Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Achevé

Panckoucke (1p. 8-9).
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ACHEVÉ, (part. pass.) Un ouvrage des Arts méchaniques est achevé, dans le sens le plus usité, lorsque l'Artisan croit n'avoir plus rien à y faire.

Mais une production des Arts libéraux peut avoir épuisé tout le travail dont un Artiste est capable, & n'être rien moins qu'un ouvrage achevé.

Un tableau achevé, lorsqu'on parle le langage de l'Art, est donc une production qui approche, autant qu'il est possible, de cette perfection de la Peinture, que l'on conçoit plus qu'on n'y peut atteindre. Pour qu'un tableau put être regardé comme achevé dans la rigueur du sens de ce mot, il faudroit que l'imitation qu'il contient approchât tellement de l'objet naturel imité, que le regard y fût trompé ; mais cette perfection est idéale & l'Art ne peut l'atteindre.

Il reste & il restera toujours aux Peintres qui tendent à la perfection, une distance entre les imitations & la nature, comme il reste aux Navigateurs qui veulent toucher le Pôle, des espaces à découvrir. C'est par l'impossibilité même d'arriver à leur but, que l'émulation des uns & des autres est excitée & nourrie. Le Peintre croira toujours possible de produire des imitations plus achevées que toutes celles qu'on a faites. Enfin, tous ceux qui veulent imiter la nature, voyent en l'observant, ou pensent voir ce point si desiré où ils tendent ; ils travaillent, ils espèrent, ils avancent, reculent, restent enfin plus ou moins près. Voilà le sort des Peintres les plus excellens qui ont existé & de ceux qui existeront.

Les mots fini & terminé s'emploient aussi, relativement à la Peinture & aux ouvrages des Beaux-Arts à-peu-près dans les mêmes sens que le mot achevé. Cependant on peut y remarquer des différences ; car les mots fini & terminé donnent quelquefois, selon la manière dont on les emploie, l'idée d'un ouvrage fait avec le plus grand soin. Cependant un tableau exécuté avec feu, avec enthousiasme & sans trop de recherche du côté du faire, a souvent plus de droit à être nommé un ouvrage achevé, que celui qui a coûté à l'Artiste beaucoup de temps & de soins.

Certains tableaux de Rimbrand, de Luc Jordans, de Rubens, faits, pour ainsi dire, par inspiration & au premier coup, peuvent être regardés comme des ouvrages achevés dans leur genre, plus justement quant à l'esprit de l'Art, que plusieurs ouvrages de Wanderverf, l'un des Peintres les plus précieux qui soient connus.

Les tableaux de ce Peintre sont le plus ordinairement des ouvrages finis & très-terminés, tandis que plusieurs de ceux des autres Artistes dont j'ai parlé, lorsqu'ils ne sont pas à leur point de vue, ou qu'ils sont offerts à des yeux peu instruits, ne paroissent que des ébauches.

Pour exprimer ce que l'on entend par le mot fini, lorsqu'on parle des Peintres précieux, on se sert encore des mots léché, caressé.

On dit des tableaux de Mieris & de Girardoux, qu'ils sont précieux, finis, caressés, léchés. On les appelle précieux, vrai-semblablement parce que le temps nécessaire aux Artistes, pour les porter à ce point, ne leur permettant pas d'en faire un grand nombre, leurs rareté les place au rang des objets précieux.

On sent aisément, d'après ce que j'ai dit jusqu'ici, que lorsqu'on demande à un Peintre, si le tableau qu'il a promis est achevé, l'on donne à ce mot un sens qui n'a pas de rapport à l'Art en particulier & qui appartient à la Langue générale.

Il est injuste sans doute d'exiger & d'attendre des jeunes Artistes des ouvrages achevés, en prenant ce mot dans le sens relatif à l'Art ; mais on a droit sur-tout dans les Écoles, de les exhorter à prendre l'habitude d' achever les ouvrages qu'ils commencent.