Dumas, Histoire de mes bêtes/Chapitre 17

Histoire de mes bêtes
Calmann-Lévy (p. 105-110).

XVII

LE CHAT QUI DORT


Ce que je trouve d’admirable dans les voyages longs ou courts, c’est qu’il y a toujours deux plaisirs certains : le plaisir du départ et le plaisir du retour.

Je ne parle pas de celui du voyage : c’est le moins certain des trois.

Je rentrais donc le visage souriant, laissant errer mon regard bienveillant et satisfait d’un meuble à l’autre.

Il y a toujours dans les meubles qui vous entourent quelque chose de vous-même.

D’abord, il y a votre caractère, votre goût, votre intimité.

Les meubles en acajou, s’ils pouvaient parler, ne raconteraient certes pas la même histoire que les meubles sculptés ; les meubles en palissandre, les mêmes anecdotes que les meubles en bois de rose ; les meubles de Boule, que les meubles en noyer.

Je laissais donc, comme je le disais, aller mon regard bienveillant et satisfait d’un meuble à l’autre.

Tout à coup j’aperçus, sur une causeuse placée en retour de la cheminée, quelque chose comme un manchon blanc et noir qui n’était pas de ma connaissance.

Je m’approchai.

Le manchon ronronnait de la façon la plus sensuelle.

C’était un jeune chat qui dormait.

— Madame Lamarque ! criai-je, madame Lamarque !

Madame Lamarque était la cuisinière.

— Je savais bien que monsieur était arrivé, dit madame Lamarque, et, si j’ai tardé à présenter mes devoirs à monsieur, c’est que je faisais une sauce blanche, et monsieur, qui est cuisinier, sait avec quelle facilité ça tourne, ces damnées blanquettes.

— Oui, je sais cela, madame Lamarque ; mais ce que je ne sais pas, c’est d’où me vient ce nouvel hôte.

Et je montrai le chat.

— Monsieur, dit madame Lamarque d’un ton sentimental, c’est un Antony.

— Comment ! un Antony, madame Lamarque ?

— Autrement dit, un enfant trouvé. Monsieur.

— Ah, ah ! pauvre bête !

— Je savais bien que cela intéresserait monsieur.

— Et où l’avez-vous trouvé, madame Lamarque ?

— Dans la cave, Monsieur.

— Dans la cave ?

— Oui. J’entendais : « Miaou miaou miaou ! » je me suis dit : « Ça ne peut-être qu’un chat. »

— Vraiment, vous vous êtes dit cela ?

— Oui, et je suis descendue, Monsieur, et, derrière les fagots, j’ai trouvé le pauvre animal. Alors, je me suis rappelé que monsieur avait dit une fois : « Madame Lamarque, il faudra avoir un chat. »

— J’ai dit cela, moi ? Je crois que vous vous trompez, madame Lamarque.

— Monsieur l’a dit pour sûr. Alors, je me suis dit : « Puisque monsieur désire un chat, c’est la Providence qui nous envoie celui-ci. »

— Vous vous êtes dit cela, chère madame Lamarque ?

— Oui, et je l’ai recueilli, comme monsieur voit.

— Si vous éprouvez absolument le besoin de partager votre tasse de café avec un convive, vous êtes parfaitement libre.

— Seulement, comment l’appellerons-nous, Monsieur ?

— Nous l’appellerons Mysouff, si vous voulez bien.

— Comment, si je veux ? Monsieur est le maître.

— Seulement, madame Lamarque, vous ferez attention qu’il ne mange pas mes becs de corail, mes cous-coupés, mes calfats, mes veuves et mes bengalis.

— Ah ! si monsieur a peur, dit Michel en entrant, il y a un moyen.

— Un moyen de quoi, Michel ?

— Un moyen d’empêcher les chats de manger les oiseaux.

— Voyons le moyen, cher ami.

— Monsieur, vous avez un oiseau dans une cage, vous la cachez de trois côtés, vous faites rougir un gril, vous mettez le gril du côté de la cage qui n’est pas caché, vous lâchez le chat, et vous sortez de la chambre. Le chat prend ses mesures, il s’accroupit, et, d’un bond, il retombe les quatre pattes et le nez sur le gril. Plus le gril est rouge, mieux il est guéri.

— Merci, Michel… Et le troubadour ?

— Ah ! c’est vrai ! moi qui oubliais que je venais pour cela. Eh bien, Monsieur, c’est fait : il donne Potich pour quarante francs ; seulement, il demande en retour deux souris blanches et un cochon d’Inde !

— Mais, Michel, où voulez-vous que je me procure deux souris blanches et un cochon d’Inde ?

— Si monsieur veut me charger de cela, je sais où il y en a, moi.

— Comment, si je veux vous en charger, mais c’est-à-dire que vous me rendrez le plus grand service en vous en chargeant.

— Alors, donnez-moi quarante francs.

— Voici quarante francs, Michel.

Michel sortit avec les quarante francs.

— Sans indiscrétion, dit la mère Lamarque, je voudrais demander à monsieur ce que veut dire Mysouff ?

— Mais, ma chère madame Lamarque, Mysouff veut dire Mysouff.

— C’est donc un nom de chat, Mysouff ?

— Sans doute, puisque Mysouff s’appelait comme cela.

— Quel Mysouff ?

— Mysouff Ier. Ah ! c’est vrai, vous, madame Lamarque, vous n’avez pas connu Mysouff.

Et je tombai dans une si profonde rêverie, que madame Lamarque eut la discrétion d’attendre à un autre moment pour savoir ce que c’était que Mysouff, premier du nom.