Encyclopédie méthodique/Art aratoire et du jardinage/Sembrador

Définition

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Sembrador ou Spermatabole ; espèce de semoir.

Article

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SEMBRADOR ou Spermatobole d’Espagne. Les laboureurs, tant anciens que modernes, conviennent que la perfection de l’agriculture consiste à placer les plants dans des espaces proportionnés, où les racines puissent trouver une profondeur suffisante pour s’étendre & tirer de la terre assez de nourriture pour produire du fruit & l’amener à maturité.

On n’a donné aucune attention à la pratique de cette partie importante de l’agriculture, dit l’inventeur du spermatabole. On s’est contenté jusqu’à présent de semer par poignées toutes sortes de bleds & de graines, en les jettant devant soi inconsidérément & au hasard, parce qu’il seroit fort fatigant de les semer un à un dans de grands espaces. D’où il arrive que nous voyons que le bled se trouve semé trop épais dans des places & trop clair dans d’autres, & que la plus grande partie n’est pas couverte ou n’est pas suffisamment enterrée : ce qui l’expose non-seulement à être mangé par les oiseaux, mais aussi à être endommagé par les gelées dans les pays froids, & par l’ardeur du soleil dans les climats chauds.

Ces considérations déterminèrent, à la fin du dernier siècle, Lucatello, après plusieurs expériences, à perfectionner un instrument qui, étant attaché à la charrue, puisse servir en même tems à labourer, semer & herser ; par-là, on épargne la peine de semer, & le grain, tombant à mesure dans le fond du sillon, se trouve tout placé à égale distance & dans la même profondeur de terre ; de sorte, que de cinq parties de semence, on en épargne quatre, & qu'avec cela la récolte est encore abondante.

L'inventeur de cet instrument le présenta au gouvernement, qui en fit faire l'essai à Buen-Retiro, où il a réussi à souhait, malgré la sécheresse de l'année qui causa alors un grand dommage à tous les bleds. Un laboureur ordinaire y ayant semé à la façon usitée un terrain dont on avoit mesuré l’étendue, y recueillit 5125 mesures ; tandis qu'au même endroit, dans un espace égal, où l’on s'étoit servi du sembrador, la récolte fut de 8175 mesures, outre ce qu'on avoit encore épargné de grain par cette nouvelle façon de semer. (Voyez page 212.)

Sur cette épreuve, le gouvernement accorda à l'inventeur & à ses associés, le privilège de distribuer cet instrument dans toute l'Espagne, au prix de 24 réales chacun, & de 32 réales pour les pays hors de l'Europe, dont le cinquième seroit perçu au profit du gouvernement, avec défenses à toutes autres personnes de fabriquer cet instrument & de s'en servir, sous différentes peines.

Avant que l'inventeur parût à la cour d'Espagne, il avoit fait de grands essais de cet instrument devant l'empereur, dans ses terres de Luxembourg, où il avait réussi à merveille, comme il paroît par un certificat donné à Vienne le 1er août 1663, nouveau style, par un officier de l'empereur qui avoit été chargé de voir faire cette expérience.

Ce privilège ayant été expédié, il rendit publique, la description du sembrador avec des instructions comme il suit. (Voyez la pl. IX des gravures de l'Art aratoire).

La figure 1 représente une boîte de bois a, b, c, d. Le couvercle de la partie de la boîte où se met le grain, w. Ce couvercle, qui est levé dans la figure 2, & e, f, g, h, k, l. Les deux côtés de cette partie de la boîte, où un cylindre rond, garni de trois rangs de petites cuillères, tourne sur lui même pour jetter le bled au-dehors ; ces côtés de la boîte sont supprimés dans la fig. 2, pour laisser voir le cylindre R S avec les cuillères x, x, x. La forme intérieure de ces côtés est représentée dans la fig. 3, où l'on peut voir quatre pièces triangulaires d, d, d, d, qui servent à conduire le bled qui étoit tombé dans les cuillères, & à le décharger à la pointe du cylindre, afin qu'il puisse tomber précisément par les trous qui sont sous la boîte. La place de ces trous correspond à la partie de la fig. 1, relativement aux lettres. T est l'une


des roues ; V est l’autre bout du cylindre, sur lequel l’autre roue doit être placée.

Le sembrador doit être fermement attaché à la charrue, de la manière qu'on le voit dans la fig. 43 en sorte que le bled puisse tomber dans le sillon, & que les oreilles de la charrue, à mesure qu'elle tourne, puissent couvrir de terre le bled du sillon précédent.

Comme le grain qu'on a semé avec cet instrument se trouve placé au fond du sillon, & à une profondeur convenable, au lieu que les semences répandues à la façon ordinaire, sont bien moins enterrées, ou tout-à-fait découvertes, il est à propos par conséquent d'avancer un peu les semailles ; & que le laboureur qui se sert du sembrador, prévienne de huit ou dix jours le tems ordinaire de semer, en commençant à la mi-septembre, pour finir au milieu du mois d'octobre.

Dans les terrains durs, la profondeur des sillons doit être de cinq ou de dix pouces ; dans les terres de médiocre qualité, de six ou sept, & dans celles qui sont légères & sabloneuses, de sept à huit pouces, & en suivant ces proportions, c'est au laboureur à juger par lui-même du plus ou moins de profondeur qu'il doit donner au labourage, suivant l’égalité des terres.

Il faut sur-tout avoir soin que les roues qui sont sur les côtés de cet instrument tournent toujours rondement, que jamais elles ne traînent sans tourner, & que les oreilles de la charrue soient un peu plus grandes qu'elles ne le sont ordinairement.

Il est à propos aussi que les grains soient bien criblés & nettoyés, afin que les petites cuillères puissent les jetter sans obstacle, & les mieux distribuer.

Á l’égard de l’orge, il faut qu'il soit bien nettoyé, & que les pailles & les barbes soient séparées du grain, d'aussi près qu'il sera possible, afin que cela ne l'empêche pas de sortir du sembrador.

Après les semailles faites, il faudra pratiquer un sillon pour assainir le terrain & en tirer les eaux, en suivant l’usage du pays, sans qu'il soit besoin d'y rien faire de plus jusqu'à la moisson.

Instructions.

1°. Avant que d'ensemencer un terrain, il faut lui donner autant de labourage qu'il est d'usage dans les pays où on laisse reposer les terres.

2°. Quand le tems des semailles est venu, le laboureur doit commencer à ouvrir un sillon avec la charrue sur un ou deux pas de long ; & quand la charrue est dans la terre à une profondeur convenable, il faut attaches alors le sembrador au train de la charrue de telle façon que les clous des roues puissent s’accrocher à la terre, & les faire tourner uniformément.

3°. Les oreilles de la charrue étant plus larges qu’on ne les a faites jusqu’à présent, il en résultera deux avantages : premièrement, elles donneront plus de largeur aux sillons pour recevoir les semences, & elles recouvriront mieux ceux qui sont ensemencés ; secondement, elles empêcheront que les grosses mettes de terre & les pierres ne donnent des coups contre le sembrador ; au cas que ces mottes n’aient pas été brisées & les terres enlevées ; mais s’il y avoit dans un terrain une si grande quantité de pierres que la charrue ne pût y pénétrer, alors le laboureur doit passer outre, en enlevant la charrue jusqu’à ce qu’il retrouve une terre praticable ; il faut enlever en même-tems le sembrador, dont le poids très-léger ne fait point un grand embarras au laboureur.

4°. Quand une seule paire d’oreilles ne suffit point à la charrue pour écarter les mottes de terre & les pierres, on pourra y ajouter une autre paire d’oreilles de quatre ou cinq pouces plus hautes que les premières, & de même grosseur, que l’on placera dans un endroit convenable, du train de la charrue, & cependant un peu en arrière des autres oreilles ; par ce moyen, le sembrador sera parfaitement garanti & défendu contre les pierres & les mottes de terre, comme l’expérience l’a fait voir.

5°. Au rapport des fermiers les plus expérimentés, le tems propre aux semailles est quand la fleur de la terre est sèche, ou qu’elle approche un tant soit peu de l’humidité ; dans l’un ou l’autre de ces cas, les roues de ce nouvel instrument tourneront sans obstacle, & les trous par où tombent les semences ne seront pas fermés par la boue.

6°. Quand on se servira du sembrador comme il convient, on sèmera en froment trois célamines ou environ un quart de boisseau ; & en orge, cinq célamines ou un demi-boisseau dans autant de terrain qu’il en faudroit pour semer environ un boisseau & demi suivant l’usage ordinaire. Si, dans cette proportion, il se trouve plus ou moins de semence, cela proviendra de quelque défaut dans l’instrument, ou de la négligence du laboureur.

7°. Il faut proportionner les cuillières aux grains, & en faire faire exprès pour chaque espèce de semence.

8°. On doit faire les sillons très-près les uns des autres, en sorte que la charrue en repassent puisse mieux recouvrir le précédent sillon qu’on vient d’ouvrir & de semer.

9°. Après avoir ensemencé un terrain, on doit le rendre aussi uni qu’il est possible, à l’exception des sillons qu’on a faits pour l’écoulement des eaux, comme cela s’est pratiqué jusqu’à présent ; mais il suffira d’en laisser un à chaque distance de quatre verges ; car l’expérience nous a appris qu’un terrain où on n’a laissé aucuns sillons ouverts, rapporte plus de bled que celui où on en a laissé beaucoup, par la raison que dans ce dernier cas, le froment, l’orge ou d’autres grains sont sujets à dépérir par la sécheresse ; & c’est à quoi l’on doit sur-tout prendre garde en Espagne, qui est l’une des plus sèches contrées de l’Europe.

10°. On a observé en 1664, dans plusieurs endroits de l’Espagne, que les terres ensemencées au mois de septembre avoient produit de meilleur grain que celles qui l’avoient été en octobre ; & celles emblavées en octobre, du bled mieux conditionné que celles semées en novembre ; ce qui prouve qu’il est plus avantageux de semer tôt que tard. (Recueil académique).