Encyclopédie méthodique/Art aratoire et du jardinage/Araire

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Araire ; nom d'une espèce de charrue sans roues.

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ARAIRES. Voici la description et la manière de se servir de deux espèces de charrues sans roues qu'on emploie dans les provinces méridionales de la France, pour donner aux terres les façons qui se donnent ailleurs avec les charrues à roues. (Voyez planche XLI, fig. 1.)

Le nom de charrue n'est point usité pour ces deux instrumens de labour ; ils se nomment des araires, dont l'étymologie est arare, mot latin qui signifie labourer.

On distingue deux espèces d’araires ; l'une est nommée fourcat, et l'autre doublis.

Le fourcat a deux timons ou brancards, mais dont les deux bras sont un peu courbes dans leur milieu, & forment, par leur réunion, un ovale qui reçoit le cheval ou le bœuf, car on ne met d'ordinaire qu'un de ces animaux.

Ces brancards, ou bras, s'infèrent dans, une forte pièce qu'on nomme la cambettc, qui, avec les pièces suivantes, compose le train. Le dental, qui est lapièce traînante, porte deux oreilles, & soutient le soc ; il est lié à la cambette par deux liens de fer, appelles tendilles, qui les embrassent ensemble, & qu'assujettissent par-dessus, deux chevilles de bois, dites tescotes. Une troisième cheville plus longue, c'est le tescou, accompagne & assujettit, par derrière, le manche du soc. L'arrière-train consiste en un manche qu'on fait plus ou moins courbe ou crochu ; on le nomme lestèbe ; à son extrémité, & par une entaille ou arrête, sont attachées deux cordes servant de guides.

Le brancard appuie sur la selle par une large courroie, qu'on nomme la souffre, & qui se boucle sur le milieu des deux bras, à l'un desquels elle est clouée. Deux petites chevilles de bois, qui sont fichées aux extrémités des bras, servent à retenir ceux-ci contre le collier du cheval, & à fixer toute la machine.

Cette espèce de charrue est traînée par un seul cheval, plus communément par une mule. Elle pourroit être tirée par plusieurs, à plein trait, comme une charrette ; mais alors il faudroit, outre le laboureur qui dirige & soutient la machine par le manche, un charretier pour conduire le premier cheval. Cela ne se pratique pas ici.

Quant à l'autre araire, nommé doublis, son avant-train est composé d'un timon ou d'une flèche, formée de deux perches qui chevauchent l'une sur l'autre, & qui sont liées étroitement par deux bandes de fer. A l'extrémité du timon, on place le joug, auquel on accole, tantôt deux bœufs, tantôt deux mules ou deux chevaux ; dans ces cas, le joug change de forme. Le reste du train du doublis est le même que celui du fourcat, si ce n'est qu'il est plus fort ; & il doit d'être, puisque l'attelage est renforcé. Il est même des cantons dans le Haut-Languedoc, dans la Guyenne & ailleurs, où l'on attelé quatre, six, huit paires de bœufs robustes à cette sorte de charrue rendue plus pesante, tandis que le fourcat, plus léger, est quelquefois traîné par un bardot.

Le doublis diffère quelquefois du fourcat, lorsqu'on y adapte la mousse ; voici ce que c'est. Nos laboureurs donnent le nom de mousse à un grand dental plat en dessous, du moins son arrête est peu sensible & s'use bientôt : il est fourchu par sa partie postérieure, de manière qu'une des branches qu'on nomme la queue (c'est toujours la droite) entre dans une rainure de la cambette, & c'est sur cette branche que porte le manche


du soc, tandis que le reste du soc appuie tout le long jusques sur l'extrémité du dental. L'autre branche du dental porte une oreille immense, qui s'élève perpendiculairement ; elle est fixe, & on la revêt d'une lame de fer sur les bords, pour la rendre plus durable. Cette oreille est une grande pièce de bois contournée ; elle est faite, ainsi que tout le dental, de bois de hêtre, qu'on nomme ici le fayard ; tandis que la cambette et le timon, dit le bassègue, qui la prolonge, font de bois d'orme. On ne feroit qu'une seule pièce des deux, si l'on trouvoit commodément & à un certain prix, des ormes assez droits dans leur longueur, & assez courbes par leur base.

Le soc qui doit servir à la mousse est plus fort que celui du fourcat ; il change aussi un peu de forme. C'est un gros fer de lance irrégulier, dont l'aile gauche est plus longue que la droite ; & depuis l’angle de cette aile jusqu'à la pointe, le soc déborde un peu le dental, & fend la terre de toute sa longueur. L'extrémité de ce soc n'est pas pointue, mais un peu applatie & tranchante ; elle s'émousse par l'usage. Enfin ce soc est-ordinairement du poids de douze à treize livres, & le coûtre qui l'accompagne, qu'on nomme ici le couteau, en pèse neuf ou dix. On peut cependant adapter le coûtre au doublis, sans que cela constitue la mousse. Ainsi le doublis est de trois espèces : le simple, celui qui est armé d'un coûtre, & celui avec la mousse.

Le soc de l’araire ordinaire est plus petit ; il est pointu & forme le fer de lance irrégulier. On nomme également l'un & l'autre, en terme du pays, la reye.

Si l'on ôte le dental à la mousse, pour y substituer le dental et le soc du fourcat, ce sera l'équipage du doublis ordinaire auquel on peut adapter, si l'on veut, le coûtre sans la mousse, lequel traversera la cambette un peu obliquement, & viendra rencontrer, par son tranchant, la pointe du soc.

Remarquez qu’on peut se servir du doublis à la mousse, à la manière ordinaire, en en retranchant la mousse, Si qu'on ne peut adapter la mousse au simple doublis. La raison en est qu'au doublis simple, il manque la rainure ou mortaise que j'ai dit devoir être pratiquée à l'extrémité traînante de la cambette.

On doit observer encore que l'on ne se sert du doublis à la mousse que quand on veut essarter un terrain rempli de racines, ou défricher une prairie. Le coûtre coupe les brandes & toutes les plantes qui se présentent ; il fend en même tems la terre, & donne au soc la facilité d'entrer & de labourer plus profondément. On s'en sert aussi pour bien labourer les terres qui ont du fond, & pour mieux renverser la terre. La grande oreille ouvre de larges sillons, & déplace de grands volumes de terre. La mousse seroit très-utile pour renverser le chaume ; mais on se sert trop peu de cet instrument : on est même obligé de le quitter quand il s'agit de labourer en dernier lieu sur le terrain semé. Alors on reprend le doublis simple, ou le fourcat, qui trace des sillons plus petits, plus & rapprochés, qui couvre suffisamment le grain, sans le trop enfouir. L'araire ordinaire, c'est-à-dire, le fourcat & le doublis, portent sur le dental deux petites oreilles contournées, qui s'agencent comme des coins, & de chaque côté, entre les liens de fer (tendilles) qui assujettissent le dental, est le soc, au-dessous de la cambette. On nomme ces oreilles par un terme expressif du pays ; ce sont les escampadouires qui rejettent la terre. Il est inutile de dire que c'est aussi par deux liens de fer que le dental à la mousse tient à la cambette ; le manche du soc passe au milieu d'elles.

Il est facile de s'appercevoir que l'équipage de ces deux machines, le fourcat & le doublis, est le plus simple possible. Je croirois, par cette raison, que notre charrue est une des plus anciennes ; mais il ne faudroit point en conclure, comme l'a fait un laboureur flamand, qu'elle est la plus mauvaise ; Telle sans doute, pourroit être l’espèce d'araire qu'il a décrite, & non celle-ci ; telle a pu être la charrue grecque, & celle qu'on suppose être usitée encore dans les provinces méridionales de la France. Mais si l'on compare ces araires avec celui dont on donne ici une simple description, on inférera qu'ils ne sont pas les mêmes : ils ont pu avoir une même origine, & le nôtre aura éprouvé des changemens qui l'auront perfectionné. Ce n'est pas qu'il n'eût encore ses défauts, selon la différence de lieux où l'on voudroit en faire usage. Il est tel pays où il ne seroit reçu que comme un instrument du jardinage. Si, au reste, on jugeoit nécessaire d'en rectifier quelque part le mécanisme, il faudroit le mettre toujours à la portée des connoissances & de l'adresse du laboureur, pour lui en faciliter le maniement.

Les avantages que présente notre araire sont sensibles.

1°. Il est applicable sur tous les plans possibles ; ce qui ne seroit pas praticable par les charrues montées sur des roues dont il faut souvent changer le diamètre.

2°. Il n'y a aucun changement à faire dans l’araire, dans quelque sens qu'on laboure ; ce qu'on est obligé de faire sur d'autres machines, pour le coûtre & pour l'oreille, à chaque tour de charrue.

3°. On peut fort bien, selon le besoin, at-


teler deux, trois, quatre & six bœufs, ou chevaux, soit au fourcat, soit au doublis, comme on le pratique dans quelques cantons. On peut avoir différens socs, selon qu'il les faut, courts ou alongés, larges ou épais.

4°. On peut incliner plus ou moins l'angle du manche avec le soc, selon la résistance de la terre & le frottement qu'éprouve le dental sans avoir à essuyer d'autre frottement & l’embarras des roues.

5°. En se servant du fourcat, l'animal qui le porte & le traîne, ne foule point la terre qui vient d'être labourée ; il marche droit sur le bord & en deçà du sillon qui vient d'être tracé, sans le déranger ; & le laboureur, en inclinant un peu le manche de l’araire en dehors, c'est-à-dire, du côté où marche l'animal, fait que le sillon s'ouvre tout de l'autre côté, sans être jamais recouvert de terre. (Voyez Charrue.)