Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Caressé

Panckoucke (1p. 95-96).
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CARESSÉ. Un ouvrage caressé signifie un ouvrage remarquable par un beau fini.

Ici l’expression figurée a un rapport particulier avec le sens propre ; car pour parvenir à ce précieux, à ce fini qu’on exprime par le mot caressé ; il faut qu’en effet, le Peintre passe & repasse souvent, avec légèreté, avec délicatesse, avec une sorte de plaisir & de volupté même, si l’on peut s’exprimer ainsi, la brosse ou le pinceau sur les teintes qu’il doit fondre les unes dans les autres, sans les offenser, sans les altérer, & avec la circonspection, avec quelque chose des sensations, & de l’action même qu’éprouve quelqu’un qui caresse un objet aimé.

Caresser son ouvrage, a, par extension de signification & de figure, un sens relatif à l’amourpropre ; car il donne à entendre une affection trop grande pour l’ouvrage, auquel on se complaît. S’il faut m’en tenir au sens le moins détourné, je dirai qu’un ouvrage de Peinture, lorsqu’il est caressé, peut avoir un grand mérite, relativement au faire. Il peut avoir aussi des défauts, qui naissent du trop grand desir de terminer

Ces défauts sont la froideur & la mollesse.

Un tableau peut être caressé, jusques à perdre une grande partie de ce qu’on appelle l’esprit & le caractère. D’un autre côté, l’esprit & le caractère, trop prononcés, laissent à l’égard de certains ouvrages, désirer quelque chose de plus caressé. Le milieu juste en tout est difficile à fixer, dans la Peinture il est en quelque sorte inappréciable.

On peut dire de Salvator-Rose, que dans plusieurs de ses ouvrages il est trop peu caressé, qu’il est trop fier, trop heurté. Miéris, Vanderverf sont trop caressés dans leurs tableaux, plusieurs de leurs compositions empruntent de cette manière de terminer une froideur qui glace ; ceux de Grimou tombent dans la mollesse.

Au reste ; il est des ouvrages dans lesquels le mécanisme exclud absolument le caressé, & d’autres où il y entraîne l’Artiste. La fresque, ne donne pas au Peintre le tems de caresser son ouvrage ; tandis que l’émail & la miniature invitent le Peintre à être précieux, en exigeant du tems, de la patience, & en lui offrant les moyens de caresser ses productions.

Il est de même certains ouvrages qui demandent un grand soin, & d’autres qui en dispensent.

Les genres qui dispensent des soins qu’on désigne par le mot Caressé, sont les plafonds vastes & élevés. Les tableaux destinés à être vus de loin, les décorations qui doivent être placées en plein-air, celles qui sont faites pour des spectacles de nuit, ou pour des fêtes dont l’appareil doit être vu dans un grand espace, tous ces ouvrages souffrent & exigent même d’être heurtés.

Les tableaux de chevalet, ceux destinés à des appartemens intérieurs, les peintures qui décorent des lieux très-recherchés, très-ornés & de petite dimension, manqueroient d’un attrait qu’on y désire, s’ils n’étoient point caressés.

Les fleurs, les oiseaux, les objets précieux demandent que leurs imitations soient aussi caressées qu’ils semblent l’être eux-mêmes par les mains de la nature.

Il faut enfin que les beautés qu’elle paroît se plaire à caresser en les formant, & qu’elle destine à recevoir l’hommage de nos caresses, reçoivent aussi, dans l’imitation qu’en fait l’Artiste, celle du pinceau, car en nous donnant l’idée de la douceur, de la légèreté, de la délicatesse, avec lesquelles il a été promené sur les couleurs, pour les unir parfaitement, sans leur ôter leur fraîcheur & leur éclat, le Peintre nous rappelle la douceur & la délicatesse dont la nature les a doués

Je dois observer que le caressé plaît généralement au plus grand nombre, & sur-tout à ceux qui n’ont point assez réfléchi sur la théorie & la pratique de l’Art, pour entrer dans les conventions auxquelles il est indispensablement soumis.

Mais ce penchant naturel tourne au désavantage de l’Art, parce que le caressé que le plus grand nombre exige de la Peinture est une sorte de flatterie, par laquelle ceux qui manquent de connoissance, veulent être séduits.