Du Vert au VioletAlphonse Lemerre, éditeur (p. 93-94).

VIVIANE



Dans la forêt de Brocéliande, je rencontrai Viviane.

Elle semblait faite d’ombre et ses regards étaient bleus comme les frondaisons crépusculaires.

« Assourdis tes pas qui font craquer les feuilles mortes, dit-elle. Car il n’est pas de cruauté plus haïssable que celle de réveiller un être endormi. Les visages de ceux qui sommeillent ressemblent, en leur béatitude, aux visages de ceux que la Mort a couchés sur un lit de violettes. Réveiller un être endormi, c’est lui apporter de nouveau les soucis, les angoisses, les souvenirs, les remords, toute la mélancolie de vivre. Ne réveille donc pas Merwynn, qui dort parmi les primevères et les lys sauvages, »

Je la contemplai des yeux ravis de mon âme, et je sanglotai :

« Ô Viviane ! les caresses des autres femmes ne donnent que la volupté : les tiennes donnent l’oubli. Ne pourrais-tu m’accorder, à moi qui t’aime, l’éclair d’un baiser ?

— Je n’aime point les ombres qui passent, me répondit-elle. Merwynn seul posséda mon incomparable amour.

— Et pourtant, lui dis-je, tu l’as trahi, Viviane.

— Oui, je l’ai trahi, murmura la Magicienne de Brocéliande. Mais n’est-ce point la destinée des êtres de trahir éternellement ce qu’ils aiment ? Que la trahison soit médiocre ou immense, elle se glisse irrémédiablement entre les lèvres qui se possèdent. Oui, j’ai trahi Merwynn, je l’ai dépossédé de la sagesse, mais je lui ai donné ce qui est infiniment plus précieux : le néant de la pensée. »