Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Calquer calque

Panckoucke (1p. 89-90).

CALQUER & CALQUE. L’opération qu’on désigne par le mot calquer, est celle par laquelle on fait passer, en quelque façon, mécaniquement le trait d’une figure ou de quelque partie d’un dessin ou d’un tableau, sur un papier, sur un vélin, sur une toile, &c. Cette opération se fait par plusieurs moyens ; & quoique naturellement ce détail appartienne à la seconde Partie de ce Dictionnaire, où il en sera encore question, je ne me refuserai pas à en dire ici quelque chose, parce que la facilité mécanique que présente l’opération de calquer, est assez souvent mise en usage par les personnes qui, n’ayant point de connoissances réelles & manquant de la facilité de dessiner, croient suppléer à ce talent


indispensable dans tous les Arts du dessin, sans se donner la peine de l’acquérir.

La manière la plus commune de calquer un dessin, (& je me borne à ce détail ;) est de frotter le revers du papier sur lequel il est fait, de sanguine en poudre, ou de mine de plomb. Lorsque ce revers est rougi, ou noirci également par-tout ; lorsqu’en l’a essuyé légèrement pour ôter le superflu de la sanguine ou de la mine de plomb, on assujettit, avec de la cire ou des épingles, le dessin sur une feuille de papier, de manière que le côté empreint de crayon rouge ou noir soit appliqué sur le papier blanc ; ensuite, avec une pointe de métal, qui doit ne pas être coupante, on passe, en appuyant autant qu’il est nécessaire, sur le trait qu’on veut calquer. Alors l’empreinte du crayon, dont est couvert le revers du dessin, se trouvant pressée dans le passage de la pointe sur le panier blanc, y laisse une trace, ou ce qu’on appelle un calque ; & ce trait calqué est plus ou moins exact, plus ou moins spirituel, enfin plus ou moins utile en raison de ce que celui qui calque a de connoissance & même d’habitude acquise de l’Art du Dessin.

Les dernières lignes de cette explication, que j’ai rendue la plus claire qu’il m’a été possible, me conduisent naturellement aux notions que je destine ici à ceux qui ne sont pas bien initiés dans les Arts, & qui par conséquent ont de fausses ou incomplettes idées sur ce qui a rapport à leurs diverses pratiques. En effet, combien de jeunes gens, d’hommes du monde, de personnes même qui ont le but de s’occuper des Arts, sont disposés à penser qu’en calquant, aussi exactement qu’ils le peuvent, un contour, un trait ; ce contour ou ce trait se trouvera semblable à celui qu’ils veulent reproduire, & qu’ils n’auront plus qu’à imiter les ombres pour avoir doublé l’original qu’ils cherchent à copier ?

Cependant on doit, pour les détromper & les instruire, leur dire ici avec franchise, que ce trait mécanique qu’ils obtiennent par une opération dont la justesse leur paroît démontrée, n’a & ne peut avoir de mérite qu’en proportion du talent que possède celui qui le forme ; de manière que si celui qui calque n’a nulle idée & nulle habitude de dessiner, son calque attestera son incapacité & lui sera d’autant moins utile, que cette incapacité de dessiner le trait annonce celle qu’il doit avoir de répartir les ombres & les lumières, & de les indiquer en formant avec le crayon des hachures convenables & tracées dans l’ordre qu’il est nécessaire de suivre. Il faut donc que le copiste qui calque, soit capable d’imiter sans calquer le dessin qu’il veut copier, au moins jusqu’à un certain point d’exactitude. Il faut par conséquent qu’il soit en état de sentir les formes relatives aux contours, les raisons qui ont fait placer & prononcer les touches, qui ont fait adoucir légérement & suspendre, pour ainsi dire, le trait dans certaines parties ; il faut, dis-je, qu’en calquant il sente tout cela & qu’il s’en rende plus ou moins compte, pour que le calque ait quelque mérite & remplisse l’intention qui le fait entreprendre. Un homme qui calque sans savoir dessiner, est assez semblable à celui qui copieroit ou liroit un ouvrage écrit dans une langue étrangère pour lui, & qui, ne connoissant & n’employant aucune inflexion, aucun accent, aucune ponctuation, imiteroit mal des signes inconnus pour lui, ou ne prononceroit que des sons insignifians.

Il résulte de-là que l’opération de calquer n’est bonne à rien à celui qui ne sait rien, & souvent est assez peu nécessaire à celui qui fait.

On demandera, pourquoi donc le calque est en usage dans les Arts. La question est juste & elle exige encore quelques notions convenables à ce Dictionnaire.

Il se rencontre un assez grand nombre de circonstances dans lesquelles ceux qui pratiquent la Peinture & les branches des Arts qui en dérivent, ont un grand intérêt à épargner ou à ménager des instants précieux ; & il en est où il est important pour eux de parvenir promptement à une exactitude d’imitation, que j’appellerai géométrique ou précise autant qu’il est possible. La Gravure en offre les plus fréquens exemples. On ne peut rien tracer avec le crayon sur la planche vernie, surtout lorsqu’il s’agit d’y transmettre le trait juste & exact d’un dessin ou d’un tableau, parce que le vernis dont on se sert le plus communément est mol, & qu’il s’enlève trop facilement de la superficie du cuivre qu’il couvre. Il faut donc avoir recours au calque. D’ailleurs le Graveur qui est supposé, (quoique la supposition ne soit pas assez communément juste (le Graveur, dis-je, qui est supposé savoir dessiner, parvient plus promptement & plus exactement à copier sur son cuivre le trait de l’ouvrage qu’il doit graver, en calquant avec intelligence & fidélité ce trait de la manière que j’ai indiquée. Cette manière est cependant susceptible d’un assez grand nombre de modifications, dont je donnerai le détail dans le second Dictionnaire, à l’Article relatif à celui-ci ; mais je mettrai dans ce moment sur la voie ceux qui n’ont besoin que de notions générales. Une opération presqu’aussi utile que celle dont je viens de donner l’idée, & qui y a assez de rapport, est celle de copier mécaniquement, dans des proportions différentes, le trait qu’on veut imiter. Il est moins ordinaire que l’on ait besoin de copier dans une plus grande dimension, que l’original dont on s’occupe, soit pour la Gravure, soit pour la Peinture, soit pour imiter en général, qu’il ne l’est, d’avoir à réduire un original dans une dimension plus petite ; aussi les moyens mécaniques inventés pour ces sortes d’opérations sont-ils généralement connus sous la


désignation de moyens de réduire : compas de réduction, &c. On emploie, en effet, pour ces opérations des compas qui sont appropriés à cet usage, ou des quarrés que l’on trace légérement sur un dessin, & donc on trace un même nombre dans une dimension différente sur le papier ou sur le cuivre. Cette préparation mécanique donne la facilité & la sûreté de réduire exactement ou de copier un dessin ou un tableau dans une grandeur proportionnelle relative à l’original ; mais ainsi que dans l’opération de calquer, & plus même que dans cette opération, il est nécessaire que celui qui réduit, ait le talent de dessiner, & l’aptitude à se rendre compte de ce qu’il fait ; de manière, : qu’en employant plus de temps, il put en venir à bout, même sans le secours des moyens mécaniques dont je viens de parler. Ainsi, dans les Arts du Dessin, les secours que l’industrie a imaginés pour simplifier, pour favoriser, pour abréger & pour assurer les opération., n’ont des avantages réellement utiles que pour ceux qui sont instruits, & qui, à la rigueur, pourroient s’en passer. Il seroit fort avantageux que les hommes, dont les connoissances sont si souvent moindres que leurs prétentions, fussent convaincus de cette vérité pour leur avantage, plusieurs renonceroient peut-être aux petites supercheries sur lesquelles ils établissent de petites réputations, & à l’aide desquelles ils font souvent parade de talens qu’ils n’ont réellement pas.