Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Cabinet, cabinets de tableaux

Panckoucke (1p. 88-89).
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CABINET, CABINETS DE TABLEAUX. Un Cabinet de tableaux signifie une collection d’ouvrages de Peinture ; & l’on se sert de cette dénomination, quand même la collection rempliroit un palais. Certainement lorsque cette expression s’est établie, la prétention & le faste n’existoient pas à cet égard autant qu’ils existent aujourd’hui. Je me transporte aux tems peu éloignés, où les Arts ont commencé à fleurir, & je me représente un homme, ami des Arts & lié avec les plus habiles Artistes de son tems qui, sur son superflu ou son économie, à l’aide de ses connoissances & de ses soins, parvenoit à réunir un certain nombre de tableaux de maîtres recommandables. Cet homme ne disoit point : je possède une collection superbe. Il disoit simplement : j’ai un cabinet qui referme quelques bons tableaux. On imita cet homme ; car l’imitation de quelqu’espèce qu’elle soit, est naturelle à l’homme & habituelle parmi nous. Bientôt on pût citer plusieurs colletions ou cabinets de tableaux, & la distinction qu’on accorda à ceux qui en étoient possesseurs, en augmenta bientôt le nombre. Ce qui est assez singulier, c’est qu’à mesure que les faiseurs de colletions ont rempli des appartemens vastes d’un nombre considérable d’ouvrages de Peinture, la vanité ait daigné conserver encore la manière de s’exprimer, qu’employa d’abord la modestie.

La plus ample collection s’appelle donc encore cabinet, & cette dénomination est en usage pour un grand nombre d’objets curieux & scientifiques. On dit un cabinet de livres, mais plus ordinairement une bibliothéque. On qualifie de cabinets les colletions d’objets qui ont rapport aux médailles, aux dessins, aux estampes, aux sciences, à l’histoire naturelle ; & pour suivre l’historique de cette dénomination qui s’est étendue & a jette des branches assez remarquables, les Joueurs de gobelets & les Charlatans, que l’intérêt & une sorte de vanité, qu’ils n’avoient pas autrefois, portent à se rapprocher des Sciences & des Arts, appellent cabinets de Physique & laboratoires les endroits où ils attirent le Public, & où ils tirent partie de la curiosité par l’adresse & le prestige. Cette dénomination est un nouveau moyen du Charlatanisme, & ce moyen une sorte de familiarité qui rapproche trop les Siences, ainsi que les Beaux-Arts, des artifices qui n’ont pour but que le vil intérêt. Au reste, le rapprochement des charlataneries & des sciences nait de ce que ces dernières étant exercées plus généralement qu’elles ne l’étoilent, excitent davantage à en tirer parti, & à chercher, surtout dans les nouvelles découvertes, des moyens d’opérer quel-


ques effets extraordinaires, dont les Charlatans adroits & d’une classe moins obscure qu’ils n’étoient, savent tirer avantage. Les savans dédaignent les inconvéniens qui résultent des approximations ou plutôt des mésalliances dont je viens de parler ; & ces inconvéniens passagers ne peuvent en effet être bien dangereux, à moins que les administrateurs & les hommes pussins ne se permettent trop de les favoriser.

Les hommes d’Etat, plus instruits des affaires importantes d’administration, que des Sciences & des Arts, sont disposés à être trompés, même en raison de leur zèle pour le bien public ; & l’on peut penser qu’ils sont à cet égard comme les parens affectionnés, toujours prêts, lorsque leurs enfans sont malades, à croire vrais les miracles dont se vantent les gens qui en font le moins. Pour revenir aux cabinets de tableaux & à ceux qui en tirent vanité, leur relation avec le Charlatanisme consiste, en ce que d’une part l’on trouve dans plus d’une collection moderne des tableaux apprêtés, repeints, déguisés, parés pour les faire croire meilleurs qu’ils ne sont ; & d’autre part, de ce que les possesseurs, dans leurs éloges exagérés, parlent trop souvent le langage dont nous rions, lorsque par hazard nous l’entendons dans les places publiques.

L’influence qu’a le charlatanisme des cabinets sur le goût national n’est pas difficile à appercevoir. Premièrement, ces colletions, composées sans connoissance & par prétention, sont peu utiles aux Artistes consommés, & elles trompent ceux qui manquent de lumières. Les colletions de cette espèce ne sont donc bien réellement favorables qu’à l’intérêt des marchands qui y font passer successivement un grand nombre de tableaux dont ils tirent parti, & à la vanité des possesseurs, qui sont portés à rendre leurs collections d’autant plus riches en nombre, qu’ils le sont moins eux-mêmes en connoissances.

Si les cabinets étoient formés comme ils devroient l’être, ils réuniroient, par rapport aux Arts & au goût, les avantages infiniment précieux dont quelques-uns jouissent à juste titre ; car rien n’est plus capable de donner des idées des genres, des manières, du mérite des différens maîtres, & par conséquent de l’Art en lui-même, que de pouvoir sans sortir du même lieu, comparer un grand nombre de chefs-d’œuvres ; d’ailleurs rien de plus avantageux pour la conservation de ces chefs-d’œuvres, que les soins auxquels ceux à qui ils appartiennent s’engagent par vanité même avec le Public, qui, venant juger lui-même de ces soins, fait l’éloge des possesseurs les plus attentifs à les remplir. Les cabinets de tableaux, tels que je les suppose, ceux dans lesquels on n’amet point d’ouvrages incertains, altérés, déguisés & que les possesseurs ouvrent non-seulement aux Artistes, mais à tous ceux qui veulent réellement s’instruire, sans acception d’état, les collections enfin, où l’on assemble & l’on rapproche avec une sorte de méthode les beaux ouvrages, deviennent donc, pour les Arts & pour la nation, des écoles, dans lesquelles les amateurs peuvent prendre des notions, les Artistes faire des observations utiles, & le Public recevoir quelques premières idées justes. Les possesseurs des cabinets formés sur ces principes, ont certainement droit à la reconnoissance publique & à l’intérêt particulier de tous ceux qui s’occupent des talens. C’est aussi, lorsque les collections sont telles que je les suppose, qu’elles subsistent & passent de génération en génération, tandis que les collections nombreuses & imparfaites deviennent en peu de tems à charge, même à ceux qui les font, soit par le prix qu’ils sont insensiblement obligés d’y mettre & les tromperies qu’ils éprouvent, soit par l’embarras que le nombre seul leur donne. Aussi les possesseurs, privés de l’espérance que leurs héritiers puissent se charger d’un mobilier considérable, dont la valeur est douteuse, s’en dégoûtent & s’en défont souvent, comme en se débarrasse d’une société mêlée qui s’est augmentée au point de devenir insupportable, même à celui qui l’a rassemblée sans choix. Que les vrais Amateurs, ceux qui veulent s’instruire en jouissant, & donner lieu aux autres de jouir en s’instruisant, se rapprochent donc le plus qu’il est possible, en formant leurs collections, des premiers cabinets ; qu’ils donnent au choix ce qu’ils sacrifient trop souvent au nombre ; mais pour cela il faudroit, qu’oubliant les prétentions inspirées par le luxe, par des imitations & des instigations pernicieuses, ils eussent plus de confiance dans les Artistes éclairés, que dans ceux que l’intérêt pécuniaire excite à tirer sans cesse parti de la crédulité, de l’ardeur de posséder & du défaut de connoissances.