Du vert au violet/La Divinité inconnue

Du Vert au VioletAlphonse Lemerre, éditeur (p. 29-30).
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LA DIVINITE INCONNUE



La femme que j’aime, la femme inconnue, demeure au fond d’un antique palais où s’obstine un soir perpétuel.

Le vieux palais vénitien où son enfance a germé, où son adolescence a fleuri, sommeille en le silence des eaux mortes. L’ombre du passé estompe les nuances fragiles des étoffes et les couleurs des tableaux. C’est à peine si on entend frémir les souffles de la mer dans les plis des rideaux pesants.

Il y a du silence en elle et autour d’elle.

On devine, en l’approchant, qu’elle a toujours vécu dans la solitude. Elle a de longues mains auxquelles la pénombre a donné les tons jaunis des vieux ivoires. Son regard a le reflet des eaux mortes. Elle parle si bas qu’il faut se recueillir pour l’entendre. Et sa parole semble l’écho d’une plainte que nul n’a jamais entendue.

Dans la chambre qu’elle habite, on sent la présence mystérieuse de l’Âme. Elle aime les fleurs qui se fanent, et s’attriste voluptueusement lorsque le crépuscule fait tomber avec regret les pétales d’une rose.

Sa robe de deuil a l’épaisseur douce des ténèbres. Elle est comme enveloppée de nuit.

Ses cheveux sont tissés de rayons nocturnes et mêlés de pourpre, comme si l’Ombre y avait effeuillé ses calmes violettes.

Je l’aime parce qu’elle m’est inconnue et n’existe que dans un songe.