Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Action

Panckoucke (1p. 9-10).
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ACTION, (subst. fém.) On dit : Cette figure a de l'action.

Cette phrase signifie qu'une figure dessinée, peinte ou sculptée paroît agir.

On dit aussi d'un Comédien : Cet Acteur a de l'action, est sans action. Le Comédien est regardé comme figure du tableau que le Théâtre présente aux Spectateurs.

On dit encore qu'une figure a du mouvement, & l'on pense communément que dans cette manière de s'exprimer, mouvement & action, sont à-peu-près synonymes ; mais il n'est point de véritables synonymes, & je crois que dans le langage de la Peinture, on peut distinguer l' action du


mouvement, j'ajouterai qu'il. est aussi des passions qui ne produisent ni action ni mouvement, & qui ont une expression très-caractérisée. Telles sont l'abattement, la volupté, la mélancolie, dont les expressions, la plupart passives, arrétent le mouvement & suspendent l' action, plutôt qu'elles ne font agir & mouvoir ceux qui en sont affectés.

D'une autre part, considérez des hommes qui marchent avec vîtesse, qui rament avec force, qui arrachent un arbre, qui tirent un poids considérable ; ces figures ont de l'action, du mouvement, & ne sont affectés d'aucune de ces impressions de l'ame qu'on nomme passions, auxquelles le mot d' expression est principalement consacré.

L' action peut n'exiger du mouvement que de quelques parties, sans que la figure se déplace ; le mouvement donne une idée plus générale de déplacement, & l' expression des grandes passions veut que toutes les parties du corps participent de l'affection qui occupe & détermine l'ame, soit que la figure agisse ou n'agisse pas.

Quelques exemples donneront une idée plus sensible de ce que je viens de désigner. Salomon est représenté assis sur son trône : il a avancé un bras pour ordonner de partager en deux un enfant que l'on tient devant lui ; je suppose que le visage du Prince soit entièrement caché : son geste seul peut autoriser à dire que cette figure a beaucoup d' action. Il ne me paroîtroit pas aussi juste de dire qu'elle a du mouvement, puisqu'un seul geste produit en elle ce que j'appelle action.

Une femme court se jetter entre deux combattans : toutes les parties de son corps paroissent concourir à la précipitation de sa course ; elles sont représentées dans les positions qui leur sont nécessaires, qu'elles doivent occuper pour s'entr'aider & pour favoriser l'intention de cette femme ; on croit enfin la voir changer de place. L'on dira : cette figure a beaucoup de mouvement, & je crois que le mot action ne conviendroit pas autant à cette figure.

Ces deux exemples feront entendre les nuances peut-être un peu délicates que je pense qu'on peut admettre dans le sens des mots action, mouvement & expression, appliqués à la Peinture.

L' action, ainsi que le mouvement, demande une grande connoissance de l'Anatomie. Le mouvement en exige sur l'équilibre & la pondération, parce que la juste imitation des apparences extérieures des membres, des os & des muscles dans l' action, & celle de la distribution du poids des différentes parties dans le mouvement peuvent conduire. seules l'Artiste à son but. Quant à l' expression, qui est accompagnée d'action & de mouvement, il faut joindre aux sciences positives que je viens de désigner, une science plus profonde que j'oserai appeller l'anatomie de l'ame & du cœur, & l'étude des effets que produit la rupture de leur équilibre moral, Il faut encore que l’Artiste se trouve susceptible d’avoir par lui-même une idée juste & forte de l’action & des mouvemens des passions : il faut enfin que la force & la flexibilité de l’imagination lui fasse éprouver, en représentant leurs effets, une impression sympathique, par laquelle il sente la mesure de ce qu’il transmettra d’action & de mouvemens passionnés à ses figures, & de ce que les figures qu’il peint en doivent transmettre à leur tour à ceux qui y fixeront leurs regards. Mystère inexplicable, qui distingue absolument les Arts libéraux des Sciences & des Arts méchaniques !

Le Peintre, Dessinateur, Coloriste, instruit profondément de l’anatomie & de la pondération, mais dont l’ame est froide, représentera avec correction un homme dans le mouvement que doit occasionner une passion ; mais cet homme paroîtra exécuter ce mouvement comme quelqu’un à qui on le prescriroit & sans qu’il l’eût pensé lui-même. La figure peinte ne peut être animée ; si l’homme qui la peint ne l’est pas.

Je reviens à l’objet de cet article pour observer que dans un tableau, composé de plusieurs figures qui ont de l’action, leur relation mutuelle ajoute à l’effet & à l’action générale ; & c’est alors qu’on dit : Il y a beaucoup de mouvement dans cette composition.

Pour vous, jeunes Artistes, connoissez de bonne heure & n’oubliez pas que l’homme, à moins qu’il ne soit dans la stupidité ou dans l’apathie, n’est jamais, sur-tout pour le Peintre, sans action, sans mouvement ou sans passion. Si la passion est concentrée, elle demande plus de finesse, d’esprit & de sentiment. Presque toutes les passions trèsnobles sont de ce genre : aussi leurs actions & leurs mouvemens doivent avoir une mesure, infiniment juste, & ils sont susceptibles par-là de cette beauté que nous admirons dans les ouvrages parfaits de l’Antiquité.

Les impressions brusques, qui, venant de dehors & agissant, pour ainsi dire, de la première main, sur les sens, n’ont pas été modifiées & réfléchies par l’ame, sont, en quelque sorte, matérielles. Celles qui, reçues plus directement par l’ame, produisent ensuite leur effet extérieur par une sorte de reflexion, si l’ame est distinguée, sont moins grossières & ont une teinte de sa perfection. Ce n’est pas dans l’extrême jeunesse que ces idées, qui tendent au sublime, peuvent être parfaitement comprises ; mais la jeunesse, douée du Génie qui est nécessaire aux Arts, peut les entrevoir, par anticipation. Elle peut au moins, dès qu’on les indique, les sentir & en conserver une première idée.