Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Encaustique

Panckoucke (1p. 246-251).
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ENCAUSTIQUE, peinture encaustique, en grec έγκαυζόν ou έγκαυζική, du verbe έγκαίω, (inuro) brûler, parce qu’on procède à ce genre de peinture avec des cirés qui doivent être chauffées presque jusqu’au point de l’ustion.

On ne peut fixer l’époque de la peinture encaustique. Pline, l’auteur qui s’est le plus étendu sur cette manière de peindre, dit qu’on ne savoit pas même de son temps quel étoit le premier qui avoit imaginé de peindre avec des cires colorées & d’opérer avec le feu. ([1]) Quelque-uns cependant, continue-t-il, croyoient qu’Aristide en étoit l’inventeur, & que Praxitèle l’avoit perfectionnée ; d’autres assuroient que l’on connoissoit des tableaux peints à l’encausti-


que long-tems avant, tels que ceux de Polygnote, de Nicanor & d’Arcésilaüs, artistes de Paros. Il ajoute que Lysippe écrivit sur les tableaux qu’il fit à Egine : Il a brulé, ce qu’il n’auroit certainement pas fait si l’encaustique n’avoit été inventé. Quelque peu certaine que soit l’origine de la peinture à l’encaustique, il paroît cependant qu’elle prit naissance dans la Grèce, & que l’art de peindre avec de la cire, des couleurs & le feu, devint familier aux artistes de ce peuple.

Il seroit inutile de porter plus loin les recherches sur l’antiquité de l’art d’employer la cire dans la peinture ; elles deviendroient non-seulement infructueuses, mais elles ne répandroient pas plus de lumière sur les moyens d’exécuter les tableaux avec la cire, les couleurs & le feu, puisque Pline, qui nous en a transmis les espèces, dit peu de choses du moyen de les pratiquer. Il est constant, dit-il, que l’on connoissoit anciennement deux genres de peinture encaustique, qui se faisoient avec la cire & sur l’ivoire, au cestrum, c’est-à-dire au viriculum ([2]), avant que l’on connût la pratique de la peinture sur l’extérieur des vaisseaux, troisième espèce qui s’opéroit avec des cires qui, ayant été rendues liquides par l’action du feu, étoient devenues propres à être appliquées avec le pinceau. Cette peinture étoit si solide, qu’elle ne pouvoit être altérée ni par le soleil, ni par le sel de la mer, ni par les vents. Quoiqu’il ne paroisse pas dans ce passage qu’il soit fait mention de l’espèce d’encaustique dont on faisoit des tableaux portatifs, on peut cependant présumer que la première espèce étoit employée à cet usage. Cet encaustique & celui des vaisseaux avoient-ils de l’analogie ? Quoique cela puisse être, nous n’oserions cependant trop l’assurer, d’autant que M. le Comte de Caylus & M. Majault, qui ont beaucoup examiné cette matière, paroissent mettre de la différence entre les moyens d’exécution de ces deux genres. Voyez leur Mémoire, page 26.

On employoit aussi l’encaustique sur les murailles : cette pratique étoit-elle une suite de l’encaustique des tableaux, ou l’encaustique des tableaux avoit-il suggéré aux barbouilleurs de murailles d’en faire l’application à leurs travaux, pour rendre leur peinture plus solide ? Il est impossible de décider la question, soit que l’on consulte Vitruve ou Pline, qui en ont parlé. Cependant, si ces deux auteurs ne disent rien qui puisse éclaircir cette difficulté, ils nous en dedommagent par une description très-exacte de la manière de pratiquer cette espèce d’encaustique. Voici d’abord ce qu’en dit Vitruve[3], L. VII, C. IX, lorsqu’il parle de la préparation du minium : Cette couleur, dit-il, noircit lorsqu’elle est exposée au soleil, ce que plusieurs ont éprouvé, entr’autres le Scribe Fabérius, qui, ayant voulu que sa maison du Mont-Aventin fut ornée de belles peintures ; fit peindre tous les murs, des péristiles avec le minium, qui ne put durer que trente jours sans se gâter en plusieurs endroits, ce qui le contraignit de les faire peindre une seconde fois avec d’autres couleurs. Ceux qui sont plus exacts & plus curieux, pour conserver cette belle couleur après qu’elle a été couchée bien également & bien séchée, la couvrent de cire punique fondue avec un peu d’huile, &, ayant étendu cette composition avec une brosse, ils l’échauffent & la muraille aussi avec un réchaud où il y a du charbon allumé, fondant la cire & l’égalant par-tout en la polissant avec une bougie & des linges bien nets, comme quand on cire les statues de marbre. Cela s’appelle en grec. Cette croute de cire empêche que la lumière du soleil & de la lune ne mange la couleur[4]. Pline dit la même chose, quoique moins en détail :[5] Que l’on enduise la muraille de cire ; lorsqu’elle sera bien séchée, que l’on la frotte avec un bâton de cire & ensuite avec des linges bien nets. C’est par ce même procédé que l’on donne aux marbres de l’éclat. Il paroît par conséquent, qu’il n’y avoit qu’une seule manière d’employer l’encaustique sur les murailles.

Voilà tour ce que l’on peut dire sur l’historique & sur le faire des différentes espèces de peinture à l’encaustique, qui se réduisent à quatre ; savoir, la peinture à la cire, celle qui se faisoit avec le cestrum ou le viriculum, peinture sur les vaisseaux, & peinture sur la muraille ; & pour exécuter ces différentes espèces, ils mêloient les couleurs avec la cire, ou ils pénétroient la couleur de cire lorsque la peinture étoit achevée.

Le bois étoit la seule matière sur laquelle on peignît des tableaux portatifs. Il seroit trop long de rapporter tous les passages de Pline & des autres auteurs qui fournissent la preuve de cette vérité.

Passons maintenant aux moyens que les anciens employoient pour l’exécution de leurs encaustiques.

Les couleurs étoient contenues, comme le dit Varron, dans des coffrets à petits compartimens[6].

On se servoit de brosses ou de pinceaux pour appliquer les cires colorées, comme le dit Pline[7], ou la cire sur les couleurs comme le dit Vitruve.

On employoit le feu, soit pour fondre les cires colorées, soit pour liquéfier la cire pure destinée’à être employée sur les couleurs pour les rendre plus solides que la détrempe. Les instrumens destinés à cet usage portoient le nom de cauteria, dont la forme devoit varier selon les différens travaux auxquels on en faisoit l’application. Le cautere, dit Pline, étoit un des instrumens des peintres avec lequel on faisoit fondre les préparations bitumineuses les plus tenaces, dont on faisoit usage pour la peinture appellée encaustique. Cette peinture s’opère en faisant fondre des cires avec des charbons allumés[8]. Si l’origine de la peinture à l’encaustique est équivoque, l’époque de sa décadence est aussi fort incertaine. Il est néanmoins constant qu’elle se pratiquoit encore dans le temps du Bas-Empire, puisque le digeste, qui est l’assemblage des loix qui avoient précédé le sixieme siècle, temps auquel on les a réunies, fait mention dans ces termes des instrumens qui servoient à la peinture : L’attelier d’un peintre étant legué, comprend les cires, les couleurs & tout ce qui en dépend, les pinceaux, les cautères, & les vases propres à contenir les couleurs ([9]). Un autre auteur dit aussi qu’un peintre, ayant legué son attelier, a legué les couleurs, les pinceaux, les cautères, & les vases nécessaires pour faire le mêlange des couleurs.

On ne trouve plus aucune mention de peinture à l’encaustique depuis le 6e siècle jusqu’à nos jours, c’est-à-dire pendant environ onze cents ans. Il est cependant étonnant que, depuis le renouvellement des arts, il se soit écoulé un si grand nombre d’années sans que personne, avant M. le Comte de Caylus, ait remarqué que la peinture encaustique s’exécutoit avec de la cire, des couleurs & le feu. C’est donc aux lumières de M. de Caylus que la France a obligation des premières vues du renouvellement de cet art.

Cependant un auteur anonyme fit imprimer un ouvrage en 1755, dans lequel il s’efforce d’enlever cette gloire à M de Caylus ; ouvrage dont nous rendrons un compte très-exact, ainsi que de tout ce qui s’est passé depuis 1752 jusqu’à ce jour, afin que la postérité n’ait pas, sur le renouvellement de la peinture à l’encaustique, le même embarras qu’ont éprouvé ceux qui ont travaillé à en débrouiller l’origine chez les anciens.

Pour ne point m’exposer à commettre d’injustice envers personne en travaillant d’après des oui-dire, je commençai par écrire à M. le comte de Caylus pour savoir comment M. Majault, docteur en médecine de la Faculté de Paris, partageoit avec lui la gloire de la découverte de la pointure à l’encaustique, & dans quel tems il avoit lu à l’Académie des Inscriptions son premier mémoire sur cette matière ; j’écrivis aussi à M. Majault. Le premier me fit l’honneur de me répondre, que, sans M. Majault, il n’eût jamais trouvé les moyens de peindre à l’encaustique, & que son premier mémoire avoit été lu à l’Académie des Belles-Lettres en 1752 ; le second, que, sans M de Caylus, il n’eût jamais pensé à ce genre de peinture, & que cette découverte étoit le produit de leurs travaux saits en commun. J’écrivis ensuite à M. Sylvestre, directeur de l’Académie Royale de Peinture, pour obtenir des éclaircissemens sur le même sujet, afin de travailler toujours d’après des pièces non équivoques. Voici, mot pour mot, ce que M. Sylvestre me fit l’honneur de me répondre ; par cette réponse on jugera aisément de mes demandes.

« Je réponds à votre première question, qu’avant la lecture du mémoire sur la peinture à l’encaustique, que M. de Caylus fit en 1753, il n’avoit jamais été fait mention dans notre academie de ce genre de peinture ni de tous ceux dans lesquels la cire fait l’office de l’huile. Je réponds à la seconde, que quoique ce genre de peinture annoncé par M. de Caylus étonnât & méritât l’attention de tous les membres de notre académie par sa nouveauté & sa singularité, aucun cependant ne dit alors avoir employé la cire au lieu de l’huile pour peindre. À la troisième & dernière, je répondrai que, depuis la lecture du mémoire de M. de Caylus faite en 1753, jusqu’au tems de l’exposition de la Minerve à l’académie des Belles-Lettres en 1754, il n’a pas été fait mention qu’aucun de nos membres ait peint avec la cire, excepté M. Vien, & que nous n’avons vû de tableaux peints de cette manière, par MM. Hallé, Bachelier & le Lorrain, que vers le commencement de 1755 ; ces trois messieurs sont les seuls qui dans ce tems ayent faits quelques tentatives dont j’ai entendu parler parmi nous. » Signé {{sc[Sylvestre}}.

Tous les membres de l’académie connoissent la droiture & les talens de M. Sylvestre. Ces qualités lui ont mérité la place de directeur qu’il a occupée plusieurs années. Voyons maintenant l’historique de ce qui est arrivé depuis le renouvellement de la peinture à l’encaustique. Notre dessein est de ne blesser personne, mais d’exposer la vérité dans tout son jour. La date des mémoires de M. de Caylus, rendue authentique par la lecture dans deux académies, l’ouvrage de MM. de Caylus & Majault, auquel ils ont mis leurs noms ; leurs lettres, celle de M. Sylvestre serviront de pièces justificatives. On trouvera quelques répétitions dans les détails que nous ferons, mais le lecteur sentira que les redites sont inévitables, d’autant plus que nous avons cru devoir observer dans notre narration l’ordre chronologique des événemens, surtout ayant à rapporter ce que contiennent des écrits, qui, quoiqu’ils ayent paru en différens tems, disent pourtant ou les mêmes choses, ou des choses à peu près semblables.

M. le Comte de Caylus, qui a tant fourni de preuves de son goût pour les beaux-arts, & de qui nous avons de si savantes recherches sur l’antiquité, après avoir murement réfléchi sur ce que Pline dit de la peinture à l’encaustique pratiquée chez les anciens, traita cette matière dans un mémoire qu’il lut en 1752 à l’académie des belles-lettres dont il est membre ; il lut aussi, en 1753, à l’académie royale de peinture un autre mémoire sur le même sujet, dans lequel il proposoit un moyen d’exécuter des tableaux avec de la cire pure, des couleurs & le feu ; mais les membres de cette académie doutèrent de la possibilité de peindre avec de la cire.

N’étoit-il pas naturel, en comparant cette nouveauté avec toutes les manières de peindre connues, de la regarder comme difficile ou même comme impossible ? Cet art n’existant encore qu’en spéculation, il étoit prudent de ne s’en rapporter qu’à l’experience.

Cependant M. le Comte de Caylus, pour satisfaire les artistes & son goût, desiroit de mettre en pratique ce qu’il avoit à peine projette. Pour remplir ses vues, comme il le dit lui-même dans son mémoire, page 8, il crut devoir associer à ses travaux M. Majault, docteur en médecine de la Faculté de Paris ; l’amitié guida moins son choix que les connoissances qu’il avoit des lumières de ce savant médecin. Ils travaillèrent de concert à découvrir les moyens de peindre à l’encaustique. Leurs travaux eurent tour le succès qu’ils pouvoient desirer, & les conduisirent même au-delà de ce qu’ils avoient espéré, puisqu’ils firent & perfectionnèrent la découverte de la peinture à la cire. L’on vit enfin à l’académie des belles-lettres, le 12 novembre 1754, jour d’une assemblée publique, un tableau représentant une Minerve, exécuté par M. Vien, très-célèbre artiste : la plus grande partie de cette peinture prouvoit qu’il étoit possible de faire des tableaux à l’encaustique. Je dis la plus grande partie, parce que cette première production participoit pour un quart de la peinture à la cire. Tout Paris voulut voir cette nouveauté, & les peintres enfin convaincus en furent les premiers admirateurs. ([10])

MM. de Caylus & Majault travaillèrent à perfectionner la peinture à l’encaustique & la peinture à la cire, & à mettre le manuel de ces nouveaux arts en état d’être publié. Toutes leurs expériences furent achevées au mois de juin 1755. Elles firent en partie la matière d’un mémoire que M. le Comte de Caylus lut à l’academie des belles-lettres le 29 juillet de la même année, c’est-à-dire huit mois dix-huit jours après l’exposition du tableau de la Minerve. L’académie des belles-lettres, persuadée que cet ouvrage pouvoit être utile aux artistes, permit


qu’on le tirât de les registres & qu’on l’imprimât. On y joignit le mémoire sur la peinture à la cire qui n’y avoit pas été lu, parce que ce dernier ouvrage n’étoit pas de son ressort. Les deux mémoires imprimés furent distribués au public dans un seul volume le 25 août de la même année, sous le titre de Mémoire sur la peinture à l’encaustique & sur la peinture à la cire, ouvrage méthodique & bien tissu, qui fera éternellement un honneur infini à ses auteurs. Il est bon de remarquer que, lors de la lecture du mémoire dont nous venons de parler, M. le Comte de Caylus porta à l’académie des inscriptions deux petits tableaux peints, l’un selon la troisième, l’autre selon la quatrième manière de peindre à l’encaustique, dont il n’avoit point encore fourni de preuves par expérience. Mais revenons à l’époque de l’exposition du tableau de la Minerve.

Dès que ce premier essai eut paru à l’académie des belles-lettres, ce nouveau genre de peinture excita l’émulation & la curiosité. Par quel moyen, se disoient entr’eux les membres les plus éclairés de l’académie royale de peinture, a-t-on pu parvenir à peindre avec la cire ? Ni M. de Caylus, ni M. Majault, ne dirent alors quels en étoient les procédés:c’étoit un tribut que M. de Caylus devoit à l’académie des inscriptions avant que de les rendre publics, puisque leurs recherches n’avoient pour objet que le renouvellement d’un art connu chez les anciens.

Cependant les peintres qui avoient beaucoup touché, senti & examiné le premier échantillon de cette peinture, y ayant trouvé un peu d’odeur d’essence de térébenthine, crurent que tout ce tableau avoit été peint avec de la cire dissoute dans cette essence ; car on ne s’imaginoit point alors qu’il fût possible de faire des tableaux avec de la cire & des couleurs sans que la cire fût dissoute, & on ne connoissoit même pas la dissolution de la cire dans l’essence de térébenthine, quoiqu’en ait dit un petit ouvrage anonyme dont nous parlerons dans la suite, & que M. Monnoye a sérieusement rapporté dans le mémoire sur l’encaustique qu’il a fourni au dictionnaire encyclopédique.

Les peintres qui avoient examiné la première production de cette peinture, s’entretenoient avec ceux qui ne l’avoient pas vue des remarques qu’ils avoient pu faire, & quelques-uns projettèrent d’en faire des essais.

MM. Hallé, Bachelier & le Lorrain furent ceux qui firent les premières tentatives; ils broyèrent leurs couleurs avec de la cire dissoute dans l’essence de térébenthine, peignirent & se hâtèrent de faire voir leurs premières productions. Elles parurent dans les mois de Janvier, Février, Mars de 1755. MM. Hallé & le Lorrain s’en tinrent à quelques petits tableaux. Mais M. Bachelier voulut porter ses recherches plus loin. Il fit du savon avec de la cire, parce que l’on peut en faire avec tous les corps gras ; il fit dissoudre ce savon dans l’eau, broya ses couleurs avec cette eau de savon, & peignit sur le taffetas & la toile. Après avoir peint, il fit chauffer & bouillir les couleurs de ce tableau peint au savon, & annonça qu’il avoit trouvé l’encaustique des Grecs, puisqu’il peignoit avec de l’eau de cire (car c’est ainsi qu’il nommoit cette eau de savon) & qu’il faisoit brûler sa couleur. Il donna pour preuve de sa manœuvre quelques tableaux, dont l’un représentoit une femme caressant une levrette, l’autre une tête de profil, &c. Ces tableaux, qui furent ensuite exposés au sallon, étoient gris & ressembloient presque à une gravure en manière noire, enluminée avec des couleurs sales ; mais quand cette invention eût été encore plus mauvaise, M. Bachelier méritoit toujours la reconnoissance qu’on doit à ceux qui veulent bien se donner la peine da faire des recherches. N’enrichit-on pas les arts, lors même qu’on apprend à ne pas perdre le temps à faire des tentatives dont la réussite ne seroit pas heureuse ?

Malgré le peu de succès des essais précipités de M. Bachelier, on crut pourtant devoir annoncer sa découverte au public. Un auteur anonyme composa, ([11]) fit imprimer & distribuer rapidement une petite brochure intitulée : Histoire & secret de la peinture en cire. Ce fut à la fin du mois de mars ou au commencement d’avril 1755 que cet ouvrage parut, c’est-à-dire cinq mois après que le tableau de MM. de Caylus & Majault fut rendu public. L’auteur de cette petite brochure, qui vraisemblablement ne vouloit pas se rendre caution de ce qu’il avançoit dans son ouvrage, ne jugea pas à propos d’y mettre son nom.

Cet écrivain, après y avoir insulté M. de Caylus en le confondant avec les gens à secrets, (ce qu’il ne mérite assurément pas) car il n’est personne qui soit plus communicatif & qui emploie plus généreusement son temps & sa bourse au progrès des arts, cet auteur, dis-je, avance :

1°. Que l’encaustique de M. de Caylus n’est point l’encaustique des Grecs, puisque sa peinture ne s’opère qu’avec de la cire dissoute dans l’essence de térébenthine.

Mais quelle a dû être l’humiliation de l’auteur, lorsqu’il aura lu l’ouvrage de MM. de Caylus & Majault, dans lequel on trouve quatre manières de peindre sans le secours de l’essence de térébenthine !


2°. Que la possibilité de faire des tableaux avec de la cire dissoute dans l’essence de térébenthine n’est pas une découverte, parce que M. Bachelier avoit déjà peint un tableau de cette manière en 1749. Que ce tableau, que personne n’a vu, fut emporté en Alsace.

Où est la preuve de ce fait ? Pourquoi M. Bachelier, lors de lecture du mémoire de M. de Caylus à l’académie de peinture en 1753, ne dit-il rien de son tableau de 1749 ? Quand même ce que l’auteur rapporte seroit vrai, il eût fallu se taire de peur de se faire accuser de mensonge.

3˚. Que M. Bachelier devoit la connoissance de la dissolution de la cire dans l’essence de térébenthine à des enfans qui, en 1749, jouoient avec une boule de cire au lieu de volant ; que cette boule de cire alla tomber tout juste dans un godet où il y avoit de l’essence ; que le lendemain M. Bachelier trouva la boule dissoute, broya des couleurs avec cette cire, & peignit un tableau dont il put à peine se défaire ; qu’il abandonna cette peinture, & la reprit en 1755.

Encore une fois, pourquoi M. Bachelier ne se ressouvint-il pas de cette histoire, lorsque M. de Caylus lut son mémoire à l’académie de peinture en 1753, & ne la révéla-t-il qu’en 1755 ? Ne devoit-il pas dire alors qu’il ne falloit pas tant ridiculiser le projet de peindre avec la cire ? car plusieurs en badinèrent.

4°. Que M. Bachelier, d’après quelques teintures brouillées de chymie & de nouvelles tentatives dont le résultat fut de faire un savon de cire avec le sel alkali, comme on le fait avec l’huile, ([12]) le suif, & enfin avec tous les corps gras, fit dissoudre ce savon dans l’eau, broya les couleurs avec cette eau de savon, peignit & employa le feu pour fixer la couleur, & l’anonyme conclut que c’est là la manière qui ressemble le plus à la peinture des Grecs, puisque l’on peint avec de la cire & des couleurs, & qu’il faut le feu pour fixer la peinture.

Je conseillerois volontiers à celui qui voudroit peindre avec des couleurs délayees avec l’eau de savon ordinaire, qui est faite avec de l’huile, de dire qu’il peint à l’eau d’huile, ou qu’il peint à l’huile : cette manière de parler ne seroit pas plus impropre que de dire qu’on peint à l’eau de cire. Il pourroit dire aussi qu’il peint au sel, car il entre du sel dans le savon. Prétendre que la peinture encaustique des Grecs se pratiquoit avec du savon de cire, c’est en ignorer absolument absolument la nature. Mais si l’anonyme avançoit que la peinture au savon est une invention aussi nouvelle que la peinture en ramekin ou en fromage ([13]), l’auteur se tromperoit moins au désavantage de M. Bachelier. Ce dernier n’a rien renouvellé des Grecs comme nous le démontrerons, sa découverte a plus de mérite, puisqu’elle a du moins celui de l’originalité.

La brochure dont nous venons de rendre compte n’eut pas été plutôt rendue publique, qu’elle fut appréciée à sa juste valeur. M. Fréron la critiqua très-judicieusement dans son année littéraire, demontra, comme nous venons de le dire, que l’historique de cet ouvrage ne pouvoit être vrai, & que la découverte de la peinture au savon de cire n’enrichissoit point l’art de peindre. M. Fréron cependant ne pouvoit pas porter de jugement sur ce que l’anonyme annonçoit des moyens que MM. Caylus & Majault avoient employés pour peindre à l’encaustique, puisqu’ils n’avoient pas encore été rendus publics ; aussi n’avança-t-il sur ce point que de prudentes conjectures. Mais M. Fréron eut bien lieu d’être satisfait, lorsque trois mois après sa critique, il ne trouva rien de ce que l’anonyme avoit avancé : il vit, au contraire, dans l’ouvrage de M. de Caylus, un raisonnement méthodique & suivi, appuyé d’expériences ingénieuses & très-propres à développer le peu de choses que les anciens nous ont transmis de la peinture à l’encaustique. En judicieux critique, il rendit compte de cet ouvrage avec les plus justes éloges.

Nous reviendrons sur la peinture encaustique & sur ses procédés dans le dictionnaire de pratique. (Article de M Watelet, ou du moins trouvé dans ses papiers.)

Encaustique. Qu’il nous soit permis, sur l’antiquité de la peinture encaustique, de placer ici un article fort court. Pline ne fait pas remonter l’origine de cette peinture plus haut que Polygnote, & il nous apprend que d’autres la croyoient beaucoup plus récente.

Mais Polygnote florissoit vers la 89e olympiade, environ 420 ans avant notre ère, & il est souvent parlé de la peinture en cire dans les poésies d’Anacréon, qui vivoit plus de cent ans auparavant. Il sembleroit même que de son temps c’étoit la manière de peindre la plus en usage. Il dit, ode 28, en adressant la parole au portrait de sa maîtresse : Τἀχα, κήρέ, καί


λαλήσειζ :  : Cire, bientôt tu vas parler. Dans l’ode 29, il dit au peintre à qui il commande le portrait de Bathylle : Ο κηρόζ άυτόζ Εχέτο καλών σιωπή. Que la cire parle même dans le silence, comme nous pourrions dire à un pointre : Que votre peinture soit parlante.

Voilà donc l’antiquité de la peinture encaustique reculée de plus d’un siècle par le témoignage d’Anacréon.

Mais cette preuve n’est pas sans réplique. Tanneguy le Febvre, Corneille de Pauw & d’autres savans ont été loin de croire que toutes les poésies qui portent le nom d’Anacréon fussent en effet du poëte de Téos. M. Fischer, qui refusoit de partager leur doute dans sa première édition d’Anacréon, a cru devoir l’adopter dans la seconde. On ne peut guère douter que les véritables œuvres de ce poëte ne fussent familières aux Romains & aux Grecs letters du temps de Pline ; & c’étoit dans ce même temps que les uns attribuoient la peinture encaustique à Aristide, & que les autres la faisoient remonter jusqu’à Polygnote. Comment ne se trouvoit-il personne qui leur prouvât qu’elle étoit beaucoup plus ancienne, en leur citant les vers d’Anacréon ?

S’il ne s’agissoit que de l’opinion de Pline, on pourroit dire qu’il avoit oublié ces vers ou qu’il ne les connoissoit pas. Mais il s’agit de deux opinions débattues entre différentes personnes, & il auroit été singulier qu’aucune d’elles ne connût les œuvres d’un poëte qui étoit alors entre toutes les mains. Ainsi, loin de prouver par Anacréon contre Pline l’antiquité de la peinture encaustique, on prouveroit mieux par le texte de Pline que les odes 28 & 29 attribuées à Anacréon ne sont pas de ce poëte.

Cependant une nouvelle difficulté s’élève. Pline ajoute que Lysippe avoit aussi écrit sur ses peintures d’Egine qu’il les avoit faites à l’encaustique. On peut supposer que ce Lysippe vivoit avant Polygnote & même avant Anacréon, & comme on ignore l’âge de ce peintre, la question reste insoluble & le doute subsiste. (Article de M. Levesque.)

  1. Ceris pingere ac se picturam inurere quis primus excogitaverit non constat Quidam, Aristidis inventum putant, postea consummatum à Praxitele, Sed aliquantò vetustiores encaustica picturæ extitere, ut Polygnoti & Nicanoris & Arcesilaï Pariorum. Lysippus quoque, Æginæ, picturæ suæ inscripsit quod prosectò non feccisset nisi incaustâ inventâ. Plin. Liv. 35. C. 11.
  2. (2) Cestrum, viriculum, mots que l’on n’entend point relativement à la peinture à l’encaustique. « Encausto pingendi duo fuisse antiquitus genera constat, cerâ & in ebore, cestro, id est, viriculo, donec classes pingi cœpere hoc tertium accessit, resolutis igni ceris penicillo utendi, quæ picturæ in navibus nec sole, nec sale, ventisque corrumpitur. Plin. Liv. 35, C. 11. » M. Monnoye, qui a fourni l’art encaustique que l’on trouve dans le Dictonnaire Encyclopédique, a traduit les mots in navibus dans les vaisseaux. Il a sans doute eu ses raisons ; il a formé le plan d’accommoder Pline à la peinture au savon de M. Bachelier, peinture qui surement ne pouvoit pas resister au sel de la mer, au soleil & aux vents & encore moins à l’eau. Il ne faut pas croire que c’étoit une saure d’impression, car lorsque M. Monnoye traduit ce que dit Ovide :
    Et picta coloribus ustis

    Cælstum matrem concava puppis habet.

    Et la pouppe représente la mère des Dieux en couleur brûlée, il repète que cet encaustique étoit bien plus praticable dans les vaisseaux.

  3. Traduction de Perrault.
  4. Itaque cum & alii multi, tune etiam Faberius Scriba, cum in Aventino voluisset habere domum eleganter expolitam, perystilii parietes omnes induxit minio, qui post dies triginta, facti sunt invenusto varioque colore : itaque primo locavit inducendus alios colores. At si quis subtilior fuerit & volueris expolitionem miniaceam suum colorent retinere, cum paries expolitus & aridus fuerit, tum ceram puniceam igui liquefactam, paulo oleo temporatam, setâ inducat. Deinde posteà carbonibus in ferreo vase compositis, eam ceram apprimè, cum pariete calefaciendo, sudare cogat, fiatque ut peræquetur. Posteà cum candelâ linteisque puris subigat uti signa marmorea nuda curantur. Hæc autem græce dicitur Vit. L. 7, C. 9.
  5. Solis atque lunæ contactus inimicus : remedium, ut parieti siccato cera punica cum oleo liquefacta candens setis inducatur, iterumque admotis gallæ carbonibus aduratur ad sudorem usque ; postea candelis subigatur, ac deindè linteis puris, ficut & marmora nitescunt. Plin. L. 33, C. 7.
  6. Pictores loculatas habent arculas, ubi discolores sunt ceræ : Var. de re Rust. L. 2.
  7. Resolutis igni ceris penicillo utendi.
  8. Cauterium in pictorum instrumentis continetur, quo bituminationes & fortiores quæque conglutinationes concoquuntur, maximè in eâ pictura quæ appellatur, quæ fit carbonibus inustis, resolutis igne ceris. Plin. L. 22, C. 23.
  9. (1) Pictoris instrumento legato, ceræ, colores, similiaque horum legatario cedunt penicilli & cauteria & conchæ. Martian tit. de fundo instructo, L. 17. Instrumentu pictoris legato, colores, penicilli, cauteria & temperandorum colorum vasa delegantur. J. Paulus, L. 7.
  10. (1) M. Carle Vanloo, cet Artiste si connu par ses rares talens, voyant pour la premiére fois le tableau de la Minerve, dit que l’encaustique n’étoit pas une si mauvaise chose, & qu’il vouloit aussi peindre de cette manière. On sent de quel poids peut être l’approbation de M. Vanloo.
  11. (1) Quelques-uns ont prétendu que cet ouvrage étoit de M. Diderot ; mais cette calomnie n’a pu être suggérée que par l’envie. Nous sommes convaincus que M. Diderot se respecte trop à tous égards pour prêter sa plume à l’indécence & au mensonge.
  12. (2) Quelques gens mal intentionnés ont prétendu que M. Rouel avoit donné le conseil à M. Bachelier de faire du savon avec de la cire, pour imiter les grecs ; mais ce chymiste est trop éclairé pour ne savoir pas qu’une peinture faite avec du savon quelconque n’a pas plus de solidité qu’une peinture faite en détrempe, qui n’a pas la propriété de remplir les vues que les grecs se proposoient, c’est-à-dire, de faire une peinture qui pût résister à l’eau.
  13. (1) Un peintre d’un caractere gai & vraisemblablement très-habile chymiste, ayant sérieusement examiné la peinture au savon de M. Bachelier, ne crut pas que cette invention meritât une critique sérieuse. Il fit imprimer un petit ouvrage qui avoit pour titre : l’Art de peindre au fromage ou en ramekin, dans lequel un ridicule agréable faisoit la plus juste critique de la peinture au savon de cire. On a prétendu que cette brochure étoit de M. Rouquet ; si elle n’est pas de lui, elle est du moins digne de sa plume.