Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Colossal

Panckoucke (1p. 108-109).

COLOSSAL. On désigne, par le mot colossal, dans nos Arts, ce qui excède les dimensions des objets naturels.

Les imitations de la peinture & de la sculpture, comportent des dimensions, ou semblables aux objets imités, ou plus petites dans toutes les dégradations possibles, ou plus grandes graduellement jusqu’aux bornes que la nature a assignées aux entreprises de l’homme. Je ne dois parler ici expressément, ni des dimensions semblables à celles des objets naturels, ni des dimensions plus petites. Les dimensions plus grandes, qu’exprime le mot colossal, n’entrent point dans les idées simples de l’Art, regardé comme l’imitation exacte de la nature. On imite infidèlement, pour parler rigoureusement, lorsqu’on ne donne pas, aux objets imités, jusqu’aux dimensions qu’ils ont dans la nature. C’est à des idées accessoires qu’appartiennent les infractions, en plus ou en moins, de l’imitation exacte. Mais, dans ces idées que j’appelle accessoires, il en est qui sont liées de si près à la nature & aux Arts, qu’elles en sont comme inséparables. Il en est d’autres qui, plus accessoires, pour parler ainsi, ne se lient aux principes des Arts, que par d’autres idées intermédiaires.

La réflexion qu’on fait sur la place qu’on assigne à des ouvrages de sculpture, par exemple, est une idée accessoire de l’Art, mais qui lui tient de bien près. Elle doit donc s’y réunir naturellement ; & lorsqu’en réfléchissant, on prévoit que la place où l’on doit poser une statue de grandeur naturelle, est à telle distance, ou à telle élévation, que cet ouvrage de l’Art ne pourra pas être vu, de manière à satisfaire ceux qui le regarderont : l’idée d’en augmenter la dimension, doit se présenter, non comme infraction des loix de l’imitation, mais comme perfectionnement de l’imitation. Ainsi, lorsque l’on destine expressément une statue à être posée dans un lieu vaste, dans lequel elle ne doit être vue que d’assez loin ; lorsqu’on la destine à être placée à une certaine élévation, on ne peut guère manquer de réfléchir que la plupart des formes, & que les traits du visage, par conséquent, que le caractère & l’expression, ne seront point assez apperçus & distingués. Alors il s’établit, comme principe, d’augmenter les dimensions jusqu’au degré nécessaire ; & l’idée du mot colossal, quoique produite d’après des idées accessoire & intermédiaires, s’identifie si naturellement avec l’Art, qu’elle lui devient propre. C’est donc d’après la relation de l’Art, avec le sens auquel ses productions doivent être premièrement offertes, que les altérations de dimensions se trouvent autorisées ; & l’on concevra que c’est pour favoriser, dans certaines circonstances & certains usages, la jouissance des ouvrages des Arts, qu’on se permet d’altérer les dimensions, en plus & en moins ; mais il résulte aussi de ces premiers élémens, que rien n’autorise véritablement, ni les réductions trop petites qui fatiguent les organes, & nuisent, par-là, à leur satisfaction la plus complète, ni les dimensions trop gigantesques. Les entreprises qui tombent dans ces deux excès, n’ont ordinairement pour principes que l’amour-propre personnel, ou bien une sorte d’émulation industrieuse, mal raisonnée du Peintre ou du Sculpteur ; ou bien, enfin, leur condescendance à des ordres, ou à des desirs qui manquent de lumières, & auxquels la raison & le bon goût n’ont point participé : & l’on ne doit pas perdre de vue cet élément de la morale & des Arts, que plus l’intérêt personnel des hommes s’isole, en se séparant de l’intérêt général, plus les vrais. principes de la morale humaine, & les solides élémens des Arts deviennent arbitraires, & tendent à se corrompre.

L’orgueil des hommes & l’exaltation, ou l’exagération de leurs idées, ont une analogie sensible avec le colossal dans les Arts. Aussi peut-on penser que c’est à l’orgueil des hommes puissans, que l’on a dû la plupart des figures ou statues colossales isolées, dont il nous reste des notions ? Telle est l’idée de la statue proposée à Alexandre, & que l’Artiste, élevant son imagination au niveau de l’orgueil d’un conquérant, avoit proposé de former d’une montagne entière. Tels sont souvent les ouvrages ampoulés des Auteurs, qui encensent les Rois, sur-tout lorsqu’ils apperçoivent que ces dieux de la terre croyent eux-mêmes les proportions de leurs facultés colossales. Ce qu’ils ne croyent que trop souvent.

Si l’on suit ces rapports, on doit penser que les dimensions vraies, doivent être celles auxquelles se plaisent les bons esprits, les excellens Artistes, & les hommes qui, dans quelqu’état & circonstances qu’ils se trouvent, n’oublient pas que leurs dimensions physiques & spirituelles, sont circonscrites. Quant aux petites dimensions, elles appartiennent ordinairement, dans les Arts, aux moindres talens, comme aux moindres genres. Aussi, sont-elles plus multipliées parmi les hommes, dont la plus grande partie, par nature ou faute de connoissances, sont réduits aux plus petites idées, comme le peuple des Auteurs aux plus petits détails.