Du vert au violet/Le Chant de Celle qui passe

Du Vert au VioletAlphonse Lemerre, éditeur (p. 97-98).

LE CHANT DE CELLE QUI PASSE



Quelle harmonie daigneras-tu écouter ce soir, ô Silencieuse ? Veux-tu la rêverie du rossignol ? Veux-tu la complexité savante des accords ou le sanglot unique du chant ?

— Je ne veux entendre que le gémissement de la Mer éprise de la Lune.

— De quelles fleurs veux-tu parer tes cheveux nocturnes où le roux et le bleu s’harmonisent ? Veux-tu les gardénias délicatement artificiels que le toucher meurtrit ? Veux-tu la rose ardente ou le lys plus voluptueux encore par sa pâleur amoureuse et la véhémence de son haleine ? Veux-tu le cyclamen à la senteur tendre, ou l’iris noir, ou le pavot d’où se dégage une odeur de sommeil ?

— Je ne veux que les ténébreuses violettes, sœurs de la Nuit.

— De quelles clartés veux-tu illuminer la salle du festin ? Veux-tu la flamme rouge des torches ou le rayon mystique des cierges dont la cire odorante se dissout en parfums ? Veux-tu la lumière inexprimable des astres nébuleux ?

— Je ne veux que les larges prunelles des hiboux, qui se dorent dans les ténèbres.

— Quelle Beauté veux-tu contempler de tes yeux ardents ? Veux-tu les blonds subtils des chevelures où s’embrument les reflets verts et les reflets roses ? Veux-tu la magnificence automnale des chevelures rousses ou la profondeur des chevelures d’ombre ? Veux-tu l’infini des yeux bleus, la flamme des yeux noirs, le crépuscule des yeux gris, ou l’énigme des yeux verts ?

— Je ne veux contempler que le visage de la Solitude, mon Amante et mon Amie. »