Du vert au violet/Le Baiser de Sélanna

Du Vert au VioletAlphonse Lemerre, éditeur (p. 141-143).

LE BAISER DE SÉLANNA[1]



Je vous conterai, ô vierges attentives, le baiser que Sélanna fit fleurir jadis sur le front d’une morte.

Sélanna, sachez-le, est la seule parmi les Déesses qui ait connu la mystique splendeur de l’Amour sans Désir. Elle n’a point la rigidité de l’Artémis et de Pallas Athéna, ni l’ardeur de l’Aphrodite. Ses caresses sont chastes comme les rayons nocturnes ; elles effleurent comme les ailes invisibles de l’Ame.

Une nuit que Sélanna errait à travers l’espace, très pâle sous l’ombre de ses voiles bleus et verts, elle vit une demeure abandonnée d’où s’exhalait la désolation des ruines.

La solitude royale du palais lui plut… — Doucement elle écarta les feuillages et les branches, doucement elle écarta l’essor fébrile des chauves-souris qui se pressaient autour d’elle, et, doucement, lentement, elle entra.

Sur une couche funèbre recouverte de drap d’argent, parmi les lys, les tubéreuses et les blancs pavots, une vierge paraissait dormir. Mais le souffle avait délaissé ses lèvres sans couleur et sans parfum. Ses paupières semblaient deux violettes fanées… Son front était lumineux encore dans le crépuscule de ses cheveux couleur de cendre… Mais elle était plus froide et plus lointaine que la Déesse elle-même.

Les flammes des torches étaient depuis longtemps éteintes… La petite Morte abandonnée reposait dans l’immensité des ténèbres…

Sélanna, très pâle sous l’ombre de ses voiles verts et


bleus, se pencha, étrangement et impérieusement émue. Et, de ses divines lèvres sans couleur et sans parfum comme les lèvres de la petite Morte, elle effleura le front resté lumineux dans le crépuscule des cheveux couleur de cendre…

J’ai conté, ô vierges attentives, le baiser de Sélanna à une Morte.

  1. Forme dorienne du nom de Séléné.