Du vert au violet/Conte dorien

Du Vert au VioletAlphonse Lemerre, éditeur (p. 23-25).

CONTE DORIEN


Ἤρων ἐξεδίδαξ᾽ ἑϰ Γυάρων τὰν τανυσίδρομον.
Ψάπφα.


J’instruisis Hérô de Guara, la [vierge] légère à la course.
Psappha.


Hérô de Guara fut, comme Atalanta, une vierge légère à la course. La foule contemplait de loin ses fuyantes sandales d’or, aussi promptes que l’éclair, lorsque, la première, elle atteignait au but, le vent du matin ayant dénoué ses cheveux et ravivé l’aurore de ses joues. Des souffles de fenouil et de thym, imprégnant son corps, flottaient autour d’elle.

Elle avait l’âme vaste et vide des solitudes. Son rêve était imprécis comme l’espace, et jamais le désir de l’amour n’avait enfiévré la fraîcheur de ses yeux où frissonnait un reflet d’herbe et de feuillages.

Un soir, elle écoutait murmurer la mer éternellement éprise de Mytilène, la mer qui resserre autour de l’Île sacrée sa profonde étreinte, lorsqu’elle entendit chanter une voix amoureuse comme la mer ;

« Viens, Déesse de Kuprôs, et verse délicatement dans les coupes d’or le nektar mêlé de joies. »

Et, lentement, une Femme sortit de l’ombre méditative des arbres et s’arrêta devant l’étrangère en disant :

« Je suis Psappha de Lesbôs. »

Sa chevelure entrelacée d’hyacinthes, sa chevelure aux profondeurs nocturnes, ondoyait sous la brise, et ses yeux, bleus comme l’Égée, insondables et changeants, attiraient ainsi que l’eau très profonde. Elle avait la pâleur de l’herbe que le soleil a décolorée. Ses mains étaient parfumées de violettes, dont elle tressait des couronnes. Sa voix était pareille à la voix de Peithô, la Persuasion qui sert l’Aphrodita et qui entraîne les êtres vers l’amour. Et son sourire avait la douceur lointaine du sourire de Sélanna.

Hérô la contemplait, muette, L’ardente rougeur du soir brûlait leurs fronts. Un silence plein de frémissements les enveloppait toutes deux.

Leur beauté dissemblable s’harmonisait et se complétait, et leurs songes de volupté s’unirent.

« Viens, dit enfin la Lesbienne, je t’enseignerai les chants et l’amour. »

Elle s’approcha, et les lèvres de la vierge agonisèrent sous la flamme du baiser.