fait aux notions historiques qu’ils nous ont transmises.

L’Art du dessin est la base & le principe de la sculpture, de la peinture & même de l’architecture mais je dois me restreindre à la peinture & à la sculpture, considérées comme provenans de l’art du dessin.

Quels sont donc les élémens de l’art du dessin ? le lecteur avec un peu de réflexion répondra en me prévenant :

Les élémens de l’art du dessin sont des lignes droites, courbes, de toutes les espèces & de toutes les courbures possibles, qui, employées avec attention, avec adresse, avec intelligence, & combinées entre elles, parviennent à imiter les formes des objets naturels & visibles. Je me ferai maintenant une seconde question plus embarassante, sur la réponse de laquelle je serois surpris d’être prévenu, parce qu’elle suppose & exige des observations. La voici ;

A quoi tient en nous, que tous les hommes apportent en naissant la faculté & la nécessité de créer les arts ? à quoi, dis-je, tient dans chaque individu le penchant déterminant de tracer ces lignes & ces traits imitatifs qui constituent l’art du dessin ? Après avoir observé & réfléchi,

Dddd

n*

O R I il ma paru évident qu’il dérive immédiatement de la pantomime.

La pantomime est, comme je l’ai fait observer, le premier des langages & le premier des arts ; c’est la pantomime qui nous excite & nous induit sans cesse à donner une apparence visible & même durable aux lignes & aux traits qu’elle trace en l’air avec les mains, les bras, les mouvemens du corps aux moindres désignations qu’elle veut communiquer & transmettre.

Sans entrer ici dans une foule de preuves de cette assertion, mettons le lecteur, peut-être surpris de sa nouveauté, sur la voie des faits qui peuvent lui en prouver la vérité.

Qu’on se représente donc le sauvage ignorant la langue d’un homme qui aborde son rivage, & qui veut par des signes, obtenir des notions dont il a besoin. Le sauvage attentif observe ; & s’il croit avoir compris & qu’il euille indiquer quelque distance ou désigner quelqu’objet, il forme avec ses mains & ses bras des lignes de toute espèce, qu’il dessine, pour ainsi dire, dans le vague de l’air, & à l’aide desquelles il communique à l’étranger une idée des formes, des distances ou des dimensions caractéristiques des objets & même des courbures du chemin qu’il a dessein de désigner : s’il veut indiquer la mer, ses bras étendus forment en se raprochant de lui, des courbes successives qui désignent les ondulations des flots : nous conservons toujours, dans quelqu’etat de civilisation que nous soyons parvenus, des traces de cette génération de l’art du dessin. Les artistes peuvent à tout instant être surpris dessinant pantomimement les objets qu’ils décrivent ou dont ils s’occupent : les pantomimes fameux perfectionnés par l’étude ne méritent une grande réputation, qu’autant qu’ils dessinent exactement & avec la plus grande justesse, par leurs gestes & leurs mouvemens, les objets qu’ils veulent représenter.

C’est d’après ces observations qu’il faut se rappeller le penchant stimulant qui incite l’homme à donner de la durée à ce qui est instantané.

Les productions de trois des six arts libéraux sont passageres, instantanées, & ne laissent aucune trace visible & palpable de leur existence. Ces arts sont la pantomime, les sons articulés & les sons modulés ; les productions des trois autres sont plus ou moins durables, & tombent sous le sens de la vûe & du toucher ; ce sont la sculpture, la peinture & l’architecture. Jai dit que l’homme étoit naturellement & puissamment incité à donner, autant qu’il lui étoit possible, aux arts d’une de ces classes les qualités distinctivement propres à ceux de l’autre, c’est-à-dire, aux productions momentanées, une


durée quelconque d’existance ; & aux ouvrages durables, l’esprit que peut communiquer aux autres la rapidité avec laquelle plusieurs sont aussî-tôt produits que conçus. Il est naturel à la curiosité de l’esprit méditatif de démêler quelle pourroit être la cause de ce penchant si fécond en espéces de miracles, qui nous frappent & nous étonnent tous les jours dans les inventions dont les hommes enrichissent les sciences & les arts.

Peut-être me pardonnera-t-on, par cette raison, d’offrir des conjectures tirées d’un ouvrage auquel une foible santé & d’autres occupations ne m’ont pas permis de me livrer entiérement. L’homme, je l’ai dit, est nécessairement excité à exprimer & à communiquer à ses semblables ce qu’il éprouve au dedans de lui pour obtenir les secours qui lui sont nécessaires dans une infinité de circonstances ; il cède avec plaisir au penchant plus doux, qui l’invite à imiter, même sans une nécessité absolue, les objets qui lui plaisent ou qui l’intéressent.

De ces divers principes naît enfin, ou plutôt s’allume un desir inquiet & curieux de connoître, desir plus ou moins apparent, plus ou moins actif, mais universel & essentiellement attaché à notre nature physique & intellectuelle. Tels sont les motifs de presque toutes les opérations de l’intelligence & de l’industrie des hommes.

En effet, si vous les observez lorsqu’ils ne sont pas abrutis par la plus épaisse ignorance, ou anéantis par l’excès des travaux, des besoins, déchirés par les douleurs, ou totalement égarés par le délire des passions, vous appercevrez qu’en toute occurrence, à toute occasion, ils interrogent la nature, ou qu’ils s’occupent de l’imiter. S’ils l’interrogent, ils sont sur la voie de toutes les sciences.

L’idée seule de l’imiter les met sur la route de tous les arts.

Mais quelle est à son tour la cause interne & sourdement active de ce desir de tout connoître & de ce penchant à tout imiter ?

C’est un instinct universel qui sollicite chacun des hommes à surmonter les contrariétés attachées indélébilement à sa nature. L’homme tourmenté par le peu de proportion & d’egalité de ses sens entr’eux, par les imperfections diverses de ses organes, par les bornes de ses facultés, est continuellement pressé du desir de les rendre plus égales, mieux assorties, & plus parfaites. Borné dans la sensibilité du tact, soumis dans l’usage de sa vue aux vicissitudes de la lumiere, passif à l’égard de son odorat ; tâchant, mais en vain, de retenir des sons fugitifs qu’un souffle enlève & porte loin de lui ; hésitant sur l’impression, & plus encore sur la nature des objets qu’il soumet à son goût ;

O R I

comparant sans cesse ses facultés les unes aux autres, toujours blessé dans ces comparaisons par une discordance & des disproportions qui le contrarient, le fatiguent & l’humilient, il s’efforce d’établir un accord, une égalité qui lui paroissent le terme de sa perfectibilité. Mais dans cette entreprise, si l’intelligence & l’industrie lui prêtent des secours qui flattent son espérance, elles ne lui en donnent jamais assez pour épuiser ses desirs & suspendre ses efforts.

En effet, non seulement les imperfections des sens dont je viens de parler lui sont éprouver des contrariétés : mais combien ses intentions méditées en renouvellent & en varient sans cesse le nombre ? L’homme veut mouvoir un corps, sa force est arrêtée par la pesanteur de la matiere ; il veut au moins l’ébranler, elle résiste si l’industrie ne le secoure : sa volonté prompte & exigeante ne trouve à employer qu’une puissance tardive & foible ; il apperçoit avec rapidité l’objet qu’il ne peut atteindre que lentement. Quelle disproportion entre la vélocité dont s’élance son regard & la langueur dont se traine son action ! entre l’étendue qu’il embrasse par la pensée & l’espace borné qu’il occupe ! Il se meut, son intention l’a devancé ; il se dirige vers un but avec toute la vîtesse dont il est capable ; ses desirs qui l’ont atteint se précipitent déja vers un autre ; les objets dont la possession le flatte, se détruisent ; il y a attaché son affection, ils s’évanouissent. Le desir se reproduit aussi-tôt qu’il est satisfait ; le plaisir disparoît à l’instant qu’on le goûte. Sans cesse des effets qui pressent l’homme d’augmenter certaines facultés pour les rendre égales à d’autres, de rendre durable ce qu’il voit lui échapper & se perdre, de prolonger des souvenirs, d’adoucir des regrets, de rappeller des jouissances ; par-tout enfin des motifs qui excitent, qui nourrissent le desir de connoître & le penchant à imiter. C’est par l’effet de ces inégalités indestructibles, de ces contrariétés toujours renaissantes, que les hommes tourmentés d’une peine utile, ouvrent par-tout & sans cesse la carriere des sciences & des arts.

Si l’on pense que ces détails de la marche naturelle de l’intelligence humaine m’ont trop entrainé, il faut se rappeler que l’origine historique de la peinture, ne m’offroit aucun moyen de suivre & de faire connoître l’apparence même de ses premiers pas : essayons de la rencontrer, en découvrant, chemin faisant, encore quelque raison de la différence que je trouve entre la marche de la peinture & de la sculpture : on doit en soupçonner quelqu’une ; car ces deux arts étant fils d’un même pere (l’art du dessin), on a dû s’attendre à les voir marcher également. Mais


examinons si la peinture ne contiendroit pas quelques -uns de ces obstacles qui agissent pour ainsi dire sourdement, sans qu’on s’en apperçoive, & qui suspendent & rallentissent nécessairement ses premiers pas & ses premiers progrès. Pour cela, rapprochons l’une de l’autre les définitions de la peinture & de la sculpture.

La sculpture est l’art de rendre ou d’imiter des formes d’objets visibles & palpables par des formes de matieres quelconques, également visibles & palpables.

La peinture est l’art d’imiter des objets visibles avec le secours de la couleur, ou, pour être plus exact, avec le secours de plusieurs couleurs. On est aisément frappé, pour peu qu’on réfléchisse sur ces deux énoncés, d’une différence essentielle ; car imiter des formes visibles & palpables par des formes qui tombent pareillement sous les sens de la vue & du toucher, c’est une maniere simple d’imiter, dans laquelle on peut comparer l’imitation & le modele, dans laquelle, à l’aide du toucher, on peut apprécier leur plus ou moins de conformité, dans laquelle enfin des mesures peuvent être employées pour vérifier la conformité des dimensions ; mais imiter les objets visibles, palpables, au moyen des couleurs qui, étendues sur des surfaces, n’offrent à la main aucune forme palpable, c’est évidemment un art moins simple ; l’un imite les formes par des formes, le relief par le relief ; l’autre imite des formes par des apparences de formes, & le relief par des illusions & des artifices ingénieux qui manquent de réalité. Ce n’est pas tout ; car aussi-tôt que l’imitation essaie d’employer les couleurs, elle rencontre une source inépuisable de difficultés que lui oppose la variation ou progressive ou accidentelle de la lumiere, qui se répand & se varie sans cesse sur tout les objets visibles, ou y répand & y varie l’ombre qui n’est que la privation de la lumière. Je n’entrerai pas, & ce n’est pas le moment, dans les détails que présente cette source trop féconde d’obstacles qui embarrassent les artistes-peintres les plus habiles jusques dans leurs plus grands progrès, & je reviens à examiner à leur tour les exemples que la nature a semblé vouloir offrir aux hommes pour nourrir leur émulation, & servir même de modele à leurs imitations.

Le peintre, c’est-à-dire, celui qui employe des couleurs, guidé par l’art du dessin, trouve, il est vrai, les objets naturels colorés ; son adresse & son industrie peuvent parvenir à composer avec des teintures naturelles, formées du mélange de terres solubles dans l’eau, ou bien de dissolutions de parties métalliques que la nature offre abondamment, le moyen d’assimiler la nuance de ces couleurs, par exemple, à celle

Pddd ij

580

O R I

du verd dont les feuilles sont teintes ; mais alors c’est la teinture qu’il essaie & qu’il découvre, & ce n’est pas la peinture : la nature opére bien de même ; mais sa teinture se change naturellement en peinture par les effets variés que lui fait éprouver la lumiere en raison de ses accidens, & en raison des formes & des plans des objets ; au lieu que la teinture qu’aura employée celui qui cherche à imiter les objets avec la couleur qu’il a bien assortie, en se guidant, pour les formes visibles, par les traits & les lignes que lui prête l’art du dessin, cette, teinture, dis-je, ne reçoit qu’un effet uniforme de la lumiere, & n’indique ni relief, ni plans différens. Invoquerons-nous ici la réflexion des objets dans une eau limpide, qui est sans doute le plus parfait modèle de la perfection de la peinture, considérée jusques dans le libéral ? Helas ! c’est un modèle indéchiffrable pour ceux qui essaient leurs premiers pas dans la carriere d’un des arts les plus difficiles qu’il y ait à exercer avec de véritables succès. En effet, toutes les illusions que l’art est obligé de créer se trouvent rassemblées dans une eau tranquille, pure, cristalline, ainsi que sur le miroir sans défaut ; & les détails de perfection y sont poussés si loin, qu’on doit désespérer, avec juste raison, d’y atteindre, qu’il faut même que les artistes craignent de s’y attacher trop.

Voyons présentement les exemples, les incitations qu’offre aussi la nature à l’homme qui veut faire les premiers pas dans l’art d’imiter les formes par des formes.

Eh ! dans quel climat, on diroit presque dans quel lieu ne se présente-il pas à lui une terre propre, au moins accidentellement, à favoriser le penchant dont le premier principe, comme je l’ai dit, est dans l’essence de l’homme ? Cette terre amolie par la pluie, pénétrée de rosée, se prête sous les doigts qui la pressent à recevoir les formes que l’homme veut lui donner. En retenant la trace de ses pas, elle le fait appercevoir de sa docilité ; enfin les moyens les plus faciles se présentent à lui dans les lieux qu’il choisit le plus souvent pour son repos.

S’arrête-t-il aux bords des ruisseaux, on des fontaines ; ces lieux ombragés & frais lui offrent le plus ordinairement une argile pâteuse, douce & flexible qui, cédant sans effort à l’impression de sa main, dont elle retient jusqu’aux moindres linéamens, éveille en lui le desir d’imiter, & même dans l’art de modeler porté à sa plus grande perfection, elle conserve encore le droit d’être consacrée à l’imitation des formes. La cire s’offrira presqu’aussi naturellement à l’homme imitateur, pour satisfaire son penchant, que le miel qu’elle renferme s’est offert pour contenter ses besoins.


Si, d’une autre part, l’homme veut enfin tracer, ou légérement, ou plus profondément sur une surface, le contour de l’objet que l’ombre vient présenter à ses yeux, secours commun à la peinture & qu’on lui donne pour première origine ; une branche éclatée qui forme une pointe, une arrête de poisson, une pierre tranchante, une plume d’oiseau, même, ne se presentent-elles pas sous sa main à l’envi ? le sable mouillé, la terre amolie, l’écorce tendre des jeunes arbres, le bois applani, une pierre crayeuse, lisse & docile ; tout ce qui l’entoure enfin se transforme en moyens si faciles, si abondans, si simples, qu’on peut les joindre aux moyeus plus immédiatement attachés à l’homme, tels que si l’on peut parler ainsi, la fidélité & la mémoire exacte du sens de la vue, lorsqu’il est exercé, & l’agilité ainsi que l’adresse des mains ; dons que la nature nous distribue, il est vrai, inégalement ; mais de maniere que tous les individus participent à des bienfaits si importants. Voila un tableau fidele qui, dans son résultat, offre moins de facilités aux premiers essais de la peinture qu’à ceux de la sculpture. La peinture ne peut donc accorder sa marche avec celle de sa sœur.

L’art du dessin, si informe dans ses premiers temps, ce qui doit être & sera dans tout pays où l’art du dessin essayera de germer, ou dans lequel il prendra naturellement racine, désignoit seulement les premiers traits des figures par des lignes simples & pour la plupart droites.

On doit bien aisément penser d’après l’origine naturelle de l’art du dessin, qu’il n’est pas possible que ses premiers essais soient plus compliqués : ils doivent être à-peu-près les mêmes, dans quelque lieu qu’il soient tentés, & quel que soit l’individu qui les fasse ; car si l’on examine ce que sont le plus naturellement les traits que la pantomime, dans sa plus grande simplicité, suggère à la main qui entreprend de désigner un homme, par exemple, on voit que c’est toujours une ligne droite perpendiculaire, surmontée d’un rond qui indique la tête, que deux autres lignes indiquent les bras & deux autres les jambes. Les preuves de ces informes essais se présentent tous les jours à nous dans les amusement des enfants & des hommes qui sont à-peu-près dans la classe de l’homme de la nature, quoique faisant partie des sociétés les plus instruites. Sur quoi j’engage mes lecteurs à observer que nous pouvons souvent supléer aux peines infinies qu’on prend de parcourir des pays inconnus, ou nouvellement découverts, pour étudier l’homme dans sa nature ; en effet je ne pense point qu’il y ait de royaume en Europe, où l’on ne puisse rencontrer un prodigieux nombre d’hommes, qui, sans participer aux idées de ceux de leurs pareils, O R I qui forment des classes plus instruites ou plus façonnées, ne sont que ce que la nature fait les hommes de tous les pays : on peut porter plus loin cette réflexion, & remarquer qu’il y a une quantité d’especes de peuplades dans les lieux incultes & moins accessibles, moins susceptibles, par conséquent de fréquentations & de communication d’idées, où l’on apperçoit la marche presqu’imperceptible des grandes institutions.

Il ne faudroit donc peut-être qu’avoir la patience de s’y introduire, d’y-être adopté, d’y séjourner, d’y observer enfin, pour étudier profondément l’homme en lui même, sur-tout en joignant à ces études, celle de l’enfance, qui, malgré tout ce qu’on lui suggère, est toujours, pendant un plus ou moins longtemps, presque l’ouvrage de la seule nature.

Je reviens aux lignes simples & droites que la pantomine fait tracer d’abord à la main, & qu’un penchant, dont nous avons déjà parlé plus d’une fois, nous excite à rendre visibles, palpables & moins fugitives. Si je m’arrête à cette époque, c’est qu’elle me semble être celle d’une des inventions les plus nécessaires à l’homme, & qui étonne davantage lorsqu’elle est perfectionnée ; je veux dire l’écriture. La marche toute extraordinaire des commencemens de cet art dans l’Egypte a fixé mon attention, & le résultat de mes réflexions est de penser que c’est de l’art du dessin au berceau & n’ayant point perdu le caractère de la pantomine, que doivent naturellement naître la plus grande partie des premiers signes employés par les hommes pour consigner, d’une manière visible & durable, des désignations qu’ils veulent préserver de l’oubli. Ces réflexions, que je me suis permises, m’ont conduit plus loin encore, relativement aux anciens Egyptiens ; je me suis représenté, d’après des notions historiques, ce peuple déjà gouverné despotiquement par des Rois, qui étoient eux-mêmes prêtres & vraisemblablement chefs de la religion : j’ai pensé, comme la suite de leur histoire le fait appercevoir, que l’institution religieuse étoit alors la seule qui eût une influence décisive ; point d’institution patriotique, le pouvoir absolu lui est absolument contraire ; point de culte héroïque, les héros effrayent les despotes. Il m’a semblé voir encore que le culte, qui sans doute avoir été établi sans systême général, avoit le caractère absolument mystérieux ; & il me semble que ces premiers & informes essais de l’art du dessin, ces traits qui représentoient à si peu de frais des figures humaines par deux simples lignes surmontées d’un rond pour le corps & la tête, par deux autres lignes pour les bras, & encore deux lignes pour les jambes ; il m’a paru, dis-je, que ces productions imparfaites


auxquelles il faut joindre des esquisses grossières d’animaux, d’astres & de plantes, convenoient parfaitement aux Prêtres, pour y ajouter à leur gré des sens allégoriques & mystérieux : ils ne donnoient à connoître ces secrets qu’à ceux qu’ils en croyoient dignes & au dégré où ils vouloient les initier. Ils s’étoient assuré, d’après ces moyens, un sublime respect que nous voyons, helas ! souvent encore accordé dans les sociétés éclairées, & de nos jours, par des hommes nés spirituels & intelligens, à des illusions moins imposantes. Les Egyptiens, à qui l’exercice des arts étoit défendu, dont le pays étoit en quelque façon fermé, vivoient privés des grands moyens qui portent les hommes à s’éclairer ; ils n’étoient employés que comme des artisans pour exécuter les volontés de leurs despotes, & construire, par exemple, ces masses énormes de bâtimens que nous allons admirer.

La sculpture en relief & en cieux, commandée par le despotisme, étoit condamnée à représenter des monstres, des animaux, sous les conditions serviles imposées, pour que ces représentations s’accordassent avec les profonds mystères qu’on déroboit à presque toute la nation. La peinture, comme les autres arts, arrêtée par tant d’obstacles accumulés, étoit donc forcée d’attendre que les entraves de l’esclavage religieux & despotique, enfin modérées, leur laissassent au moins quelque liberté sur le choix des modèles : ce tems arriva. Les communications avec la Grèce furent ouvertes ; ce beau pays étoit aussi gouverné par des Rois ; il y eut sans doute en faveur de ce peuple des transmissions de connoissance & d’inventions de la part des Phéniciens, avec lesquels les Grecs commerçoient ; des auteurs assurent que c’est ainsi que sont venues aux Egyptiens les premières lettres apportées par Cadmus. C’est ici qu’il n’est pas hors de propos de croire que l’idée des signes des pensées, qui sans doute, chez les Grecs, avoit été ébauchée comme en Egypte, & comme elle le sera dans tous les tems, n’ayant pas été gênée par ce despotisme sombre, sous lequel elle avoit été asservie en Egypte, ni par la privation imposée des connoissances qu’on peut acquérir, n’a pas eu pour but d’imiter des figures monstrueuses, sur lesquelles on pût bâtir des allégories & des sens cachés. Les désignations des Egyptiens tendoient à représenter grossiérement les objets pour les indiquer à l’esprit, & à faire servir les représentations de choses corporelles à peindre même les idées intellectuelles : mais les Grecs plus actifs, plus subtils, plus portés aux efforts du génie, eurent pour but, à l’aide des secours qu’ils empruntèrent, de former des assemblages & des combinaisons de signes qui exprimassent non pas des idées, mais les sons

ORI par lesquels les hommes se communiquent mutuellement leurs idées. Ce fut ainsi qu’ils parvinrent, par les combinaisons infinies d’un très-petit nombre de signes, à exprimer toutes les modifications de la pensée. Ils ne furent donc pas obligés d’imiter grossiérement les objets de la nature pour les faire servir de signes de leurs idées, & en composer une écriture hiéroglyphique. Ces imitations ne devenant plus absolument nécessaires, furent traitées avec ce soin que l’on donne à l’agréable & au superflu, & l’art fut porté par dégrés à sa perfection.

Mais nous venons de franchir en quelques lignes un espace immense. Retournons aux premiers essais de la peinture, ou plutôt du dessin ; essais qui ne consistoient, comme nous l’avons dit, qu’à tracer quelques, lignes droites surmontées d’un rond pour indiquer la figure d’un homme, &c.

Après en être venu a ce point, & avoir ainsi ébauché grossiérement les formes, on s’apperçut que dans la nature ces formes étoient colorées, & l’on voulut en imiter les couleurs. Cette imitation fut plutôt une teinture qu’une peinture proprement dite. On vouloit imiter un objet rouge, & on croyoit l’avoir en effet bien représenté, en étendant bien également une couche de couleur rouge, sans faire attention aux dégradations qu’offroit, dans la nature, l’objet coloré, dans sa lumière, dans ses demi-teintes, dans son ombre, dans ses reflets. C’est de cette manière que sont peintes, ou plutôt enluminées, les bandelettes des momies. Cette enluminure, se retrouve aussi sur les vases étrusques & campaniens.

Mais je suppose ici que les premiers artistes commencèrent à employer des couleurs broyées dans une eau impregnée de colle, & que j’appelle couleurs humides. C’est peut-être encore leur supposer de trop rapides progrès., & je suis porté à croire que leurs premiers essais en peinture consistèrent à employer, telles qu’ils les trouvoient, les substances colorées, que j’appelle des couleurs sèches.

La nature leur offroit partout les modèles de cette peinture, & ces modèles en devenoient pour eux les matériaux. Ils les trouvoient dans les fleurs qu’ils pouvoient rapprocher & combiner à leur gré. Ils les trouvoient dans les plumes colorées des oiseaux, qui forment sur quelques espèces, les plus agréables marqueteries. C’étoit avec des plumes d’oiseaux découpées & collées, que les Mexicains faisoient leurs tableaux. Ils les trouvoient sur la peau des serpens, dans les poils de plusieurs quadrupèdes, dans les pierres, les marbres, les cailloux, les coquilles. Ce sont de semblables matériaux qui ont dû former la pa-


lette des premiers peintres. Les premières peintures ont été des espéces de broderies, de marqueteries, de mosaïques.

Mais quelle cause les déterminoit ? L’amour de la variété, qui est si naturel à l’homme ; la vanité qui lui est aussi naturelle. La plus petite société a eu ses chefs ; ils ont voulu se distinguer par des signes remarquables, & ils les ont empruntés à ces premiers essais de peinture.

Voilà donc une première distinction visible établie entre les hommes. Voilà aussi un premier caractère de ce que je désigne sous le nom de peinture ou couleur sèche. Mais ce qu’on n’apperçoit pas d’abord, & ce qu’on a peine à concevoir, c’est le nombre inépuisable de modifications qui sortent de cette manière de colorer. Différens arts ont conservé, dans les sociétés policées & perfectionnées, plusieurs de ces inventions des sociétés naissantes & sauvages.

Telles sont les industrieuses dispositions de différens bois dans la marqueterie, de différentes soies dans la broderie & la fabrique des étoffes, de différens cailloux dans la mosaïque, de différentes coquilles dans… (Article de M. Watelet.), que la mort l’a empêché de terminer.)

ORNEMENS . (subst. masc. plur.) L’art d’orner, de décorer est proprement du ressort de l’architecture. Il est donc nécessaire que le peintre fasse une étude de l’architecture, pour en emprunter les décorations qui conviennent aux scènes de ses tableaux. S’il regne un mauvais goût de décoration dans le temps où un peintre fait ses ouvrages, & qu’il sacrifie à ce goût vicieux, il imprime pour l’avenir une tache à ses productions, quelque mérite qu’il ait d’ailleurs : s’il est simple dans sesornemens, il n’aura pas à craindre ce danger.

On a répété souvent dans ce Dictionnaire, que le peintre, le sculpteur ne sauroient être trop sobres d’ornemens dans ceux de leurs ouvrages qui ont de la grandeur, & qui doivent plaire surtout par la justesse de l’expression. Les détails de décoration partageroient toujours l’attention des spectateurs & nuiroient à l’objet principal. C’est toujours cet objet qui doit faire le premier & le véritable ornement d’un ouvrage. Toutes les décorations accessoires ne doivent y tenir qu’un rang très-subordonné. Le peintre doit savoir décorer ; mais son but ne doit jamais être de se montrer décorateur. Que surtout il ne partage jamais tellement son sujet entre l’objet principal & la décoration, qu’on puisse douter s’il est plutôt peintre d’histoire que de décoration & d’architecture.

O U T Les grands maîtres ont su indiquer de três-belles scènes en montrant seulement des parties de colomnes, de portiques, &c.

Avant de s’appliquer à décorer la scène, il faut chercher si elle s’est passée dans un siècle de luxe, chez un peuple fastueux. On a bien des tableaux dans lesquels brille une richesse qui est une véritable faute contre l’histoire.

Il faut favoir aussi quel étoit le genre d’architecture & de décoration dans le siècle & chez le peuple où se passe la scène.

C’est tomber dans le mesquin, que de s’arrêter à finir & dérailler des ornemens qui doivent à peine être apperçus du spectateur, & dans le mauvais goût que de vouloir trop attirer son attention sur ces détails. Voyez l’article DÉTAILS.

Le genre d’apparat permet la recherche des ornemens ; mais il est très-inférieur au genre expressif.

Orner la scène n’est point la traiter. L’homme de génie suit son grand objet : il remarque à peine les accessoires & les fait à peine remarquer.

Il est aisé de démontrer que les ornemens sont même contraires à la nature dans un sujet intéressant. Snpposez que vous ayez été témoin de l’instant où Esther parut devant Assuérus ; que vous ayez vu cette Princesse tomber évanouie, ses femmes frappées de terreur, le Prince attendri ; croyez-vous qu’en ce moment vous eussiez bien remarqué la décoration & les ornemens du sallon où se passoit la scène ? Ces détails doivent exciter aussi peu votre attention dans le tableau, & si le peintre s’occupe à vous les faire admirer, qu’il s’attende à ne pas faire sur votre ame l’impression qui doit être l’effet de son art. (L.)

OUTRÉ (adj.) Ce terme signifie une exagération excessive & choquante. Dans la peinture, il se dit ; relativement à la forme des objets, à leurs dimensions, à l’action des figure, à leur expression. On s’en sert aussi en parlant de la couleur, & si l’on dit le geste, l’action, les proportions de cette figure ou de ces figures sont outrés, on dit aussi, le coloris de ce peintre est outré.

Les figures peintes & les acteurs d’une ; scène au théâtre ont de grands rapports. Aussi employ-t-on la même manière de s’exprimer, lorsqu’on parle d’un comédien & d’un peintre qui passent les bornes de la vérité dans leurs imitations ; mais le comédien est au moins retenu par son organisation, dans les mouvemens outrés, auxquels il pourroit s’abandonner ; sa structure se refuse à des dislocations de membre, auxquelles l’on voit souvent que ses


prétentions à l’expression & des idées fausses de son art l’entraîneroient, si la nature ne s’y opposoit ; au lieu que le peintre fait prêter, autant qu’il le veut, les articulations de ses figures aux idées exagérées auxquelles il se livre.

L’Anatomie devroit cependant être un frein aussi respecté par le peintre qu’il est puissant pour le comédien ; mais trop souvent le peu de connoissances approfondies de l’artiste, ou l’essor déréglé de son imagination, lui sont estropier ses figures, & affoiblir, par le ridicule & l’invraisemblance, l’ex pression qu’il a voulu rendre forte, énergique, & qu’il n’a rendue qu’exagérée & outrée.

D’après les connoissances de l’anatomie & de la pondération, on peut se convaincre que les bras, les jambes, le corps ne peuvent comporter que certaines extensions ; mais il est moins de spectateurs encore que d’artistes en état de démontrer les bornes véritables des mouvemens du corps humain ; d’ailleurs la toile, ainsi que le papier & la preffe, souffrent tout, & il résulte de ces causes que l’outré se rencontre plus fréquemment encore dans la peinture que sur nos théâtres ; mais les acteurs qui tombent dans ce défaut, se dédommagent de l’exagération des mouvemens, qu’ils ne peuvent porter aussi loin qu’ils le destreroient, par des accens & des cris si outrés, que la réunion de ces deux excès parvient à surpasser celui des peintres outrés, qui tout au moins ne peuvent blesser les oreilles, comme ils blessent les yeux.

On pourroit se convaincre que le plus souvent, chez les uns & chez les autres, c’est la foiblesse qui les porte à se montrer plus outrés. Les peintres, dont l’imagination manque de force, croyent par l’exagération, montrer de l’énergie, comme les acteurs foibles croyent réparer, par des cris, la foiblesse de leurs moyens & celle de leur talent.

Si l’artiste & le comédien sont outrés par défaut de connoissances, ils ont la ressource de celles que l’étude & l’exercice de l’art peuvent & doivent leur donner. La crainte de ne pas réussir, la défiance de son talent, peut porter quelquefois à exagérer ; mais l’outre qui vient du caractère est, dans les arts, une sorte d’insolence, & si l’on voit quelquefois les hommes nés timides devenir hardis, l’on ne voit jamais les insolens se corriger.

Au reste, il y a une nuance assez fine à observer. Les transports des véritables passions forcent quelquefois, pour ainsi dire. bornes imposées à la nature. Il y a des circonstances où les mouvemens de l’ame ajoutent quelque chose qu’on pourroit regarder comme surnaturel, à la puissance du corps & à celle de l’esprit. Ainsi l’artiste de génie pourroit peut-être être se permettre, dans les grands mouvemens que produisent les grandes passions, quelques légères nuances d’une exagération qui ne peut cependant être autorisée que par un talent supérieur ; mais si cette infraction aux lois de la


raison, aux principes de l’anatomie & de la pondération, peut être quelquefois pardonnée d’après son succès, elle ne peut être ni de précepte, ni de conseil pour les artistes. (Article de M. Watelet.)