Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Confus, confusion

Panckoucke (1p. 136-137).

CONFUS, CONFUSION. Les objets sont confus dans un tableau, quand ils y sont mal adroitement multipliés, quand le spectateur ne peut se rendre compte du plan qu’ils occupent, quand les lumières mal-entendues, mal distribuées, mal dégradées, égarent la vue sur toutes les parties du tableau sans l’appeller à l’objet dont elle doit principalement s’occuper, quand enfin le ton de ce qui doit s’avancer ne se détache pas de ce qui lui sert de fond. Ainsi, la confusion peut être quelquefois un vice de composition, & quelquefois un vice de clair-obscur & de couleur.

On peut en général poser pour principe que la


multiplicité de figures dans un tableau y apporte moins de richesse qu’elle n’en trouble la composition, & cause plus de distraction que de plaisir au spectateur. Notre attention est bornée ; elle peut se fixer sur une figure, sur un grouppe ; elle se relâche si l’on veut la promener sur un peuple entier. L’art a des moyens de supposer une foule, en ne montrant qu’un petit nombre de figures. Si l’on en représente un grand nombre, il faut du moins qu’un seul grouppe domine, attire, retienne le spectateur, & le rappelle encore quand il veut le quitter pour des objets subordonnés.

Il est des sujets qui ne se prêtent pas à ce principe, & qui exigent un grand nombre de figures sans permettre de les groupper : ces sujets sont vicieux, & ne doivent jamais être du choix de l’artiste.

Ce n’est qu’aux grands coloristes qu’il peut être permis de multiplier les objets dans leurs compositions : ils ont toujours des ressources pour les empêcher d’être confus. Rubens en a donné des preuves ; mais les artistes plus attachés à la beauté & à l’expression qu’au prestige de la couleur & à cette fougue de composition qui ne peut s’accorder avec leur sagesse, doivent se contenter de commander à notre admiration par un petit nombre de figures.

On trouve dans Pline un passage qui semble embarrassant : Appelle, dit-il, cédoit à Amphion pour la disposition, & à Asclépiodore pour les mesures, c’est-à-dire, pour la distance qui doit se trouver entre chaque objet : Cedebat Amphioni de dispositione, Asclepiodoro mensuris, hoc est quanto quid à quo distare débet. L. 35, cap. 10, sect. 10.

Ce passage n’est difficile que parce que nous voulons l’expliquer par les principes de composition des modernes. Quelle est en effet cette distance qui doit se trouver entre chaque objet lorsqu’on nous recommande de groupper tous les objets, de lier tous les grouppes entr’eux, d’éviter ce qu’on appelle des trous dans le langage de l’école ? Mais si, comme nous espérons le prouver ailleurs, on peut juger de la composition des tableaux des anciens par celle de leurs bas-reliefs, les peintres grecs ne cherchoient pas moins à détacher que nous cherchons à lier, à groupper. Bien plus attachés à la pureté du trait, au choix exquis des formes qu’à la grande machine de la composition qu’ils ne connoissoient même pas, & à l’expression qu’au prestige de la couleur, ils recherchoient curieusement tous les moyens que l’art pouvoit leur fournir de développer & de détailler chaque figure. Ils n’auroient pas consenti comme nous à perdre des parties considérables d’une figure en les cachant derrière celle qui l’avoisi. Soigneux de tout étudier, ils ne vouloient sacrifier aucune partie de leurs études. Nous vous donc entendre par le passage de Pline qu’Asclépiodore l’emportoit sur Apelle par la juste distance qu’il ménageoit entre chaque figure, distance peut-être variée avec un art, une intelligence à laquelle il étoit difficile d’atteindre. Dans un grand nombre de bas-reliefs antiques les figures sont fort éloignées les unes des autres, & l’on ne peut gueres soupconner que les auteurs de ces bas-reliefs aient employé aucun art à ménager entr’elles une distance capable de plaire. Dans la noce Aldobrandine, elles sont plus rapprochées, plus agréablement disposées. Je croirois que l’auteur de ce tableau a mieux connu que ceux des bas-reliefs, en général, l’art des distances dont parle Pline, mais qu’il n’a pas été cependant l’égal d’Asclépiodore dans cette partie.

Tout éloignée qu’est cette pratique de celle des modernes, & de leurs principes de composition, on peut présumer que Raphaël, le Dominiquin, le Poussin se sont quelquefois accordés avec la méthode d’Asclépiodore. (Article de M. Levesque).