En pleine terre/11
LA VISITE DU GARDE-CHASSE
Sans en dire un mot à personne, Didace prit dans la huche un gros « chignon » de pain dont il enleva la mie d’un seul coup de canif, en rond ; il y pressa une briquette de lard salé, puis replaça la mie. Et il partit à la voile vers la Petite Îlette où il chasserait en cachette, à l’eau haute, avant la débâcle.
Mais à peine installé sous le prélart de chasse, il vit le garde-chasse arriver à lui.
— Quoi c’est que vous faites dans ce bout-ci, père Didace ?
— Comme tu vois, répondit Didace sans chercher à déguiser son intention.
Le garde-chasse qui avait de l’amitié pour Didace Beauchemin lui conseilla :
— Je vous en prie, monsieur Beauchemin, allez-vous en donc à la maison. Vous êtes pas d’un âge à chasser au fret de même. Les glaces peuvent partir d’un moment à l’autre et vous allez périr.
— T’as p’t’être raison, Tit-quienne, répondit Didace, songeur.
— À part ça, vous chassez en temps défendu. Vous vous exposez à payer l’amende, le diable et son train. Puis votre fusil, saisi…
— … Oui… oui… mon fusil saisi, répétait distraitement Didace.
Mais depuis un moment, il n’écoutait plus. L’œil rond sous d’épais sourcils embroussaillés, il était uniquement occupé à suivre une bande de canards sauvages qui volaient vers sa cache.
— Baisse-toé, Tit-quienne, dit-il à mi-voix.
Instinctivement le garde-chasse, un ancien chasseur, s’écrasa au fond du canot. Le père Didace eut juste le temps d’épauler son fusil. Pan ! pan ! six beaux noirs tombèrent dans ses « plants ».
Et Didace reprit la conversation :
— Tu disais, Tit-quienne ?