Encyclopédie méthodique/Art aratoire et du jardinage/Culture

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Culture ; art de travailler la terre pour en tirer des productions.

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CULTURE. On entend par le mot culture l’art & l’action de préparer la terre à recevoir la semence qu’on lui confie.

La diversité des climats a fait imaginer plusieurs manières de cultiver, & chaque pays a, pour ainsi dire, la sienne. La culture des terres est-elle établie sur des principes certains, ou seulement sur une routine qui se transmet de père en fils ? Enfin, peut-on établir une loi générale utile à tous les pays ? Il est constant que les principes d’après lesquels & par lesquels la végétation s’exécute, font un dans tous les pays, parce que la marche de la nature est par-tout la même ; mais cette marche, uniforme dans son principe, varie en raison des modifications que chaque espèce de végétal lui présente. Il est donc essentiel de diriger la culture conformément à ces modifications & à la manière d’être du climat que l’on habite.

Plusieurs écrivains se sont occupés de dicter les lois sur la culture, & on a appelé leur code un systême. On en compte plusieurs principaux, que nous allons faire connoître.

Culture ancienne.

Les premiers principes de culture qu’ont établis les anciens agronomes, consistoient à diviser la terre pour des labours, à la fumer pour la rendre fertile, & à lui donner du repos, c’est-à-dire, la laisser en jachère après avoir recueilli ses productions ; ils ne connoissoient point assez le mécanisme de la végétation pour établir sur ce principe des règles certaines de culture, comme l’ont fait quelques auteurs modernes. Les agriculteurs qui joignoient à cet art quelques connoissances de l’histoire naturelle, croyoient que les racines des plantes étoient les seuls organes destinés à pomper les sucs qu’ils transmettoient aux végétaux ; que les molécules de la terre, extrêmement atténuées, mêlées avec certains sels, étoient le seul aliment analogue à chaque espèce de plantes. Avec de telles idées, est-il étonnant que leur manière de cultiver n’eût qu’un rapport immédiat avec les racines ? Sur ce principe, les labours furent établis, afin de bien atténuer la terre pour la rendre propre à être introduite dans les canaux des racines. Ils produisoient cet effet en faisant usage, après les labours, des herses, des rouleaux & des râteaux. Malgré toutes ces opérations, la terre s’épuisoit quand elle avoit donné plusieurs récoltes consécutives ; &, pour prévenir cet épuisement, il fallut avoir recours aux engrais, établir des jachères ou tems de repos.

Dans ses Géorgiques, Virgile prétend que les principes & la pratique de la culture doivent être établis & fondés sur la connoissance particulière du sol. Voici à-peu-prés comme il s’explique à ce sujet. Avant de mettre la main à la charrue, il est essentiel que le laboureur connoisse l’espece de terre qu’il se propose de mettre en valeur, pour savoir ce qu’elle peut produire. Il y en a qui sont propres à donner de belles moissons, d’autres sont favorables à la culture de la vigne ; dans les unes il est facile de former d’agréables vergers ; dans d’autres, on peut faire croître avec succès une herbe abondante pour la nourriture des bestiaux. De cetre manière de raisonner il conclut qu’il faut absolument connoître la nature, les qualités des différentes terres qu’on exploite, afin de les ensemencer, relativement à la nourriture qu’elles sont capables de fournir à la végétation des plantes.

Varron, dans ses Principes de culture, ne s’éloigne pas de ceux de Virgile ; il les établit, 1o. sur la connoissance du terrain & des parties qui le composent ; 2o. sur celle des différentes, plantes qu’on peut y cultiver avec avantage. Parmi les anciens agronomes, aucun n’est entré dans un aussi grand détail des différentes qualités de terre, relativement à leurs productions, que Palladius.

Pour la saison & les tems des travaux de culture, les anciens étoient dans l’usage de se régler sur le cours des astres. Virgile disoit qu’il falloit interroger les cieux avant de sillonner la terre, & avant de recueillir ses productions : suivant son sentiment, le cinquième jour de la lune étoit funeste aux travaux de la campagne ; le dixième au contraire, étoit très favorable. En gênéral, les anciens agriculteurs, & tous ceux qui ont donné des méthodes de culture, étoient persuadés qu’on pouvoit vaquer aux occupations champêtres tant que la lune croissoit, mais qu’il falloit les interrompre quand elle etoit sur son déclin.

Les labours sont une suite nécessaire de l’opinion des anciens agronomes, touchant le mécanisme de la végétation. Malgré cette opinion, les labours n’étoient point aussi multipliés qu’ils auroient dû l’être relativement à leur système, ils employoient differens instrumens capables de produire en partie cet effet. 1o. La charrue étoit d’abord mise en usage pour sillonner & ouvrir la terre ; 2o. les râteaux à dents de fer brisoient ensuite les mottes ; à leur défaut, une claie d’osier rendoit à-peu-pres le même service ; 3o. le rouleau perfectionnoit la culture : on le faisoit passer sur toute la superficie du terrain, afin de l’unir de l’égaliser parfaitement. Le nombre des labours nécessaires avant d’ensemencer, n’étoit point fixé : suivant, leurs principes, ils auroient dû être très-multipliés ; nous observons, au contraire, qu’ils labouroient moins fréquemment que nous. Virgile s’est éloigné, dans les préceptes sur la culture, de la méthode de ses contemporains ; il prétend que deux labours sont insuffisans pour disposer une terre à être ensemencée. Si l’on veut avoir des moissons abondantes, il pense qu’on ne doit point se borner à deux ni à quatre, mais agir selon le besoin des terres. Caton paroît n’en prescrire que deux, lorsqu’il dit : « Une bonne culture consiste premièrement à bien labourer, secondement à bien labourer, troisièmement à fumer.

Les anciens agronomes étoient dans l’usage de donner le premier labour très-légérement, persuadés que les racines des mauvaises herbes étoient mieux exposées à l’air, & plus tôt desséchées par l’ardeur du soleil. Les labours suivans n’étoient guère plus profonds : leur charrue, peu propre à fouiller la terre, ne pouvoit ouvrir des sillons que de cinq à six pouces de profondeur. Quoique leurs instrumens de labourage fussent moins propres que les nôtres à la culture des terres, ils avoient cependant soin de proportionner l’ouverture du sillon à la légèreté ou à la ténacité du sol. Dans un terrain léger & friable, le labour étoit superficiel ; profond dans un terrain dur, & autant que la charrue pouvoit le permettre. Virgile insiste beaucoup sur cette méthode, afin de ne pas donner lieu à l’évaporation de l’humidité nécessaire à la végétation, en faisant de profonds sillons dans un sol large. Dans un terrain fort argilleux, il veut qu’on ouvre de profonds & larges sillons, pour développer les principes de fécondité, qui seroient nuls pour la végétation sans cette pratique.

Suivant l’opinion des anciens, toutes les saisons n’étoient point également propres à labourer les terres. Virgile condamne les labours faits pendant les chaleurs de l’été & pendant l'hiver, comme étant très-nuisibles à la fertilité : le tems le plus favorable, selon lui, étoit lorsque la neige fondue commençoit à couler des montagnes. La saison des labours dépendoit encore de la qualité des terres. Le même auteur prescrivoit de labourer après l'hyver un sol gras & fort, afin que les guérets fussent mûris par les chaleurs de l'été ; quand, au contraire, il étoit léger, sabloneux ou friable, il prétendoit qu'il falloit attendre l’automne pour le labourer.

Columelle n'était pas du sentiment de Virgile ; il vouloit, au contraire, qu'une terre forte, sujette à retenir l’eau, fût labourée à la fin de l'année, pour détruire plus facilement les mauvaises plantes.

Les anciens agronomes ont ignoré la méthode de cultiver les plantes annuelles pendant leur végétation : toute leur culture, à cet égard, se réduit au sarclage ; à faire paître par les moutons, les sommités des fromens trop forts en herbe, avant l'hiver ; à répandre du fumier en poussière lorsqu'ils n'avoient pas pu fumer leurs terres avant de les ensemencer.

Des engrais. Les anciens croyoient rendre raison de la cause de la stérilité d'une terre autrefois fertile, en disant qu'elle vieillissoit. Parmi eux, quelques-uns avoient imaginé que, dans cet état de vieillesse, elle étoit incapable de donner des productions comme auparavant. C'étoit le sentiment de Trémellius ; il comparoit une terre nouvellement défrichée à une jeune femme qui cesse d'enfanter à mesure qu'elle avance en âge. Columelle s'élève fortement contre cette opinion capable de décourager le cultivateur : une terre, suivant lui, ne cesse jamais de produire par cause de vieillesse ou d'épuisement, mais parce qu'elle est négligée.

La méthode de bonifier les terres par le moyen des engrais, est presque aussi ancienne que l’art de cultiver. Tous les auteurs agronomes prescrivent, cette pratique comme très-propre à augmenter la fertilité de la terre, & capable d'empêcher son dépérissement. L'histoire de la Chine nous apprend que Yu, le premier empereur des Yao, fit un ouvrage sur l’agriculture, dans lequel il parloit de l’usage des excrémens de différens animaux. La méthode de les améliorer en les fumant, d'arrêter leur dépérissement ; de prévenir la décomposition du terreau, si nécessaire à la végétation, s'est établie successivement : dès qu'on s'est apperçu qu'un champ, après plusieurs récoltes, cessoit d'en produire d'aussi abondantes, on a eu recours aux engrais pour lui rendre sa première fertilité. Pline assuroit que l'usage de fumer les terres étoit très-ancien : dans son dix-septième livre, chapitre IX [VI], il dit que, selon Homère, le vieux roi Laertes fumoit son champ lui-même. Le fumier fut d'abord employé en Grèce par Augias, roi d'Elide : Hercule, après l’avoir détrôné, apporta cette découverte en Italie, où l'on fit un Dieu du roi Stercutus, fils de Faunus.

Dans le détail des engrais, Virgile recommande principalement les fèves, les lupins, la vesce : il est persuadé que le froment vient avec succès après la récolte de ces sortes de grains capables de bonifier la terre, loin de l’épuiser, comme seroient d'autres espèces de légumes. Les chaumes brûlés après la moisson sont encore, suivant son opinion, très-propres à fumer les terres, parce que leurs cendres y laissent de nouveaux principes de fertilité.

Columelle distingue trois sortes d'engrais, dont l'usage lui avait paru le plus capable de bonifier les terres ; 1°. les excrémens des oiseaux, 2°. ceux des hommes, 3°. ceux du bétail : la fiente du pigeon étoit, selon lui, le meilleur ; ensuite celle de la volaille, excepté celle des canards & des oies. En employant les excrémens humains, il avoit soin de les mêler avec d'autres engrais ; sans cette précaution, leur grande chaleur auroit été nuisible à la végétation. Il se servoit de l’urine croupie pendant six mois, pour arroser les arbres & les vignes ; le fruit qu'ils donnoient ensuite en grande abondance, étoit d'un goût excellent. Parmi les fumiers des bestiaux, Columelle préféroit celui des ânes à tout autre ; celui des brebis & des chèvres, à la litière des chevaux & des bœufs : il proscrivoit absolument le fumier des cochons, dont plusieurs agriculteurs de son tems faisoient usage.

Varron employoit avec succès le fumier ramassé dans les volières des grives : les anciens, très-friands de cette espèce d'oiseaux, les nourrissoient pour les engraisser, comme on fait aujourd'hui des ortolans ; cette sorte d'engrais étoit répandue principalement sur les pâturages dont l'herbe étoit ensuite très-bonne pour engraisser promptement le bétail. Caton, afin de bonifier les terres, y faisoit semer des lupins, des fèves, ou des raves ; il employoit aussi le fumier du bétail des fermes, sur-tout lorsque la litière des chevaux, des bœufs, étoit faite avec les longues pailles de froment, de fèves, de lupins, ou avec des feuilles d'yeuse, de ciguë, & en général, avec toutes les herbes qui croissent dans les saussaies & les marais.

Pour fertiliser les terres froides & humides des plaines de Mégare, les Grecs employoient la marne, nommée, selon lui, argille blanche. Dans la Bretagne & dans la Gaule, cet engrais étoit aussi connu & employé ; ce n'étoit qu’après le le labourage qu’on le répandoit : souvent même il falloit le mêler avec d’autres fumiers pour qu’il ne brûlât pas les terres.

Les anciens avoient coutume de répandre les engrais avant de semer, ou lorsque les plantes étoient levées : la première méthode étoit la plus suivie. Lorsque les circonstances n’avoient pas été favorables pour fumer avant les semailles, immédiatement avant de sarcler, on répandoit le fumier en poussière. Columelle conseille de transporter les engrais & de les répandre dans le mois de septembre, pour semer en automne ; dans le courant de l’hiver & au déclin de la lune, quand on ne sème qu’au printems. Dans cette dernière circonstance, il fallait laisser le fumier en tas dans les champs, pour ne le répandre qu’immédiatement avant le premier labour. Selon le besoin des terres, il suivoit la méthode d’un de ses ancêtres, elle consistoit à mêler la craie avec les terres sabloneuses, & le sable avec les crayeuses. Il observait cette pratique pour les terrains en vigne, comme pour ceux à froment : rarement il fumoit les vignes, persuadé que les engrais, en augmentant la quantité du vin, en altéroient la qualité. Quand un cultivateur n’avoit pas les fumiers nécessaires pour l’exploitation de ses terres, il conseilloit d’y semer des lupins, & de les enterrer avec la charrue avant qu’ils fussent parvenus à maturité.

Des jachères. Quoique les anciens fussent persuadés que les molécules de la terre, extrêmement atténuées par les labours, étoient l’aliment pompé par les racines des plantes pour fournir à la végétation, ils s’apperçurent cependant que la trituration des parties terrestres n’étoit pas toujours un moyen efficace pour procurer aux végétaux la nourriture nécessaire à leur accroissement. Malgré la fréquence des labours, ils observèrent que les plantes languissoient dans un terrain presque stérile après plusieurs productions. Quelques agriculteurs crurent avoir trouvé la cause de ce phénomène, en disant que la terre vieillissoit. Après avoir observé un terrain abandonné & laissé sans culture, produire cependant de mauvaises herbes, ils imaginèrent qu’au bout d’un certain tems la terre reprenait sa première fertilité, & qu’elle étoit capable de produire des végétaux comme auparavant. Suivant cette opinion, la terre, susceptible d’épuisement par des productions trop fréquentes, pouvoit se lasser de fournir de nouveaux sucs aux végétaux. L’épuisement & la lassitude furent donc considérés comme la suite & l’effet d’une culture trop continue, & d’un labourage trop fréquent.

Pour obvier à ces inconvéniens & éloigner le terme de la vieillesse de la terre, les anciens ne crurent pas que le secours des engrais pût suffire. Il fallut donc établir des jachères, ou tems de repos absolu ; pendant cet intervalle plus ou moins long, relativement à la qualité des terres, elles n’étoient ni labourées, ni ensemencées ; toute culture cessoit, afin de ne point les forcer à donner leurs productions. Virgile a fait des jachères un principe important d’agriculture ; quoiqu’il conseille les fréquens labours pour diviser & atténuer la terre, il exige cependant qu’après avoir éré moissonnée, elle soit pendant une année entière sans être cultivée. Si l’on ne veut pas perdre la récolte d’une année, le seul parti qu’il y a à prendre, selon lui, consiste à l’ensemencer de lupins, de fèves, de vesces, ou autres légumes, après la récolte desquels il n’y a point d’inconvéniens d’ensemencer une terre en froment, parce que ces sortes de légumes, loin de l’amaigrir, la bonifient.

Columelle n’adopte point le système des jachères ; selon son sentiment, une terre bien fumée n’est jamais exposée à s’épuiser ni a vieillir. Aucun des agronomes anciens n’a aussi bien connu que lui les moyens propres à prévenir le dépérissement des terres.

Culture des Modernes.

Les principes de culture de Duhamel se réduisent en général à ces objets : 1°. au choix des instrumens de labourage ; 2°. à la fréquence des labours, & à la manière de les exécuter ; 3°. à l’épargne de la semence ; 4°. à la façon de cultiver les plantes pendant qu’elles végètent. &c. Duhamel est persuadé que pour faire une culture convenable, il faut choisir des instrumens de labourage propres à cultiver les terres, suivant qu’elles l’exigent, relativement à leur qualité. Il croit qu’une charrue légère, qui pique peu, qui est propre à cultiver un terrain léger, ou qui a un fonds de terre peu considérable, ne feroit qu’un mauvais labour dans un sol fort, argilleux, qui demande à être fouillé à une grande profondeur ; ce qu’on ne peut exécuter sans une forte charrue, autrement dite, à versoir.

L’usage du semoir paroît à Duhamel une invention très-utile pour se procurer d’abondantes récoltes, en épargnant la semence. Par le moven de cet instrument, elle est distribuée de manière que tous les grains lèvent & produisent des plantes vigoureuses, étant placées à une distance convenable les unes des autres. Suivant cette nanière de semer, & à l’exemple de Tull, il adopte la culture par planches.

Pour procéder avec ordre dans l’exposition des principes de culture que suit Duhamel dans l’exploitation des terres, nous les considérerons, 1°. suivant leur état inculte, ou en friche ; 2°. dans l’état de culture où elles sont entretenues par les labours.

Sous le nom de terres incultes, Duhamel comprend toutes celles qui ne sont point dans l’état de culture ordinaire, c'est-à-dire, qui n'ont jamais été cultivées, ou qui ne l’ont pas été depuis long-tems. Il range ces terres en quatre classes : 1°. celles qui sont en bois ; 2°. celles qui sont en landes ; 3°. celles qui sont en friche ; 4°. celles qui sont trop humides.

I. Pour ensemencer une terre, il faut la fouiller : c’est le cas où se trouvent les bois ; mais ils offrent des obstacles qu’on ne peut vaincre sans des travaux considérables. Autrefois on se contentoit d’y mettre le feu ; aujourd’hui, plus éclairé sur ses propres intérêts, on enlève les grosses racines, & la vente de leurs bois paie les frais de l’opération.

Aussi-tôt après on égalise le terrain autant qu'il est possible, pour donner ensuite un labour en automne, avec une forte charrue, afin que les gelées d’hiver brisent les mottes, fassent mourir les mauvaises herbes. Au premier printems, on donne un second labour, après lequel on sème des grains de ventôse, qui produisent une récolte très-abondante. On continue à cultiver ces sortes de terrains, comme ceux qui sont en bon état de culture.

Si ces sortes de terrains en bois sont encore remplis de genêts, d’aubépine, de bruyères & d’autres broussailles, un labour avec une sorte de charrue ne suffit pas pour les mettre en bon état. Dans ces circonstances, Duhamel fait fouiller la terre pour arracher les racines avant d’y faire passer la charrue, qu’on risqueroit de briser à cause des obstacles qu’elle rencontreroit à tout instant de la part des racines & des broussailles. Cette opération très-coûteuse, exécutée à bras, est faite à peu de frais en employant la charrue à coûtres sans soc : il la fait passer deux fois dans toute l’étendue du terrain, en ayant attention de croiser les premières raies au second labour : par ce moyen, toutes les racines sont coupées. Un second labour, avec une forte charrue, renverse aisément la terre, parce qu'il n'y a pas d'obstacle qui s’oppose à la direction qu’elle suit dans la marche. Ces terres, qu’on pourroit appeler vierges relativement aux grains, fournissent pendant plusieurs années d’excellentes récoltes sans le secours des engrais, & elles peuvent en produire de semblables lorsque la terre commence à diminuer de force en minant ce terrain, c’est-à-dire, en lui donnant une culture à la bêche, en faisant une espèce de fosse de dix-huit à vingt pouces de profondeur : on le comble à mesure qu’on creuse le suivant, & ainsi successivement l’un après l’autre. Cette opération longue &


coûteuse rend à la terre sa première fertilité. Aux cultivateurs effrayés par cette dépense, Duhamel propose l’observation suivante.

« Qu’on fasse attention que les frais d’une telle culture sont une avance faite, dont on sera amplement dédommagé par les récoltes qui la suivront. Les fumiers qu’on auroit été obligé de mettre pendant plusieurs années, seroient un objet de dépense au moins aussi considérable que la façon de cette culture, & ils ne bonifieroient pas le terrain avec autant d’avantage. »

II. On nomme landes, les terres qui ne produisent que des broussailles en général ; c'est-à-dire, du genêt, de la bruyère, des genévriers, &c. On réduit ces sortes de terrains en état de culture, par le moyen du feu, ou en coupant et arrachant toutes ces plantes. Si l’on n’a pas un grand intérêt à profiter du bois, le feu est le meilleur moyen & le plus court. En voici les raisons : 1°. les cendres de toutes ces mauvaises productions améliorent le terrain ; 2°. le feu qui a consumé toutes les plantes jusqu’aux racines, est cause qu'elles ne repoussent plus, quand même il en resteroit quelques-unes dan la terre ; 3°. en consumant toutes ces mauvaises plantes, on brûle aussi leurs graines qui auroient germé l’année suivante. Il y a bien des précautions à prendre quand on veut brûler des landes voisines des bois ; souvent il arrive que le feu s'étend & gagne la forêt.

Après avoir brûlé toute la superficie d’une lande, les racines des landes subsistent. Duhamel conseille de les arracher avec la pioche. Lorsque cette opération est faite, l’on donne un labour après les premières pluies d'automne, en ouvrant de larges & profonds sillons ; on sent aisément ses motifs.

Au printems suivant, il faut donner un second labour, après lequel on sème des grains de ventôse. La seconde année, il fait préparer la terre par trois labours pour y semer du froment Quand le terrain est fort & d’une bonne qualité, il ne conseille de semer du froment que la troisième année, parce qu'il seroit à craindre qu'il ne poussât beaucoup en herbe, & ne versât ensuite, avant la moisson. Ce n'est qu'à force de labour qu'on entretient ces terres en bon état de culture, en détruisant peu-à-peu les racines des plantes qui restent toujours, quelque soin que l’on prenne de les arracher.

Duhamel suit une autre méthode lorsqu’il veut profiter du bois des landes, soit pour brûler, ou pour en faire des fagots qu’on enterre dans les fossés des vignes, afin de les fumer. Après avoir coupé toutes les plantes, pour éviter l’opération longue & coûteuse de la pioche, il fait paser la charrue à coutres sans socs, tirée par quatre à cinq paires de bœufs, selon que le terrain oppose plus ou moíns de difficultés : des personnes qui marchent derrière, ramassent toutes les racines coupées. Le terrain étant labouré dans toute sa longueur, on le laboure en largeur, afin de croiser les premières raies, & de détacher les racines qui auroient pu rester entre les sillons du premier labour. En automne ou au printems, on fait les autres cultures à l’ordinaire, avec une forte charrue à soc.

Il faut comprendre sous le nom de terres en friche les prés, les luzernes, les sainfoins, les trèfles, & généralement toutes les terres couvertes d'herbes, qui n'ont point été labourées depuis long-tems. Pour les réduire en état de culture ordinaire, afin de les ensemencer, il ne suffit pas de couper le gazon, il faut encore le renverser sans dessus dessous, afin qu'il puisse bonifier le terrain. La charrue ordinaire paroît peu propre à produire cet effet, quand même elle seroit assez forte pour surmonter sans se briser les obstacles qu'elle rencontre dans un sol si difficile à ouvrir. Pour se dispenser de la culture à la bêche, longue & dispendieuse, Duhamel conseille d'employer la charrue à coûtres sans socs en la faisant passer deux fois en croisant à la seconde les premières raies. Une forte charrue entre ensuite ; aisément ; elle renverse, sans beaucoup de peines, les pièces de gazons coupées par les coutres. Ce labour, fait en automne, les mottes sont brisées par la gelée, & la terre est en état d'être ensemencée au printems. Après la récolte des grains de.ventôse, on donne plusieurs labours, afin de préparer la terre à recevoir du froment.

Duhamel observe, qu'il n'est pas toujours avantageux de semer du froment la même année qu'on a réduit une prairie en état de culture réglée : si la terre est d'une très-bonne qualité, il vaut mieux attendre la troisième année, parce que le froment, qui demande plus de substance, que les autres grains, se trouvant dans un sol neuf capable de lui en fournir beaucoup, pousseroit si considérablement en herbe, qu'il verserait. Il remarque encore que cette plante étant plus vivace que celle des autres grains, resteroit plus long-tems verte, le grain mûriroit par conséquent trop-tard : pour éviter cet inconvénient, il y fait semer de l’avoine, des légumes ou du chanvre pendant les deux premières années.

A l’égard des prairies maigres, remplies de mousse, situées sur un mauvais sol, des terres qui ont été en jachère pendant plusieurs.années, parce qu'elles sont peu fertiles, & dont la surface est couverte de gazons, Duhamel propose de les écobuer, pour les brûler, afin que les cendres du gazon & des plantes fertilisent le terrain. Cette opération, qu'il regarde comme très-utile quand elle est faite à propos, peut


être nuisible, si on ne la fait pas avec beaucoup de précautions. Lorsque le feu est trop vif, il calcine la terre, consume les sucs propres à la végétation ; elle n’est plus alors qu’un sable stérile, ou une brique réduite en poussière, incapable de fertiliser.

Quant aux terres humides & pierreuses, lorsqu'une pièce de terre est humide, parce qu'elle a un fond de glaise ou d’argile, qui ne permet pas à l’eau de se filtrer, ou qu'elle est située de façon à recevoir les eaux de champs limitrophes, elle forme une espèce de marécage qui produit toutes sortes de plantes aquatiques, qu'on a bien de la peine à détruire entièrement. Duhamel exige qu'auparavant de labourer un terrain de cette espèce, on procure un écoulement à l’eau.

Lorsqu'un terrain a de la pente, il est tres-aisé de le procurer, & chacun sait que les fossés en sont le moyen ; & la terre qu'on en retire à la longue devient un excellent engrais.

Après cette opération, les joncs & toutes les plantes aquatiques, privées de leur élément, se dessèchent bien visiblement. Lorsque le terrain est bien desséché, l’auteur conseille de l'écobuer pour le brûler, ou d'y passer la charrue à coutres sans socs avant de lui donner un labour de culture pour le disposes à être ensemencé.

Si le sol est d'une qualité à retenir l'eau, & qu'il ne soit marécageuxque pour cette raison, il ne suffit pas de l’entourer de fossés, il faut, encore en creuser quelques-uns de distance en distance dans l'étendue du terrain, en les faisant aboutir à celui qui est le plus bas. Quand on veut que la pièce de terre ne soit point coupée, par tous ces fossés, il faut les combler avec des cailloux, en remettant ensuite la terre par-dessus ; mais alors on sera obligé de les rouvrir tous les cinq ou six ans, parce que la terre qui sera placée dans tous les vides que laissoient entre eux les cailloux, ne permettra plus à l’eau de s'écouler. Après toutes ces opérations, l’on réduit aisément ces sortes de terrains en état de culture ordinaire, si toutefois le champ vaut la dêpense nécessaire pour son dessèchement.

Exploiter une terre, c'est la mettre en état, en travaillant, de donner les productions dont elle est capable. Pour cet effet on laboure, on met des engrais, l’on sème, on cultive. Duhamel ne croit pas que les labours tiennent lieu d'engrais dans toutes les circonstances

Selon Duhamel, l’objet du cultivateur doit être de rendre ses terres fertiles, afin que leurs productions, le dédommagent de ses soins & de sa dépense. Il ne connaît que deux moyens capables de produire cet effet : l’un par des labours, l'autre par les engrais. Quoiqu'il soit persuadé de l’utilité de ceux-ci, il lui paroît bien plus avantageux de rendre une terre fertile par les labours, lorsqu’elle est d’une qualité à n’avoir pas besoin d’autres secours. Pour qu’un terrain soit en état de fournir aux plantes les sucs qui contribuent à leur accroissement, ses parties doivent être divisées, atténuées, afin que les racines aient la facilité de s’étendre. Le fumier, suivant Duhamel, produit en partie cet effet par la fermentation qu’il excite ; mais il pense que l’instrument de culture l’opère d’une manière plus efficace : outre qu’il divise la terre, il la renverse encore sens dessus dessous ; par conséquent, les parties qui étoient au fond sont ramenées à la surfaces, où elles profitent des influences de l’air, de la pluie, des rosées, du soleil, qui sont les agens les plus puissans de la végétation ; les mauvaises herbes qui épuisent la terre sont détruites & placées dans l’intérieur, où elles portent une substance qui accroît les sucs dont les plantes ont besoin. Une terre où l’on se dispense de quelques labours, soit de préparation, ou de culture, sous prétexte des engrais qu’on y met, se durcit à la surface : elle ne peut donc point profiter de l’eau des rosées, de la pluie qui coule sans la pénétrer. Duhamel observe que le fumier expose à des inconvéniens qu’on n’a point à craindre des labours ; 1o. la production des plantes fumées est d’une qualité bien inférieure à celles qui ne le sont point ; 2o. les fumiers contiennent beaucoup de graines qui produisent de mauvaises herbes ; ils attirent des insectes qui s’attachent aux racines des plantes & les font périr. Toutes ces considérations l’ont décidé à multiplier les labours dans les terres d’une bonne qualité au lieu de les fumer. Aussi, en recommandant les engrais, il conseille toujours de les réserver pour les terres peu fertiles, & de labourer fréquemment celles qui ont un bon fond.

En établissant pour premier principe de culture la fréquence des labours, l’auteur observe que la plupart des cultivateurs imaginent qu’elle est nuisible à la fertilité de la terre, qui perd une partie de sa substance quand elle est trop souvent cultivée. Il répond à cette futile objection, 1o. que l’évaporation n’enlève jamais que les parties aqueuses, & non point celles de la terre ; 2o. que dans bien des circonstances cette évaporation est utile : en supposant que les labours donnent lieu au soleil d’enlever les parties humides nécessaires à la végétation, les pluies qui arrivent après que la terre a été remuée, lui rendent d’une manière plus avantageuse l’eau qu’elle a perdue. Il conclut donc que la fréquence c des labours est très-utile pour rendre les terres fertiles, pourvu qu’ils soient faits à propos.

Duhamel distingue, ainsi que Tull, deux sortes


de labours ; ceux de préparation & ceux de culture. Pour ces derniers, il a imaginé des charrues légères qu’il nomme des cultivateurs, capables de remplir assez bien son objet.

Pour préparer la terre à être ensemencée, suivant Duhamel, on ne sauroit faire des labours trop profonds. Cependant, dans la pratique, il a soin de proportionner la profondeur des sillons à la-qualité du terrain, qui doit être relative au fond de bonne terre plus ou moins considérable. En général, il fait labourer les terres fortes avec des charrues qui prennent beaucoup d’entrure, c’est-à-dire, qui piquent à une profondeur considérable, & pour celles qui n’ont pas de fond, des labours légers suffisent.

Lorsque, la terre est sujette à retenir l’eau, il fait labourer par planches ou par sillons plus ou moins larges, afin de procurer l’écoulement des eaux qui resteroient à la surface, si l’on ne donnoit pas une pente à leur cours. Quand elle n’est point exposée à cet inconvénient, les labours sont faits à plat, & on ouvre de distance en distance, de grands sillons qui donnent issue aux eaux.

Avant d’ensemencer une terre en grains hivernaux, principalement en froment, Duhamel exige qu’elle ait reçu quatre labours de préparation. Le premier doit être fait avant l’hiver, afin que la gelée brise les mottes, pulvérise la terre, fasse mourir les mauvaises herbes : ce premier labour s’appelle guéreter. Le second, nommé binage, est fait dans le courant de ventôse pour disposer la terre à profiter des influences de l’atmosphère, & sur-tout des rayons du soleil. Le troisième, appellé rebinage, est fait au mois prairial, pour détruire les mauvaises herbes qui ont poussé depuis le binage. Le quatrième, nommé labour à demeure, se fait immédiatement après les moissons. Duhamel ne croit point que ces quatre labours suffisent dans toutes les circonstances, ni pour toutes sortes de terrains.

Si le printems est chaud & pluvieux par intervalles, l’herbe pousse avec vigueur : il ne faut pas alors s’en tenir aux labours d’usage ; il est à propos de les multiplier, afin d’arrêter la végétation des mauvaises herbes.

Pour semer les grains de ventôse, il exige que la terre soit préparée au moins par deux labours, & condamne la méthode des cultivateurs qui sèment après un seul labour fait en pluviôse ou en ventôse. Il prétend que la terre ne peut être bien disposée sans un labour fait avant l’hivér, immédiatement après les semailles des hivernaux, & par un second fait après l’hiver. « L’expérience, ajoute-t-il, prouve évidemment la nécessité de deux labours, puisque les avoines, les orges, faites après un seul labour, ne sont jamais aussi belles que quand la terre a été deux préparée par deux ».

Un des grands avantages de la méthode de cultiver adoptée par Duhamel, consiste à pouvoir cultiver les plantes annuelles, pendant leur végétation. Lorsque le printems est favorable, celles qui ont résisté à la gelée poussent vigoureusement ; c’est alors, dit-il, qu’il faut aider à leur, accroissement par des labours de culture. Quoique la terre ait été bien ameublie par le labourage de préparation, elle a eu le tems de se durcir, & de former à la superficie une croûte qui la rend impénétrable à l’eau. Pour obvier à cet inconvénient, & rendre facile la culture des plantes annuelles, Duhamel a imaginé de diviser une pièce de terre par planches, comme on le verra dans la suite, afin de pouvoir donner quelques labours aux plantes pendant qu’elles croissent. Il fait ordinairement donner le premier labour de culture après l’hiver, afin de disposer la terre à profiter des pluies, des rosées : à mesure que la mauvaise herbe pousse, on en donne un second pour la détruire ; lorsque le grain commence à se former, on fait le troisième labour de culture, parce que c’est le tems où la plante a besoin d’une plus grande partie de substance pour parvenir à donner des épis longs & bien fournis en grains. Le nombre, des labours de culture est relatif à la qualité des terres sujettes à produire plus ou moins de mauvaises herbes ; Duhamel les multiplie en proportion de ce défaut, mais non pas dans le tems pluvieux.

Cet auteur n’est pas du sentiment des anciens, qui ne labouroient point les terres lorsqu’elles étoient sèches, humides, gelées ; il pense, au contraire, qu’un labour de préparation, fait pendant la sécheresse, ne peut point être nuisible : dans cette circonstance, on détruit les mauvaises herbes avec bien plus de succès. Un labour fait pendant la sécheresse, loin d’épuiser la terre, la prépare au développement des principes de sa fertilité, en la mettant dans l’heureuse disposition de profiter des influences bienfaisantes de l’atmosphère, dont elle seroit privée tant que sa surface formeroit une croûte impénétrable à l’eau. Quoique l’auteur observe que les labours faits pendant la sécheresse ou pendant la gelée, sont utiles à la terre, il préfère ceux qu’on exécute par un tems ni trop sec ni trop pluvieux.

Les terres sur lesquelles il n’est pas possible de multiplier les labours, ont besoin d’engrais. L’auteur s’est occupé des moyens de les employer utilement : il pense qu’un tems pluvieux est la circonstance la plus favorable aux transports des fumiers, parce que la terre ne perd rien de leur substance, qui s’évapore facilement, si le soleil


est trop vif. Comme on n’est pas toujours libre de choisir le tems le plus convenable à leur transport, dans pareille circonstance, il faut mettre tous les fumiers en tas, les couvrir de terre, afin d’empêcher l’évaporation, & les répandre seulement avant de labourer : sans cette précaution, il ne resteroit que de la paille à enterrer, qui ne seroit pas d’un grand secours pour améliorer le terrain. Quand les fumiers sont transportés, dans l’intention de les enterrer tout de suite, il faut les étendre à mesure qu’on laboure, pour les couvrir avant la pluie ; autrement l’eau qui les délayeroit, entraîneroit la meilleure partis de leur substance.

Duhamel conseille de transporter les engrais avant le labour à demeure, de les étendre tout de suite, & de les enterrer. Il y a des cultivateurs qui étendent les fumiers seulement avant de semer, & les enterrent avec la semence. Cette méthode est vicieuse, parce qu’il y a des grains qui peuvent se mêler avec des tas de fumier où ils pourissent, quand ils ne sont pas dévorés par les insectes qui s’y trouvent.

Art d’ensemencer.

La nouvelle méthode d’ensemencer les terres, introduite par Duhamel, se trouve conforme à celle de Lignerolk. Voici de quelle manière le terrain est disposé.

« Supposons, dit Duhamel, une pièce de terre bien labourée à plat & bien unie, prête à recevoir la semence & à prendre la forme qu’on voudra lui donner ; supposons encore que la terre soit assez bonne, qu’elle ne soit pas trop difficile à travailler, & qu’on veuille y faire des planches de quatre tours de charrue, ou de huit raies, qui produiront sept rangées de froment : comme c’est la première fois qu’on ensemence cette pièce suivant la nouvelle culture, il faut la disposer de façon qu’il y ait alternativement une planche de guéret & une ensemencée ; ce qui servira tant qu’on la cultivera suivant la nouvelle méthode. En commençant par laisser à une rive de la pièce la planche de guéret, il faut compter 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 raies de guéret : voilà la planche qui restera en guéret cette année, & qu’on ensemencera l’année prochaine ; parce qu’il faut dix raies de guéret pour faire une planche de quatre tours, formant huit raies de planches qui produisent sept rangées de bled. Pour ensemencer, on compte 1, 2, 3, 4 de ces dix raies ; on fait répandre du bled à la main sur les deux cinquièmes raies qui doivent former le milieu de la planche ; ainsi les cinquièmes raies se trouvent adossées par les quatrièmes, en même-tems qu’on forme une enréageure : par ce tour de charrue, ou par les deux traits, la semence qu’on a répandue, se trouve enterrée sur le milieu de la planche, &, quoiqu’on ait répandu du grain dans les deux raies S, il n’en résultera à la levée qu’une forte rangée, qui équivaudra à deux.

» Après avoir fait répandre du grain dans les deux siilons qu’on vient de former, on pique un peu moins dans le guéret ; on fait un second tour de charrue, qui recouvre le grain qu’on vient de semer, & on forme deux nouvelles raies.

» Ayant fait répandre du grain dans les raies à mesure qu’on les forme, & ayant fait un troisième tour, la planche est entièrement formée par huit raies qui ne doivent donner que sept rangées de froment, les deux premières n’en produisant qu’une, qui est, à la vérité, plus forte que les autres.

« Il est bon de faire attention, 1o. qu’afin que les planches aient leur égout dans les raies qui les séparent, il faut qu’elles fassent un cintre surbaissé : c’est pour cela qu’on pique profondément les raies 4, 4, & qu’on en renverse la terre sur les raies 5, 5, pour former ce qu’on appelle l’ados d’une planche ; & on pique de moins en moins les raies 3, 3, 2, 2, 1, 1, afin que la pente soit bien conduite depuis l’ados, jusques & comprise la dernière raie.

« 2o. Qu’il faut huit raies de guéret pour quatre tours de charrue, formant huit raies de planches qui ne produisent que sept rangées de froment ; parce que, comme il a été dit, l’ados n’en produit qu’une sorte qui équivaut à deux. Si l’on veut faire les planches plus étroites, on ne prend que huit raies de guéret pour trois tours de charrue, formant six raies de planches qui, ne produisent que cinq rangées de froment. Si l’on ne prenoit que six raies, pour deux tours de charrue, formant quatre raies de planches, on n’auroit que trois rangées de bled : ces planches sont très-étroites & bordées de deux sillons. Quand il n’y a que l’ados formé de deux raies poussées l’une contre l’autre par-dessus les deux du milieu qu’elles couvrent, on ferme ce qu’on appelle un billon qui ne porte qu’une rangée de froment. On conçoit que la charrue à versoir opère le labour, d’abord en poussant deux raies l’une contre l’autre qui forment l’ados & deux fonds de raies de chaque côté, qui fournissent des enréageures pour former successivement le nombre des raies qui doivent composer une planche de quelque largeur qu’elle soit, laquelle finit, & est bordée par deux fonds de raies ou sillons dans lesquels on enréage quand on bine, pour remettre la terre où on l’avoit prise au premier labour : ainsi elle change de place, comme quand on laboure avec les charrues à tourne-oreille.

» Les soins dont on vient de parler pour les premières façons, n’ont pas lieu lorsqu’on guérète ou lorsqu’on bine : comme alors il n’est point important de donner un écoulement aux eaux, on ne fait point d’ados, & on pique également dans toute la largeur des planches.

» Le grain qui se trouve répandu sur les deux raies dont l’ados d’une planche est formé, doit réussir, parce qu’il étend ses racines dans le guéret sur lequel on le répand, & dans la terre des deux raies qu’on creuse pour former l’ados ; de sorte que le grain jouit presque de la terre de quatre raies. Le grain des deux rangées qui suivent immédiatement, est encore bien pourvu de terre, puisqu’il jouit du revers des deux premières raies de l’ados & des deux secondes raies qui le couvrent. Les troisièmes rangées qui sont les cinquièmes de la planche,quoique moins relevées que les précédentes, fournissent encore assez de substance au grain, parce qu’il est assis sur un bon guéret & recouvert de la terre qu’on prend aux dépens de la dernière rangée. Ces rangées qui terminent les deux côtés de la planche, sont par conséquent les plus mal situées, & les moins fournies de guéret : on s’en apperçoit à la récolte, car elles sont les plus foibles de toutes : ainsi elles ont plus besoin que toutes les autres des secours qu’elles ne peuvent recevoir qu’en pratiquant la nouvelle culture, par l’adossement qu’on peut leur donner aux dépens de la planche voisine qui reste en guéret. Les labours que les plantes de ces rangées reçoivent au printemps, suffisent pour leur donner autant de vigueur qu’à celles du milieu des planches. Cette pratique s’étend également sur tous les autres grains, la luzerne, les sainfoins, &c. »

Duhamel est persuadé que rien ne contribue plus aux progrès des végétaux, que des labours faits, à propos pendant l’accroissement des plantes. L’expérience lui a découvert trois principaux moyens, afin d’obtenir des récoltes abondantes : ils consistent 1o. à faire produire aux plantes beaucoup de tuyaux ; 2o. à faire porter un épi à chaque tuyau ; 3o. à cultiver de façon que chaque épi soit entièrement rempli de grains bien nourris. Comme on ne peut, dit-il, opérer ces effets que par des labours réitérés, ce n’est pas en suivant la manière ordinaire d’ensemencer, qu’on les obtiendra, parce qu’il n’est pas possible de cultiver les plantes pendant leur végétation.

Si on veut que les plantes profitent des labours de culture, il est important de les faire dans des circonstances favorables. Duhamel pense, ainsi que Châteauvieux, que le premier labour de culture a pour objet, 1°. de procurer l’écoulement des eaux ; 2°. de préparer la terre à être ameublie par les gelées d’hiver. Il est donc essentiel de faire ce premier labour avant que la terre soit gelée : en conséquence de ce principe, Duhamel est du sentiment de donner une culture au bled, dès qu'il a trois ou quatre feuilles, en ayant la précaution de border les planches par un petit sillon pour recevoir les eaux. Après les grands froids, ou, au plus tard, lorsque les plantes commencent à pousser, il fait donner un second labour : si l'on attendoit plus il ne seroit long-temps, point aussi avantageux ; il ne serviroit tout au plus qu'à faire alonger les tuyaux des plantes, sans les faire taller. Ce second labour est très-utile pour faire produire aux plantes plusieurs tuyaux chargés d'épis.

Avant que les bleds soient défleuris, Duhamel, à l'exemple de Châteauvieux & de Tull, fait donner plusieurs labours pour fortifier les plantes, alonger les tuyaux, donner de la grosseur aux épis & détruire les mauvaises herbes. Il ne détermine point le nombre de ces labours, ni le temps convenable pour les faire : ils dépendent, selon lui, de l'état des terres, qu'on ne doit point labourer dans cette saison, si elles sont trop humides. Quand la saison est favorable, on peut multiplier les labours à son gré : il considère celui qu'on fait immédiatement avant que l’épi sorte du tuyau, comme le plus indispensable ; pour faire croître l’épi en grosseur & en longueur. Lorsque les fleurs sont passées, alors il est nécessaire de faire donner le dernier labour de culture, afin que le grain puisse prendre toute la substance dont il a besoin pour être aussi beau à la pointe de l’épi qu'au commencement.

Les labours de culture n'étant point praticables dans les planches entre les rangées de froment, il faut, dit Duhamel, se contenter de labourer les plates-bandes, en ouvrant les raies aussi près des desnières rangées, qu'il est possible. Il seroit à désirer, ajoute-t-il, qu'on pût trouver la manière de faire passer un cultivateur entre les rangées de froment ; ces plantes deviendraient bien plus vigoureuses. En attendant qu'on ait trouvé ce moyen, il ne faut point négliger d'arracher les mauvaises herbes : ce travail peu difficile ne porte aucun dommage au froment, comme il arrive dans la manière ordinaire de semer & de cultiver.

Système de culture de Patullo.

1°. On essaiera., dit Patullo, de défricher en automne, afin que les gelées d'hiver mûrissent la terre & fassent périr les herbes.

2°. Au printemps, aussi-tôt que la terre sera ressuyée, on donnera un second labour.

3°. On y transportera les amendemens convenables à la nature du terrain.


4°. Sur le champ on donnera un troisième labour profond, & on hersera, s'il est nécessaire, pour briser les mottes.

5°. Dans le mois fructidor on donnera un quatrième labour.

6°. On sèmera en vendémiaire du froment, dont on aura lieu d'espérer une bonne récolte.

7°. Aussitôt après la moisson on retournera les chaumes.

8°. Dans le mois ventôse on donnera un second labour & on sèmera de l'orge, qu'on recueillera comme les avoines dans le moïs thermidor.

9°. Aussitôt après cette récolte, on retournera le chaume d'orge, & l’on passera la herse, pour briser les mottes.

10°. On donnera un second labour au mois vendémiaire, pour semer du froment en brumaire.

Voilà la méthode de Patullo pour les terres fertiles. A l’égard des terres sabloneuses, graveleuses & légères, il suffit, dit Patullo,

1°. De leur donner trois labours ; après le second, on portera les engrais ; après le troisième, on sèmera du froment qu'on enterrera avec la charrue.

2°. Aussitôt après la récolte, on brûlera les chaumes, on donnera un labour léger, & on semera des turnips ou gros navets.

3°. Après la récolte des navets, on donnera un profond labour,& l’on sèmera des pois blancs.

4°. Après la récolte des pois, on labourera la terre, & on semera des navets, comme on avoit fait l’année précédente.

5°. Au printemps suivant, ayant préparé la terre par un ou deux labours, on y semera de l'orge.

6°. Après la récolte de l’orge, on labourera la terre, on la hersera, & on semera en vendémiaire du trefle, si la terre est peu humide ; on profitera des gelées d’hiver pour y voiturer des engrais, qu'on répandra sur le trefle.

7°. Dans l’automne de la troisième année, on labourera le trefle ; on donnera, au printemps, un second labour, & on semera de l’orge.

8°. Après la récolte de l'orge, on donnera deux labours, & on semera du froment.

9°. On pourra faire, dans l’année suivante, une seconde récolte de froment avant la récolte des menus grain, ou bien, on suivra, les récoltes, comme il a été dit plus haut ; mais à la fin de la troisième année, on semera du trefle, ou, suivant la qualité du terrain, d'autres herbages.

Autre système de culture par le gentilhomme cultivateur.

Le labourage est considéré par l’auteur, comme la principale & la plus essentielle des opérations d’agriculture : qu'on ne soit donc point étonné, dit il, des différentes, espèces de charrues inventées pour perfectionner cette partie, ni de la variété des préparations données à la terre relativement à ses qualités, pour la rendre fertile, & propre à la végétation des plantes dont nous attendons les productions. Tous les sols ne se prêtent pas aux mêmes méthodes de culture : s'il ne falloit les cultiver qu'en suivant des principes uniformes, l’agriculture ne seroit plus un art, mais un simple jeu, peu fait pour mériter les soins des hommes célèbres qui se sont appliqués à nous tracer la vraie route que leur avoit indiquée l’expérience.

Utilité des labours. Pour rendre la terre fertile, il faut rompre & diviser ses parties. On opère la division de molécules de deux manières ; 1°. par l’instrument de culture, qui fouille la terre, & divise ses parties ; 2°. par les fumiers dont la fermentation empêche la réunion des molécules séparées par le labourage. Ces deux manières sont communément combinées ensemble : souvent la première est employée toute seule, mais jamais la seconde. L'auteur estime qu'il est bien plus avantageux de contribuer à la fertilité de la terre par les labours que par les fumiers, dont il est rare d'avoir la quantité nécessaire dans les grandes exploitations ; au lieu qu'il est toujours en notre pouvoir d'augmenter les labours à notre volonté. L'auteur, sans donner dans l’excès de Tull, qui bannit absolument les engrais de l’agriculture, observe qu'il est à propos d'en faire un usage très-modéré, & de les remplacer par des labours, autant que les terres peuvent se prêter à cette pratique ; parce qu'ils corrompent en quelque sorte le goût naturel des productions, comme l’expérience nous en convainc tous les jours dans les plantes potagères.

Lorsque la terre est améliorée par le labourage, elle n'est point exposée à l’épuisement causé par les mauvaises herbes ; toutes les parties reçoivent successivement les influences de l’atmosphère, lorsqu'un labour les remet au fond pour ramener les autres à la surface, afin qu'elles profitent des mêmes avantages ; elles y portent des principes ; certains de fertilité, qui n'altéreront point le goût primitif des productions des plantes dont elles aident merveilleusement la végétation.


Les terres légères ont des interstices trop grossiers entre leurs molécules, de sorte que les racines qui s'étendent dans ces cavités, ont peine à toucher leur surface, & par conséquent à pomper les sucs nourriciers. L'effet du labourage, dans ces sortes de terres, consiste donc à opérer une plus grande division de molécules, que celle qui existoit déjà. Il faut observer, ajoute l’auteur, que les racines, dans leur extension, doivent nécessaiiement éprouver une certaine résistance, afin d'attirer les sucs nourriciers ; sans cette pression réciproque des racines & des molécules la végétation languit, parce que les racines passant sur les parties terrestres sans toucher leur surface, elles ne peuvent point enlever les sucs dont les molécules sont chargées. Sans les labours, les terres légères seroient par conséquent peu propres à la végétation.

Quoique le fumier, par la fermentation qu'il excite dans l’intérieur de la terre, divise aussi ses parties, ce seroit une erreur, selon l’auteur, de le croire aussi avantageux que les labours dont l'effet est bien plus certain : il porte, à la vérité, des principes de fertilité, très-utiles à la végétation ; mais aussi il est sujet à des inconvéniens nuisibles aux productions de la terre : ainsi qu'il a déjà dit plusieurs fois, la méthode la plus ordinaire d'améliorer les terres, étant d'avoir recours au fumier, l'auteur indique un moyen assuré de faire mourir les insectes qui y sont ; pour cet effet, avant de commencer le tas, on met une couche de chaux vive, & à mesure qu'il avance, on répand de temps en temps quelques couches de la même chaux ; en ayant cette précaution, on détruit les insectes & les graines des mauvaises herbes qui poussent en quantité dans les terres bien fumées.

L'auteur considère la herse, dans les mains du laboureur ignorant, comme l’instrument d'agriculture le plus dangereux, lorsqu'il en fait usage pour se dispenser des labours qu'il devroit au contraire multiplier ; il imagine que cet instrument rompt & divise suffisamment la terre, sans faire attention que les chevaux dont il se sert, font plus de mal avec leurs pieds, que la herse ne fait de bien.

Selon les principes de l'auteur, lorsqu'on veut conserver un terrain en vigueur par le labourage, il est essentiel de multiplier le nombre de labours, afin d'accroître, ou pour mieux dire, de développer les principes de fertilité ; mais il faut observer de mettre un intervalle de temps convenable entre chaque labour ; sans cette précaution, on les multiplie sans que la terre en reçoive aucun avantage. Un terrain médiocre, bien labouré, est bien plus fertile qu'un autre d'une qualité meilleure, mais qui n'est point amendé par les labours. Une terre nouvellement rompue, & suffisamment ameublie, est, comme une terre neuve, pour tous les usages auxquels on veut l’employer, d’où il conclut que les labours produisent les mêmes effets que les engrais. Les sols légers, suivant ses observations, deviennent plus serrés & plus lourds lorsque la terre est bien rompue & divisée par les labours dont l'effet est de donner plus d'adhérence à ses parties après leur division. Les terres fortes, au contraire, deviennent plus légères, par la même opération qui raffermit celles qui sont trop friables ; leurs molécules étant divisées par la culture, elles perdent en partie la ténacité & l'adhérence qui s'opposent à l’extension des racines.

L'auteur entre dans ce détail pour faire comprendre au cultivateur qui ne veut employer d'autres moyens pour améliorer ses terres, que le seul labourage, combien il est essentiel de les multiplier s’il veut réussir dans son entreprise : sans cette connoissance, cette méthode très-avantageuse peut être nuisible à ses terres.

Suivant la méthode ordinaire de cultiver, l’effet du premier labour, suivant lui, est peu sensible ; celui du second l’est un peu plus : ce n'est qu'après avoir fait l'un & l'autre, qu'on doit regarder la terre comme préparée à être labourée. Le troisième & le quatrième labour commencent à produire des avantages réels, & tous ceux qu'on donne ensuite, deviennent infiniment plus efficaces que les premiers pour rendre la terre fertile. Il est certain, ajoute l’auteur, que rien n'est plus propre à faciliter & à augmenter les effets des engrais, que les labours donnés à un terrain nouvellement fumé. Au bout de trois ans, une terre qui a été fumée, se trouve communément épuisée ; en lui donnant un double labour moins dispendieux que le fumier, on la remettra en vigueur pour six ans ; & plus on augmentera le nombre des labours, plus elle pourra se passer du secours des engrais.

Quoique l'auteur approuve la fréquence des labours, pour maintenir les terres dans un état propre à la végétation, il pense cependant que le meilleur moyen est de joindre les engrais aux labours, c'est-à-dire, après qu'un terrain a été long-temps fertile par les labours, il faut le secourir par les engrais, afin de le ranimer : quand au contraire, il a été porté à un grand degré d'amélioration par les fumiers, il convient alors de multiplier les labours ; cette alternative est, ajoute-t-il, la vraie méthode de conserver les bons effets, tant des labours que des engrais. Il ne trouve aucune raison qui puisse empêcher le cultivateur de se comporter autrement, parce que les labours & les engrais ne produisent pas des effets qui soient opposés les uns aux autres.


Selon les principes du gentilhomme cultivateur, on ne peut point établir une méthode uniforme de labourer les terres, parce qu'elles varient infiniment dans leurs qualités & leurs positions. Communément on regarde un labour profond, comme très-avantageux pour rendre un sol fertile ; cependant, il y a des circonstances où il seroit nuisible. Toutes les terres n'ont pas autant de fonds, les unes que les autres ; elles n'exigent donc point d’être fouillées à la même profondeur. La charrue doit piquer beaucoup dans les terres nommées pleins-sols, parce qu'on ne craint point de ramener à la surface une terre de mauvaise qualité ; mais lorsque le sol n’a que quelques pouces de profondeur, & qu'on trouve ensuite une terre non végétale, on doit prendre garde à ne point faire piquer la charrue trop avant, & à ne pas ramener à la superficie la mauvaise terre.

Les terres humides exigent une culture plus analogue à leur qualité. Il y a deux principales sortes de sols sujets à être refroidis par l’humidité ; ceux qui se trouvent sur des montagnes où il y a un lit de glaise au dessous de la superficie, & ceux qui, situés horizontalement, sont fort profonds & très-fermes. « La cause du mal dans ces.terrains.est très-évidente : les eaux des pluies filtrant à travers la terre molle qui forme la superficie, sont retenues par la glaise qui se trouve en-dessous, & dont les parties sont si intimement liées & compactes, qu'elles sont impénétrables aux eaux ; de sorte que de nouvelles pluies succédant, les eaux en sont retenues par les précédentes : le sol étant alors engagé elles remontent vers la superficie, se mêlent avec la terre molle, qui abreuvée se gonfle & se lève au-dessus de son niveau. »

Voici de quelle manière l’auteur procède dans la culture de ces sortes de terrains.

Le labourage n'est que d'une foible ressource dans ces sortes de terres ; on ne peut donc point se dispenses de couper des tranchées en travers du terrain, afin de donner une pente à l’eau pour qu'elle puisse s'écouler : on ferme ces tranchées en les comblant avec de grosses pierres recouvertes ensuite de terre, afin que la charrue puisse y passer comme sur une surface horizontale.

Lorsqu'on a lieu d'espérer de retirer quelqu'avantage, en réduisant ces sortes de terres en état de culture réglée, pour l’entreprendre avec succès, il faut labourer en dirigeant les rayons transversalement, & leur donner une pente oblique. Si les rayons étoient dirigés transversalement, en ligne droite, ou de bas en haut & toujours en ligne droite, on conçoit combien ces méthodes seroient défectueuses : en suivant la première, l’eau n’auroît point d’écoulement, puisque les guerets la retiendroient ; par la seconde, on lui procureroit un écoulement trop précipité, de sorte qu’elle entraîneroit toute la substance de la terre.

Pour rendre l’écoulement plus parfait, l’auteur exige qu’il n’y ait point de cavité dans les sillons, & que leur extrémité soit l’endroit le plus bas de toute leur longueur. Quant au degré d’obliquité qu’il convient de donner, soit aux rayons & aux sillons, il doit toujours être relatif à la position du terrain, c’est-à-dire, l’obliquité doit être moins sensible pour une terre dont la pente est très-considérable, que pour une autre qui l’est moins.

Quoiqu’un terrain situé sur le plan incliné d’un coteau ou d’une montagne, ne soit point sujet à retenir l’eau, on ne doit pas se dispenser, en le labourant, de tracer des raies transversales, afin de donner un écoulement aux eaux trop abondantes, & d’empêcher qu’elles n’entraînent les terres.

Lorsqu’un sol profond & ferme est horizontal, en le labourant transversalement, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, il est sujet à être froid & humide, parce que l’eau y séjourne longtemps. Pour remédier à ces inconvéniens si nuisibles à la végétation, il faut, en le labourant, le disposer en rayons obliques. L’auteur fait, à ce sujet, des observations pour détourner les cultivateurs de la méthode de labourer transversalement, afin de leur faire adopter la pratique des rayons, comme la plus propre à favoriser les productions de la terre. 1°. Le labour transversal, dit-il, est plus ordinairement désavantageux qu’utile, parce qu’il ne procure pas un écoulement aux eaux, indispensable dans les terres humides. 2°. Le cultivateur craint de perdre du terrain, s’il ne suit pas sa méthode de labourer transversalement ; mais il est certain qu’un champ labouré en rayons, a plus de superficie, que quand il est labouré à plat. « Si, par cette méthode, nous donnons deux pieds sur seize pour un sillon vide, la différence de surface qui se trouvera entre le terrain labouré à plat, & le terrain labouré en raies, se trouvera à l’avantage du fermier ; parce que toute la surface étant ainsi élevée en rayons, est en état de porter du bled, & que le fermier, par conséquent, gagnera autant de terrain de plus. »

Outre qu’on gagne une augmentation réelle en labourant en rayons, l’auteur est persuadé que, par cette méthode, on rend le sol sec & chaud, parce que les rayons se servent réciproquement d’abri les uns aux autres & se garantissent des vents froids d’ailleurs, il ajoute que si le terrain se trouve épuisé, après avoir beaucoup produit,


on a l’avantage de se procurer un terrain neuf très-fertile, en remettant les sillons en rayons.

Des terres en friche. L’auteur, à l’imitation de Duhamel, comprend, sous le nom de terres en friche, celles qui sont en bois, en bruyères artificielles ou naturelles ; en un mot, toutes celles qui n’ont point été ensemencées depuis longtemps ; ce qui nous dispense d’entrer dans de plus grands détails sur la manière de les cultiver. L’auteur s’éloigne seulement du système de Duhamel, relativement aux prairies artificielles ou naturelles, converties en terres à bled : il les regarde, avec raison, comme de vraies jachères, relativement au bled, parce que leurs racines n’ont pas épuisé la surface ; & il conseille que la première récolte soit en turnips, & non en grains, qui verseroient dans une pareille terre.

Le gentilhomme cultivateur n’entre point dans le détail du nombre des labours qu’il convient de donner à la terre avant de l’ensemencer ; il se contente de vanter les bons effets du labourage, afin d’exciter les cultivateurs à remuer souvent la terre, pour l’améliorer & la rendre propre à la végétation des plantes. Il observe cependant, que quoiqu’il soit très-avantageux de détacher les parties de la terre, de les ameublir, afin qu’elles s’imprègnent aisément des rosées, des pluies, de l’air, il convient de conserver au terrain une certaine consistance ou fermeté analogue au grain qu’on veut y semer ; autrement les plantes seroient exposées à être renversées par le vent, leurs racines n’étant point assurées. Pour obvier à cet inconvénient, il approuve la méthode de faire passer le rouleau, ou de faire parquer les moutons sur un champ semé en froment, quand on a lieu de présumer que le sol n’a pas toute la consistance qu’il faut pour tenir les racines dans un état de fermeté.

Il ne faut jamais trop surcharger les terres d’aucune sorte d’engrais ou d’amélioration. Lorsqu’elle est trop fertile, rarement elle produit une récolte abondante en grains : la paille y abonde, & le cultivateur a manqué son objet. Si le terrain est trop riche, c’est une sage précaution de le dégraisser en y semant de l’avoine, avant d’y semer du froment. Il considère la marne, la chaux, la craie, le sel, comme les meilleurs engrais que la terre puisse recevoir avant d’être ensemencée, lorsqu’ils sont administrés avec intelligence & avec modération ; parce qu’ils n’apportent point dans la terre les semences d’aucune mauvaise herbe, comme la plupart des fumiers souvent remplis d’insectes qui rongent les racines des plantes, & les font mourir.

Le trèfle est un des meilleurs préparatifs que puisse recevoir un terrain où l’on se propose de semer du froment : cette plante n’exige pas assez de culture ni d'engrais pour que les mauvaises herbes puissent monter en graine, & se multiplier par leurs semences. Lorsque la terre a besoin d'être améliorée par des engrais, on peut les transporter sans danger en vendémiaire & en ventôse : l’herbe étant coupée avant ce temps, il ne reste plus de mauvaises plantes dont on doive craindre de faciliter la végétation. Les turnips procurent les mêmes avantages, parce qu'outre les principes de fertilité qu'ils laissent dans la, terre, les labours de culture qu'on est obligé de leur donner, l’ameublissent parfaitement, & détruisent toutes les mauvaises herbes. Après une récolte de fèves, de pois, on peut espérer de recueillir du froment en abondance. Les lentilles & plusieurs autres grains & herbes, quand ils sont enterrés avec la charrue, fournissent à la terre un engrais admirable, qui la prépare parfaitement a recevoir du froment. Il ne faut pas semer du froment après avoir recueilli de l’orge ordinaire ; elle rend le terrain trop léger, & lui enlève une grande partie de sa substance.


Quant à la manière de préparer la terre par les labours, l'auteur croit s'être suffisamment expliqué, lorsqu'il a dit, que la façon de labourer devoit varier suivant les différentes natures des sols. Il adopte, comme Duhamel, la culture des plantes pendant leur végétation.

(Extrait des Décades du Cultivateur, ouvrage très-utile & très-instructif, imprimé chez Dusart, à Paris.)