Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Effet

Panckoucke (1p. 238-242).
◄  Ecole
Effumer  ►

E F

EFFET. (subst. masc.) Ce mot signifie proprement le produit d’une cause. Dans les ËF F

ouvrages des arts, il se dit de l’apparence qui résulte de ces ouvrages, & se prend en bonne ou mauvaise part : ce tableau est d’un bel effet, cette lumière est d’un effet trop dur. Mais quand il n’est restreint par aucune épithète, il se prend toujours en bonne part. C’est louer un tableau que de dire qu’il fait de l’effet.

Docti rationem artis intelligunt, indocti voluptatem. (Les savans comprennent la raison de l’art ; les ignorans n’en sentent que le plaisir.) l’effet pour celui qui considère un ouvrage de peinture est la sensation ou le sentiment que cet ouvrage lui cause ; peur l’artiste, l’effet est ce qui doit résulter des différentes parties de l’art qu’il exerce.

Il est inutile de s’étendre sur la première signification de ce mot. La sensation & le sentiment qu’éprouvent ceux qui regardent des tableaux dépendent d’une infinite de choses qui leur sont absolument relatives, indépendamment de celles qui regardent l’artiste.

Quant à l’effet observé relativement au peintre, voici quelques réflexions qu’il est bon de suggérer à ceux qui ne sont point assez avancés pour les avoir faites. L’art de la peinture est composé de plusieurs parties principales, chacune de ces parties est destinée à produire une impression particuliere, qui est son effet propre.

L’effet du dessin est d’imiter les formes ; celui de la couleur, de donner à chaque objet la nuance qui le distingue des autres ; le clair-obscur imite les effets de la lumière, & ainsi des autres parties de l’art. La réunion de ces différens effets particuliers cause une impression qu’on nomme l’effet du tout ensemble.

Il est donc essentiel pour parvenir à conduire un tableau à un effet juste & général á une unité d’effet, que toutes ses parties tendent à un seul point. Mais quelle est la partie de l’art qui doit commander, qui doit fixer le but auquel toutes doivent tendre & arriver ? C’est l’invention, puisque c’est elle qui agit la première dans ; l’esprit du peintre, lorsqu’il médite un ouvrage & que celui qui commenceroit à peindre, sans avoir bien décidé qu il représentera, ressembletoit à un homme qui voudroit regarder avant d’avoir ouvert les yeux. C’est l’invention qui règne sur tous les genres de peindre ; c’est elle qui les a créés & qui les reproduit ; elle doit donc décider de l’effet qui doit résulter de chacun de ces genres.

L’effet du tableau d’histoire consiste dans l’expression exacte des actions & des passions ; celui du portrait, dans la ressemblance des traits ; celui du paysage, dans la représentation des sites, & celui d’une peinture de marine, dans celle des eaux.

Mais dans chacune des parties qui constituent l’art de peindre, on entend plus particulièrement par le mot effet, lorsqu’il n’est accompagné d’aucune épithète, une expression juste, grande, majestueuse, forte.

Ainsi l’effet dans le dessin, est un contour hardi qui exprime sensiblement des formes que l’artiste connoît parfaitement ; & qu’il ne fait souvent qu’indiquer habilement. La liberté, la confiance avec lesquelles il rappelle leur place, leur figure, leur proportion, leur apparence éclairée ou colorée font dire que c’est un dessin d’effet. C’est ainsi que Michel-Ange, en traçant une figure, savoit exprimer quelquefois par le simple trait, la conformation des membres, leur juste emmarchement, l’apparence des muscles, les enchâssemens des yeux, les plans sur lesquels les os de la tête sont placés, enfin le caractère de l’action qui doit infailliblement résulter de la justesse de toutes ces combinaisons. Avec le secours de quelques hachures, il pouvoit indiqueraux yeux exercés dans l’art de la peinture, l’effet du clair-obscur & l’on pourroit dire même celui de la couleur ; un dessin de cette espèce est ce qu’on appelle un dessin du plus grand effet.

L’effet particulièrement appliqué au coloris, est celui qui porte l’imitation des couleurs locales à un point de perfection capable de faire une illusion prompte & sensible.

La couleur locale est la couleur propre & distinctive de chaque objet : elle a, dans la nature, quand la lumière est favorable, une force & une valeur que l’art a bien de la peine à imiter. Des organes justes & bien exercés dans les moyens de l’art peuvent y prétendre, mais l’écueil qui sur cette mer difficile est le plus fameux par les naufrages, c’est cette habitude de tons & de nuances qui s’enracine, sans que les peintres s’en apperçoivent, par une pratique répétée & qui, renaissant dans tous leurs ouvrages, fait dire de plusieurs artistes, qu’ils ont peint gris, ou roux ; que leur couleur ressemble à la brique ; qu’elle est rouge, ou noire, ou violette. Ce défaut, si favorable à ceux qui, sans principes, veulent distinguer les manières des maîtres, est une preuve de l’infériorité de l’imitation de l’artiste. La nature n’est précisément ni dorée, ni argentée : elle n’a point de couleur parasite ; ses nuances sont des mélanges de couleurs rompues, reflétées, variées & celui qui aspire à l’effet par la couleur, n’en doit avoir aucune à lui.

On peut rendre plus frappant l’effet de la couleur, par la disposition des lumières ; mais des périls menacent encore ceux qui se fondent sur ce secours. Le desir d’exciter l’attention par des effets, inspira au Carravage d’éclairer ses modeles d’une manière qui se rencontre rarement dans la nature : le jour qu’il faisoit descendre par des ouvertures ménagées avec art, offroit a ses yeux des lumières vives, mais tranchantes. Il en résulta, dans les imitations qu’il en fit, des effets plus singuliers qu’agréables ; les oppositions oppositions trop dures, les ombres devenues noires, ont rendu, avec le tems, ses tableaux de deux seules couleurs ; le blanc & le noir y dominent, & ces ombres ténébreuses que sa prétention à un certain effet a répandues sur ses ouvrages, ont enveloppé dans leur obscurité les parties excellentes, dont cet habile Artiste devoit tirer sa gloire. Il est donc de justes bornes qui limitent la perfection en tout genre, & les excès sont les ennemis redoutables.

Au reste, un tableau qui offre un effet général, produit sur tout le monde une sensation intéressante, comme une pièce de théâtre intéresse, lorsqu’il y domine une intention marquée, une moralité & un caractère auquel toutes les parties concourent.

Le caractère doit être exprimé par les principaux traits qui le distinguent, par l’art de la disposition des objets, par leur enchainement, leurs rapports & les oppositions qui leur conviennent. Quoique la nature semble autoriser l’excès des détails, cet excès est un obstacle à l’effet théâtral, & à l’effet pittoresque.

Cependant, cette observation n’autorise pas à les soustraire indistinctement, mais à choisir ceux qui sont essentiels ou favorables, pour établir ou rendre plus frappant le caractère qui doit dominer. Se déterminer avec justesse, c’est le propre d’un génie grand, qui dans ce choix, embrasse les details d’un objet, mais qui ne s’arrête qu’à ce qui lui convient. Il ne se laisse point seduire parce qu’il ne perd jamais de vue le but où il tend. Un peintre d’effet, est ordinairement un homme de génie ; & dans tous les arts, le génie, lorsqu’il est supérieur, dévoile la science des effets ; la poésie, ainsi que la peinture, la musique, ainsi que ses deux sœurs, ne pourront jamais prétendre que par cette voye a des succès éclatans & à cette approbation génerale, qui est si flatteuse. Les autres parties auront des administrateurs, les grands effets réuniront tous les suffrages. L’hommage qu’on leur rend est pour ainsi dire, involontaire : il ne doit rien à la réflexion ; c’est un premier mouvement. (Article. de M. WATELET).

EFFET. Les vues ingénieuses que renferme l’article qu’on vient de lire, ont besoin d’être accompagnées de principes plus positifs : ils nous seront fournis par un professeur de l’art.

Quoique les principes des effets soient écrits dans la nature, il faut, pour les y lire & les imiter exactement, faire attention que soit qu’on éclaire une figure du jour naturel, ou d’une lumière artificielle, il doit y avoir un premier clair, qui domine sous les autres. Ce jour principal doit être placé sur la partie la plus propre à le recevoir d’une manière large. Il ne doit point être répété, mais on doit le rappeller sur la figure par de, échos qui empêchent qu’étant seul, il ne produise une crudité désagréable.

La principale lumière étant ainsi bien distribuée, on aura soin de la faire valoir par de grandes parties de demi teintes qui la surpassent en volume. Pour lui donner le dernier piquant, on l’accompagnera de masses d’ombre qui équivalent en étendue & le volume que la lumière occupe, & celui qu’occupent les demi-teintes.

Nous prévenons le lecteur, & sur-tout les artistes que, par masses d’ombre, nous n’entendons pas ici des masses noires, mais de simples privations de lumières, des parties sourdes qui doivent leur vigueur à leur étendue plutôt qu’à leur obscurité. Elles doivent être toujours relatives à la vivacité du jour qui les produit, à la disttance d’où ce jour agit sur elles, & aux reflets qui les environnent. Ainsi les ombres en pleine campagne ou dans les airs sont vagues & légères ; elles sont plus sourdes dans les endroits fermés ; mais elles ne sont noires que dans les caveaux : Les ombres trop obscures rendent l’ouvrage triste, sombre, disgracieux ; les ombres vagues le rendent aimable, vigoureux & vrai. Les masses brunes doivent être d’autant plus vagues qu’elles sont plus larges ; d’où il s’ensuit que plus les masses seront grandes, plus le tableau, sans manquer de vigueur, sera suave & lumineux. Cette proposition qui d’abord paroit tenir du paradoxe, devient une vérité décidée dès qu’on l’approfondit.

Les reflets, nécessaires au parfait arrondissement des corps, seront placés dans les parties tournantes. Comme ils ne sont que la réverbération des rayons de ce qui les environne, ils seront d’autant plus vifs, qu’ils seront produits par une lumiere plus brillante, & se perdront dans l’ombre lorsqu’ils ne seront occasionnés que par une foible lueur : observons que les reflets étant les lumières des parties ombrées, doivent être placés sur le milieu du corps pour en former l’arrondissement, comme on y place les lumières dans les parties éclairées par le jour.

Les lumières, les demi-teintes, ses ombres & les reflets auront leur éclat, leur fraîcheur, leur force & leur beauté relativement au voisinage ou a l’éloignement du principe qui les produit.

Qu’il y air toujours une demi-teinte entre les lumières & les ombres, pour que leur opposition ne produise pas des duretés. Il est néanmoins des occasions où l’ombre peut trancher fièrement sur la lumière ; mais ce n’est guère que lorsque deux corps contigus agissent l’un fur l’autre.

Que les ombres portées soient plus fortes quo celles des objets qui les portent, & que leur force soit altérée des qu’elles recevront quelques reflets ou du sol de la terre ou des corps qui leur sont voisins.

Tous les objets se détacheront de leur fond par des partis décidés. Leurs contours & leurs détails ne seront prononcés qu’à raison de la lumière qui es éclaire. Ce n’est pas toujours la partie la plus proche de l’œil du spectateur qui doit être la plus arrondie, la plus recherchée ; c’est celle que le jour frappe de éclat le plus lumineux.

On ne doit jamais affecter de détourner les lumières & les ombres des endroits où la nature les place. En vain voudroit-on prétexter la singularité de quelqu’accident pittoresque, & faire valoir le droit & les licences du génie ; le beau ne consiste que dans le vrai. S’il est des effets qui partent d’un autre principe, fussent-ils séduisans, ils n’offrent que des beautés factices & manièrées.

Ces principes de l’effet sont en même-temps ceux du clair-obscur, & conviennent à un simple dessin. Les principes de l’effet d’une composition sont à peu de choie près les mêmes. La lumière principale doit toujours y dominer & être soutenue par d’autres lumières subordonnées, elle doit autant qu’il est possible suivre une marche diagonale, & former une chaîne dont l’œil ne perde pas les chaînons.

Des demi-teintes doivent la soutenir. Elles sont les ressorts les plus propres à faire mouvoir une machine pittoresque, & servent également à relever l’éclat des lumières & la fierté des ombres par la subordination de beauté où on les soumet à l’égard des unes, & de force à l’égard des autres. Le volume des masses de demi-teinte doit être plus considérable que celui des lumières, par le principe général qui prescrit que toute masse qui soutient soit plus large que la masse soutenue.

Une masse de demi-teinte peut servir à étendre celle de la lumière ou à faire opposition avec elle. Dans le premier effet, on doit l’opposer à un fond obscur qui la fasse briller ; pour lors elle peut être regardée comme lumière seconde. Dans l’autre, elle doit se détacher sur un fond clair qui lui donne la consistance, la solidité, la valeur dont elle a besoin pour faire un contraste frappant ; mais dans l’une & dans l’autre circonstance, la masse de demi-teinte doit être soutenue par une masse d’ombre, nonseulement plus considérable qu’elle, mais encore plus étendue que la demi-teinte & la lumière réunies ensemble. C’est ce qu’ont pensé & opéré la plupart des grands maîtres qui connoissoient parfaitement la magie des effets.

Les ombres donnent aux demi-teintes l’éclat dont celles-ci font briller la lumière. Elles veulent être traitées d’un ton vague, par masses plates, & ne doivent offrit que de très-légers détails des choses qu’elle voilent.

Les reflets achèvent d’opérer l’illusion que l’artifice des lumières, des demi-teintes & des ombres avoit artistement entamé, un objet ne peut être arrondi sans le secours des reflets ; c’est par leur entremise qu’il prend le plus parfait relief.

Ainsi quatre espèces de masses entrent dans la magie des effets d’une composition ; masses de lumière, masses de demi-teinte, masses d’ombre & masses de reflets. Elles sont toutes d’une égale importance, & ne produisent l’illusion qu’autant qu’elles sont toutes parfaitement entendues. De combien de combinaisons séduisantes ne sontelles pas susceptibles ? De combien d’ingénieuses variétés leur concours ne peut-il pas être la source ?

Une masse de demi-teinte qui relève l’éclat d’un objet lumineux est-elle ici opposée à un fond clair ? Là, elle se trouve en contraste avec un objet vigoureux en brun qui la rend lumineuse elle-même. Non loin ce sont des masses claires qui, par leur couleur propre, se détachent sur un ciel brillant ; plus près, des ombles fières qu’éclairent de tendres reflets. Tantôt, c’est sur un fond suave que se détachent des objets obscurs ; & tantôt c’est sur la plus sombre des forêts, qu’un temple lumineux qui la chasse dans le lointain, paroît, s’avance & repousse sur les premiers plans des grouppes vagues, assaisonnés des touches de brun les plus fortes. Ces partis divers, successivement ramenés & employés à l’appui les uns des autres, peuvent former des effets variés que l’artiste multiplie autant qu’il veut. Il lui suffit de faire attention qu’il n’y a rien d’absolu dans la nature ; que rien n’est clair ou brun, gris ou coloré, grand ou petit, vigoureux ou suave que par le contraste de ce qu’on lui oppose.

A ces principes qui conduisent à l’effet dans le dessin & dans la composition, il faut joindre ceux qui concernent l’illusion des effets que produit la couleur. Lorsque l’artiste aura épuisé sur son ouvrage les beautés de précision & d’exactitude, dont son savoir pittoresque lui permettra de l’enrichir ; que, suivant l’indication de la nature, il colore les objets les uns sur les autres, en leur opposant tantôt des fonds plus clairs, tantôt des couleurs propres plus lumineuses, ou qu’il les détache en les mettant successivement en contraste avec des fonds plus obscurs, & avec des couleurs plus sourdes & plus éteintes.

Qu’il réveille les lumières par des reluisans trompeurs, & par les ombres les plus vigoureuses, distribuées à propos dans les endroits ou les reflets du jour ne sauroient pénétrer. Il faut user de grands stratagêmes pour opérer de grands effets de couleur.

On doit les concevoir, ces effets, par grandes masses. Le moyen assuré de faire illusion, est d’attirer la vue par des accidens larges, soutenus, & réduits, autant qu’il est possible, à un point d’unité qui en impose au spectateur.

Que le tout ensemble d’une ordonnance pittoresque joue avec son fond. Il n’importe par quel effet. Le parti sera beau toutes les fois qu’il sera nettement décidé, & que, dans la masse, il ne se trouvera point d’objets qui percent avec le champ sur lequel ils sont en opposition.

Il faut introduire dans le tableau une couleur ainsi qu’une lumière plus brillante que toutes les autres, & une nuance ainsi qu’une ombre plus vigoureuse que tous les autres tons des masses d’obscur. Ces effets ménagés pour faire la plus forte illusion, doivent être réservés pour l’endroit où se passe le plus grand intérêt de la scène. Ailleurs les accidens de lumières & de couleur seront très-modérés & ne seront sensibles, que pour relever l’éclat & la valeur de l’action principale & de l’effet dominant. Article extrait du traité de peinture de M. DANDRÉ BARDON.

Si vous voulez avoir du plaisir, (on pourroit ajouter & du succès) en peignant, il faut avoir tellement pensé à l’économie de votre ouvrage qu’il soit entièement fait avant qu’il soit commencé sur la toile : il faut, dis-je, avoir prévu l’effet des grouppes, le fond, & le clair-obscur de chaque chose, l’harmonie des couleur, l’intelligence de tout le sujet, ensorte que ce que vous mettrez sur la toile ne soit qu’une copie de ce que vous avez dans la pensée (Note de DE PILES sur le vers 442. du poëme de la Peinture de DUFRESNOY.)