Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Considération

Panckoucke (1p. 141).
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CONSIDÉRATION attachée aux Arts & aux Artistes.

Fixer l’attention du Public & quelquefois d’une Nation entière par des occupations qu’on remplit avec succès & par des vertus sociales auxquelles on se montre fidèle, c’est mériter & acquérir une véritable & complette considération. Chaque Etat, hors ceux qui sont trop dédaignés par l’injustice des grandes sociétés, peut conduite à une considération qui lui soit propre.

La considération à laquelle un Artiste peut parvenir, doit être aujourd’hui fondée non-seulement sur les succès qu’il obtient par des soins, des études suivies : mais comme il se montre bien plus qu’autre fois dans la société, il doit encore établir l’estime à laquelle il aspire sur l’exercice habituel des vertus sociales. La réputation qui vient du succès des ouvrages, fixe avec intérêt les regards du Public sur celui dont il admire les talens ; mais cette faveur établit pour l’Artiste qui la reçoit, des devoirs plus exigeans qu’ils ne le sont pour le citoyen ignoré. Ces devoirs peuvent être gênans, si les penchans de celui qui les contracte y mettent quelque opposition ; les penchans des Artistes (je parle en général) sont trop souvent de nature à se plier difficilement aux obligations sociales auxquelles on attache de la considération ; parce que leur imagination trop vive & toujours exercée, se porte naturellement à un goût de liberté, d’indépendance, je dirois même, de libertinage d’esprit qui sont contraires à plusieurs convenances absolument indispensables pour que la considération se soutienne toujours inaltérable.

On doit appercevoir, d’après ces notions, que la réputation acquise par l’exercice heureux du talent, ne fait aujourd’hui qu’une partie de la considération que l’Artiste doit rechercher. Il pourroit, par des succès nombreux, acquérir une réputation méritée & ne pas jouir de toute la considération à laquelle il peut prétendre ; de même qu’il pourroit ne pas se distinguer dans son talent, & donner cependant de sa personne, par l’exercice habituel des vertus & des bienséances sociales, une opinion avantageuse, qui n’auroit aucune liaison avec son Art.

Il est donc une considération complette que les Artistes peuvent & doivent se proposer d’obtenir. Quand ils se tenoient plus isolés, l’idée de la réputation l’emportoit presqu’entièrement


pour eux sur l’idée de la considération ; parce que, dévoués à la retraite & an travail, & vivant dans des sociétés absolument privées, leur existence sociale fixoit trop peu les regards du Public, pour qu’il eut droit de les juger sous une double relation.

Nos mœurs à cet égard sont changées, les Artistes, & l’on en pourroit dire autant des Savans & des Gens de Lettres, sont admis dans la société générale, &, par cette raison, ils ont droit à cette considération plus complette dont j’ai parlé. Les Artistes sont donc en effet aujourd’hui susceptibles d’une ambition de plus ; ambition louable, & qui bien dirigée, tourne absolument à l’avantage de celui qu’elle anime, & n’est pas même inutile à l’Art. On doit en effet présumer que l’Artiste engagé à respecter les convenances & les bienséances sociales, observera plus exactement encore celles qui sont relatives à ses ouvrages ; & que ces deux mérites devenus plus fréquens, feront rejaillir sur l’Art une opinion plus honorable. Cependant cette ambition, ce desir extrême de la considération peut égarer celui qui s’y livre si, manquant de justesse & d’idées, il cherche à s’attribuer les nuances de considération qui sont dues à d’autres états que le sien ; ses efforts alors, en le détournant de la route qu’il doit tenir, peuvent nuire à la réputation qu’il doit obtenir par ses talens & le priver enfin de la double gloire qu’il recherche.

Rien de plus commun aujourd’hui que ces méprises ou ces inconséquences ; rien de plus commun que les inconvéniens qu’elles occasionnent. Un Magistrat veut acquérir la considération d’homme d’Etat, de Politique, de Savant, d’Artiste. Un Artiste à son tour prétend quelquefois à celle d’homme de Lettres, d’homme du monde ; il perd le tems qui l’auroit conduit à de plus grands succès dans l’état sous lequel il s’est montré ; & l’incertitude qu’il cause sur l’espèce de considération qu’il demande, engage quelquefois à ne lui en accorder aucune. Il a trop demandé, & finit par ne recevoir que du ridicule. Il est bien rare qu’un homme puisse réunir plusieurs réputations bien fondées & plusieurs sortes de considérations à la fois. Si l’Artiste a la prétention de vouloir persuader que l’Art dans lequel il pourroit rèussir n’est que le moindre de ses talens, il risquera de perdre la considération à laquelle il avoit droit, & qui feroit la jouissance de sa vieillesse, comme le souvenir des actions honnêtes & des travaux utiles devient celle des hommes vertueux. (Article de M. Watelet.)