Encyclopédie anarchiste/Controle ouvrier - Corporatisme

Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Librairie internationale (tome 1p. 441-454).


CONTRÔLE OUVRIER (LE). n. m. Le contrôle ouvrier (ou plus exactement contrôle syndical de la production), est une action permanente menée par la classe ouvrière, sur le lieu même du travail, pour permettre à celle-ci de se rendre compte, aussi exactement que possible, du fonctionnement intérieur et détaillé des entreprises industrielles et commerciales ou des Exploitations de l’État, pour en tirer le meilleur profit en faveur de l’action multiple du prolétariat.

Par le Contrôle exercé par ses divers organismes, la classe ouvrière peut pénétrer les secrets des fabrications, connaître les moyens d’approvisionnement en matières premières, le coût de ces matières, le prix de revient, l’évaluation des frais généraux, le prix de vente, les bénéfices approximatifs, les formes de l’écoulement du produit fini, la valeur du salaire qui peut être revendiqué, etc…

Les organes du Contrôle sont les sentinelles avancées du prolétariat dans la forteresse capitaliste. Leur puissance doit s’intensifier chaque jour et la poussée qu’ils exercent doit être telle que les œuvres de défense bourgeoise soient attaquées sans cesse plus fortement, plus intelligemment, plus objectivement, afin d’accentuer le recul des forces du capital et l’avance tenace, méthodique et permanente des forces ouvrières.

Ces divers organismes d’action, de pénétration, sont en fait, les embryons des sociétés anonymes ouvrières gérées par les Syndicats, qui remplaceront les Sociétés anonymes capitalistes, gérées par les Conseils d’administration actuels.

L’idée du Contrôle ouvrier de la production est déjà ancienne. Elle prit naissance en Allemagne. On en trouve trace dans une proposition que Bebel fit en 1877, au Reichstag, pour demander la création des Chambres industrielles, dont le rôle eût consisté à garantir les intérêts de l’industriel et du travailleur, à transmettre aux autorités des compte rendus et des propositions. Ces organismes, sans contact direct avec les usines, devaient être formés en parties égales de patrons et d’ouvriers. C’était déjà l’idée qui fut reprise un peu partout, pendant la guerre de 1914–1918, par les démocrates de tous les pays. C’est celle que tendent à réaliser les patrons démocrates avec le concours des Syndicats réformistes par la collaboration de classe constante dans tous les domaines.

Ce projet fut complété en 1885-86 par Auer qui lui conserva son caractère paritaire. Il se borna à adjoindre aux Chambres du Travail (Arbeitskammeren) qu’il voulait voir fonctionner dans chaque localité importante des Bureaux du travail (Arbeitsämter) dans les districts de 200 à 400.000 habitants et, à la tête de cette hiérarchie sociale, un Bureau d’Empire du Travail (Reichsarbeitsamt).

La Commission plénière du Reichstag repoussa le projet qui ne fut même pas discuté par l’Assemblée. On voit que par sa constitution, il ressemblait déjà beaucoup à cette institution du Traité de Versailles, titre XIII : le Bureau International du Travail.

L’étude du projet marqua un fort temps d’arrêt. Ce n’est qu’après l’abolition des lois d’exceptions bismarckiennes que le problème redevint actuel, lorsque l’ouvrier comprit enfin les liens étroits qui l’unissaient à la production, vers 1890.

De nombreux projets furent déposés de 1890 à 1914, après que l’édit impérial de 1891 eut vaguement promis que ”pour favoriser la paix sociale, entre patrons et ouvriers, on examinerait les moyens de faire collaborer des représentants investis de la confiance des ouvriers au règlement des questions communes”. Cette promesse fut l’objet d’un amendement au code industriel (Gezverbeordnungsnovelle 1891), qui obligeait les patrons à afficher dans leurs usines un règlement de travail (Arbeitsordung) et qui prévoyait la création de Comités ouvriers permanents, chargés d’en surveiller l’application.

Toutefois, les pouvoirs de ces Comités ouvriers étaient en fait, très limités. Ils n’étaient d’ailleurs pas obligatoires. La loi de 1891 faisait de ces Conseils des organes facultatifs, qu’elle se garda bien de reconnaître comme la représentation accréditée du prolétariat dans l’usine.

Malgré tout, l’idée fit son chemin. Les Comités se multiplièrent rapidement, malgré la mauvaise volonté du patronat et l’opposition du gouvernement. En 1891, en application du programme d’Erfurt, un nouveau projet social-démocrate fut déposé. Les syndicats chrétiens, fondés en 1894, prirent, eux aussi, position. Leur porte parole, le député du centre Hitze, demanda qu’à côté des Chambres patronales de commerce, d’industrie et d’agriculture, des Chambres ouvrières de même nature fussent créées. Il proposa en outre que les Comités d’ouvriers constitués en 1891 fussent déclarés obligatoires. A plusieurs reprises, en 1895 et 1898, il renouvela son intervention, mais sans succès. Puis les social-démocrates reprirent la bataille. En 1898-99, Pachnieke et Rosicke demandèrent à nouveau la création d’un Bureau d’Empire du Travail.

Les nationaux-libéraux eux-mêmes, protecteurs attitrés de la grande industrie, qui sentaient tout ce que portait en puissance cette institution des Comités ouvriers, cherchèrent à canaliser, par voie de légalisation appropriée, la force qui se dégageait et devenait chaque jour plus menaçante en raison du caractère de lutte sociale qu’ils voyaient déjà se dessiner.

Leur chef, Bassermann, soutint un projet qui étendait la compétence des tribunaux industriels (Gewerbegerichte) et qui leur rattachait les Chambres du Travail, où seraient admis les délégués des ouvriers.

La loi prussienne sur l’industrie minière, du 14 juillet 1905, bien qu’elle les maintînt dans un rôle restreint, décréta que les Comités d’ouvriers seraient obligatoires. Les délégués à ces Comités étaient élus dans toutes les entreprises comptant au moins 100 membres, afin de formuler les revendications, de surveiller l’application des règlements du travail, et le fonctionnement des institutions de prévoyance. Ils nommaient des délégués spéciaux (Sie erheiitsmiauner) également élus par les ouvriers, qui étaient chargés de l’inspection régulière de la mine. Il en fut d’ailleurs de même en France, pour ces délégués.

En 1905, les syndicats libres socialistes, décidèrent d’élargir le débat.

Les Comités formés dans les mines et les autres industries n’avaient que des attributions limitées. Tout un ensemble de questions générales du travail leur échappait par trop.

Les forces s’éparpillaient au lieu de se concentrer.

Les Comités, sans, liaison entre eux, devenaient esclaves de l’esprit local qui les divisait et risquait de les opposer les uns aux autres.

C’est alors que les syndicats reprirent à leur compte les anciens plans de la social démocratie et voulurent confier à des Chambres syndicales la représentation légale de la classe ouvrière et le soin d’ordonner et de centraliser les problèmes du travail.

Mais ils modifièrent radicalement les projets d’autrefois, en abandonnant au Congrès de Cologne (1905) le principe des Chambres mixtes. Sur la proposition d’Otto Hue, ils décidèrent de réclamer des représentations purement ouvrières, analogues aux Chambres de commerce patronales.

Les syndicats et le parti social-démocrate soutinrent ce projet pendant trois années. En 1908, le gouvernement d’Empire se résolut à élaborer un projet qui était loin de donner satisfaction aux ouvriers. Ce projet erra de commission en commission, tour à tour amendé et rejeté par le gouvernement et les partis. Il fut définitivement abandonné en 1911. Aucun effort ne fut tenté pour le réaliser jusqu’en 1914, au moment du déclenchement de la guerre.

Les seules représentations légales qui existaient à ce moment étaient les Comités prévus par le code industriel de 1891 et la loi minière de 1895.

En somme, les industriels avaient, avec le concours du gouvernement, habilement détourné de leur but les Conseils d’Entreprises dont ils sentaient déjà toute l’importance.

Non seulement ils rejetèrent ainsi les Comités exclusivement ouvriers, mais ils refusèrent de laisser former les Comités paritaires qui leur apparaissaient comme une étape à laquelle ne s’arrêteraient pas longtemps les ouvriers allemands.

En raison de la durée de la guerre, pour obtenir un rendement intensif et se concilier les bonnes grâces des états-majors ouvriers, dont la puissance devenait considérable, le gouvernement impérial, sous la pression de la social-démocratie, jugea indispensable de donner au prolétariat de l’industrie, des satisfactions plus précises.

C’est ainsi, lorsque le gouvernement mobilisa toute la main d’œuvre civile, qu’il unit à ses exigences, des concessions qui furent, cette fois-ci, bien accueillies par les syndicats.

La loi du 5 décembre 1916 institua en effet les Comités ouvriers obligatoires dans toute entreprise comptant plus de cinquante personnes. Les employés obtinrent une représentation analogue (Angestellienausschüsse). Les attributions conférées par le code de 1891 furent élargies et étendues, notamment à la règlementation des salaires.

La guerre persistant, le gouvernement, toujours conseillé par les social-démocrates, décida de calmer les inquiétudes des travailleurs en élargissant la loi de 1916, c’était en 1917. En 1918, la grande grève des métallurgistes de Berlin obligea le gouvernement à hâter le dépôt du projet qui fut soumis au Reichstag le 4 mai 1918 par le Comte Hertling. La déception fut grande. En effet, étaient exclus de ce projet : les ouvriers agricoles, les ouvriers et employés d’État. En fait, on avait compartimenté les ouvriers pour les dresser les uns contre les autres.

La Commission du Reichstag amenda ce projet qui ne fut pas voté. La révolution survenant le rendit inutile.

La période des tâtonnements ouvriers, des essais de constitution d’organismes paritaires en vue d’assurer la collaboration permanente des classes était terminée en Allemagne.

Telle est l’origine des Comités d’ouvriers et des Conseils d’usine. En France, en 1916-18 des Comités analogues ont fonctionné sous la direction d’Albert Thomas.

Des centres, tels que Bourges, Decazeville, Saint-Étienne, Paris, secouèrent la tutelle qui leur était imposée. De grands mouvements eurent lieu à cette époque chez les métallurgistes en vue d’appliquer le vrai contrôle ouvrier. Ils allèrent, comme à Decazeville, jusqu’à la prise des instruments de production (mines, hauts fourneaux, laminoirs) qui permirent aux ouvriers de se rendre compte de leur aptitude à organiser et à gérer la production.

L’idée des Conseils ouvriers fera son chemin en dépit de toutes les déviations qu’elle pourra encore subir. En Italie, lors de la prise des usines de Milan et de Turin, les Conseils d’usine et les Comités d’ateliers firent un grand pas. Si ce mouvement n’avait pas été trahi, il n’est pas douteux qu’en 1921, il eût permis à nos camarades italiens, sinon de triompher, du moins de faire une expérience du plus haut intérêt.

En Russie, les Conseils d’ouvriers jouèrent un rôle de premier plan. Ils furent l’âme de la révolution de novembre 1917. Malheureusement, dans ce pays où le syndicalisme n’existait pas, pour ainsi dire ; ils furent, de même que les syndicats, constitués par le gouvernement, bientôt asservis par ce dernier.

Les scandales auxquels les élections des délégués donnèrent lieu furent innombrables et inimaginables. Le gouvernement n’acceptait les résultats de ces élections qu’autant que ses candidats étaient élus. S’il en était autrement, il annulait purement et simplement les élections, jusqu’à ce qu’il ait satisfaction. Il n’hésitait d’ailleurs pas à déporter ou emprisonner les délégués élus qui ne souscrivaient pas à sa politique de parti.

Aujourd’hui, en Russie, les Comités ouvriers, les Conseils d’usines sont devenus, comme les syndicats, des organes du Pouvoir nouveau. C’est toujours le système de la collaboration et le contrôle ouvrier ne s’exerce pas pour la seule défense des droits des travailleurs.

En Allemagne, les Conseils d’usine ont pris quelque ampleur nouvelle lors de l’occupation de la Ruhr. Les Conseils d’usine de Rhénanie, de Westphalie, notamment, jouèrent un rôle important aux conférences d’Essen et de Francfort, sous la direction du Parti Comité directeur du Parti communiste allemand et de l’Exécutif de l’Internationale Communiste et de l’I.S.R.

La conférence de Chemnitz, après l’échec de l’essai de prise du pouvoir de Saxe, marqua le point culminant de leur action qui prit fin après les tragiques événements de Hambourg et la disparition des gouvernements partiellement ouvriers de Saxe et de Thuringe.

Il faudrait pouvoir étudier complètement toute l’histoire des Conseils d’usine et du Contrôle ouvrier en Allemagne pour arriver à donner l’idée exacte du contrôle ouvrier. Les Räte ou Conseils d’usines ont joué un rôle essentiel au cours de la Révolution de 1918. Les Spartakistes, soutenus par Daümig et Richard Müller avaient lancé le mot d’ordre suivant : Tout le pouvoir aux Räte. Haase et quelques indépendants cherchèrent une formule de transaction et déclarèrent qu’il ne fallait point poser le dilemme : ou bien « Ratasystem » ou bien système parlementaire mais, au contraire, chercher à concilier les deux systèmes.

C’est ainsi que le Wollsugsrat ou organe central des Conseils d’usines se vit enlever ses pouvoirs législatifs et exécutifs qui furent confiés au Conseil des six commissaires du Peuple : Ebert, Scheidemann, Landsberg (socialistes majoritaires), Hanse, Ditfmann et Barth (socialistes indépendants).

Un Comité central fut nommé (Zentrahrat). Il eut : autorité sur tous les Conseils d’usines d’Allemagne, mais, en fait, il n’était guère efficient qu’à Berlin où il surveillait les Commissaires du Peuple.

Aussitôt la réunion de Weimar qui vota la nouvelle constitution, en février 1919, Scheidemann, président du Conseil et Legien déclarèrent les Conseils d’usine superflus. Ils étaient — et on le conçoit — un obstacle à l’exercice du pouvoir de l’État et devaient disparaître. Des luttes violentes eurent lieu, et en février 1918, à. la suite de la grève de Berlin, le gouvernement dut céder. Il fut décidé que les Conseils d’usines auraient existence légale. Cette existence fut confirmée en avril 1918 lorsque Munich était aux mains des Conseils.

C’est alors qu’on commença à discuter sur ce que serait le contrôle ouvrier de la production.

Tandis que Haase louvoyait, Daümig et Müller déclaraient que les Conseils d’usines devraient avoir la maîtrise économique complète, contrôler la production, étudier la socialisation de l’industrie.

Wisel, social-démocrate, s’opposa à cette conception. Il voulait revenir à la collaboration des ouvriers et des patrons et établir le Bureau et le Conseil du Travail que les social-démocrates réclamaient déjà avant la guerre, tout en limitant le rôle des Conseils à une besogne secondaire.

Les syndicalistes comprirent qu’ils avaient été dupés par les politiciens et au Congrès de Nuremberg (4 juillet 1919), ils rédigèrent un code du travail qui déclarait : D’accord avec les syndicats, les Conseils d’entreprise réaliseront la démocratie dans l’usine. Le fondement de cette démocratie est le contrat collectif de travail sanctionné juridiquement et ayant force de loi.

Le Conseil d’entreprise réglait, d’accord avec le patron, l’hygiène, l’assurance, l’emploi des femmes, des enfants, des apprentis, la durée du travail, les salaires, le travail à la tâche, les congés, solutionnait les conflits. Cette résolution de Nuremberg ne fut pas acceptée par l’Assemblée nationale, du moins entièrement. Elle donna naissance à l’article 34, puis 165 de la Constitution définitive qui constituait le Conseil économique d’Empire et instituait obligatoirement les Conseils d’entreprises, les Conseils de districts et le Conseil d’Empire.

C’était un compromis entre l’économie rationnelle ( ?) de Wissel et les projets des syndicats. Le statut réel de ces organismes n’est pas encore complètement fixé et on ne sait encore quel sera le rôle politique et le caractère économique des Conseils d’Entreprises, pas plus qu’on ne conçoit exactement et de quelles façon s’exercera leur action de contrôle. La loi du 4 février qui sanctionne l’existence des Conseils d’Entreprises fixe bien leur statut, mais elle a été tellement remaniée qu’il est, en fait, impossible de déterminer la valeur exacte, politique et économique, de cette institution.

Ce qu’on peut dire, c’est que les Conseils d’Entreprises se sont vus retirer tous les pouvoirs qui faisaient leur force en 1918 et que, comme en Russie, ils ne sont plus que des rouages étatiques, à part quelques-uns qui essaient de réagir sous l’action des syndicalistes anarchistes et des communistes.

Leur réveil, en 1923, fut de courte durée et ils semblent se stabiliser sur le plan démocratique.

En France, l’idée n’a fait que peu de chemin, en dépit de la propagande faite et des projets établis depuis 1920. Les tentatives d’établissement du Contrôle ouvrier, au sens propre du mot ont réellement échoué en présence d’un patronat fortement organisé qui n’a pu être entamé nulle part en raison des divisions ouvrières.

Quelles que soient les difficultés à vaincre, quelque indifférence qu’éprouve encore pour le Contrôle ouvrier un prolétariat qui ne le comprend pas, n’en saisit ni la portée exacte, ni la valeur réelle, il faut cependant réaliser entièrement cette revendication, la plus complète du prolétariat, puisqu’elle va de l’éducation du producteur jusqu’à la gestion des Entreprises.

Il faut d’abord tenter d’en fixer le caractère actuel, d’en déterminer les formes, d’en indiquer les moyens, en formuler les buts et constituer les organismes qui en assureront le fonctionnement.

C’est ce que je vais tenter de faire pour permettre d’œuvrer immédiatement.

Organisation pratique et immédiate du contrôle ouvrier. — Pour prévoir par quelles modalités le « Contrôle Ouvrier » peut être institué dans les entreprises, il convient, au préalable, de fixer d’une part le but général du contrôle et, d’autre part, les objectifs immédiats à atteindre.

Il découle des directives du Mouvement Syndical que le contrôle ouvrier doit aboutir à la gestion des entreprises par les travailleurs.

Dans l’atelier, l’organe de contrôle doit donc permettre de constituer la cellule primaire de la nouvelle organisation de la production.

En conséquence, ce contrôle sera établi de façon à permettre aux travailleurs ouvriers, employés, techniciens, de prendre en mains le cas échéant, la gestion de la production.

Mais, dans ce but, une condition préalable est à remplir, c’est d’assurer l’éducation des travailleurs pour les mettre à même de faire face à cette tâche. Le contrôle devra donc, en premier lieu, être constitué pour permettre à la classe des travailleurs de faire son éducation de « gestionnaire ».

Le but général du contrôle est double : 1°) Éduquer les salariés, et l’ouvrier en particulier, dans le but de leur faire connaître les rouages de la production ;

2°) Permettre aux travailleurs de prendre en mains, en connaissance de cause, la gestion de la production, quand les circonstances le permettront.

Quels sont, d’autre part, les objectifs immédiats à atteindre par le contrôle ouvrier ?

Ces objectifs doivent tendre à intéresser l’ouvrier au Contrôle, en lui faisant éprouver un intérêt à revendiquer cette institution. Son fonctionnement, par conséquent, permettra de poursuivre en connaissance de cause la réalisation des revendications des travailleurs. Ses avantages résident dans le contrôle par le travailleur, de l’emploi de son travail à tous les points de vue. L’installation du Contrôle permettra, non seulement de revendiquer un salaire normal, mais encore d’acquérir la capacité de gestion.

Ces conditions générales étant fixées, il faut :

1° Déterminer la nature des organes du contrôle ouvrier ;

2° Établir leur constitution ;

3° Fixer leurs attributions ;

4° Préciser, la coordination des divers organes de contrôle entre eux ;

5° Examiner leurs liens avec l’organisation syndicale d’une part, avec le patronat d’autre part.

Organes du contrôle ouvrier. — Pour être efficace, tant au point de vue éducatif que pour les buts finaux à atteindre, le contrôle ouvrier doit être institué dans chaque cellule de la production. Par conséquent, chaque atelier doit être “ contrôlé ”, ce qui oblige à créer un organe de contrôle dans chaque service de l’atelier : service technique et service administratif.

Ce contrôle doit-il être institué par atelier constitué ou par fabrication ?

Il semble plus rationnel, tant au point de vue de la facilité du contrôle que de l’efficacité de l’éducation pratique des ouvriers, d’établir le contrôle par fabrication.

Prenons comme exemple l’atelier mécanique d’une usine de constructions de matériel électrique comprenant : forge, fonderie, atelier mécanique, bobinage, ajustage, montage, peinture.

La question pratique qui se pose est de savoir si, dans chaque atelier, le contrôle s’effectuera globalement pour l’ensemble des fabrications confiées à cet atelier (travail des machines, pointage, comptabilité, prix de revient), chaque contrôleur d’atelier se mettant en liaison avec le contrôleur de l’atelier voisin, pour suivre la marche des diverses fabrications, ou bien si, au contraire, dans l’usine, le contrôle se fera par fabrication.

Par exemple, pour la fabrication de moteurs électriques ; devra-t-on, dans l’atelier mécanique, organiser te contrôle en vue de suivre séparément le travail des pièces de chaque type de moteur confié à cet atelier ; puis garder la liaison avec l’atelier d’où sortent ces pièces et avec l’atelier où elles vont après l’atelier mécanique, ou bien, devra-t-on faire suivre globalement par le contrôleur de l’acier mécanique, l’ensemble des fabrications de cet atelier : moteurs de types divers, etc… ?

La constitution des organes de contrôle sera différente suivant que l’on adoptera l’un ou l’autre de ces points de vue.

En effet, dans le cas du contrôle général s’appliquant à toutes les fabrications de l’atelier, l’ouvrier qui en sera chargé devra suivre toutes les opérations dans l’atelier : techniques et administratives. Dans les ateliers importants, il lui sera extrêmement difficile, n’étant pas au courant des directives données par le Directeur de l’usine, de démêler l’organisation du travail. De.plus, son temps sera extrêmement absorbé par ce contrôle ; il doublera à la fois le contremaître et le pointeur. Cette situation entraînera la nécessité d’obtenir du patronat l’acceptation de distraire un ouvrier de son travail à titre permanent. Il n’est pas besoin d’insister sur les difficultés de toutes sortes que pourrait entraîner une pareille revendication.

Au contraire, si le contrôle est fait par fabrication, il peut être institué, par atelier, plusieurs contrôleurs qui, tout en effectuant leur travail, pourront suivre la marche des opérations d’un atelier à l’autre, en liaison avec les contrôleurs de la même fabrication dans les ateliers voisins.

Il suffira que les contrôleurs aient connaissance de la distribution du travail dans l’atelier, c’est-à-dire qu’ils soient aidés par les employés chargés de la comptabilité de l’atelier.

Et c’est ici qu’apparaît toute la valeur économique du contrôle par fabrication. Ce contrôle permettra facilement de connaître le prix de revient de la fabrication, clef de la forteresse patronale.

Possesseurs du prix de revient, les travailleurs auront en mains les données du problème des prix. Ils sauront exactement de quelle façon leur travail est « exploité », ils connaîtront également dans quelles mesures leurs salaires peuvent être modifiés. Enfin, ils pourront asseoir leur instruction économique et acquérir la. notion de « possibilité » qui, parfois, leur fait défaut.

Constitution des organes de contrôle. — Dans ces conditions, les organes de contrôle seront constitués par un certain nombre de contrôleurs choisis dans chaque atelier et affectés à une fabrication donnée ou, plus exactement, à l’exécution d’une « commande ».

Les contrôleurs des divers ateliers affectés à la même fabrication se réuniront pour confronter leurs renseignements.

En conséquence, on peut envisager dans chaque entreprise, la création de l’organisme de contrôle de la façon suivante :

a) Un Comité général du contrôle, composé de 4 à 16 membres, suivant l’importance de l’entreprise, désignés par le Syndicat sur une liste élue par l’Assemblée des ouvriers, des employés et techniciens de l’entreprise.

b) Un certain nombre de contrôleurs, désignés par le Comité général, par atelier, pour chaque fabrication ou pour des contrôles spéciaux.

c) Des commissions de détermination des prix de revient, constituées par commande par la réunion des contrôleurs de fabrication de cette commande.

d) Des commissions de « contrôles spéciaux », constituées par des contrôleurs spéciaux (embauchage, débauchage, hygiène, conflit).

e) Des délégués d’atelier nommés par les ouvriers, employés et techniciens des ateliers, délégués effectuant la liaison entre les travailleurs et le Comité général dans l’intervalle des Assemblées générales des Travailleurs de l’Entreprise.

Attribution des organes de contrôle. — a) Assemblée générale des Travailleurs de l’Entreprise. — Cette Assemblée aura pour attribution de désigner les travailleurs parmi lesquels le Syndicat choisira les membres du Comité général du contrôle.

Elle pourra révoquer ces membres dans des conditions à déterminer.

b) Assemblée des travailleurs par atelier. — Elle aura pour mission de nommer le ou les délégués d’atelier chargés d’effectuer la liaison entre les travailleurs de l’atelier et le Comité général.

c) Comité général. — Il aura tous pouvoirs pour organiser le contrôle, notamment pour nommer les contrôleurs, leur fixer leurs attributions, leur donner toutes les instructions, assurer la liaison et la coordination de leurs fonctions.

Ces attributions seraient à préciser dans le détail, une fois le cadre général du présent projet accepté.

La Commission technique locale pourra établir un projet d’attributions détaillé pour chaque sorte d’industrie.

Le Comité général assurera la liaison avec le Syndicat pour toutes les questions syndicales et d’organisation générale. A cet effet, il sera, dans l’entreprise, le représentant du Syndicat.

d) Contrôleurs. — Ces contrôleurs n’auront qu’une besogne technique fixée par le Comité général. Ils recueilleront les renseignements relatifs à l’organisation du travail, des fabrications, à la comptabilité (prix de revient), matières premières, main-d’œuvre, frais généraux.

Une étude détaillée de ces fonctions pour les divers services des usines et entreprises devrait être faite par la Commission locale d’études, à l’effet d’aboutir à un règlement général applicable aux usines ou entreprises.

e) Commissions de contrôleurs. (Prix de revient). — Le nombre des Commissions et leurs attributions sera fixé par le Comité général. Une instruction générale serait à établir, après étude par la Commission, montrant quel serait le rôle de coordination.de ces Commissions, dans un but technique, administratif et économique.

Ces Commissions doivent jouer, vis-à-vis du Comité général (étant lui-même la direction « en puissance » de l’entreprise), le rôle des divers services actuels des entreprises, par rapport à la direction générale.

Dans chaque cas particulier, ces Commissions devront donc être constituées en vue de pouvoir assurer, le cas échéant, la direction des services de l’entreprise ; c’est dans ce but qu’elles doivent connaître exactement, par les contrôleurs qui les composent, la situation technique et économique de chaque fabrication.

Leur tâche principale sera de déterminer le prix de revient de fabrication, sinon dans le détail, tout au moins dans ses éléments principaux : quantité de travail, quantité de matières.

f) Commissions spéciales. — Seul, le Comité général peut ; dans chaque cas, déterminer le nombre et les attributions de Commissions, composées de contrôleurs nommés par lui. En principe, ces Commissions auront’pour attributions : l’embauchage, le débauchage et les conflits.

Il y a lieu d’examiner s’il ne serait pas préférable de choisir les membres de ces Commissions parmi les délégués d’atelier, le choix étant fait par le Comité général.

g) Délégués d’atelier. — Le délégué d’atelier aura pour mission la liaison entre les travailleurs de l’atelier et le Comité général, pour toutes les questions concernant l’atelier.

L’Assemblée des délégués sera, en outre, chargée de contrôler le Comité général. Le délégué d’atelier a donc un rôle limité strictement à la liaison avec les travailleurs et au contrôle de l’activité du Comité général, des Commissions de contrôleurs.

Coordination des organes de contrôle. — Les divers organes de contrôle, dont les attributions ont été énumérées ci-dessus, doivent se pénétrer qu’ils constituent la « Direction en puissance » de l’entreprise.

Ils devront, dans leurs rapports, s’inspirer des méthodes de coordination et de liaison des divers services des usines.

Les Comités généraux des entreprises auront donc besoin d’étudier ces méthodes en détail. A cet effet, des conférences leur seront faites dans les centres industriels, par les techniciens qualifiés.

La liaison des organes s’établira automatiquement, par suite de la nécessité de collecter les renseignements puisés par les divers contrôleurs. En outre, des réunions plénières entre les Commissions et le Comité général, permettront de dégager l’ensemble de l’organisation et du fonctionnement de l’entreprise.

Liaison avec les organisations syndicales et le patronat.

Il a été spécifié que le Comité général sera, dans l’entreprise, le délégué du Syndicat. Cette fonction pourra d’autant mieux s’établir que les membres du Comité général seront choisis par le Syndicat.

Le Syndicat fixera donc la politique générale que doit suivre le Comité.

Dans le cadre actuel, le Comité sera donc dans l’entreprise l’organe d’exécution des décisions du Syndicat ; dans le cadre futur, il sera l’organe d’exécution des décisions de la D. G. E. N. (Direction générale de l’Economie nationale).

En ce qui concerne la liaison avec le patronat, elle sera assurée, pour les questions spéciales à l’entreprise, par le Comité général et, pour toutes les questions intéressant un ensemble d’entreprises, par les organismes syndicaux, discutant toujours de puissance à puissance.

Cette discrimination des attributions sera à faire par la C. G. T., en vue de l’établissement du règlement général du contrôle.

Conclusion. — Sur le papier, cette organisation peut paraître complexe. En pratique, elle sera très simple.

Dans une entreprise comptant 500 ouvriers, par exemple, le Comité général pourrait comprendre 5 membres.

Dès sa nomination, il s’enquerrait par l’intermédiaire des employés ou des techniciens syndiqués, des commandes en exécution.

Dans chaque atelier, il désignerait un employé et un ouvrier de l’atelier, chargés de suivre dans cet atelier l’exécution de chaque commande, c’est-à-dire qu’il ferait noter le nombre total d’heures de travail affectées à la commande, le nombre de pièces venant d’un autre atelier et les matières premières employées, ainsi que le nombre et la nature des pièces allant à l’atelier suivant. A chaque fin de journée, ces renseignements peuvent être pris sur les livres des pointeurs, dans l’atelier même.

Les contrôleurs de chaque fabrication des divers ateliers se réuniraient périodiquement, désigneraient un secrétaire collectionnant ces renseignements, pour obtenir le prix de revient approximatif. Ce travail exigera peu de temps. Il pourrait être effectué sans difficulté par un ouvrier intelligent, à qui des instructions précises seront données.

L’institution du contrôle permettra de former rapidement des cadres ouvriers, connaissant le fonctionnement administratif de l’entreprise.

Le gros effort à faire est d’assurer l’éducation des Comités généraux, une fois nommés. A cet effet, des tournées de conférences seront instituées pour commenter le règlement à établir.

Enfin, on remarquera qu’il n’est pas question, dans cette organisation du contrôle ouvrier, de réclamer actuellement une part de gestion au bénéfice du Syndicat.

Outre que cette part de gestion ne pourrait pas être obtenue du patronat, ce qui vouerait à l’échec le succès de la revendication et en désintéresserait les ouvriers, cette revendication serait le prétexte du refus du contrôle.

En se bornant à la constitution des organes de contrôle, ce qui peut être réalisé en dehors de tout accord passé avec le patronat, on peut exercer pratiquement et effectivement le contrôle de la production indépendamment du patronat.

En cas de résistance patronale — ce qui ne peut manquer de se produire — il y aura, sur ces bases, une belle propagande à organiser.

Ce projet fut exposé au Congrès Confédéral de Lille, en juillet 1921, par le Comité Central des Syndicalistes révolutionnaires français. Bien qu’il ait fait l’objet d’une propagande active, il n’a pas encore été compris et moins encore appliqué.

Tel apparaît être le cadre dans lequel les ouvriers devraient s’efforcer d’agir avec méthode et persévérance dans le domaine immédiat.

L’organisation du Contrôle ouvrier qui, par le succès de la Révolution, deviendrait celle du Contrôle de la production serait, on le conçoit, sensiblement différente. Il ne s’agit plus, en effet, de surveiller, de comprendre la gestion capitaliste, mais, pour la classe ouvrière, de gérer elle-même.

Il serait sans doute prétentieux dans les circonstances actuelles, d’en tracer le schéma détaillé. Toutefois, il n’est nullement impossible d’en envisager les bases générales. Il est même nécessaire que cela soit fait, si on ne veut pas laisser au hasard le soin de faire cette besogne et peut-être, hélas ! risquer de compromettre le succès par des improvisations hâtives et désordonnées.

Dès maintenant, la première besogne à accomplir consiste à faire comprendre la valeur exacte du Contrôle, à constituer et à faire agir les organismes de ce Contrôle, qui seront, je le répète, les embryons du Contrôle de la production.

Si toute cette préparation morale et matérielle s’effectue normalement, la classe ouvrière sera à pied d’œuvre pour assumer les responsabilités de la gestion avec succès, le moment venu.

Tout de suite, disons que le Contrôle de la production devra s’exercer sous le contrôle des syndicats. Pourquoi ? parce que seuls les syndicats, force organisée de la Révolution, pourraient, sans déviation, pousser l’activité humaine vers les fins souhaitées. Si ce contrôle leur échappait, ce serait faciliter les entreprises que la contre-révolution ne manquera pas de tenter. Vouloir donner, comme en Allemagne et en Russie, tout le pouvoir aux Conseils d’Usines comprenant une très forte proportion d’inorganisés susceptibles de faire dévier la révolution de sa ligne droite, c’est courir une grave aventure, risquer un gros péril.

Si, en Russie, il y eut accaparement des Conseils d’Usines par le gouvernement, c’est précisément que les syndicats étaient ou inexistants ou pIacés dans la main du gouvernement.

Et puis, lorsqu’il y a plusieurs usines de la même industrie dans une même localité, il doit y avoir coordination dans la production, l’approvisionnement, l’écoulement des produits. Tout cela ne peut être réglé que par le Syndicat d’industrie, centre de coordination des Conseils d’Usines.

Est-ce à dire qu’il faille écarter des Conseils d’Usines les inorganisés, les sans-parti ? Non. Au contraire, la participation des inorganisés à ces Conseils leur fera comprendre la nécessité du groupement, elle en fera des propagandistes de premier ordre pour les syndicats.

J’ai dit, au cours de cet exposé que les Conseils ouvriers devraient remplacer des Conseils d’administration capitalistes actuels. Il faut donc concevoir une organisation qui permette d’atteindre ce but, sans laquelle toute gestion est impossible.

Pour cela, il est nécessaire de prévoir une organisation technique et une forme de gestion capables de jouer le rôle des Conseils capitalistes sur ce plan nouveau.

Il semble bien que l’organisation technique doive trouver sa base dans l’atelier et que l’organisme de doive être composé des militants les plus aptes à assurer ce rôle, quelle que soit leur spécialité.

Donc, l’administration de l’usine doit reposer sur deux groupements essentiels les Comités d’Ateliers qui forment le Conseil technique et les Conseils d’Usine spécifiquement chargés de l’organisation générale de l’usine : approvisionnement, production, échange sous la direction d’un Conseil de gestion restreint formé des représentants des Comités d’ateliers et des Conseils d’usines, fonctionnant lui-même suivant les décisions et sous le Contrôle du syndicat d’industrie et de l’Union locale.

Une telle organisation, dont il n’est pas nécessaire de fixer le rôle dans le détail, assurera à l’ordre nouveau un maximum de souplesse et d’efficacité d’action toujours contrôlé, ce qui est indispensable pour qu’on ne s’écarte à aucun moment de la doctrine révolutionnaire pour que les conquêtes du prolétariat soient constantes.

En dehors de ces lignes générales, il est bon de laisser l’initiative particulière s’exercer. C’est de l’expérience cumulatrice que surgira la meilleure forme du Contrôle de la production, l’organisation la plus efficace du travail.

Le Contrôle devra pourtant être rapidement constitué, si on veut réduire au minimum le temps d’arrêt de la production et des échanges, facteur essentiel du succès de la Révolution.

En somme, le Contrôle ouvrier aujourd’hui, celui de la production demain, sont les grands problèmes qui doivent être examinés et solutionnés rapidement si le prolétariat veut être en mesure d’assurer lui-même, hors de tous les partis et de leurs gouvernements, le salut des travailleurs.

Insister davantage sur le caractère des efforts à accomplir, m’apparaît inutile. — Pierre Besnard.


CONTROVERSE. n. f. Discussion d’un sujet sur lequel on ne se trouve pas d’accord. La controverse se fait généralement en public et le sujet débattu est ordinairement d’ordre politique ou social. Lorsqu’elle est courtoise, la controverse est utile parce qu’elle oppose arguments à arguments et idées à idées ; mais quand la passion et le fanatisme s’en mêlent, la controverse n’est plus une source de lumière mais d’obscurité.

La controverse sincère est une bonne arme de propagande, car elle permet à l’auditoire de se faire une opinion sur une question qui l’intéresse, à la condition cependant que le débat se poursuive en bon ordre et sans dévier.


CONVENTION. n. f. Accord, entre deux ou plusieurs personnes, entre diverses organisations sociales, commerciales ou politiques, ou encore entre deux ou plusieurs États.

Une convention est un traité verbal ou écrit que chaque partie s’engage évidemment à respecter. La Grande-Bretagne durant la guerre de 1914, en vertu d’une convention avec la France, s’engagea à enrôler dans ses armées les sujets français résidant en Angleterre ou de les expulser de son territoire.

C’est en vertu d’une convention internationale acceptée par tous les pays du monde que l’or sert d’étalon en matière d’échanges commerciaux et de transactions financières.


CONVICTION. n. f. Certitude de la véracité d’un fait, d’un principe, d’une idée. Les convictions ne reposent pas toujours sur des preuves contrôlables et c’est ce qui explique les convictions bâtardes ou erronées de bon nombre d’individus. Les convictions religieuses, par exemple, sont étayées sur la foi et sur la croyance et non sur la raison ; cela n’empêche pas les fidèles sincères, d’avoir la conviction que Dieu existe et que nous lui devons une obéissance absolue et sans contrôle. Il leur serait pourtant difficile et même impossible d’apporter une preuve quelconque à l’appui de leurs convictions.

Une conviction sincère est toujours respectable quelle qu’elle soit ; il faut néanmoins combattre et chercher à détruire celles qui sont dangereuses pour la liberté individuelle et collective, car elles sont une source d’erreurs et de préjugés nuisibles à l’évolution et à la civilisation.

Les Anarchistes sont convaincus que l’ordre économique bourgeois est une entrave à la paix sociale et au bonheur du genre humain et que seul le communisme libertaire peut régénérer le monde ; c’est pourquoi ils défendent leurs convictions avec chaleur, espérant les faire partager par le plus grand nombre possible d’individus qui, venant grossir les rangs des exploités conscients de leur force, travailleront à la transformation sociale.


CONVOITISE. n. f. La convoitise est le penchant qui incite à désirer ce que l’on n’a pas et qui appartient à autrui. Ce terme est presque toujours employé péjorativement et pourtant il est des convoitises raisonnables, sensées et logiques.

S’il est méprisable et parfois odieux de convoiter des richesses, des honneurs et des plaisirs, surtout lorsque ceux-ci ne peuvent être acquits qu’au détriment de son prochain, par contre il est tout à fait compréhensible que le peuple vivant dans la misère, face à la richesse de certains, convoite le bien-être de la bourgeoisie.

La convoitise est un défaut si elle dépasse certaines mesures, c’est-à-dire si elle conduit un individu à désirer plus que son voisin et à se procurer par des moyens indélicats ou par des bassesses l’objet de sa convoitise ; elle est au contraire une qualité si elle détermine l’individu à lutter pour être placé sur le même rang et au même niveau que ses semblables afin de bénéficier avec eux de toutes les richesses sociales. C’est pour maintenir l’esclavage du peuple que de tous temps les lois civiles et religieuses ont interdit de convoiter le bien de son prochain ; heureusement que, petit à petit, la lumière se fait dans les cerveaux et du jour où l’homme saura sainement convoiter, la Révolution, en abolissant tous les privilèges, fera disparaître la convoitise.


COOPÉRATION. n. f. Auprès des révolutionnaires, et même des anarchistes, l’idée de la coopération n’a pas joui de la faveur ni attiré l’attention a laquelle elle a cependant droit par ses origines, qui la rattachent directement aux doctrines socialistes et anarchistes, par son importance pratique en tant que facteur économique actuel ; par les possibilités d’avenir et de reconstruction sociale qu’elle offre.

Cette défiance provient surtout de la prédominance de la mentalité bourgeoise dans les associations coopératives, et du peu d’idéalisme social qui s’y manifeste, faisant place à des préoccupations mercantiles, à l’égoïsme des adhérents et encore plus des dirigeants.

La coopération n’a pas su éviter l’adaptation au milieu. On en pourrait dire autant du syndicalisme, des partis politiques et même révolutionnaires. Issue du monde ouvrier, elle a dévié du but que lui assignaient ses protagonistes. Comme dit Ch. Gide, dans son livre les Sociétés Coopératives de Consommation, page 24 : « Le système coopératif n’est pas sorti du cerveau d’un savant où d’un réformateur, mais des entrailles même du peuple. » Vérité incontestable. Mais le peuple n’a pas su conserver la direction de ce mouvement, qui lui offre pourtant de magnifiques possibilités pour la lutte présente et pour les fondations de la société de demain.

Le dédain dans lequel les militants tiennent la coopération proviennent aussi d’une différence, essentielle de mentalité : les nécessités de la lutte sociale exigent des tempéraments ardents, dévoués, plus ou moins risque-tout ; l’organisation d’une coopérative, de quelque forme qu’elle soit, demande d’autres qualités, dont la première est la pondération et la seconde la souplesse.

Les coopératives ont également absorbé, retiré de la lutte, fait des petits bourgeois de bons militants. Reproche justifié, mais qui peut s’appliquer tout aussi bien au milieu social qui se charge d’abattre la combativité des camarades.

La coopération, malgré ses imperfections, ses défauts, ses déviations, n’en reste pas moins une forme d’association ayant son importance, et surtout offrant une base solide à toute idée de reconstruction sociale. Quand le souffle révolutionnaire, pénétrant là comme ailleurs l’aura débarrassée des éléments malsains qu’elle traîne, elle se présentera comme une forme d’organisation souple et pratique capable d’assurer la production, la circulation et la répartition des produits, tout en laissant la liberté aux membres. Les coopératistes les plus neutres au point de vue social, les Gide, Gaumont, etc., ont dû reconnaître à maintes occasions, l’idéal libertaire qui présidait à la coopération.

La coopération, c’est le régime de la libre association se substituant au régime de la concurrence ou du monopole, base de la société bourgeoise. Des consommateurs ou des producteurs, pour conquérir à la fois le bien-être et l’indépendance économique, s’associent et administrent leurs affaires en dehors de toute tutelle étatiste ou capitaliste, n’est-ce pas là, théoriquement tout au moins, le fondement même de la reconstruction sociale du point de vue anarchiste ?

Les protagonistes de la coopération sont les pères spirituels des différentes doctrines sociales. Citons De L’Ange, Lyonnais, qui, pendant la révolution de 89, tenta maints essais ; Fourier, avec son familistère, ou coopérative intégrale de production et de consommation confondues ; Owen, qui inspira les pionniers de Rochdale ; Saint-Simon, avec son coopératisme mystique et religieux, qui dévia avec le positivisme des adeptes d’Auguste Comte ; Buchez, autre mystique coopérateur ; Proudhon, qui lança l’idée et tenta la réalisation de la coopérative de crédit « La banque du peuple » et préconisa les différentes formes de la coopération ; Louis Blanc, avec son coopératisme aidé et contrôlé par l’Etat ; Raiffaisen et Schulze Delitsch qui, en Allemagne, créèrent le mouvement coopératif de crédit.

Le premier socialisme fut tout imprégné le cette idée de la coopération. Mais la résistance ouverte ou déguisée de la bourgeoisie, et l’inexpérience des fondateurs, furent les causes de nombreux échecs : Les événements politiques et révolutionnaires détournèrent ce courant et l’amenèrent, soit vers la politique, soit vers la préparation d’une l’évolution. La coopération continua son chemin, mais avec des éléments bourgeoisants.

La coopération de consommation s’est beaucoup développée ; les sociétés, éparpillées dans tous les pays, se chiffrent par dizaines de milliers, les adhérents par millions, et les affaires par milliards.

Les coopératives de production exigeant des capitaux, de la compétence, une clientèle et surtout une plus haute moralité, ont eu plus de peine à progresser, et leur développement se fait lentement. S’écartant trop de la cause du peuple, donnant trop l’apparence d’un moyen de débrouillage pour quelques-uns plutôt que d’une forme nouvelle de la production, ce qui serait pourtant leur force et leur valeur, elles n’ont pas su créer un mouvement populaire puissant.

Sous une forme atténuée, et plus réalisable actuellement, la coopération de production a eu plus de succès sous les modalités de coopératives de main-d’œuvre, appelées différemment suivant les pays ; commandites en France ; ghildes en Allemagne, Autriche ou Angleterre ; braccianti en Italie ; artels en Russie, etc…

Cette forme nouvelle de la coopération a peut-être pour elle l’avenir. Elle évite les difficultés de l’association remplaçant le patronat et sujette à prendre les vices de la société bourgeoise, en procurant des privilèges à ses membres au détriment du bien-être général. Elle cadre mieux avec l’idée d’un régime social où des associations autonomes de production, s’administrant à leur guise, auraient pour fonction de satisfaire à tel besoin particulier de la communauté, sans pouvoir spéculer sur leur situation spéciale, ni créer un autre genre de propriété. Harmonisant leurs efforts avec ceux des organes de répartition (coopératives de consommation, logement, instruction, art, etc.), et fondues dans la commune libertaire, la commune de l’avenir, elles peuvent former la base économique de ! a société de demain, organisme assez souple pour évoluer rapidement et pacifiquement vers le communisme intégral, suivant l’évolution des mentalités ; en tous cas système pratique de reconstruction sociale applicable le jour même de l’expropriation de la bourgeoisie par une révolution triomphante.

La coopération agricole fait aussi beaucoup de progrès. Malheureusement, ce ne sont guère que les petits propriétaires qui l’utilisent, la masse des prolétaires paysans restant en général trop dispersée. De nombreux syndicats agricoles ont été créés et prospèrent. On leur doit surtout la hausse des denrées agricoles. Mais ce principe d’association pour la culture, de la coopérative de village, est plein de promesses pour l’avenir. C’est la forme toute trouvée du travail agricole. Il suffira d’y amener les prolétaires des champs et les petits cultivateurs. L’idée a d’ailleurs pénétré les campagnes, Nos militants n’auront qu’à la développer.

Une autre forme de la coopération est celle du crédit, tant préconisée jadis par Proudhon, très développée aujourd’hui en Allemagne, Suisse, et l’Europe centrale ; fonctionnant en France sous le nom de caisses rurales. Jouissant de la faveur et du soutien pécuniaire des États, cette modalité de la coopération a surtout favorisé la petite propriété agricole, la petite industrie, le petit commerce. Elle est peu intéressante à notre point de vue.

Il y a aussi des coopératives de construction (Angleterre, Amérique, etc…), mais ce sont plutôt des associations de petits propriétaires ou aspirant à l’être, et le sujet d’exploitations éhontées.

En résumé, un fort courant vers la coopération se développe dans toutes les parties du monde. La coopération s’avère une nouvelle forme sociale se substituant au régime capitaliste, et plus conforme aux besoins et à la mentalité modernes.

S’en désintéresser est une erreur. Ne pas voir les possibilités qu’elle présente est une faute.

Dans le mouvement coopératif, les anarchistes ont une large tâche à accomplir : combattre les politiciens, arrivistes et centralistes, inculquer l’idéal libertaire et faire entrevoir aux adhérents que la société dont ils font partie, s’ils veulent lui garder son indépendance et son idéal, peut-être une des pierres de la fondation de l’édifice social de demain. — Georges Bastien.


COOPÉRATISME. n. m. Tout mouvement qui se développe finit par trouver sa théorie, sa base doctrinale. Quoique née spontanément, de mobiles divers, et s’affiliant plus ou moins directement au fouriérisme, à l’owenisme, au saint-simonisme, et autres doctrines du début de la période socialiste, la coopération a fini par trouver ses théoriciens qui ont naturellement établi les bases d’une organisation sociale idéale sur les coopératives existantes, se développant graduellement, et envahissant progressivement tout le champ social.

Le mouvement coopératif de production agricole, composé surtout de petits propriétaires, n’a guère d’idéal social, cela se conçoit, pas plus que celui des caisses de crédit coopératives.

Longtemps, les coopératives de production se réclamèrent d’un idéal de transformation sociale, mais leur petit nombre et leur peu d’influence ne leur a guère permis de sortir des considérations générales, et de tracer un programme positif d’ensemble.

Du mouvement coopératif de consommation devait sortir la doctrine la plus complète et la plus ambitieuse.

Les ouvrages de Charles Gide et surtout la République coopérative d’E. Poisson, ont donné corps à cette doctrine coopératiste, et, à de peu nombreuses exceptions près, sont aujourd’hui acceptées par le mouvement coopératiste en général.

Ainsi compris, le coopératisme est du plus pur réformisme ; mais, si l’on peut dire, du réformisme d’action directe, et non étatiste ; c’est la substitution pacifique des organismes coopératifs au régime économique bourgeois.

Le coopératisme vise tout d’abord à l’abolition du profit commercial, qui reste aux coopératives, est réparti en partie aux coopérateurs, et l’autre partie sert à constituer un capital social collectif.

Par ce capital social collectif, le coopératisme agrandira son rayon d’action, pénétrant partout, et dans tous les domaines. Après avoir canalisé la consommation, il entreprendra les transports et ensuite la production jusqu’à ce qu’il soit devenu la seule organisation économique existante.

Le capital, réduit à la portion congrue d’un intérêt fixe d’abord, puis éliminé progressivement, grâce à l’accumulation des réserves collectives, deviendra inutile et disparaîtra.

Le coopératisme aura ainsi, éliminé les sources du profit commercial et capitaliste au bénéfice des consommateurs, c’est-à-dire de tous. Une sorte de république coopérative (c’est le nom donné) sera instituée et les citoyens consommateurs associés régiront toute la vie sociale au moyen d’un système démocratique calqué sur le parlementarisme. Tous les producteurs deviendront les salariés de la collectivité, donc leurs propres salariés, donc pas salariés, disent les théoriciens du coopératisme.

Nous savons trop apprécier les méfaits d’un régime démocratique et centraliste pour ne pas dénoncer la phraséologie et le danger d’une telle doctrine, qui n’est que du collectivisme déguisé, où l’État se fait appeler Fédération des coopératives ou tout autre nom. Nous savons que ces salariés de tout le monde resteront des prolétaires exploités, que la hiérarchie avec ses privilèges et ses injustices existera ; que le parasitisme social actuel n’aurait ainsi fait place qu’à une nouvelle caste de dirigeants soi-disant compétents, compétents surtout en la façon d’extorquer les votes des Assemblées.

Si la coopération n’a pas l’influence morale et la puissance transformatrice et émancipatrice qu’elle devrait avoir, elle le doit surtout à cet esprit de centralisme et de démocratie, marque de l’arrivisme qui l’a déjà en partie châtrée de sa force idéaliste.

Un autre exemple, celui de l’Italie avec ses nombreuses, puissantes et actives sociétés coopératives de consommation, production et crédit, doit nous éclairer. La vague fasciste a tout balayé ! La violence des maîtres, en peu de mois, a détruit le résultat de longs et pénibles efforts d’organisation.

En réalité, le coopératisme porte en lui une saine notion d’organisation sociale meilleure, mais il doit se débarrasser des doctrines politiques et centralistes qui l’étouffent ; il doit surtout n’avoir confiance qu’en sa propre force autonome, faire l’appel le plus large aux initiatives locales en leur laissant l’intégrale liberté ; apprendre à ses membres à administrer eux-mêmes leurs affaires et non plus à déléguer le pouvoir à des représentants (toujours la même duperie). Le coopératisme doit aussi comprendre que la transformation graduelle et pacifique n’est point possible, et qu’il lui faudra un jour ou l’autre se mettre avec les forces révolutionnaires ou sombrer.

Merveilleux champ d’expériences et école de self-administration, le coopératisme doit surtout tenter de devenir une force d’émancipation, mettant les moyens matériels au service de la libération morale et intellectuelle.

L’homme n’est pas qu’un consommateur, il est aussi un producteur, un artiste, un savant, un amateur de toutes les sensations vitales. Vouloir faire prédominer un des côtés de la vie humaine sur les autres, c’est aboutir à une nouvelle tyrannie déguisée et un nouveau parasitisme. La vérité se trouvera dans une harmonie bien équilibrée des différentes sortes d’associations humaines : production, consommation, art, études, etc… ― Georges Bastien.


COOPÉRATIVES (SOCIÉTÉS) DE CONSOMMATION. n. f. Parmi les différentes formes de la coopération, celle dite de consommation a pris un énorme développement, une ampleur considérable qu’aucune attaque ni événement n’ont pu entraver. La guerre même, la révolution russe, loin d’être une cause de crise du mouvement coopératif de consommation, ont été des stimulants et ont contribué à une prodigieuse extension de ces coopératives.

Alors que la coopération de production piétine sur place ou progresse lentement, que la coopération de crédit ou agricole se restreint à la petite bourgeoisie, celle de consommation marche à pas de géant et conquiert rapidement tous les pays, pénétrant jusque dans les campagnes.

En 1925, l’on compte plus de vingt millions d’adhérents à ces coopératives et le chiffre d’affaires dépasse dix milliards de francs.

Les causes en sont assez simples à saisir.

Tout d’abord, le capital exigé est relativement faible. Avec un capital représentant la valeur de quinze jours de travail de ses membres, une coopérative de consommation peut subsister. Les compétences nécessaires sont également faibles : ordre, méthode, comptabilité, aptitudes commerciales d’ailleurs facilitées dès que la société prend de l’extension, les offres venant se présenter.

Chacun pouvant devenir coopérateur sans effort, le recrutement a été aisé, même dans les tout petits centres.

Mais le grand avantage de la coopérative de consommation est incontestablement d’avoir pris la place de l’intermédiaire, du commerçant. En effet, toute la charge que font peser les privilèges sur la population, peut se situer dans l’exploitation, le prélèvement qui prend cours depuis le moment où l’ouvrier produit la marchandise et celui où le consommateur en prend livraison. Tous les prélèvements capitalistes ou étatistes ont lieu entre ces deux moments. Les profits ainsi prélevés étant énormes, toute association de consommateurs se substituant au commerçant a la partie belle. On peut même plutôt s’étonner que les bénéfices réalisés par les consommateurs coopérateurs soient si peu élevés. C’est à un vice d’administration qu’ils le doivent.

Le but de la coopération de consommation est la suppression du bénéfice au profit commercial, et l’établissement du juste prix de vente, c’est-à-dire du prix exact de revient majoré des frais généraux et de transport. Tout prix supérieur à ce total laisse une marge appelée le profit commercial, que les coopératives de consommation veulent supprimer.

Suivant l’exemple et la théorie fournis par les pionniers de Rochdale, tisseurs, qui fondèrent en 1843 une coopérative de consommation, les coopératives vendent à un prix égal ou légèrement inférieur à celui du commerce, mais tous les ans ou tous les six mois, reversent aux coopérateurs le trop perçu, sous le nom de ristourne, boni et, après certains prélèvements pour des œuvres sociales, pour les réserves, amortissements, développements, etc…

Il y a une infinité de nuances sur l’emploi de ce trop-perçu. Certaines coopératives, plus véritablement dénommées ligues d’acheteurs, vendent au strict prix de revient, majoré des frais généraux. Mais elles ne progressent pas, n’ayant point de réserves, étant à la merci des crises économiques.

D’autres, comme en Belgique, soutiennent la politique d’un parti (la coopérative est alors la vache à lait des politiciens). D’autres, comme à Saint-Claude (Jura) laissent tout le trop-perçu pour des œuvres sociales, hygiéniques, éducatives, etc…

Cette question est très controversée, mais la majorité des sociétés distribuent aux coopérateurs une partie des trop-perçus, réservant une fraction pour le développement de la coopération ou pour certaines œuvres sociales.

La constitution de réserves promet aux coopératives de se libérer peu à peu du capital, de former ainsi un capital collectif, inaliénable, sorte de bien de main morte, collective, mais active, qui leur permet d’envisager leur développement, de viser à la production dans des usines leur appartenant, de créer des œuvres d’intérêt général, bref tout un programme social.

Mais, il faut bien le dire, sauf quelques exceptions, les tentatives d’organiser la production ont donné peu de résultats, par suite de causes diverses, dont la plus importante est le maintien du salariat dans les usines coopératives.

Trop exclusives, les coopératives de consommation n’ont su ni voulu résoudre cet important problème du salariat, dans leur propre sein, et se sont heurtées à des grèves de leur personnel, et à des luttes entre le coopératisme et le syndicalisme.

Les théoriciens de la coopérative de consommation ont voulu voir dans ce genre de coopération, la solution à tous les problèmes économiques. Mais l’expérience leur montre que le rôle actuel des coopératives de consommation ne va guère plus loin que celui de commerçant et de commanditaire et client régulier de la production. La coopération de consommation, impuissante à résoudre le problème du salariat, autrement que par des phrases creuses, se rendra compte que ses succès actuels sont dû à sa situation spéciale d’intermédiaire, mais qu’elle devra faire une place à côté d’elle et favoriser les autres modes de la coopération.

Sa valeur sociale au point de vue de l’avenir est plus contestable que celle des autres formes de la coopération, car les capacités commerciales qu’elle forgé sont appelées à disparaître dans une société bien organisée, surtout après une révolution sociale.

Néanmoins, telle qu’elle est, la coopérative de consommation est appelée à jouer un grand rôle, comme agent de répartition, de statistique, de coordination de la circulation et des échanges. Par ses fédérations nationales voire internationales, ses magasins de gros, elle peut devenir l’agent régulateur de toute la circulation économique.

Elle a appris aussi au consommateur ce que le syndicat enseigne au producteur : à tenter de ne plus être exploité, en dénonçant le vol manifeste appelé commerce.

Son influence sociale a déjà été énorme ; elle grandira encore à l’avenir. En s’attaquant aux néfastes intermédiaires, en proclamant la volonté des consommateurs de se défendre envers et contre tous, elle aura contribué considérablement à l’évolution sociale. Dans une société libertaire, son rôle légèrement transformé n’en sera pas moins bienfaisant et incontestable.

Georges Bastien.


COQUIN. Le mot Coquin est interprété de différente façon selon la personne à laquelle il s’applique ; parfois il sert à désigner un être sans scrupules, propre à toutes les besognes et d’une indélicatesse notoire. « Ce fonctionnaire est un coquin, il profite de sa situation pour se livrer à des actes malhonnêtes. » D’autrefois il est une expression de mauvaise humeur ou de colère. « Mon coquin de fils n’est pas rentré à la maison cette nuit. » Enfin il est également employé dans un sens malicieux. « L’heureux coquin, toutes les femmes sont amoureuses de lui. » (Beaumarchais.)

Au féminin : Coquine. Ce mot désigne couramment une femme débauchée et intéressée.


CORAN. n. m. Plus exactement : Korañ-lecture. La lecture par excellence. Comme la Bible est le livre sacré des juifs et des chrétiens, le korañ est la lecture sacrée des musulmans.

Le korañ a été écrit, affirme Mahomet (mieux : Mohammed) par Dieu, qui chargea l’ange Gabriel de le révéler par fragments au prophète.

L’histoire de ce livre ne permet pas le silence sur l’histoire de son auteur, dont on a dit trop de mal et trop de bien.

Il est vrai que le korañ est loin d’avoir la valeur littéraire et surtout poétique des livres canoniques des religions de l’Extrême-Orient, ni même de la Bible ; tous livres d’ailleurs ayant eu des auteurs multiples. Mais, précisément pour cela, parce que son auteur est unique bien que souvent compilateur, on y relève moins de contradiction, plus d’unité, plus d’ordonnance, osons dire une meilleure administration parce que Mohammed fut un admirable administrateur.

Il fut, de tous les imposteurs religieux, le plus conscient et le plus intelligent. Tous les autres ont été leurs propres dupes, ils ont cru eux-mêmes à leur mission divine. Mohammed, au contraire, a froidement prémédité son œuvre. Il en est resté le maître et ne s’est jamais laissé saisir par elle. En cela il est unique.

De toute son entreprise, rien ne fut confié au hasard. Intelligent, instruit, doué d’un sens pratique rare chez un grand ambitieux, il se traça de bonne heure un programme qu’il suivit de point en point jusqu’à s’imposer une retraite de quinze années au bout desquelles il ne fit sa « rentrée » que se prétendant illettré.

Le korañ est un des articles de ce programme.

Mohammed est né à la Mecque en l’an 578 de notre ère, son nom, très répandu chez les Arabes, signifie Mo Hamad, c’est-à-dire : l’homme du pays de Hamad, car on se nomme Mohammed chez les Arabes comme on se nomme Lenormand, Poitevin, Dumaine ou Dumesnil chez les Français. Mais certains commentateurs préfèrent un autre sens très soutenable également : loué, comblé de gloire. Ils prêtent à son père des propos qui indiqueraient qu’il croyait au futur rôle de son enfant.

Mohammed était de famille princière, de la tribu des Coréïshites. Il est incontestablement descendant d’Ismaël, donc d’Abraham, le père des croyants.

Selon la légende arabe, quand Agar et Ismaël furent chassés de la tente paternelle, ils se réfugièrent à La Mecque où, quand il fut homme, Ismaël bâtit le premier temple à la gloire de l’Éternel, 993 ans avant la construction du temple de Jérusalem. Son nom : Caraba, signifie simplement carré et vient de sa forme cubique.

Voici pour l’ascendance, de Mohammed. Évidemment des légendes font concorder sa naissance avec de prodigieux phénomènes.

L’enfance du futur prophète fut dramatique : il perdit, à l’âge de deux mois, son père qui lui laissait en héritage cinq chameaux et une esclave éthiopienne. Sa mère l’éleva laborieusement et, quand il eût atteint sa sixième année, elle mourut au cours d’un voyage entre Médine et La Mecque. Il fut recueilli par son grand-père Abd-el-Motaleb, mais ce bon vieillard de cent douze ans mourut tôt après. C’est un oncle, frère utérin de son père, qui recueillit l’orphelin. Cet oncle, nommé Abou-Taleb, lui fit donner une solide instruction. Quand l’enfant eut treize ans il l’emmena avec lui dans ses voyages d’affaires en Syrie. La légende prétend qu’un moine de la région de Damas prophétisa que l’enfant était voué aux plus hautes destinées. Il est en tous cas vrai qu’au cours de ce voyage l’enfant avait eu l’occasion de prouver son sens précoce des affaires, sens qui allait se développer et s’affermir. Outre cela il devait hériter de droit de la charge de son père : préfet du temple de La Mecque.

À quatorze ans il combattit dans les rangs de sa tribu que favorisa la chance des armes.

Il devint bientôt l’homme de confiance chargé des affaires lointaines de Kadige, riche commerçante de sa tribu. Pendant le voyage qu’il fit en compagnie d’un serviteur enthousiaste et témoin prédisposé à l’admiration, les merveilles et les miracles adoucirent le parcours. Au retour, Mohammed avait à peine vingt-cinq ans, Kadige, sa riche maîtresse, en avait quarante et l’absence du jeune affairiste lui ayant paru longue, elle comprit qu’elle l’aimait, le lui dit, lui offrit sa main que Mohammed accepta.

Nous aurions tort de tirer des conclusions sévères de cette différence d’âge, il est même très probable que Mohammed aima son épouse jusqu’à l’heure où elle mourut, vingt-cinq ans plus tard, car de son vivant il n’usa pas du droit d’épouser plusieurs autres femmes, droit consacré par les lois et les usages des Arabes bien antérieurement à la fondation de l’Islam.

Mohammed avait son plan, il disposait maintenant d’une grande fortune pour le réaliser. Il se retira dans la solitude, le silence et la méditation durant quinze années. Il avait donc quarante ans, Kadige sa femme, en avait cinquante-cinq quand il se révéla prophète.

Il fut d’une extrême prudence et n’entreprit d’abord que les conversions dont il était sûr : son premier disciple fut son adoratrice naturelle Kadige, puis son cousin Ali, fils d’Abou-Taleb qu’il avait à son tour recueilli pendant une famine, puis ses autres proches parents.

Il commença prudemment par raconter une vision où l’ange Gabriel lui serait apparu en lui donnant un message divin à lire. Mais Mohammed avait renié son instruction, il avait embrassé la profession d’illettré et en cela consistait le miracle : cet illettré lisait les messages de Dieu !

Voici le premier verset divin dont l’ange Gabriel lui ordonna la lecture (Koran) :

Lis, au nom du Dieu créateur.
Il forma l’homme en réunissant les sexes.
Il apprit à l’homme à se servir de la plume ;
Lis, au nom du Dieu adorable,
Il mit dans son âme le rayon de la science.

Et pendant vingt-trois ans le prophète reçut les messages de Dieu par l’ange Gabriel, ils forment cent quatorze chapitres.

Les versets que Mohammed avait lus dans ses extases il les dictait à ses secrétaires qui les inscrivaient sur des feuilles de palmier, sur des peaux et des omoplates de moutons.

Ce trésor divin était enfermé pèle-mêle dans un coffre et les versets étaient fidèlement appris par cœur par les disciples de Mohammed.

C’est seulement après la mort du prophète qu’Aboubecr, disciple et beau-père de Mohammed qui, après la mort de Kadige, avait épousé de toutes jeunes filles, recueillit en un volume les précieuses révélations. Le classement en est naïf : les chapitres viennent par ordre de longueur ; les plus longs les premiers.

Le Korañ prouve que Mohammed avait une solide connaissance de l’Ancien et du Nouveau testament (voir l’article Bible) qu’il cite dans certains passages et dont il s’approprie les termes dans d’autres.

Comme la religion de Moïse, la religion de Mohammed est théocratique. Aussi, le culte et le service de la patrie se confondent avec le culte et le service de Dieu, le chef de l’Église est obligatoirement le chef de l’État.

La doctrine koranique se nomme Islam. Selon le D’Pridoux ce mot signifie foi qui sauve, selon Savary consécration à Dieu. On pourrait trouver d’autres sens encore, car dans islam se trouve le radical salam qui signifie paix.

Les points essentiels de cette doctrine sont : monothéïsme, humilité, prière, jeûne, aumônes, patriotisme, pèlerinage à La Mecque, fatalisme, prédestination, peines éternelles pour les réprouvés, paradis délicieux pour les élus.

L’enfer des Musulmans est simplement calqué sur celui des judéo-chrétiens-catholiques ; mais leur paradis est infiniment plus séduisant, à en juger par ces quelques extraits :

Chapitre II intitulé : La Vache, verset 23. — Ils habiteront des jardins où coulent des fleuves. Lorsqu’ils goûteront des fruits qui y croissent, ils diront : voilà les fruits dont nous nous sommes nourris sur la terre ; mais ils n’en auront que l’apparence. Là ils trouveront des femmes purifiées. Ce Séjour sera leur demeure éternelle.

Les anciens auteurs arabes, les « pères de I’Église » des musulmans et, parmi eux, Gelaleddin El Hassan, nous apprennent ce qu’il faut entendre par femmes purifiées : qui ne seront point sujettes aux taches naturelles, vierges, à l’œil noir, stériles, exemptes de tous besoins sauf de celui d’aimer.

Chapitre LV. Les Miséricordieux. —

Ceux qui craignent le jugement posséderont deux jardins…
Dans chacun d’eux jailliront deux fontaines…
Les fruits divers croîtront en abondance…
Les hôtes de ce séjour, couchés sur des lits de soie, enrichis d’or, jouiront, au gré de leurs désirs, de tous ces avantages…
Là seront de jeunes vierges au regard modeste, dont jamais homme ni génie n’a profané la beauté…
Ces vierges aux beaux yeux noirs seront renfermées dans des pavillons superbes…
Des tapis verts et des lits magnifiques… »

Chapitre LVI. Le Jugement. —

Ils seront servis par des enfants doués d’une jeunesse éternelle…
Qui leur présenteront du vin exquis…
Sa vapeur ne leur montera point à la tête et n’obscurcira point leur raison…
Près d’eux seront les houris aux beaux yeux noirs. La blancheur de leur teint égale l’éclat des perles.
Leurs faveurs seront le prix de la vertu…
Leurs épouses resteront vierges…
Elles les aimeront et jouiront de la même jeunesse qu’eux…

Il est regrettable que l’auteur qui a fait preuve d’une grande psychologie en remplaçant la contemplation de l’Éternel par le joli paradis dont nous ne venons que de donner une toute petite idée, ait introduit dans son ouvrage les violences du coléreux Saint-Paul. Quel dieu monstrueux que celui qui commet cet abominable crime :

Dieu a imprimé son sceau sur leurs cœurs et leurs oreilles, leurs yeux sont couverts d’un voile et ils sont destinés à la rigueur des supplices. (La Vache, II, 6.)

C’est ce dieu qui, vingt versets plus loin, ose poser cette question :

Pourquoi ne croyez-vous pas en Dieu ? (II, 26)

Il est vrai que nous trouvons au IVe chapitre, Les Femmes, cette délicieuse contradiction :

Dieu est l’auteur du bien qui t’arrive, Le mal vient de toi.

Mais il serait enfantin de chicaner sur ces détails ; pour envisager le Korañ du même point de vue que nous avons envisagé la Bible, il nous semble plus juste de procéder par comparaison. Nous pouvons donc considérer que la Bible, moins poétique que les livres de l’Extrême-Orient, a plus d’unité ; mais en gardant une grande valeur artistique, voire à cause de cette valeur, elle reste marquée du sceau de l’incohérence poétique. Quand nous passons de la lecture de la Bible à celle du Korañ, nous sommes frappés de l’infériorité du style quoique encore fort joli, de l’infériorité poétique, bien que les versets du korañ soient encore fort musicaux.

Mais quelle supériorité dans la solidité de l’ouvrage ! Nous avions, avant cela, lu les jolies élucubrations d’une foule de poètes, nous avons maintenant sous les yeux l’ouvrage positif d’un homme qui sait ce qu’il veut et où il va et qui possède le génie affairiste le plus puissant. — Raoul Odin.


CORPORATION. n. f. La Corporation est, dit le dictionnaire, une association d’individus qui exercent une même profession.

La Corporation fut en effet cela pendant très longtemps, sans que le but variât. Aujourd’hui, ce qui en survit est tout différent, quoique l’esprit qui s’en dégage : le Corporatisme, reste encore fortement attaché au passé.

Il faut cependant distinguer entre les corporations du Moyen-Age et les syndicats professionnels d’aujourd’hui, comme il convient d’établir entre les corporations d’autrefois et celles qui sont chères à M. Georges Valois et à ses amis, partisans des États Généraux, de notables différences.

Les anciennes corporations prirent naissance en France vers l’an 1300. La première qui se constitua fut celle des Marchands de Paris. Elle se donna un chef, véritable puissance, qui était chargé de défendre les intérêts de la corporation des marchands. Ce chef prenait le nom de Prévôt des marchands. Le plus célèbre fut Étienne Marcel, dont la statue s’élève à Paris, à côté de l’Hôtel de Ville. Les marchands étaient en quelque sorte, les maîtres de la Cité et Étienne Marcel le vrai maire de Paris.

Il joua d’ailleurs un rôle extrêmement important aux États Généraux de 1355 et obligea la royauté à établir une Charte libérale qui marque dans l’histoire.

Les corporations restent toutes puissantes pendant toute la période de 1355 à 1789. Jugées comme une entrave au progrès par la Constituante, elles furent définitivement supprimées en 1791, après que Turgot en eût lui-même ordonné la suspension quelques années plus tôt. Là s’arrête l’histoire des vieilles corporations.

Sous l’ancien régime, les corporations étaient des associations d’individus exerçant la même profession dans une même localité. Les membres étaient liés entre eux par des droits et des devoirs. L’entrée dans la corporation était difficile. En fait, bien qu’elle groupât tous les individus qui exerçaient un même métier : apprentis, compagnons et maîtres, seuls ces derniers dirigeaient la corporation.

Les maîtres formaient entre eux, la maîtrise qui gouvernait le métier. Ils avaient faculté de transmettre leurs pouvoirs à une jurande, sorte de Conseil de maîtrise qui avait charge de défendre les intérêts de la corporation.

On entrait dans la Corporation par tradition, de père en fils, en qualité d’apprenti. On n’accédait au titre de Compagnon qu’après un stage de plusieurs années et avoir subi un certain nombre d’épreuves dont le compagnonnage, aujourd’hui presque disparu, avait conservé les coutumes peu intéressantes, pour ne pas dire plus.

Enfin et par exception, sauf par héritage ou mariage, le compagnon devenait maître après avoir accompli un chef-d’œuvre, c’est-à-dire après avoir prouvé ses capacités professionnelles en réalisant un travail professionnel délicat.

L’esprit des Corporations était nettement conservateur. Ce n’est qu’après de longs et patients efforts par exemple, que Jacquard réussit à faire comprendre l’utilité du métier à tisser et pourtant les corporations de cette époque (1820) étaient singulièrement plus évoluées que celles du moyen-âge.

La Corporation permettait aussi une exploitation sans limite des travailleurs : apprentis et compagnons. Lyon fut à différentes reprises, le théâtre de luttes terribles entre maîtres et compagnons.

En entrant dans une Corporation, l’individu s’engageait a ne jamais changer de métier. Il était rivé à son métier comme l’esclave à sa chaîne et il ne différait guère de ce dernier.

Si les corporations disparurent officiellement en 1791, leur esprit ne cessa pas de prédominer jusqu’en 1848.

Il fallut que le socialisme fît sa première apparition pour que se modifiassent un peu les aspects de ce mouvement particulier. Ce sont bien, en fait de véritables corporations qui subsistent jusqu’à la naissance de la première Internationale.

Leur esprit ne continue pas moins à se manifester et le mouvement syndical lorsqu’il s’éveillera vers 1875 et s’affirmera déjà puissant sans être légal quoique toléré, en 1879, sera dominé, lui aussi, par l’esprit conservateur que lui léguèrent les corporations d’autrefois.

La législation du mouvement syndical en 1884, sa formation en syndicats de métier lui conservent son caractère jusqu’aux environs de 1896 et on peut dire qu’il ne s’évadera réellement de ce cadre exclusivement corporatif qu’avec l’apparition des Bourses du Travail en 1892.

C’est de 1902 à 1906, que le corporatisme et le syndicat professionnel limité à ce rôle subalterne, seront de plus en plus rejetés dans l’ombre pour faire place au syndicalisme social et de lutte de classe.

Néanmoins en dépit des efforts des militants, le vieil esprit des corporations subsiste encore de nos jours. La besogne à accomplir pour le détruire reste considérable.

En effet, de divers côtés, on cherche à faire revivre les corporations supprimées par la loi Lechapelier.

Tandis que M. Duguit veut créer un vaste système de fédéralisme professionnel qui doit trouver son aboutissant dans la constitution d’un parlement professionnel qui doit, selon M. Duguit être le « contre-poids nécessaire à l’action étatique du Parlement politique », MM. Georges Valois, Eugène Mathon et Latour du Pin, théoriciens ou praticiens du syndicalisme royaliste ou conservateur, veulent, à l’instar de Mussolini et de Rossoni en Italie, instituer des corporations sociales et des corporations économiques sur des bases qui ne sont pas très éloignées des corporations fascistes en Italie.

« Il faut, disait Mathon à une réunion de notables qui s’est tenue à Paris, le 18 octobre 1923, instituer une représentation des intérêts professionnels et créer sur cette base un organe consultatif qui éclairera les pouvoirs publics dans l’examen des problèmes techniques. De la sorte, les intérêts particuliers cèderont le pas aux intérêts généraux. Mais la représentation des intérêts suppose une organisation de ces intérêts. Ils devront donc être coordonnés, et la pierre angulaire du système sera la Corporation.

Et M. Mathon, qui est, ne l’oublions pas, le Président du Comité Central de la Laine, définit ainsi qu’il suit le rôle et le caractère des corporations.

Dans celles-ci entreront — et obligatoirement — tous ceux qui ont des intérêts professionnels communs : la corporation de métier groupera donc à la fois : le patron, le technicien et les ouvriers. A sept siècles de distance c’est le vieil esprit qui revient.

Suivant ce magnat de l’industrie, la corporation revêtira deux aspects très nets : l’aspect social et l’aspect économique, c’est la particularité essentielle de sa thèse.

La corporation sociale sera caractérisée par une collaboration étroite entre les patrons et les ouvriers qui auront des délégués respectifs au Conseil corporatif. Elle étudiera les questions de salaire, de main-d’œuvre, d’apprentissage. Elle aura un patrimoine indivisible qui, appartenant à tous ses membres, les incitera à développer sa prospérité. Les conflits possibles entre patrons et ouvriers seront déférés à des juridictions corporatives. Tout patron dont le tort sera reconnu pourra être frappé d’interdit par la corporation qui assurera aux ouvriers la continuation du paiement de leurs salaires.

À l’inverse, un patron dont les ouvriers auront déclaré la grève sans motifs valables sera soutenu par la corporation, qui protégera son industrie, se préoccupera de ses commandes en cours, etc…

2° Autre sera le rôle de la corporation économique qui sera exclusivement dirigée par le patronat, car c’est lui qui possède les entreprises et assume la responsabilité de leur gestion.

En résumé, dit M. Mathon, nous voulons faire revivre la corporation et nous croyons que c’est elle qui pourra résoudre à la fois les difficultés d’ordre économique sous la direction exclusive des chefs et les difficultés d’ordre social par la collaboration des patrons et des ouvriers.

La corporation économique nommera un « Conseil économique », qui s’occupera des intérêts généraux professionnels, veillera au respect de la discipline corporative. Ce Conseil pourra même légiférer au sein de la corporation. Il déterminera les conditions de la production, des prix de revient, etc… Il pourra imposer ses membres suivant un taux qu’il fixera.

Les pouvoirs de la corporation seront limités par ceux des autres corporations. Il y aura des corporations de consommateurs qui assureront une représentation de la famille. Cette pression du consommateur fera disparaître la spéculation illicite, les coalitions, etc…

Des tribunaux intercorporatifs jugeront les litiges éventuels entre corporations. L’État n’interviendra que le moins possible dans cette organisation. Il en sera seulement le tuteur, l’arbitre.

Et voici la caractéristique essentielle du système. Au-dessus de la corporation locale sera instituée une corporation régionale qui représentera les intérêts dont elle a la charge auprès des États provinciaux. Au-dessus encore, il est prévu une corporation nationale qui agira de même aux États-Généraux.

Dans ces États, les grands problèmes économiques seront discutés par des gens compétents qui soumettront leurs projets aux pouvoirs publics, ayant seuls qualité pour homologuer.

D’autre part, l’État devra constituer un Ministère de « l’Économie nationale », organisé sur le plan même des corporations. Il déléguera un représentant au Conseil Économique de chaque corporation et son chef sera permanent.

Par là une impulsion efficace pourra être donnée à la production. L’État pourra concéder à des corporations diverses certaines gestions qu’il assume mal. Il arbitrera les conflits d’intérêts, sauf appel devant la Cour suprême inamovible.

Tel est l’habile système que préconisent le haut patronat conservateur et les théoriciens d’Action française.

Il n’est pas difficile de comprendre à quoi doit mener une résurrection des corporations envisagées sur ces bases nouvelles. C’est le renforcement de l’autorité et l’installation d’un dictateur qui, dans l’esprit des auteurs de ce plan, doit être un roi.

Quelle que soit le caractère et le titre de ce dictateur, ce qui importe c’est la menace que représente une telle conception qui a pour aboutissant la consécration définitive des privilèges du patronat de droit divin.

Aussi, a-t-on le droit de s’étonner lorsqu’on voit de bons camarades s’engager inconsidérément dans la voie de ce retour à la corporation par le développement intempestif de l’esprit corporatiste…

Le salut consiste dans une organisation aussi scientifique que possible du prolétariat sur les bases industrielles et tous les efforts doivent tendre à obtenir ce résultat au plus tôt, si l’on ne veut être finalement distancé par un adversaire redoutable et agissant.

C’est ce que nous examinerons lorsque nous analyserons le syndicalisme et sa structure. — Pierre Besnard.


CORPORATISME. n. m. Esprit particulier qui découle de l’exercice d’une profession déterminée. Le Corporatisme devient souvent même chez certains individus évolués ou qui se prétendent tels, une sorte d’orgueil qui les fait considérer leur profession comme supérieure à toute autre et s’estimer eux-mêmes au-dessus des autres travailleurs.

Cet esprit est une survivance des vieilles corporations d’autrefois. De nos jours, nombreux sont encore les « ouvriers qualifiés », les « compagnons » qui s’imaginent être supérieurs socialement, intellectuellement, aux « manœuvres », aux « ouvriers spécialisés » et cela dans tous les pays.

Le corporatisme n’est autre chose, en somme, que « l’esprit de corps » ouvrier.

De même que l’esprit des corps militaires oppose les uns aux autres fantassins et cavaliers, l’esprit corporatiste oppose, dans les mêmes conditions, les ouvriers aux autres ouvriers.

Le Corporatisme, comme « l’esprit de corps » est savamment entretenu par les gouvernants et les patrons.

Dresser les travailleurs d’une profession contre ceux d’une autre, opposer dans une même profession, les prolétaires exerçant des métiers différents, compartimenter le métier en spécialités dont les éléments travailleurs se jalouseront, c’est la tactique préférée du patronat.

Il faut d’ailleurs reconnaître que, jusqu’à maintenant, elle a presque toujours réussi, en dépit de tous nos efforts pour faire comprendre aux ouvriers que, socialement, ils sont tous égaux, qu’ils sont au même titre, chacun dans leur métier, dans leur profession, indispensables à l’exercice de la vie sociale.

Faire comprendre à tous qu’il n’y a pas de profession privilégiée, que les intérêts généraux de tous les ouvriers sont semblables, voilà le grand but à atteindre, le premier que doit se donner comme objectif constant toute la propagande syndicale et sociale.

Le jour où l’électricien, le maçon, le dessinateur, le vidangeur, le cheminot, le métallurgiste, etc., auront compris cela, le corporatisme, dans ce qu’il a de mauvais, de nuisible, de conservateur, de rétrograde, de déformant, aura vécu, Ce jour-là l’unité morale du prolétariat sera réalisée. Et les barrières corporatives étant brisées, le patronat sera aussitôt, par voie de conséquence, privé de l’un de ses moyens de pression et d’action peut être le plus puissant, le plus efficace.

On peut donc dire que le corporatisme s’oppose, et fortement, à révolution sociale du mouvement ouvrier. Il est assez paradoxal d’ailleurs que des ouvriers, qui se déclarent eux-mêmes syndicalistes révolutionnaires, œuvrent en ce moment, et de toutes leurs forces, pour faire revivre le corporatisme plus intensément que jamais.

Ils devraient s’apercevoir qu’en agissant ainsi, ils fournissent à nouveau au capitalisme une arme qu’avaient émoussée trente années de propagande intelligente et constante.

Le développement du corporatisme, de l’esprit égoïste qui se dégage de sa pratique est néfaste au-delà de tout ce qu’on peut imaginer.

C’est au nom des intérêts corporatistes qu’on défend, dans certaines professions, les fameux us et coutumes qui sont périmés depuis 50 ans, au lieu de chercher à en imposer de nouveaux, en rapport avec la vie actuelle. Cette action est nettement conservatrice et inconcevable.

C’est encore au nom des mêmes intérêts qu’on entreprend, sans coordination, sans liaison, sans consultation préalable, les actions les plus diverses, les plus contradictoires, presque toujours vouées à l’insuccès le plus complet.

Même quand elles réussissent, ces actions n’ont que peu de valeur. Elles ne permettent guère que d’obtenir des résultats partiels, qui exacerbent davantage les rapports entre travailleurs, pour le plus grand bénéfice des employeurs.

C’est de la pratique constante du corporatisme, de la valeur donnée à tel ou tel métier, valeur reconnue et exaltée par les ouvriers qu’est passée dans les mœurs générales, la théorie, confirmée par le fait, de l’inégalité sociale, de l’utilité plus ou moins grande de telle ou telle profession et partant, de la rétribution différente des travailleurs exerçant ces professions. Le Corporatisme a donné naissance à un catalogue social de la valeur de la force travail, établi par les patrons et accepté comme tel par les ouvriers.

Toutes les grèves pour les augmentations de salaires, qui ont pour but de maintenir les principes de la loi d’airain, sans jamais solutionner cette insoluble question sont le résultat du Corporatisme. La survivance du Corporatisme les a rendues inévitables et indispensables.

Alors qu’il s’agit de proclamer l’égale utilité et l’identique rétribution de toutes les fonctions sociales, qu’il convient, dans la société actuelle, de poursuivre l’établissement d’un minimum de salaire régional ou national pour toutes les professions, les ouvriers, faisant inconsciemment le jeu des patrons, luttent pour des augmentations parcellaires, localisées qui les épuisent en efforts stériles et les obligent à des actions constantes dont le bénéfice va toujours aux mercantis, aux logeurs, aux propriétaires, etc…, qui ne manquent jamais, ceux-là, à chaque augmentation partielle des salaires de faire subir à toutes choses une augmentation générale qui frappe, elle, l’ensemble des travailleurs. Et on continue, toujours ainsi, sans changement. On s’agite sans résultat, on perd temps et force dans ce Don Quichottisme au lieu de poursuivre efficacement et sérieusement des conquêtes solides qui assureraient matériellement et moralement une vie meilleure à tous les travailleurs, quelle que soit leur profession.

En dehors de ces arguments péremptoires, dont nul ne peut contester la valeur, il en est d’autres, non moins sérieux, qu’il convient d’examiner et de retenir.

N’est-il pas ridicule, en effet, qu’en notre époque de civilisation industrielle, où tout repose sur l’organisation pratique de l’industrie évoluant sur le plan régional, national et international, on parle encore de corporatisme ?…

Alors que, pour répondre à l’action intelligente des Cartels d’industrie, des Trusts nationaux, des Consortiums internationaux, le Syndicalisme devrait faire tous ses efforts pour modifier son organisation interne, adapter ses organes à leur rôle nouveau, créer ceux qui lui sont nécessaires et n’existent pas, on assiste à ce spectacle d’un mouvement « figé » dans le passé, dont l’action, la propagande conservent des formes désuètes.

Il faudra pourtant, s’il veut vaincre, que le travail s’organise sur le même plan que le Capitalisme.

Aux formations tantôt massives, tantôt alertes et vigoureuses du Capitalisme, le mouvement ouvrier doit opposer des forces organisées aussi scientifiquement.

Hors de là, pas de succès possible. Le Corporatisme, survivance d’un passé vieillot, doit disparaître pour, faire place à une conception plus saine, plus adéquate de nos forces.

Le Corporatisme, conservé par le pré-syndicalisme, ayant servi de gymnastique au syndicalisme bégayant de 1879-84, a fait plus que son temps. Qu’on l’enterre sans De profundis.

Il n’a qu’un bon côté, un seul : Faire aimer à l’ouvrier son métier. Il n’est pas difficile à ce travailleur de conserver cette vertu, de la développer en prévision des nécessités révolutionnaires de demain qui exigeront devant la défection presque certaine d’une partie assez importante de techniciens, des connaissances pratiques et techniques étendues, pour assurer le fonctionnement de l’appareil de la production dans toutes ses sphères.

Qu’on cultive celui-ci, mais qu’on abandonne sans plus tarder celui-là. C’est une nécessité impérieuse. — Pierre Besnard.