Encyclopédie anarchiste/Conscription - Contre-révolution

Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Librairie internationale (tome 1p. 430-441).


CONSCRIPTION. n. f. Inscription sur les rôles militaires des jeunes gens devant être appelés dans l’année à servir dans l’armée de leur pays. Selon l’âge déterminé par la loi, à la date indiquée, ces jeunes hommes doivent, dans les pays où la conscription est obligatoire, se présenter devant un conseil qui délibère sur leurs capacités physiques et décident s’ils sont propres ou impropres à remplir leurs « devoirs militaires ». A la sortie de ce conseil, les jeunes gens changent de nom et s’appellent des conscrits. Le mot conscription ne date que de 1798, mais l’institution est fort ancienne. En France, la conscription ne fut pas toujours obligatoire, et ce n’est qu’à la suite des guerres napoléoniennes que, par la loi du 10 mars 1818, on institua le service militaire obligatoire sur les bases du tirage au sort. Ce mode de recrutement fut abrogé il y a quelques années et en principe chacun est aujourd’hui obligé, en France, de remplir ses « devoirs militaires ». Il est encore certains pays où la conscription est volontaire L’Angleterre et les États-Unis d’Amérique, par exemple, n’obligent personne à être soldat. Ce qui ne les empêche du reste pas d’avoir des armées permanentes et puissantes.

La conscription est une contrainte, et il est par conséquent compréhensible que dans les pays où elle est obligatoire, il se crée des groupes qui militent en faveur de la conscription volontaire. Ces groupes, animés de nobles sentiments, il faut le reconnaître, s’imaginent ainsi lutter contre le militarisme. Nous pensons que c’est une erreur, et que la conscription volontaire n’est pas un avantage social sur la conscription obligatoire. Il suffirait, pour s’en rendre compte, de jeter un regard dans le passé et de considérer que, durant des siècles, la guerre a ravagé le monde et que la conscription cependant était volontaire. L’erreur des personnes qui militent en faveur de la conscription volontaire consiste en ce fait qu’elles confondent les effets et les causes. La conscription volontaire ou obligatoire est un effet dont la cause est le militarisme. C’est ce dernier qu’il faut détruire.

D’autre part, même dans les pays à conscription volontaire, lorsque les événements l’exigent, le capital s’arrange toujours pour trouver le nombre d’hommes qui lui est indispensable, et nous en avons eu un exemple frappant lors de la dernière guerre de 1914. L’armée anglaise n’était composée que de volontaires et, la guerre se poursuivant, il fallait continuer à donner au Moloch, sa ration quotidienne de jeunes hommes sains et vigoureux. Or, il ne s’en présentait plus aux bureaux de recrutement du Gouvernement anglais. Il fallait aviser et l’on avisa. Il fut interdit, par ordre des autorités militaires, d’embaucher dans les usines, des hommes ayant moins de 25 ans et, si cet ordre ne fut jamais donné officiellement, il fut néanmoins appliqué avec rigueur par les patrons qui avaient tout intérêt à ce que la boucherie se prolongeât. Lorsque les hommes sans travail, dans l’impossibilité de nourrir leur famille, étaient acculés à la misère la plus noire, ils avaient cette dernière ressource : se rendre au bureau de recrutement le plus proche, et signer le bulletin d’engagement qui assurait à leur femme et à leurs enfants la bouchée de pain. Par la suite, lorsque bon nombre d’engagements furent ainsi récoltés, l’Angleterre se divisa en deux camps : les engagés « volontaires » (les soldats) et ceux qui persistaient à ne pas vouloir servir. A la faveur de la division, et appuyé par les premiers, le Gouvernement anglais institua pendant la guerre la conscription obligatoire. Nous, voyons donc que la conscription volontaire est un leurre, et qu’il ne faut pas se laisser aveugler par ce mirage. Certes, tout ce qui peut ébranler les bases du régime capitaliste a son utilité et aucune lutte n’est stérile. Gardons-nous, cependant, de nous laisser illusionner. Par la force même des événements, tous les pays arriveront à abolir le service obligatoire et à instaurer le volontariat. Le capital trouvera encore assez d’hommes qui, sans y être obligés, se présenteront pour remplir les fonctions de soldat ; il n’y a, pour s’en assurer, qu’à regarder autour de soi : personne n’est obligé d’être policier, et cependant les rues sont noires d’agents. Le volontariat n’est plus un danger pour la bourgeoisie, et c’est pourquoi il nous faut regarder plus avant et mener une bataille acharnée contre le militarisme, qui renferme en lui la conscription volontaire et la conscription obligatoire qui, en vérité, sont aussi néfastes l’une que l’autre.


CONSEIL. n. m. Réunion de personnes qui ont généralement charge d’appliquer les décisions d’assemblées plus étendues qui les ont désignées pour administrer, sous le contrôle de ces assemblées, les biens sociaux, s’occuper des intérêts communs aux membres d’un même groupement, d’une même société, dont le but est nettement défini par des statuts. Les Conseils sont l’expression et l’émanation des Assemblées générales. Ils sont généralement élus à la majorité, et responsables de leur gestion devant leurs mandataires, au nom desquels ils agissent.

Dans l’ordre politique, militaire et judiciaire, les Conseils sont, le plus souvent, composés de personnalités désignées par décret du pouvoir exécutif.

Il y a plusieurs sortes de Conseils :

Dans l’ordre économique et social. ― Le Conseil d’administration, Société industrielle ou commerciale, Syndicat patronal ou ouvrier, le Conseil d’Usine, le Conseil national économique, le Conseil national de la main-d’œuvre ;

Dans l’ordre politique. ― Le Conseil municipal, le Conseil général, le Conseil d’arrondissement, le Conseil de Préfecture, le Conseil des Ministres, le Conseil supérieur de la Défense nationale, le Conseil d’État ;

Dans le domaine militaire. ― Le Conseil de révision, le Conseil de discipline, le Conseil de guerre, le Conseil supérieur de la guerre ;

Dans le domaine judiciaire. ― Le Conseil de famille, le Conseil des Prud’hommes, le Conseil supérieur de la magistrature, Conseil judiciaire ;

Dans l’Instruction publique. ― Le Conseil académique, le Conseil départemental, le Conseil supérieur de l’Instruction publique ;

Dans le domaine scientifique. ― Le Conseil international des recherches scientifiques ;

Dans l’ordre religieux. ― Le Conseil de fabrique ou presbytéral.

Il y en a sans doute d’autres encore qui ne me viennent pas présentement à l’esprit.

Reprenons, maintenant, chacun de ces Conseils.

1°. Ordre économique : Conseil d’administration. ― Ce genre de Conseil n’est pas particulier à une œuvre, à un organisme constitué par l’une des classes sociales. Les patrons, comme les ouvriers ont leurs Conseils d’administration pour gérer leurs entreprises, leurs groupements de tous ordres. Issu de l’Assemblée générale des actionnaires ou des syndiqués, le Conseil d’administration, dont la composition numérique est variable, a charge, comme son nom l’indique, d’administrer la chose commune qui ne peut être gérée directement par tous. Dans l’ordre capitaliste, le Conseil d’administration, généralement composé des personnalités les plus marquantes, est la véritable puissance de cette société. La valeur d’une entreprise est presque toujours subordonnée à l’influence, au renom, à la richesse des membres du Conseil d’administration et, principalement, du Président de ce Conseil. C’est d’ailleurs lui qui est responsable devant la loi. La plupart des membres du Conseil d’administration d’une société sont également membres des Conseils d’administration d’entreprises similaires, alliées, ou de caractère différent. Responsable de la gestion de l’Entreprise, les conseillers jouissent aussi des privilèges que comporte la direction de l’affaire, de la Société, de l’Établissement, de l’exploitation. Ils en sont, en fait, les seuls maîtres et les Assemblées générales ne font, généralement, qu’entériner les décisions qu’ils ont prises, tant pour la gestion que pour l’administration.

Il est facilement concevable que les membres des Conseils d’administration des grandes affaires commerciales, industrielles, bancaires, etc…, acquièrent, de par leurs fonctions, autorité et puissance.

Cette autorité et cette puissance sont d’autant plus grandes que l’affaire est plus importante, que le conseiller est membre d’un plus grand nombre de conseils. C’est ainsi que sont nés les potentats de la finance des houillères, des peaux, des tissus, du papier, des mines, du blé, du sucre, du café, de la sidérurgie, des transports par eau et par fer, des pétroles, etc., qui, aujourd’hui, possèdent, à quelques-uns, toute la richesse réelle d’un pays.

Les Conseils d’administrations capitalistes sont en fait les vrais maîtres du jour. Ce sont ceux qui commandent aux gouvernants dont le rôle consiste à appliquer, dans l’ordre politique, les mesures arrêtées dans l’ordre économique et social par les Conseils d’administrations capitalistes. Dans ces conditions, on conçoit aisément que le Conseil des Ministres ne soit que l’appareil d’enregistrement et d’exécution des Conseils d’administration qui le dominent, ainsi que le Parlement, de toute leur puissance dorée. Nous savons comment s’organisent nationalement et internationalement les Sociétés d’exploitation bourgeoise. Nous savons, par l’étude des Cartels, comment fonctionnent et agissent ces appareils d’asservissement. Inutile d’y revenir. Il nous reste a examiner ce que sont les Conseils d’administration des Syndicats, à en exposer le fonctionnement et le rôle.

Institués, comme les Syndicats, par la loi de 1884, les Conseils syndicaux sont responsables, en face du pouvoir, de la marche, de l’attitude générale du Syndicat. Le bureau du Syndicat est tenu de fournir aux Pouvoirs publics, le nom et l’adresse des administrateurs syndicaux. Il doit également notifier à ces mêmes pouvoirs toutes les modifications survenant dans la composition du Conseil syndical. Toutes ces formalités sont d’ailleurs plus ou moins observées, plutôt moins que plus. Le Conseil d’administration est nommé, pour un temps déterminé par l’Assemblée générale des syndiqués. Il est renouvelable ou non, à l’expiration de son mandat, selon les stipulations statutaires. C’est lui qui a charge d appliquer les décisions prises par les Assemblées générales. S’il y a une situation générale grave, inquiétante, il lui appartient de provoquer une Assemblée générale pour examiner cette situation et prendre les mesures qui y correspondent. Le Conseil d’administration applique mais il ne décide pas. Du moins, il devrait en être ainsi si on veut que la décision reste toujours placée entre les mains de tous les syndiqués. Il se peut pourtant que, devant une situation exceptionnellement grave, qui ne souffre aucun répit, le Conseil soit appelé à agir par lui-même. Il ne doit le faire que dans le cadre ou le prolongement des décisions déjà prises et se faire approuver dès que possible. Le Conseil est le pouvoir exécutif des syndicats, les assemblées générales, le pouvoir d’exécution et les comités, le pouvoir de contrôle. Ce sont les caractéristiques essentielles du mouvement syndical. Il est indispensable, pour que l’appareil syndical fonctionne à plein rendement, qu’il y ait délimitation très nette des rôles et attributions de ces organismes et que chacun remplisse bien sa mission. Sans quoi, c’est la paralysie, le chevauchement, le conflit d’attributions, le règne de quelques-uns sur l’ensemble rendu possible. C’est ce qui arrive, hélas ! de nos jours, dans l’ensemble du mouvement syndical de tous les pays. Les Assemblées générales ne décident plus, les Comités ne contrôlent pas et les Conseils, voire les Bureaux, agissent à leur guise.

Il ne faut pas chercher ailleurs les causes de la crise syndicale actuelle.

L’ensemble des Conseils syndicaux d’une localité forment par voie de délégation, le Conseil de l’Union locale des syndicats, de l’Union départementale ou régionale. Les Conseils syndicaux industriels forment de la même manière, les Conseils fédéraux d’industrie. Ceux-ci et les Conseils départementaux désignent les administrateurs confédéraux. Ainsi s’édifie et se constitue, en face de l’appareil bourgeois, l’appareil ouvrier qui aura charge de remplacer son adversaire lorsque celui-ci sera terrassé. Il y a aussi, maintenant, les Conseils d’usine, dont nous exposerons longuement le caractère au cours de l’étude sur le Contrôle ouvrier, dont les Conseils d’usine sont les agents d’exécution.

Ici, je me contenterai d’indiquer que les Conseils d’usine doivent être les sentinelles avancées du syndicat dans l’usine, la force grandissante et organisée qui fera chaque jour reculer un peu plus la puissance patronale.

Il y a encore le Conseil économique national, qui est d’invention confédérale et de réalisation gouvernementale. C’est au Congrès confédéral de Lyon, en 1919, que la C.G.T. décida de former un Conseil économique du Travail. Ce Conseil avait charge de préparer les voies a l’action confédérale, d’étudier les grands problèmes économiques et d’indiquer des solutions pour chacun d’eux.

On attendait beaucoup de ce Conseil dans le monde du travail. Il déçut bien des espoirs et finit lamentablement une existence courte et sans gloire.

Il ne renaquit qu’en 1925, sous le ministère Painlevé. Mais cette fois-ci, ce n’était plus une création ouvrière où ne siégeaient que des ouvriers ou des sociologues et techniciens d’avant-garde, mais au contraire une sorte d’aréopage composé de capitalistes haut cotés et de représentants ouvriers ayant oublié la nécessité de la lutte de classe. La collaboration des classes, cette panacée de la C.G.T., avait réalisé ce tour de force et rendu possible cette création hybride qui avait pour mission, flanquée d’un nombre imposant de Comités plus ou moins techniques, d’étudier les grands problèmes économiques et de soumettre au gouvernement des solutions à ces problèmes. Il n’y a rien à attendre d’un tel organisme. Ou il sera totalement impuissant, et disparaîtra de lui-même ou, au contraire, il agira, et ce sera à l’encontre des intérêts ouvriers qu’il confond avec ceux du patronat. Le Conseil syndical on le voit, est une institution importante dont il était bon d envisager le rôle et le fonctionnement. Il peut rendre des services éminents ou devenir un appareil d’oppression. La clairvoyance, l’intelligence, la compréhension, l’énergie de la classe ouvrière en feront ceci ou cela.

Dans l’ordre politique :

a) Le Conseil municipal. ― Le Conseil municipal a charge d’administrer la commune. Il est élu au suffrage universel. Sont éligibles tous les hommes âgés de 25 ans accomplis. Pour être éligible, il faut : 1° être en possession du droit électoral ; 2° n’avoir pas de casier judiciaire ; 3° n’être pas dispensé de subvenir aux charges communales ; 4° n’être pas domestique exclusivement attaché aux personnes. Ne sont pas éligibles dans le ressort où ils exercent leur fonctions : les préfets, sous-préfets, secrétaires généraux, conseillers de préfecture, les commissaires et agents de police, les magistrats de Cour d’appel et des tribunaux de première instance, à l’exception des suppléants auxquels l’instruction n’est pas confiée, les comptables des deniers communaux et les entrepreneurs des services municipaux, les instituteurs publics, les employés de préfecture ou de sous-préfecture, les ingénieurs des Ponts et chaussées, les agents et employés des services communaux. Le Conseil municipal est élu pour quatre ans. Il est renouvelé dans toute la France, le premier dimanche de mai, même s’il a été élu dans l’intervalle. Le Conseil municipal se réunit en session ordinaire, quatre fois par an : en février, mai, août et novembre. Le Conseil est présidé par le maire élu par le Conseil. Le maire est assisté d’un ou de plusieurs adjoints. Les Conseils municipaux votent le budget des communes, qui doit être approuvé par le Préfet. Ils émettent aussi des vœux, des avis et des réclamations. Les délibérations du Conseil sont consignées sur un livre ad hoc. Elles sont aussi adressées au Préfet, qui en prend note. Celui-ci peut, en cas de circonstance grave, en interdire l’exécution. Les séances du Conseil municipal sont publiques. Toutefois, sur la demande du maire ou de trois conseillers, elles peuvent se transformer en Comité secret.

b) Conseil d’arrondissement. ― Le Conseil d’arrondissement se réunit une fois par an par décret en session ordinaire. Il délibère sur les impôts. Son avis est souvent obligatoire. Il émet aussi des vœux sur des affaires concernant l’arrondissement. Il se compose d’autant de membres qu’il y a de cantons dans l’arrondissement. Les conseillers sont élus pour six ans, et renouvelables par moitié tous les trois ans. Les membres du Conseil d’arrondissement peuvent être appelés à remplacer le sous-préfet et à faire partie du Conseil d’arrondissement. Ils sont aussi, électeurs sénatoriaux. Les décisions du Conseil d’arrondissement peuvent être suspendues par décret du Préfet. Celui-ci peut, par la même mesure, dissoudre le Conseil, dont les membres doivent être réélus avant la session annuelle et trois mois après le décret de dissolution au plus tard.

c) Conseil général. ― Le Conseil général est le Conseil administratif du département. Il est élu au suffrage universel et se compose d’autant de membres qu’il y a de cantons dans le département. Les conseillers généraux sont élus pour six ans et renouvelables par moitié, tous les trois ans. Ils sont rééligibles. Le Conseil général se réunit deux fois par an, en session ordinaire. La deuxième session qui a lieu de plein droit le premier lundi qui suit le 15 août a pour but de délibérer sur le budget, et d’examiner les comptes du département présentés par le préfet. C’est la plus importante. La première a lieu le second lundi qui suit le jour de Pâques. Elle n’est que l’occasion d’une manifestation politique sans importance pour ou contre le pouvoir central, par l’émission de vœux platoniques. Le Conseil général peut, aussi, être réuni extraordinairement par décret du Préfet. Il peut l’être également sur la demande des deux tiers des membres du Conseil adressée au Préfet. La durée des sessions extraordinaires ne peut excéder huit jours. Le Préfet a droit d’accès, quand il le veut, au Conseil général. Il y représente le Gouvernement. Il est entendu quand il le demande. Il n’assiste pas aux séances d’apurement des comptes administratifs. Les séances du Conseil général sont publiques. Les délibérations sont de deux sortes : les unes sont exécutoires par elles-mêmes, les autres ne le sont qu’après approbation.

Si le Conseil général prend une délibération illégale, elle peut, suivant le cas, être annulée par décret du Préfet ou attaquée par lui à fin d’annulation devant le Conseil d’État, soit même par des particuliers dont elle gêne les intérêts.

d) Conseil de Préfecture. ― Le Conseil de Préfecture joue auprès du Préfet, plus particulièrement, le rôle de tribunal administratif. Le Conseil de Préfecture, en dehors de ses attributions contentieuses, a d’autres attributions consultatives et administratives. Il est, de plus, chargé de la répression de certains délits, et ses membres sont revêtus d’attributions personnelles. Le Conseil de Préfecture se compose de neuf membres dans le département de la Seine, de quatre membres dans vingt-neuf départements, et de trois membres dans les autres, moins importants. Le Conseil est, en principe, présidé par le Préfet. Toutefois, celui-ci peut se faire remplacer par l’un des conseillers. En cas d’Insuffisance des membres pour délibérer, le Conseil de Préfecture s’adjoint des conseillers généraux. Le secrétaire du Conseil de Préfecture joue le rôle de ministère public. Les conseillers peuvent, s’il y a lieu, remplacer le préfet, le sous-préfet, le secrétaire général de la Préfecture, être membres du Conseil de révision, etc. Les délibérations du Conseil de Préfecture sont publiques et, orales, sauf en ce qui concerne la juridiction financière. Les arrêts du Conseil de Préfecture peuvent être attaqués devant le Conseil d’État, dans le délai de deux mois, à dater de la notification, s’il s’agit d’arrêts contradictoires, et à dater de l’expiration du délai d’opposition, s’ils sont rendus par défaut.

e) Conseil des Ministres. ― Le Conseil des Ministres est chargé d’administrer le pays sous le contrôle des Chambres. Il délibère en Conseil des Ministres, sous la présidence du chef de l’État, et en Conseil de Cabinet, sous la présidence du président du Conseil ou du viceprésident, en l’absence du président. Le président du Conseil des Ministres est appelé et désigné par le président de la République, après consultation des présidents de la Chambre et du Sénat, et audition des présidents des groupes politiques des deux assemblées et des personnages politiques importants de ces groupes. Le président du Conseil, lorsqu’il a accepté la mission de former le ministère, consulte à son tour ces mêmes personnalités, et forme le cabinet en dosant savamment celui-ci par l’attribution d’un nombre de portefeuilles correspondant aux effectifs des groupes qui forment la majorité sur laquelle il s’appuie ou qu’il recherche. La constitution d’un ministère donne lieu à un grand nombre d’opérations politiques qui ne sont pas toujours très droites ni très loyales. Les évincés crient et forment une opposition, sourde le plus souvent, mais d’autant plus dangereuse. Après avoir constitué son ministère, le président du Conseil présente ses collaborateurs au président de la République, qui signe les décrets nommant les nouveaux ministres. Ceux-ci entrent alors en fonction. Le Conseil se réunit en Conseil de Cabinet pour élaborer la déclaration ministérielle, c’est l’acte de naissance et quelquefois de décès du ministère. Cette déclaration, composée de phrases à effet, balancées, presque toujours creuses, souvent prometteuses, est alors lue à la Chambre, par le président du Conseil et au Sénat par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, vice-président du Conseil. Après la lecture de cette déclaration, accueillie généralement au Sénat par un silence expactatif et suivie à la Chambre, par un débat général sur la politique générale du ministère, ce ministère vit s’il a recueilli une majorité, ou démissionne s’il ne l’a pas trouvée. Dans l’affirmative, il a charge d’assurer la continuité de la vie publique, de préparer les lois, le budget et de les faire voter et appliquer. Le Conseil des Ministres est le pouvoir exécutif de fait. Le président du Conseil est le chef du gouvernement, dont-il dirige la politique intérieure et extérieure. Généralement, le ministère se compose des ministres : de l’Intérieur, de la Guerre, de la Marine, des Finances, des Travaux publics, du Commerce, de l’Agriculture, de la Justice, du Travail, des Colonies, qui s’adjoignent des sous-secrétaires d’État en nombre variable. Lorsque le ministère est mis en minorité par l’une des deux Chambres, il démissionne. Cependant, il se peut que le vote du Sénat n’entraîne pas la démission du Cabinet.

Lorsque le Conseil des ministres a examiné la situation qui découle du vote hostile, le président du Conseil remet la démission du Cabinet au président de la République. Celui-ci charge les ministres démissionnaires de l’expédition des affaires courantes de leur département, jusqu’à la constitution du Cabinet nouveau.

f) Conseil supérieur de la Défense nationale. ― Ce Conseil a été constitué par décret du 3 avril 1906. Il a pour attribution d’examiner toutes les questions qui exigent la collaboration de deux ou de plusieurs ministères. La défense nationale, en France, sur le terrain tant national que colonial, exige la coordination de trois ministères : guerre, marine et colonies.

Ce Conseil se réunit au moins une fois par semestre. Sont membres du Conseil supérieur de la Défense nationale : le président du Conseil des Ministres, président, le ministre des Affaires étrangères, le ministre des Finances, le ministre de la Guerre, le ministre de la Marine, le ministre des Colonies. Le président peut, à tout moment, provoquer la réunion de ce Conseil. Il en assure la présidence toutes les fois qu’il le juge utile.

Le chef d’État-Major général de l’armée, le chef d’État-Major général de la Marine, et le président du Comité consultatif des colonies assistent aux séances avec voix consultative. Le Conseil peut convoquer toute personne susceptible d’apporter une aide à ses travaux.

g) Conseil d’État. ― Le Conseil d’État est un organisme placé aux côtés du chef de l’État, des ministres et, aussi, du Parlement.

Il est en même temps que la clé de voûte du contentieux administratif, le grand conseil du gouvernement et l’instance juridique suprême dans le domaine administratif. Le garde des Sceaux, ministre de la Justice en est le président. Il est présidé en fait, par un vice-président. Le Conseil d’État prépare ou éclaire les décisions qui découlent de l’application des lois. Il est divisé en sections et se réunit, toutes sections réunies, en assemblée générale toutes les fois que c’est nécessaire. Le Conseil d’État comprend outre le président et le vice-président, des présidents de section et des conseillers d’État en service ordinaire, et des conseillers d’État en service extraordinaire, des maîtres des requêtes, des auditeurs de première et deuxième classe. Le secrétaire général est pris parmi les maîtres des requêtes. Le Conseil d’État peut annuler les décisions des Conseils de Préfecture. Il statue sur tous les faits litigieux qui lui sont soumis par les fonctionnaires de l’État, par les conflits d’ordre administratif, découlant de l’application des lois, décrets ou règlements d’administration publique.

Dans le domaine militaire :

a) Conseil de révision. ― Le Conseil de révision a charge, dans chaque département, d’examiner les opérations de recrutement. Il statue sur l’aptitude des jeunes gens au service militaire. Il est présidé par le Préfet ou le secrétaire général de la Préfecture. Il se compose d’un conseiller général, d’un conseiller d’arrondissement, d’un officier général ou supérieur, délégué par l’autorité militaire. Il est assisté d’un sous-intendant, d’un officier de gendarmerie, du commandant de recrutement, d’un médecin militaire. Le Conseil de révision siège successivement au chef-lieu de chaque canton. Les maires de toutes les communes du canton sont tenus d’y assister ou de s’y faire représenter.

b) Conseil de discipline. ― Le Conseil de discipline se réunit sur la convocation du chef de corps, pour examiner le cas des soldats souvent punis, que l’autorité militaire veut, pour l’exemple, envoyer dans les corps d’épreuve (compagnies de discipline).

Il se réunit aussi avant la libération de la classe, pour fixer le rabiot à infliger aux soldats qui ont subi, dans le cours de leur service militaire, une peine de prison supérieure à 15 jours. Il est composé d’un colonel ou d’un officier supérieur, de deux capitaines ou lieutenants et d’un adjudant ou sous-officier.

Seul le ministre de la Guerre peut infirmer ses décisions.

c) Conseil de guerre. ― Le Conseil de guerre est le Tribunal qui juge les militaires, pour tous les crimes ou délits qui tombent sous le coup du Code militaire. Sa composition varie avec le grade de l’inculpé. Il y a un Conseil de guerre par corps d’armée. Il est généralement présidé par un colonel ou un lieutenant-colonel. Les jugements des Conseils de guerre peuvent être cassés, en temps de guerre, par un Conseil de révision, et en temps de paix par la Cour de Cassation. La suppression des Conseils de guerre et leur remplacement par un tribunal civil est depuis longtemps à l’ordre du jour des partis de gouvernement qui se réclament de la démocratie. Elle n’est sans doute pas près d’être réalisée.

d) Conseil supérieur de la guerre. ― Il délibère sur toutes les questions qui intéressent l’organisation de l’armée et la préparation à la guerre. Le ministre de la Guerre en est le président. Il comprend, en temps de paix, un certain nombre de généraux chargés de missions spéciales et siège sous la présidence du chef d’État-Major général, vice-président du Conseil. En temps de guerre, il se compose des commandants d’armées et du chef d’État-Major général.

Dans le domaine judiciaire : a) Conseil de famille. ― Le Conseil de famille est une assemblée de parents qui a charge de veiller aux intérêts des membres de cette famille qui sont incapables de le faire eux-mêmes. Le Conseil de famille représente la fonction délibérative à côté de la gestion active qu’est le tuteur nommé par lui. Il peut destituer un tuteur incapable ou indigne. Il contrôle sa gestion. Il autorise la plupart des actes qui excèdent les limites de l’administration courante. Les décisions du Conseil de famille sont passibles d’appel aux Tribunaux civils. Le Conseil de famille est convoqué par le juge de Paix, qui le préside, sur la réquisition d’un membre de la famille, d’un ami du mineur ou d’office par le juge de Paix. Il est composé de six parents ou alliés du mineur, les plus proches en degré résidant tant dans la commune où la tutelle s’est ouverte que dans un rayon de deux myriamètres, pris moitié dans la ligne paternelle, moitié dans la ligne maternelle et en suivant l’ordre de proximité dans chaque ligne. Le parent est préféré à l’allié du même degré, le plus âgé au plus jeune. À défaut de parents ou alliés en nombre suffisant sur les lieux, le juge de Paix peut convoquer à son choix, soit des parents domiciliés à une plus grande distance, soit, dans la localité, des personnes non parentes, mais connues pour avoir eu des rapports d’amitié avec le père ou la mère. La mère est tutrice de droit, tandis que les ascendantes doivent être désignées par le Conseil de famille. Le juge de paix préside avec voix prépondérante en cas de partage. Les trois quarts, au moins du Conseil de famille doivent être présents ou représentés par un mandataire porteur d’une procuration spéciale.

b) Conseil des Prud’hommes. ― Conseil électif chargé de juger les différends entre employeurs et employés. Ce Conseil est composé par moitié de patrons et d’ouvriers. Les Conseils des prud’hommes sont établis par décret du Conseil d’État sur la demande des Chambres de commerce ou des Chambres consultatives des arts et manufactures.

Ils sont placés dans les attributions et sous le contrôle du ministère de la Justice et soumis aux règles disciplinaires des autres tribunaux. Il n’en existe que dans les villes qui constituent des centres industriels. Le nombre des prud’hommes et là circonscription de chaque conseil sont fixés par le décret d’institution. Tout Conseil de prud’hommes est divisé en deux bureaux qu’il constitue lui-même : l’un appelé bureau particulier ou de conciliation ; l’autre, bureau général ou de jugement. Le bureau particulier est composé de deux membres, dont l’un est patron et l’autre ouvrier. Il a pour mission de tenter de régler à l’amiable les différends ou contestations. S’il échoue, l’affaire est renvoyée devant le bureau général, composé d’un nombre égal de prud’hommes ouvriers et patrons. L’appel, s’il est recevable, a lieu devant le Tribunal civil. Les parties peuvent se faire représenter par un ouvrier ou un patron de la même profession. Les chefs d’industrie peuvent se faire représenter par leur directeur-gérant ou par un employé. Le mandataire doit être porteur d’un pouvoir sur papier libre, ou inscrit sur la copie ou l’original de l’assignation. Les Conseils de prud’hommes sont divisés en sections d’industrie, et ces sections s’occupent exclusivement des contestations entre patrons et ouvriers, de cette industrie. Il y a la section du commerce, des métaux, du bâtiment, etc…

c) Conseil supérieur de la magistrature. ― Le Conseil supérieur de la magistrature est la juridiction qui a charge de juger les magistrats qui commettent des fautes graves et de sanctionner ces fautes. Il est composé de la Cour de cassation, qui siège, toutes chambres réunies, sur la convocation du garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il ne statue ou ne donne son avis qu’après avoir entendu le magistrat traduit devant lui.

d) Conseil judiciaire. ― Le Conseil judiciaire est nommé par le tribunal sur l’intervention des parents d’une personne faible d’esprit, qui ne peut gérer elle-même ses affaires, ou dont la prodigalité est reconnue exagérée, et met en péril la fortune commune. Les personnes pourvues d’un Conseil judiciaire ne peuvent, sans l’assentiment de ce dernier, ni plaider, ni transiger, ni aliéner leurs biens, ni recevoir un capital mobilier ou en donner décharge. Les personnes pourvues d’un Conseil judiciaire sont demi-interdites. Les interdits sont considérés comme des mineurs et leurs intérêts sont confiés à un tuteur. L’interdit ne jouit d’aucun droit. Il ne peut pas tester.

5. Dans le domaine de l’instruction publique :

a) Conseil académique. ― Ce Conseil est à la fois tribunal et conseil. Il assiste le Recteur dans chaque Académie. Il est composé de droit de membres choisis par le ministre et les membres élus pour quatre ans (quatre professeurs de lycée, deux professeurs de collège). Il tient deux sessions par an.

b) Conseil départemental. ― Ce Conseil, qui se réunit tous les trois mois, a trois attributions : pédagogiques et règlements des études, programmes, méthodes : administration et établissement d’écoles, titularisations, promotions, récompenses ; contentieuses et disciplinaires. Il ne s’étend qu’à l’instruction primaire.

c) Conseil supérieur de l’Instruction publique. ― Ce Conseil remplit à la fois le rôle de Conseil auprès du ministre, et de tribunal. Il examine les causes, transmises en appel, des autres tribunaux académiques. Il se compose de cinquante-huit membres appartenant aux trois ordres de l’enseignement (primaire, secondaire et supérieur). Treize de ces membres sont nommés par décret. Les autres membres sont élus. Il siège, ordinairement, deux fois par an.

Dans le domaine scientifique :

a) Conseil international des Recherches scientifiques, industrielles et agricoles. ― Ce Conseil a pour but de rechercher, de grouper, d’examiner et de faire appliquer toutes les inventions susceptibles de marquer un progrès dans l’ordre scientifique, industriel ou agricole. C’est, en somme, une sorte d’académie scientifique internationale, qui n’est encore qu’à ses débuts. Elle vulgarise dans la mesure de ses moyens, les œuvres des savants, des inventeurs, des techniciens dans toutes les langues et dans tous les pays.

Dans l’ordre religieux :

a) Conseil de fabrique. ― Le Conseil de fabrique, supprimé par la loi du 9 décembre 1905, avait pour but d’administrer les biens d’une paroisse de culte catholique.

b) Conseil presbytéral. ― Mêmes attributions que le Conseil de fabrique, mais en ce qui concerne l’administration des biens d’une paroisse de culte protestant. ― Pierre Besnard.


CONSERVATISME. n. m. Opinion d’une catégorie d’individus, adversaires politiques de toute innovation, qui entendent maintenir et conserver la forme des institutions et repousser comme un sacrilège toute transformation sociale. Le conservatisme est opposé à tout progrès ; la crainte de la révolution qui anime les conservateurs est tellement ridicule qu’elle leur fait perdre toute mesure et que ce sont souvent les abus dont ils se rendent complices qui déchaînent la révolte.

Attaché aux dogmes et aux croyances du passé, le conservatisme ne peut vivre dans un milieu, qui, bien que corrompu, est obligé de s’adapter cependant aux progrès de la science et c’est pourquoi on peut le considérer comme étant en train de s’éteindre. Il est encore assez puissant cependant pour porter des coups dangereux et il faut se méfier. Les fusils et les canons sont à sa portée et il s’en servirait pour se défendre contre les idées nouvelles ; mais comme le dit si justement Le Lachâtre : « Ce n’est pas au moyen de l’artillerie qu’on ravivera les dogmes morts, les croyances qui ont fait leur temps ; ce n’est pas au moyen de l’artillerie qu’on pourra constituer l’ordre politique et économique, consolider une société qui s’écroule, transformer les erreurs en vérité, les préjugés en principes, arrêter la marche de l’humanité ».


CONSPIRATION. n. f. Action de s’associer, de s’unir secrètement dans le but de renverser le gouvernement et d’en changer la forme. « Il ne peut y avoir de conspiration dangereuse dans un pays dont le peuple est heureux et libre » écrivait Voltaire ; mais ce pays n’existe pas et n’a jamais existé, même du temps de Voltaire.

Du reste, ce n’est jamais le peuple qui conspire, mais généralement une poignée d’individus qui espèrent, en changeant les hommes au Pouvoir, changer le cours des événements ou la situation économique et sociale.

Il faut reconnaître qu’à côté des conspirations intéressées il en fut qui exercèrent une heureuse influence sur l’histoire des peuples, telle la Conspiration de Cromwell, qui, en renversant le roi Charles Ier d’Angleterre, ouvrit au pays la route du Libéralisme. Mais, en général, les conspirations sont d’essence politique et ne changent rien, sinon les hommes.


CONSTITUTION (LA). n. f. La Constitution dit le Larousse est la « loi fondamentale d’une nation ». Elle est en effet l’ensemble des règlements qui régissent un pays. En France, depuis la Révolution de 89, une douzaine de Constitutions virent le jour et la dernière date de 1875 et c’est encore en son nom que nous sommes gouvernés actuellement.

La Constitution de 1791 déclarait que la France était représentée par le Corps Législatif et par le roi, mais à la déchéance de Louis XVI et lorsque la monarchie fut abolie et remplacée par la République, une nouvelle Constitution devint nécessaire. Elle fut décrétée le 24 juin 1793 et acceptée le 10 août de la même année, mais elle ne fut jamais mise en vigueur car la République en ébullition et attaquée par ses ennemis intérieurs et extérieurs ne pouvait pas trouver le temps de s’arrêter à un système fixe ; la Convention se rallia au rapport présenté par Saint-Just et décréta que le Gouvernement serait révolutionnaire jusqu’à la paix.

Il n’est pas inutile de retracer quelques passages du rapport présenté à la Convention par Hérault de Séchelles qui rédigea la Constitution de 93. Un réel souci de liberté et de fraternité avait animé l’auteur de ce travail qui pêche cependant à sa base ; qu’on en juge par la conclusion : « Si, dans la moitié des départements plus un, le dixième des Assemblées primaires de chacun d’eux, régulièrement formées, demandent la révision de l’acte constitutionnel, le Corps législatif est tenu de convoquer toutes les Assemblées primaires de la République pour savoir s’il y a lieu de recourir à une convention nationale. Enfin la constitution garantit à tous les Français : l’égalité, la sécurité, la propriété, la dette publique, des secours publics, le libre exercice des cultes, une instruction commune, la liberté indéfinie de la presse, le droit de pétition, le droit de se réunir en Société populaire, la jouissance de tous les droits de l’homme. »

Les révolutionnaires de 93 ne comprirent pas que du fait même que la propriété subsistait, tous les autres articles de leur charte devenaient caducs et que la propriété qui avait été arrachée à la noblesse, n’allait pas servir à un meilleur usage entre les mains de ses nouveaux détenteurs.

Lorsque la révolution fut écrasée et que les éléments bourgeois dominèrent à nouveau, on vit naître en 1795 une nouvelle Constitution qui fut abolie à son tour et remplacée par la Constitution de l’an VIII qui tua la République. Ensuite ce fut l’Empire et la Restauration et plus tard la Révolution de 1848 qui proclama à nouveau la République.

Le 4 novembre 1848 la Constitution de la République fut promulguée ; le préambule mérite d’être cité.

« La France s’est constituée en République. En adoptant cette forme définitive de gouvernement, elle s’est proposé pour but de marcher plus librement dans la voie du progrès et de la civilisation, d’assurer une répartition de plus en plus équitable des charges et des avantages de la société, d’augmenter l’aisance de chacun par la réduction des dépenses publiques et des impôts, et de faire parvenir tous les citoyens sans nouvelles commotions, par l’action successive et constante des institutions et des lois, à un degré toujours plus élevé de moralité, de lumière et de bien-être. La République française est démocratique une et indivisible. Elle reconnaît des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux lois positives. Elle a pour principes : la liberté, l’égalité et la fraternité. Elle a pour bases : la famille, le travail, la propriété, l’ordre public. Elle respecte les nationalités étrangères, comme elle entend faire respecter la sienne ; n’entreprend aucune guerre dans des vues de conquête, et n’emploie jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. Les citoyens doivent aimer la patrie, servir la République, la défendre au prix de leur vie, participer aux charges de l’État en proportion de leur fortune ; ils doivent s’assurer par le travail, des moyens d’existence, et par la prévoyance des ressources pour l’avenir ; ils doivent concourir au bien-être commun en s’entraidant fraternellement les uns les autres, et à l’ordre général en observant les lois morales et les lois écrites qui régissent la société, la famille et l’individu.

« La République doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son travail, et mettre à la portée de chacun l’instruction indispensable à tous les hommes ; elle doit, par une assistance fraternelle, assurer l’existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d’état de travailler. »

Dans ce préambule se cristallise toute la démocratie, et si les formes de la Constitution de 48 ont été abrogées par la Constitution de 1852 et celle de 1875, l’esprit de cette dernière conserve toujours en son sein l’erreur fondamentale qui consiste à croire que la liberté peut exister dans un régime où l’inégalité économique, issue de la propriété, est la base même de ce régime.

On comprendrait encore que les Révolutionnaires de 93 eussent commis la faute grave de ne pas comprendre qu’il ne peut y avoir de liberté et de fraternité tant que la transformation économique de la société ne se sera pas réalisée ; mais on ne peut accorder ces circonstances atténuantes aux démocrates de 48 et de 75 qui avaient pour se guider l’exemple du passé et l’expérience de la demi-douzaine de Constitutions qui avaient été inopérantes à établir un régime stable et fraternel. Il faut donc en conclure que la Constitution est une belle page de rhétorique, rédigée en connaissance de cause, par des parlementaires attachés à la conservation de la propriété et qui ne voulaient en aucun cas que les classes pauvres se libèrent du joug de l’exploitation.

Que le peuple se laisse griser par ses espérances démocratiques et que la Constitution lui donne l’illusion de la Liberté et de la Fraternité, cela ne fait aucun doute. La charte de 1875, qui déclare que « tous les citoyens sont égaux devant la loi », et que cette loi ne peut être que l’expression de la volonté populaire puisqu’elle est élaborée par les représentants du peuple élus par ce dernier au suffrage universel, découle de raisonnements captieux.

« Égalité devant la loi » ne veut pas dire « Égalité en soi » et la Liberté dans la loi n’est pas « La Liberté » ; et puisque la loi en vertu même de la Constitution dont elle n’est qu’une dérivation, défend la « propriété » contre ceux qui voudraient l’attaquer, la Constitution et la loi, quelles que soient les formules employées, ne peuvent être une source de liberté, d’égalité et de fraternité.

On ne peut arriver « à un degré plus élevé de moralité, de lumière et de bien-être » tant que la Société reposera sur le Capitalisme ; voilà la vérité de laquelle il faut s’inspirer.

Lorsque Lamennais pose la question : « Qu’est aujourd’hui le prolétaire à l’égard du capitaliste ? », il y répond avec une simplicité brutale mais précise : « Un instrument de travail ».

« Affranchi par le droit actuel, légalement libre de sa personne, il n’est point, il est vrai, la propriété vendable, achetable de celui qui l’emploie. Mais cette liberté n’est que fictive. Le corps n’est point esclave, mais la volonté l’est. Dira-t-on que ce soit une véritable volonté que celle qui n’a le choix qu’entre une mort affreuse, inévitable et l’acceptation d’une loi imposée ? »

« Les chaînes et les verges de l’esclave moderne, c’est la faim. » Et nous pouvons ajouter que ces chaînes et ces verges, sont le travail de la Constitution qui les fabrique pour la Bourgeoisie et le Capital.

Les sociétés sont construites sur des iniquités politiques et économiques et l’on peut dire que les iniquités politiques sont engendrées par les iniquités économiques. Toute Constitution sociale qui ne détruira pas l’iniquité économique n’aura rien fait, et ce sera l’éternel recommencement comme ce le fut depuis 93. Que peuvent les belles phrases, les formules pompeuses, les déclarations ronflantes, la sincérité des intentions même, si tout l’ordre économique s’oppose à la liberté et au bien-être collectif.

Il ne suffit pas d’écrire sur les murailles des monuments, d’enseigner aux enfants que les hommes sont libres et égaux alors que la réalité de la vie se charge bien vite de dessiller les yeux.

Il n’y a de bonheur possible que dans la liberté et l’égalité. Or, la liberté et l’égalité ne se donnent pas par une Constitution plus ou moins élastique ; elles se prennent, elles se gagnent par la lutte, par la volonté de vaincre et du jour où la Liberté ne sera plus un vain mot, il n’y aura pas besoin de Constitution pour nous le rappeler, car elle se manifestera par sa Grandeur et sa Beauté.


CONTINGENCE. n. f. Ce qui est relatif, subordonné dans sa réalisation à un fait ou à un événement. Ce qui peut arriver ou ne pas arriver. Ce mot est peu usité en dehors de la Philosophie. La « contingence » a soulevé le problème de la liberté, de la fatalité et du déterminisme. La question se pose à savoir si l’homme est libre de tous ses mouvements, de ses actes, de ses pensées et, philosophiquement parlant, responsable ; ou si au contraire il est dépendant d’une quantité de « Contingences », et par conséquent irresponsable.

Les Anarchistes qui pensent que l’individu est le produit du milieu, qu’il hérite des tares et des bienfaits du passé, qu’il subit l’ambiance de tout ce qui l’entoure, estiment qu’il est subordonné aux « Contingences » ; mais il ne faut pas en conclure que socialement il est absolument irresponsable de tous ses actes. L’individu a, lui aussi, une volonté dans le grand tout et c’est cette volonté individuelle qui doit être en lutte constante contre les « Contingences », pour se libérer des entraves que celles-ci lui ont tissées.


CONTRAINTE. n. f. La contrainte nous dit le « Larousse » est la violence exercée contre une personne. Le Lachâtre, un peu moins bref, nous dit « qu’elle est la violence exercée contre quelqu’un pour l’obliger à faire quelque chose malgré lui ou l’empêcher de faire ce qu’il voudrait ».

Si l’on approfondit tout ce que renferme en elle cette dernière définition de la violence, on peut conclure que nous sommes à chaque instant de notre existence, contraints à commettre des actes qui nous déplaisent, et si la violence ne se manifeste pas toujours brutale pour nous les imposer, elle agit sur notre volonté et entrave par ses rigueurs notre liberté.

Il n’est pas abusif d’affirmer que nous vivons sous une contrainte perpétuelle dans la société actuelle basée sur l’autorité, et il coule de source, qu’il n’en peut être autrement.

De même que l’Autorité, la Contrainte s’exerce surtout sur ceux qui sont placés en bas de l’échelle sociale et qui sont toujours les premières victimes des maux engendrés par le désordre économique et politique des sociétés modernes ; or, la contrainte est un des fruits de ce désordre et cela se conçoit, car sans elle la société capitaliste ne serait pas viable.

Nous passerons sous silence les premières contraintes que nous subissons, dès notre plus jeune âge, bien qu’elles déterminent souvent tout le cours de notre vie. C’est dans la famille, à l’école, qu’elles nous sont imposées, mais les jeunes cerveaux s’assimilent facilement et les souffrances que nous ressentons s’estompent lorsque nous approchons de l’adolescence.

C’est surtout lorsque nous arrivons à l’âge d’homme que la contrainte devient féroce et que nous sommes obligés de nous courber sous elle ou de mourir. Elle se présente d’abord à nous, par les formes de travail qui nous sont imposées et auxquelles il nous est impossible d’échapper. En abolissant l’esclavage et le servage on n’a pas aboli la contrainte et on n’a pas donné naissance à la liberté. On prétend que l’homme est libre, surtout depuis les transformations opérées par la grande Révolution française, et que la disparition des corporations a fait du producteur un homme libre, que c’est de bon gré qu’il travaille aux conditions qu’il accepte après les avoir débattues en pleine conscience et en pleine liberté.

Nous savons quel crédit il convient d’accorder à un tel argument. Si nous n’avions pas à subir dès notre entrée en ce monde les « contraintes naturelles », c’est-à-dire l’obligation absolue de manger pour vivre, nous ne serions pas assujettis comme nous le sommes. Mais nous ne pouvons pas nous abstenir de nous nourrir et nous savons fort bien que le travail est indispensable pour subvenir aux besoins matériels de la collectivité. Ce n’est donc pas le travail que nous considérons ici comme une contrainte, mais la forme qu’il emprunte.

Nous avons dit d’autre part que le capitalisme avait accaparé tous les moyens de production et toute la richesse sociale et que le travailleur ne possédant que ses bras était dans l’obligation de les louer pour suffire à ses besoins les plus immédiats. Prétendre que cette location est libre, est non seulement ridicule mais criminel, puisqu’il est évident que si le prolétaire se refuse à louer ses bras au capitalisme, il ne pourra trouver sa subsistance ; il est donc contraint de travailler pour le capitalisme, et aux conditions que ce dernier voudra bien lui imposer.

Le travail en société bourgeoise est donc une véritable contrainte, puisque le travailleur, sous peine de mort, ne peut pas échapper à cette loi arbitraire forgée de toutes pièces par les hommes au profit d’une catégorie d’individus.

Que de choses ne nous oblige-t-on pas à faire malgré nous ! Nous disons que la contrainte s’exerce sur tous les travailleurs et qu’il est impossible de l’éviter. Les gouvernements, par leurs impôts directs et indirects, font peser sur tous les individus une contrainte continuelle et ce n’est seulement que lorsque le peuple se révolte que la violence entre en jeu. La contrainte s’impose encore à nous, lorsqu’au nom de la « Patrie » nous sommes appelés à remplir nos « devoirs militaires » et à « servir le pays », et quelles que soient les mesures que nous prenions pour nous défendre contre les obligations que nous jugeons arbitraires, c’est de la contrainte, et toujours de la contrainte qui s’abat sur nous et nous écrase.

« Nécessité sociale affirment ceux qui l’exercent ; sans autorité et sans contrainte il n’y a pas de vie collective possible, nous disent les partisans des sociétés gouvernementales » ; cependant, depuis les milliers et les milliers d’années que les sociétés sont élaborées sur ces deux principes, il serait peut-être temps de nous démontrer les bienfaits de l’autorité et de la contrainte.

Ce qui est vrai, c’est qu’une minorité de malins tirent les ficelles de l’économie politique et sociale, et que la grande majorité suit ces mauvais bergers qui craignent que la liberté du peuple ne leur enlève leurs privilèges.

L’Autorité et la Contrainte ne sont avantageuses qu’à ceux qui les exercent et lorsque les hommes auront compris qu’il n’y a de bonheur possible que dans la liberté, ils feront table rase de tous les vieux préjugés qui les tiennent asservis au monde moderne, et se mettront au travail pour élaborer une société nouvelle, sans contrainte et sans autorité.


CONTRASTE. n. m. Opposition ou dissemblance d’objets, de propriétés physiques ou de qualités morales. « Contraste de l’obscurité et de la lumière ». « La pauvreté est un contraste choquant à l’opulence de certains ».

Il y a aussi des contrastes dans le domaine des idées. Les idées de Liberté sont en opposition et présentent un contraste aux idées d’autorité. Il faut espérer que du choc des contrastes jaillira un jour une ère nouvelle, où le contraste ne se manifestera plus que sur le terrain artistique et littéraire, mais où il aura totalement disparu de la vie économique des populations.


CONTRAT ANARCHISTE (LE). n. m. L’État étant disparu, ou évincé, comment les rapports entre les humains se règlent-ils entre les isolés et les associations, d’isolé à isolé, d’association à association ? Par une entente, un accord librement proposé, librement discuté, librement accepté, librement accompli ; en d’autres termes, par un Contrat.

Qu’on le dénomme « promesses », « conventions », le terme importe peu ; ce qui importe, c’est de savoir de quelle nature peut être ce contrat lorsqu’il est passé entre anarchistes.

S’il est hors de doute que les clauses d’un contrat doivent pouvoir être proposées, examinées et discutées dans des conditions laissant toute liberté d’esprit et d’action aux cocontractants, il est hors de doute également que lesdites clauses ne sauraient renfermer aucune stipulation qui soit contraire à la conception anarchiste de la vie humaine.

C’est ainsi que le contrat passé entre anarchistes ne saurait contenir aucune clause qui y astreigne malgré lui quiconque ne veut on ne peut plus en exécuter les termes.

Il se peut qu’un individu n’ait pas mesuré toute la portée de l’accord qu’il a souscrit ; qu’en cours d’exécution son état d’esprit se soit modifié sous l’influence de circonstances nouvelles. Il se peut qu’une émotion, qu’un sentiment d’une espèce ou d’une autre l’envahisse, le domine, s’empare de lui, momentanément tout au moins, le plaçant dans une situation mentale tout autre que la mentalité qui était sienne au moment de la conclusion de l’accord. Pour toutes ces raisons, le contrat passé entre anarchistes, doit pouvoir être résiliable.

L’un des contractants, de même, peut se juger lésé ou réduit à une situation défavorable, inférieure ou indigne de lui par rapport aux autres contractants. Les cocontractants peuvent s’apercevoir, après expérience, qu’ils ne sont pas qualifiés pour remplir les clauses du contrat qu’ils ont conclu. Ou encore qu’ils se sont aventurés au-delà de leurs aptitudes ou de leurs possibilités en se risquant à établir le contrat qui les unit même temporairement. C’est pourquoi une des conditions préalables à la conclusion du contrat entre anarchistes postule, de la part des cocontractants, un examen sérieux et préalable de leurs capacités et de leurs ressources.

Le contrat doit donc pouvoir être résiliable, mais avec préavis, car il est d’une élémentaire camaraderie qu’aucun des participants au contrat ne subisse d’embarras, de retard, de peine ou de dommage évitable, du fait de la rupture du contrat.

Même en cas de brusque rupture du contrat, il ne saurait être question, entre anarchistes, sous prétexte d’en faire respecter les termes, de l’intervention d’un tiers ou d’une autorité ou institution extérieure aux cocontractants. Il ne saurait être non plus question de sanctions disciplinaires ou pénales, sous quelque vocable qu’on les masque. Rien de cela ne serait anarchiste. On peut cependant, en cas de difficulté ou de litige en cours d’exécution du contrat, prévoir le recours à un arbitre-expert, ― un technicien, par exemple ― mais à la condition absolue qu’il soit, choisi par les deux parties en désaccord et qu’il jouisse assez de leur confiance pour que sa décision ne soit pas mise en discussion.

Tout contrat impliquant obligation, sanction, intervention étatiste, gouvernementale ou administrative extérieure aux cocontractants n’est ni individualiste ni communiste (anarchiste), il n’y a pas à ergoter là-dessus.

C’est pourquoi le contrat conçu à la façon dont nous l’entendons ― dont l’entendent les anarchistes de toutes les tendances ― ne peut être passé qu’entre unités humaines possédant un tempérament, une mentalité adéquats. Si cette mentalité préalable fait défaut, il n’y a pas de contrat possible entre anarchistes. C’est pourquoi encore ― même admise cette mentalité déterminée ― les anarchistes affirment que pour s’associer, il est urgent de se bien connaître, de ne passer contrat que pour une période et une besogne aussi bien déterminées qu’il est humainement prévisible.

Il est donc entendu théoriquement que le contrat se rompt dès qu’il lèse l’un des cocontractants. Comme toutes les formules d’ailleurs, celle-ci présente le défaut, quand on l’envisage dans ses applications pratiques, de ne pas tenir compte des circonstances de vie et de tempérament individuels. Pratiquement, l’on peut écrire que le contrat entre camarades anarchistes cesse dès que l’entente qui a présidé pour le conclure se retrouve pour le dissoudre.

En effet, le contrat conclu entre anarchistes pour une fin quelconque est sous-entendu n’avoir pas été conclu à la légère. Son origine a été exempte des restrictions mentales, des pensées de derrière la tête, des dissimulations, des fraudes, de cette recherche d’un intérêt sordide, qui stigmatisent les contrats en vigueur dans la société actuelle. Les cocontractants se connaissent, ils ont pesé le pour et le contre, réfléchi aux conséquences, examiné les points forts et les points faibles de la situation, prévu les dangers et les périls, supputé les joies et les avantages, déterminé les concessions qu’ils auraient à se faire mutuellement.

Ces remarques suffisent à indiquer qu’un contrat loyal ne cesse pas uniquement par suite du caprice, de la fantaisie, d’un mouvement d’humeur de l’un des contractants. Sa rupture ne se fait pas sans réflexion, sans examen sérieux des dommages ou des conséquences qui peuvent s’ensuivre.

Cependant, lorsque l’un des contractants a formulé sa volonté formelle de rompre le contrat, aucun anarchiste ne saurait s’y opposer. Cela ne veut pas dire que les autres cocontractants n’objecteront pas à cette rupture. Il se peut en effet, au moment où le contractant mécontent demande la rupture de l’association, que les autres associés se trouvent dans des dispositions d’esprit et de sentiment absolument semblables à celles qui les ont poussés à conclure le contrat. Un anarchiste peut donc objecter à la rupture, demander à réfléchir, faire valoir certaines raisons, invoquer certaines considérations, d’un ordre tout particulier quand il s’agit du domaine du sentiment, considérations que comprennent ceux qui vivent intensément la vie sentimentale. Un anarchiste pourra résister plus ou moins longtemps à la rupture d’un contrat, s’il possède la conviction profonde que son camarade agit sous l’empire d’une influence pernicieuse. Il n’est rien là qui frise l’inconséquence. Selon son tempérament, il pourra souffrir, se lamenter même et qui donc lui reprocherait d’être autre chose qu’une équation géométrique ? C’est seulement s’il s’opposait catégoriquement, par la violence, sur un plan quelconque, à la dissolution exigée par son cocontractant que, au point de vue anarchiste, il cesserait d’être conséquent, dans le sens profond et pratique du mot.

À moins de motifs exceptionnels, d’un cas de force majeure, l’anarchiste qui impose la rupture du contrat irréfléchiment, à brûle-pourpoint me paraît un inconséquent et un camarade de mauvais aloi. Un compagnon anarchiste loyal ne profite de sa faculté de « rompre le contrat à sa guise » qu’après avoir obtenu l’adhésion sincère de son ou de ses contractants. On regardera pratiquement à deux fois ― sinon davantage ― avant de rompre une entente, manquer à des promesses, briser des conventions faites de bonne foi et qui sous-entendaient une confiance réciproque.

Il est impossible de faire passer la rupture imposée ou exigée à tout bout-de-champ, sans rime ni raison, infligeant de la souffrance inutile, comme un geste de camaraderie. Qu’est-ce donc que la camaraderie, sinon un contrat tacite conclu entre êtres qu’unissent certaines affinités intellectuelles ou sentimentales ou de gestes, afin de se rendre la vie plus agréable, plus plaisante, plus joyeuse, plus profitable, plus utile à vivre ?

On a demandé souvent quelle serait la différence entre l’humanité actuelle et une humanité anarchiste ou à tournure d’esprit anarchisante. Certes, topographiquement parlant, je l’ignore ; je suis hors d’état de fournir la nomenclature exacte des hameaux, des villages, des villes, des rues de chaque ville, des ruisseaux, des torrents, des chemins vicinaux. Mais je suis assuré d’une chose, c’est que le contrat social, le contrat d’association humaine n’y sera pas imposé, ni politiquement ni autrement ; pas plus par une caste que par une classe sociale. Dans les sociétés actuelles, l’unité humaine est placée en face d’un contrat social imposé ; dans toute humanité saturée, imprégnée d’esprit anarchiste, il n’existera que des contrats proposés. C’est-à-dire qu’un milieu anarchiste, une humanité anarchisante ne tolère pas, ne saurait tolérer qu’il y ait une clause ou un article d’un accord ou d’un contrat qui n’ait été pesé et discuté avant d’être souscrit par les cocontractants. Dans un milieu ou une humanité du type anarchiste, il n’existe pas de contrat unilatéral, c’est-à-dire obligeant quiconque à remplir un engagement qu’il n’a pas accepté personnellement et à bon escient ; aucune majorité économique, politique, religieuse ou autre, aucun ensemble social ― quel qu’il soit ― n’y peut contraindre une minorité ou une seule unité humaine à se conformer, contre son gré, à ses décisions ou à ses arrêts. ― E. Armand.


CONTREBANDE. n. f. Pour satisfaire aux appétits du capitalisme national, on a divisé le monde en contrées et on a établi entre elles des barrières que l’on ne peut franchir que sous certaines conditions. Il est interdit par la loi ou par certains décrets de transporter d’un pays à l’autre ou d’une ville à l’autre des marchandises prohibées par les règlements, non pas parce que ces marchandises sont impropres à la consommation ou aux besoins de la population, mais parce que leur importation nuirait aux intérêts d’une certaine catégorie de commerçants ou d’industriels. Ainsi que nous l’avons démontré lorsque nous avons traité de la concurrence (voir ce mot) la douane n’a d’autres buts que de garantir les bénéfices des dits commerçants et industriels et quiconque passe outre les règlements et introduit en fraude les produits interdits, fait de la contrebande.

Cependant, malgré les rigueurs de la loi, la contrebande se fait sur une grande échelle et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que ce sont souvent des capitalistes et non des moindres, qui se livrent à ce trafic.

La bourgeoisie française ne se contente pas des bornes internationales, elle en a dressé à l’intérieur même du pays. Au sein même de la nation, toutes les villes ne sont pas régies par le même statut et il est interdit de transporter de l’une à l’autre certaines marchandises sans payer une redevance à la commune dans laquelle on importe cette marchandise. L’argent récolté sert à équilibrer les budgets communaux.

Il n’est donc pas surprenant qu’il y ait des gens se livrant à la contrebande.

À côté de cette contrebande commerciale il y a ce que l’on appelle la contrebande de guerre et en principe on considère comme entrant dans cette catégorie de contrebande tous les objets fabriqués à l’usage de la guerre : fusils, canons, munitions, et même les vivres lorsqu’il s’agit d’une place investie.

La contrebande entraîne la saisie des marchandises importées frauduleusement et l’emprisonnement pour le contrebandier. Pourtant les peines d’emprisonnement ne sont en réalité appliquées en matière de contrebande de guerre que lorsque ce sont des révolutionnaires qui cherchent à se procurer des moyens de défense ; lorsque ce sont les éléments bourgeois et réactionnaires qui vont à l’étranger pour acheter des armes et les introduire dans le pays dans le but de s’en servir contre la classa ouvrière, ils bénéficient toujours de l’indulgence des tribunaux et de la magistrature, Cela se comprend.


CONTREMAÎTRE. n. m. Personne qui dirige les ouvriers et les ouvrières dans un atelier ou un chantier « dit le Larousse ». Cette définition est fausse. Le contremaître est un valet inconscient de la bourgeoisie, qui, issu de la classe ouvrière, trahit ses camarades et se met au service de ses oppresseurs.

Il y a des besognes secondaires que le bourgeois ne veut pas faire lui-même et des contacts auxquels il se refuse. Pour maintenir entre lui et son personnel, les relations indispensables à la marche de ses affaires, le capitaliste a recours à un intermédiaire auquel il accorde quelques avantages, en échange de quoi cet intermédiaire se soumet de plein gré à l’autorité patronale et consent à veiller et à surveiller ses camarades de façon à ce qu’ils ne piétinent pas les intérêts du maître. Cet intermédiaire est le contremaître, c’est-à-dire « à côté du maître ». Il est encore des prolétaires qui s’illusionnent sur les fonctions de ce chien couchant et qui assurent qu’il se trouve de bons contremaîtres ; c’est que l’ouvrier ne se rend pas compte du rôle qu’est obligé de jouer le représentant du patron.

Un bon contremaître est impossible ; si ses services ne sont pas avantageux pour celui qui l’emploie, il ne tarde pas à être remercié ou être remis au même niveau que ses anciens camarades, et s’il veut conserver sa place et conserver la confiance de son patron, il est alors obligé de défendre des intérêts qui sont diamétralement opposés à ceux de l’ouvrier.

En conséquence, le contremaître ne peut être qu’un agent inférieur de la bourgeoisie, et il est d’autant plus méprisable lorsqu’il agit consciemment, qu’il se dresse de façon continue entre le patron et l’ouvrier et empêche ce dernier d’acquérir le bien-être et la liberté auxquels il a droit.


CONTRE-RÉVOLUTION. n. f. Pour donner un aperçu de ce que peut être la Contre-Révolution, il serait peut-être utile de définir auparavant ce que nous entendons par « Révolution ». Nous le ferons très brièvement, en quelques mots, en renvoyant le lecteur au mot « Révolution » pour tous enseignements complémentaires.

Le Lachâtre nous dit que la « Révolution » est « le changement subit dans les opinions, dans les choses, dans les affaires publiques, dans l’État » ; quant au « Larousse » il se contente de la définir : « Changement subit dans le Gouvernement d’un État ».’

Il est tout naturel qu’ayant défini le mot Révolution de façon ambiguë et incorrecte, la « Contre-Révolution » soit à son tour déformée dans son esprit et dans sa lettre. Lachâtre nous dit en effet que la Contre-Révolution est « Une Révolution qui a pour tendances de détruire les résultats de celle qui l’a précédée ». Cela peut sembler suffisant à ceux qui se grisent encore de démocratisme et de parlementarisme, mais pour ceux qui ont tant soit peu étudié l’histoire et la vie des diverses révolutions et contre-révolutions du passé, la définition de Lachâtre n’est pas seulement incomplète, elle est erronée.

Pour nous qui pensons que la Révolution est un tout et que rien ne peut en être détaché, qui la considérons comme le moyen de transformation absolue de la société capitaliste, et qui sommes convaincus que pour être efficace elle sera anarchiste ou ne sera pas, nous sommes amenés à dire que la Contre-Révolution, est l’ensemble des éléments qui, au lendemain ou à la veille d’un mouvement révolutionnaire ou insurrectionnel, agissent de façon à entraver l’instauration du Communisme anarchiste.

On peut donc être un facteur de Contre-Révolution avant même que la Révolution ait été déclenchée.

L’erreur que l’on commet assez couramment est de croire que seuls les éléments bourgeois sont un danger pour la Révolution et qu’une fois que ceux-ci sont affaiblis, sinon écrasés, la Révolution peut suivre son cours en toute tranquillité.

Cette erreur fut la cause de bien des désillusions, car si, au lendemain d’un mouvement populaire, le premier travail de salubrité consiste à s’assurer que les forces de réaction capitaliste se trouvent dans l’incapacité de nuire, et que toutes mesures soient prises pour les en empêcher, il est également indispensable de veiller à ce que le peuple en révolte ne se laisse pas entraîner sur le chemin qui le conduirait à un nouvel ordre social vicié à sa base, et qui petit à petit le ramènerait à son point de départ.

Lorsque nous disons que la Révolution est un tout, ce n’est pas que nous ayons la naïveté de croire qu’il soit possible d’élaborer dans le plus proche futur la Société Anarchiste. Nous savons que trop de préjugés encrassent encore le cerveau des individus et que les tares transmises par des milliers et des milliers d’années de servitude, seront des facteurs avec lesquels il faudra compter, facteurs de contre-révolution qui entraveront la réalisation immédiate d’une société vraiment anarchiste. Mais ce que nous croyons c’est que la Révolution peut se diviser en deux phases : qu’elle sera premièrement économique, matérielle, et ensuite, intellectuelle et morale. Sur le terrain économique, la Révolution doit établir l’égalité des hommes, égalité alimentaire pourrait-on dire, qui doit servir de fondement à l’évolution morale et intellectuelle des hommes vivant en société.

Or, à nos yeux, la Contre-Révolution se présente sous la forme de tout organisme qui, par ses pratiques ou sa propagande, arrête dans sa marche l’œuvre de destruction des vieux principes autoritaires sur lesquels repose toute l’inégalité économique et sociale des sociétés modernes. Une Révolution laissant subsister une hiérarchie qui se manifeste non seulement par l’autorité gouvernementale, mais aussi par le privilège qu’ont certains de consommer plus que leurs semblables, est une révolution incomplète, qui traîne comme un boulet le lourd fardeau de l’illusion démocratique et renferme en elle-même tous les germes de corruption inhérents aux sociétés modernes.

La Révolution ne sera vraiment triomphante que :

1° Lorsque le capital aura totalement disparu de la surface du globe ;

2° Lorsque l’Autorité sera complètement abolie ;

3° Lorsque l’individu ne sera plus soumis à la contrainte d’autrui et qu’il sera entièrement libre de ses actes et de sa volonté.

Affirmer que demain il soit possible de voir le jour se lever sur un monde à ce point rénové serait une folie, et les Anarchistes vivent trop sur la terre pour ignorer les difficultés qu’il y aura à surmonter pour atteindre ce but. Cependant tout ce qui ne s’oriente pas vers ce but nous semble être Contre-Révolutionnaire.

On confond facilement Révolte et Révolution. La Révolution, comme l’a si bien démontré Kropotkine, sera communiste, ou alors, écrasée dans le sang, elle sera à recommencer. Par conséquent, si l’on accepte ce principe élémentaire du révolutionnarisme, que la Révolution doit ouvrir les portes du Communisme libertaire ― et les Anarchistes ne peuvent pas ne pas l’accepter ― tout ce qui est une entrave au Communisme est un facteur de Contre-Révolution.

Lorsque nous employons le terme « Contre-Révolution » ou « Contre-Révolutionnaire », nous ne donnons pas toujours à ces expressions un sens péjoratif, car il y a deux sortes de « Contre-Révolution et de Contre-Révolutionnaire ».

Dans la première catégorie, on peut classer tous ceux qui, par un mouvement de recul de la Révolution, espèrent reconquérir les privilèges abandonnés dans la lutte, et rétablir l’ordre social dans lequel ils étaient les maîtres tout puissants. Ce sont les Contre-Révolutionnaires appartenant à la bourgeoisie et qui ne désirent qu’une chose : voir se perpétuer l’inégalité et l’injustice politique, économique et sociale, qui leur assurent non seulement le bien-être mais aussi le superflu.

De ceux-là il n’y a rien à attendre, sinon des déboires ; ce sont des adversaires acharnés de tout mouvement de libération prolétarienne et ils ne méritent que le mépris et la haine des classes opprimées. Il faut les écraser dès les premiers jours d’un mouvement insurrectionnel.

Est-il besoin de s’étendre sur les facteurs de Contre-Révolution qui prennent leurs sources dans les rangs de la bourgeoisie ? La classe ouvrière sait bien ― et elle est payée, ou plutôt elle paye pour le savoir ― que le capitalisme n’acceptera jamais de bon gré la transformation d’une société qui lui permet toutes les jouissances et le fait bénéficier de tous les avantages. Par tous les moyens, le capitalisme se défend et se défendra contre les forces de Révolution ; il est contre-révolutionnaire par essence, en vertu même de la situation qu’il occupe dans la société ; et, durant les périodes catastrophiques, lorsque sous la poussée du populaire, les maîtres détrônés, jetés à bas de leur piédestal, sont obligés d’abandonner le terrain, ils n’acceptent leur sort que provisoirement et sitôt que l’horizon leur semble propice, ils mettent tout en œuvre pour reconquérir le terrain perdu. C’est l’histoire de toutes les révolutions du passé, et la plus récente, celle de 1917, en Russie, n’échappa pas aux attaques et aux manœuvres honteuses de la contre-révolution capitaliste.

Si la contre-révolution réactionnaire est possible, c’est que dans la Révolution elle-même il y a des facteurs de contre-révolution. Être révolutionnaire, ce n’est pas seulement détruire, c’est surtout construire. La société bourgeoise peut être comparée à la chandelle de nos ancêtres, il faut la remplacer par un flambeau. On ne comprendrait pas l’individu démolissant un bec de gaz parce qu’il éclairait mal, et qui, n’ayant rien à mettre à la place, serait plongé dans l’obscurité.

On a trop spéculé sur la force physique, musculaire, numérique du peuple, dans les révolutions passées. On a laissé croire aux masses d’ouvriers qu’ils étaient la force parce qu’ils étaient la majorité. Cela était peut-être vrai à l’époque où les progrès de la science n’étaient pas arrivés au point culminant qu’ils atteignent de nos jours ; mais actuellement, ce qui fait la puissance du capitalisme, c’est son intelligence, ses connaissances, ses techniciens, et ce qui fait la faiblesse du prolétariat c’est son ignorance. Cette ignorance est, elle aussi, un facteur de contre-révolution aussi dangereuse que le capitalisme lui-même.

Il peut sembler paradoxal que des révoltés puissent être des contre-révolutionnaires et il en est pourtant ainsi.

Il y a donc ce que l’on peut appeler la seconde catégorie de « contre-révolutionnaires », qui est composée de révoltés voulant détruire l’ordre social bourgeois, d’individus qui aspirent à la liberté et au bonheur pour tous, mais qui se trompent, de route et qui empruntent celle qui ne peut les conduire qu’à un nouvel esclavage et s’éloignent sensiblement du but poursuivi.

Ces « contre-révolutionnaires » ne sont pas guidés, nous le répétons une fois encore, par l’intérêt, mais par l’ignorance. Ils sont sincères dans leurs erreurs et pensent loyalement qu’ils travaillent pour le bien de l’Humanité, alors qu’en réalité ils retardent l’ère de la libération des peuples.

Ils sont des agents de contre-révolution, malgré leurs convictions révolutionnaires, et il est pénible et douloureux de constater toutes les énergies dépensées, tous les sacrifices consentis, sincèrement au nom de la Révolution en faveur de la Contre-Révolution. Et cela nous fait songer à l’ours du fabuliste, qui, pour tuer une mouche qui se promenait sur la figure de son maître, lui écrasa la tête avec un pavé.

Si un ours était susceptible de raisonner, d’éprouver un sentiment d’intelligence ou de logique, s’il n’était pas simplement conduit par l’instinct, nous dirions que c’est un noble sentiment qui détermina son geste brutal ; il eut été préférable pour le maître que l’ours n’éprouvât pas ce sentiment. C’est également un sentiment noble et sincère qui détermine ces « contre-révolutionnaires », révolutionnaires dans leurs actions, et ils sont convaincus de l’efficacité des moyens employés pour assurer le triomphe de la Révolution ; mais hélas, la sincérité n’a rien à voir avec la vérité et un homme sincère peut être dangereux lorsqu’il se trompe.

« Les gens qui font des révolutions à demi ne parviennent qu’à se creuser un tombeau. » Ce sont là les profondes paroles de Saint-Just qui il 26 ans, monta à l’échafaud, les pieds baignant dans le sang de Robespierre, le front haut et le regard plongé dans l’avenir.

Il mourut Victime de ses erreurs, et de celles de tous les conventionnels qui eurent confiance en une République établie sur l’Autorité et la Propriété, et avec quelle fougue, avec quel amour, avec quelle émotion vibrante, il la défendit, « sa République ! »

Et si aujourd’hui il pouvait apercevoir son œuvre, si avec Robespierre « l’Incorruptible » il pouvait contempler le régime d’arbitraire, de boue et de sang que nous subissons et qui prend sa source dans l’erreur républicaine et démocratique de 93, ne serait-il pas terrifié, lui qui croyait à la justice, à la vertu et à l’humanité ?

Si nous jetons un regard rétrospectif sur le passé, ce n’est pas pour amoindrir les hommes qui ont illustré de façon admirable le grand livre de leur époque et qui ont joué un rôle considérable dans l’évolution des Sociétés. Mais lorsque, avec la quiétude que nous donne le recul de l’histoire, sans haine et sans passion, nous examinons le travail accompli par nos aînés avec le seul désir et l’unique souci de faire mieux lorsque notre tour viendra, il est opportun d’enregistrer les fautes commises hier pour ne pas les répéter demain.

Saint Just avait tort et Robespierre aussi. Ils ont réalisé des choses grandioses, ils n’ont pas su réaliser, la Révolution et pousser la Contre-Révolution dans ses retranchements et cela leur coûta la vie. Le « Père Duchesne » avait raison et en le faisant arrêter et condamner à mort, Robespierre franchissait le mur qui séparait la Révolution de la Contre-Révolution, il allait être lui-même sa propre victime.

Qui donc aujourd’hui contesterait la sincérité et le désintéressement des héroïques communards de 1871, qui, durant près de trois mois se défendirent courageusement contre les armées ― supérieures en nombre et en force ― des Versaillais ? Les chefs de ce beau mouvement agissaient-ils révolutionnairement en faisant garder les banques par des soldats et en refusant de s’emparer de cette richesse ― toujours mal acquise ― alors que le peuple affamé se mourait devant les coffres-forts de la bourgeoisie ? Ne sont-ils pas responsables dans une certaine mesure de la répression terrible de Thiers, qui se vengea de la terreur éprouvée par la bourgeoisie, en faisant massacrer des dizaines de milliers de révoltés ?

« Les gens qui font des révolutions à demi ne parviennent qu’à se creuser un tombeau. » Il faut méditer ces paroles et s’en inspirer à chaque moment dans la lutte que nous menons contre l’organisation féroce des Sociétés capitalistes ; et puisque nous avons les enseignements et les expériences du passé pour nous guider, puisque ceux qui nous ont précédés sont morts pour que nous sachions, apprenons à nous conduire pour ne pas commettre les erreurs qui furent les causes déterminantes de leurs échecs.

Une demi-révolution est une demi-victoire et une demi-défaite. Le monde ne sera régénéré que lorsque la victoire sera complète, et tous ceux qui s’arrêtent en route peuvent être considérés comme faisant inconsciemment le jeu de la Contre-Révolution.

Reclus nous a enseigné que le communisme ne s’instaurera qu’à la suite d’une série d’évolutions et de révolutions qui se répèteront inévitablement, jusqu’au jour où la Société transformée ne fond en comble ne conservera plus aucune trace de la barbarie des sociétés à bases capitalistes. Or, l’histoire nous apprend que jamais les mouvements de révolte ne furent provoqués par les dirigeants du peuple et que tout gouvernement, ayant la charge de veiller à ce que l’ordre soit maintenu à l’intérieur de la Nation, est par essence conservateur et par force contre-révolutionnaire.

Jules Lemaître, dans une de ses œuvres intitulée : « Les Rois », nous présente un monarque à tendances socialistes, qui veut le bien de son peuple, travaille à lui apporter le bonheur et qui est conduit par la force des événements à faire fusiller ses sujets sous les fenêtres mêmes de son palais.

Le Roi de Jules Lemaître n’avait pas saisi l’incompatibilité qui existe entre le principe de liberté d’où doit jaillir le bien-être universel et le principe d’Autorité, qui donne naissance à tous les abus, à tous les travers, à toutes les iniquités dont peut se rendre coupable une société. Le Roi de Jules Lemaître, malgré ses sentiments et son désir de bien faire, ne pouvait être un révolutionnaire, mais un contre-révolutionnaire, parce que, attaché de par ses fonctions à maintenir dans sa forme un état de chose arbitraire, il était condamné à prendre position en faveur des forts au détriment des faibles. Tout Gouvernement à des époques indéterminées de sa vie se trouve dans la même position.

La Révolution n’aura accompli son œuvre, que lorsque tout Gouvernement, c’est-à-dire l’organisme autoritaire sous lequel il faut se courber, que ce soit au nom d’une majorité ou d’une minorité, deviendra une inutilité sociale, et le rôle du révolutionnaire ne peut donc pas être de soutenir un gouvernement mais de chercher à en amoindrir les effets nocifs.

Il est impossible de concevoir que dans une société qui se divise en classes et où la richesse existe à côté de la misère, un État ou un Gouvernement puisse se réclamer de la Révolution. Que les intentions des hommes qui sont à la tête de cet État soient louables, ce n’est pas ce qui importe ; ce qu’il faut regarder c’est si les actes de ces gouvernants ne s’opposent pas à la marche en avant de la Révolution.

Lorsqu’en 1923, l’Allemagne traversait une terrible crise économique et que le prolétariat était presque acculé à la famine, on demanda à un socialiste français ce qu’il ferait s’il avait la direction de l’État allemand, et il répondit par le vieux précepte latin « Primum vivere, deinde philosophari ». Le prolétariat, classe opprimée dans tous les pays, parce qu’il n’y a pas encore de pays d’où l’exploitation de l’homme par l’homme ait disparu, n’a pas d’autres possibilités pour vivre que d’exproprier les richesses sociales détenues en partie ou en totalité par le capitalisme et il n’appartient à personne de déterminer ou d’arrêter l’heure de la révolte.

Le peuple est révolutionnaire, non seulement par instinct, mais aussi parce qu’il souffre et qu’il arrive fatalement un moment où, las de servir de machine à exploiter, il se dresse contre ses maîtres et arrache violemment ce que ceux-ci ne veulent pas donner de bon gré, et en ces jours de révolte féconde tout ce qui ne se trouve pas du côté de l’affamé se place du côté de l’oppresseur.

Qu’importe la couleur, le titre, l’étiquette dont on se pare ; on est pour ou contre la révolte ; on est révolutionnaire ou contre-révolutionnaire. Il n’y a pas de milieu, en période révolutionnaire ; on ne peut pas vouloir un peu, il faut vouloir beaucoup ; la Révolution ne peut se mesurer à l’aune, comme une pièce de drap. Pour sortir victorieuse de la bataille il faut qu’elle efface à jamais toutes les erreurs du passé, sans quoi il faut la poursuivre et la continuer sur le terrain économique et non sur le terrain inculte de la politique.

La Contre-Révolution ? Ce sont tous ceux qui veulent arracher le flambeau des mains du peuple afin de conduire la classe ouvrière, comme un troupeau de moutons, vers des destinées inconnues ; ce sont tous les démagogues qui cherchent à se tailler des lauriers dans le sang des sacrifiés ; mais ce sont aussi tous les pacifistes bêlants, les sentimentaux et les humanitaires à fleur de peau ; les philosophes pour classe pauvre qui critiquent la violence et prêchent la passivité, et qui ne veulent pas comprendre que la violence organisée est la seule arme que possède le pauvre pour se défendre contre l’insolence et la violence des riches.

Quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, la Révolution est en marche et la Contre-Révolution sera écrasée. Certes, cela coûtera encore bien des larmes et bien du sang ; ce ne sont cependant pas les révolutionnaires qui peuvent en être rendus responsables ; ce sont ceux, au contraire, qui ne veulent rien faire pour que le monde change et qui rendent la tâche plus ardue.

« Quand on s’empiffre, alors qu’il y en a qui crèvent de faim ; lorsqu’on va bien vêtu, quand il y en a qui sont couverts de loques ; lorsqu’on a du superflu, quand il y en a qui, toute leur vie, ont manqué de tout, on est responsable des iniquités sociales puisqu’on en profite. » (Jean Grave : l’Anarchie, son but, ses moyens, p. 158.)

Marchons de l’avant. Nous avons raison puisque nous voulons le bonheur de l’Humanité et que tout ce qui nous entoure nous engage à joindre nos efforts pour prendre possession de ce qui nous appartient. La Contre-Révolution sera vaincue un jour, cela ne peut pas être autrement, et si nous ne profitons pas nous-mêmes des bienfaits de la Révolution, sachons au moins lutter en pensant que nous revivrons dans nos enfants et laissons leur un héritage plus grand que celui qui nous fut légué par nos ancêtres.

La semaille est jetée, les petits, les nôtres feront la récolte. ― J. Chazoff.