Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Extrémités

Panckoucke (1p. 279-282).
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EXTRÉMITÉS (subst. fém. plur.). On entend par le mot extrémités, dans le langage de la peinture, les mains & les pieds. La tête devroit sans doute y être comprise ; mais comme elle s’est emparée presque entièrement du droit de caractériser les perfections qu’elle rend plus sensibles, & d’exprimer les affections par un jeu plus varié & plus multiplié des muscles que toutes les autres parties, on la met dans une classe particulière.

Les mains & les pieds sont cependant des organes d’expressions qui, bien accordées avec celles du visage, contribuent infiniment à caractériser & à rendre plus vraies les figures que le peintre s’efforce de nous présenter comme vivantes.

Les extrémités sont susceptibles de graces ; elles expriment à leur manière la joie, la douleur, & entraînent le plus souvent le reste du corps dans leurs mouvemens, en sorte qu’elles en déterminent les positions, les attitudes & la pondération.

Voyez au théâtre un excellent pantomime ; la liberté plus entière que donne son silence d’observer avec attention toutes les parties de son corps, vous font remarquer combien l’accord parfait de l’impression de toutes les parties, & sur-tout des pieds & des mains, contribue à la vérité qui vous attache, ainsi qu’à l’éloquence & à l’énergie du jeu muet. Il est inutile de s’arrêter à établir combien la peinture se rapproche de la pantomime. Quant à la grace, il est aisé d’observer encore combien les détails de la conformation des mains, que la nécessité de leur usage offre sans cesse à nos yeux, les rend susceptibles d’agrémens.

Aussi l’imitation savante & fine de ces beautés contribue-t-elle infiniment à rendre agréables les tableaux des peintres qui, les ayant étudiées, les rendent sensibles dans leurs ouvrages. C’est ainsi qu’une Vierge du Guide ou de l’Albane s’embellit aux yeux de ceux qui la regardent lorsqu’on observe les justes proportions de ses doigts finement étagés & d’une main doucement arrondie, dont les muscles forment dans les points où ils s’attachent de légères cavités, pour désigner, par les formes les plus agréables, ce que les articulations & la nature des os pourroient donner de sécheresse aux mouvemens. La nature a formé les pieds sur les mêmes principes, & leur a donné les mêmes moyens de contribuer à la perfection générale par les beautés de leurs formes & la variété de leurs différentes parties : mais l’usage s’oppose parmi nous aux études qui seroient nécessaires aux peintres pour faire un plus fréquent emploi de ces sources d’expressions & de beautés. Ils ne trouvent presque jamais pour objets de leurs études que des pieds plus ou moins déformés par les loix de la mode, & par l’art des cordonniers, tous plus ou moins habiles à détruire la nature.

La nécessité nous contraint à couvrir nos pieds de manière à ne pas laisser même entrevoir leurs formes, & l’usage, ou plutôt l’abus & l’extravagance d’une prétention mal entendue, conduit sur-tout les femmes à défigurer ces parties, sans que les douleurs habituelles & les inconvéniens qui en résultent, puissent l’emporter sur les faux préjugés qui se sont établis.

Et comment, si la gêne & les douleurs ne les détrompent pas, pourroit-on, par des raisonnemens, persuader à nos belles que l’excessive petitesse des pieds, beauté de convention qu’elles se disputent entr’elles, n’est pas une imperfection moins choquante que le seroit leur grosseur excessive ? Les artistes sur-tout qui connoissent mieux que tout autre cette erreur, plaignent avec intérêt celles sur lesquelles ils desireroient se modeler ; mais ils ne se refusent guère à sourire lorsqu’ils voient un corps énorme se mouvoir en chancelant sur deux pivots disproportionnés, & les femmes perdre & rechercher sans cesse un équilibre pénible, que la moindre distraction ou la moindre opposition les empêche de retrouver.

C’est pour parvenir à cette ridicule démarche que nos femmes, dès leur première jeunesse, détruisent la forme de leurs orteils, & celle des jointures qui attachent les pieds à la jambe. Cet usage barbare a tellement prévalu dans toutes les classes de la société, que si l’on désire d’un peintre ou d’un sculpteur une Vénus entrant dans le bain, ou les Graces telles que la nature en a suggéré l’idée aux artistes de l’antiquité, il fait les plus inutiles recherches pour trouver en réalité ces perfections que tant de modernes Vénus & tant de Graces prétendues croient posséder.

Il résulte encore des absurdités dont je viens de parler, que si nos artistes, fidèles aux proportions consacrées par les plus beaux ouvrages de l’antiquité, donnent aux pieds d’Hébé ou de Flore, la longueur qui doit constituer leur juste dimension, la moitié du public, tout au moins, se croit obligée de blâmer la nature & l’art, plutôt que d’avouer une erreur accréditée.

Voilà ce qui regarde les graces & les proportions des extrémités.

Quant à l’expression, il est facile de conce-


voir au moins combien elles en sont susceptibles, en examinant, comme je l’ai dit, les bons pantomimes & les comédiens, qui ont approfondi leur art, & mieux encore les beaux ouvrages de l’antiquité.

Il faut convenir que les obstacles que mettent nos vêtemens à ce concours d’expression de toutes les parties qui sont destinées à la rendre plus sensible, en ôtent en grande partie la connoissance à ceux pour qui sont destinés les ouvrages de l’art, de manière que ne pouvant les bien juger, leur indulgence entraîne sans doute les artistes à les négliger : mais la nécessité où se trouvent les peintres d’histoire, d’offrir souvent la nature sans voiles, les force cependant à donner aux extrémités des expressions, qui trop souvent ne sont pas fondées sur une étude assez approfondie, & qui se trouvant ou fausses, ou foibles, ou peu d’accord avec celles du visage, affoiblissent plutôt l’effet général qu’elles ne l’augmentent.

Ces artistes qui, pour représenter complétement la douleur, devroient au moins avoir sans cesse sous les yeux le Laocoon, ne sentent ni assez fortement, ni avec assez de justesse, que les affections déchirantes doivent agir sur les extrémités en raison du nombre de charnières & de cordes qui s’y trouvent dans un espace peu étendu. En effet, chaque doigt éprouve sa portion de la douleur qui agit sur l’origine de tous les muscles, & sur le principe des esprits ; chaque nerf exprime & crie, si l’on peut parler ainsi ; & il sembleroit que nos affections portées jusqu’aux extrémités, redoublent de violence, par ce qu’elles ne peuvent s’étendre plus loin.

Il paroît que c’est dans l’intérieur & vers les régions du centre, telles que le cœur & le diaphragme, que les affections pénibles excitent les plus grands orages. Mais si la représentation de ces effets est interdite à l’art dont je traite, la nécessité devient plus grande pour ceux qui l’exercent, d’étudier avec recherche les mouvemens dont je parle, & de les rendre avec une justesse qui produise l’effet que nous fait éprouver dans la nature le concours de toutes les parties qui en sont susceptibles.

Mettez-vous donc eu garde, jeunes artistes ; contre l’exemple & les obstacles qui rendent si communes dans les ouvrages de peinture l’incorrection & la fausse expression des extrémités.

Lorsque vous commencez à dessiner & à peindre, ce sont presque généralement les parties de la figure dont vous négligez le plus l’étude approfondie. Cette étude exige à la vérité des observations justes & exactes sur une quantité de parties mobiles, & de charnières, pour ainsi dire, accumulées : mais elle est indispensable pour parvenir au complément de l’expression. Cependant combien de peintres les dessinent, les disposent & les réprésentent de pratique, & d’après une sorte de routine ! Combien de maîtres se sont reconnoître aux formes toujours semblables & toujours fausses, & aux positions imaginaires des bras, des pieds & des mains des personnages qu’ils mettent en scène ! Combien, si l’on cachoit les têtes de la plupart de leurs figures, ne seroit-il pas difficile, & même souvent impossible, de déterminer à la disposition & aux mouvemens des extrémités, la position des corps de ces figures, &, à plus forte raison, les im-


pressions de leur ame ! (Article de M. Watelet.)

Quand M. Watelet écrivoit cet articles, l’école françoise méritoit en général ce reproche : mais il faut reconnoître qu’aujourd’hui les plus célèbres de ses maîtres, loin de négliger les extrémités, en font l’objet de l’étude la plus soigneuse, & donnent à ces parties route l’expression & toute la beauté dont elles sont susceptibles. (L.)



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F

FABRIQUE, (subst fém.) signifie, dans le langage de la peinture, tous les bâtiment, toutes les constructions dont cet art offre la représentation, soit comme objet principal, ainsi qu’on le voit dans les tableaux d’architecture, soit comme lieu de la scène & ornement du fond d’un tableau d’histoire, soit enfin comme richesse & embellissement des paysages.

Ce mot réunit donc, dans le sens étendu qu’il présente, les palais & les cabanes ; mais par une singularité attachée à quelques arts d’imitation, tandis que, dans la réalité, on admire les beaux édifices, & qu’on regarde avec dédain les masures ou les chaumières, on voit souvent avec assez d’indifférence la représentation d’un palais. L’artiste qui la met sous nos yeux nous ennuie, tandis qu’on se sent attaché par la peinture des ruines d’un grand édifice, ou intéresse par celle d’une simple & pauvre cabane.

S’occuper à rechercher tout ce qui peut occasionner cette différence d’affections, seroit peut-être une occasion de démêler plusieurs nuances assez fines de nos sentimens moraux ; mais pour ne pas trop m’écarter de mon sujet, je me contenterai d’abord de dire que l’imitation d’unefabrique régulière, & par conséquent symmétrique, quelque riche qu’elle soit, n’offre à l’art & à celui qui regarde l’ouvrage, qu’une uniformité à laquelle il est bientôt indifférent, & qui dès-lors l’ennuie ; au lieu que les destructions présentent au peintre & a l’amateur des tableaux, des accidens innombrables, qui donnent lieu au premier d’exercer son talent, en offrant au second des variétés qui l’attachent.

Cette cause, efficace sans doute, a donné dans la peinture un tel avantage aux ruines, ouvrage du tems, & aux chaumieres construites par la pauvreté, qu’il s’est trouvé de tout tems des artistes qui s’y sont consacrés presque exclusivement ; ensorte qu’on les designe sous le nom de peintres de ruines, & même de peintres de baraques. Les accidens pittoresques, attachés aux destructions & à la pauvreté, l’emportent en effet sur ceux de la perfection conservée & de la richesse fastueuse ; & jusques dans les imitations dont on embellit avec ant d’affection aujourd’hui les jardins qu’on appelle à l’angloise, on donne la préférence aux donjons ruinés, aux pontsbrisés & aux baraques même, sur les constructions régulières. Seroit-ce, indépendamment de la raison que nous avons donnée relativement à la peinture, que dans ces jardins où la destruction devient un ornement, le luxe per-


sonnel veut jouir à son aise & à son gré des contrastes qui lui font mieux sentir les avantages qu’il possède ; ou bien que ce luxe, dédaignant & redoutant la peine d’aller observer les cabanes véritables, qui n’inspirent, par l’état de leurs habitans, que des sentimens pénibles, aime mieux en former des représentations, qui laissent l’ame des riches dans sa tranquillité ?

Pour revenir à des observations plus relatives à la peinture, je m’en tiendrai à dire que la régularité des édifices fait que, d’une part, on les voit comme d’un coup d’œil, parce que les parties symmétriques se supposent les unes les autres, dès qu’on a fixé le regard sur une d’entr’elles ; & encore parce que les lignes droites, qui sont multipliées dans ce genre d’ouvrage, deviennent froides dans la représentation, sur-tout lorsque cette représentation se présente long-tems aux yeux du spectateur ; d’ailleurs la couleur a nécessairement une uniformité générale dans un édifice qui n’a éprouvé aucune altération. & enfin, un édifice régulier, & d’une conservation parfaite, n’offre rien qui rappelle aucune idée de mouvement ; tandis que ce même édifice en ruines fait naître l’idée des destructions dont il est encore menacé : il offre mille accidens qui rappellent l’idée de sa chûte, & dont la variété contraste avec ce qui subsiste encore.

C’est aussi une source de plaisir que de voir des assemblages d’objets qui ne doivent pas se rencontrer ensemble. Un arbre qui est né & qui élève sa tête à travers les débris, fait évaluer le tems de ce désordre ; les plantes qui se font jour dans les fentes ou dans les joints des pierres énormes qu’elles désassemblent, par le seul mouvement, si foible en apparence, d’une végétation progressive ; les eaux, qui, arrêtées par des débris de colonnes, de voûtes, de statues, reflétent les couleurs de la verdure, les tons des matériaux vieillis & enrichis d’une variété de teintes, favorables à la peinture ; voilà une légère idée de ce qui attache les peintres à ces accidens, & les amateurs de la peinture à ces représentations.

Mais indépendamment des artistes qui se fixent à ces images, les peintres de paysage & d’histoire, comme je l’ai dit, sont souvent obligés de faire entrer des fabriques dans leurs compositions. Les scènes & les fonds d’une infinité de sujets, vrais ou fabuleux, doivent en être enrichis. Les observations qu’on peut faire à cet égard, se réduisent à quelques