Imprimerie Beauregard (p. 17-21).

II

La vérité intérieure


Il est au fond de toute chose
Une infrangible vérité
Qui dans l’être, une fois éclose,
Jette une sombre anxiété.

Elle angoisse la conscience
Plus âprement que le remords,
Et frappe toute défaillance
Dans les maux de l’âme et du corps.

Sa voix, lancinante et sévère,
Arrive jusqu’aux derniers plis
Du Moi, qui voile sa misère
Sous des critères avilis.


Elle tourmente chaque fibre,
Dans les oubliettes du cœur ;
Et nulle volonté n’est libre
De l’envisager sans terreur.

Elle est l’immuable Justice
Et réside toujours en toi :
Malgré ta morale factice.
Ta conduite subit sa loi.

Cache tes excès sous la pierre
Qui mure les riches palais :
Elle rougira ta paupière
Dans tes débauches de laquais.

Elle séchera tes organes
Et les membres de tes enfants,
Si la Vertu que tu profanes
Cède à tes vices triomphants.

Tu peux duper la foule humaine
Par de fiers et pieux dehors,
Mais tu verras croître la peine
Avant que les plaisirs soient morts.


Pour embellir ta fantaisie,
Pantin dont le Mal tient les fils,
Arme-toi de l’Hypocrisie,
Ce bouclier des êtres vils :

La Vérité victorieuse
Brisera ton masque ingénu
Et montrera ton âme gueuse,
Avec ses faussetés, à nu.

Elle accusera tes orgies,
Qui troublèrent des lares chers,
Et comme des pinces rougies
Ses souvenirs cuiront tes chairs.

Elle flétrira ton visage
De ses stigmates accablants,
Et soulignera le passage
Signé de tes crimes tremblants.

Si ta solitude en panique
Appelle un monde à ton secours
Pour étouffer la voix tragique.
Les autres seuls y seront sourds.


Et sans jamais vouloir se taire,
Jusque dans l’ombre du tombeau
Elle sera l’affreux mystère
Qui ronge le dernier lambeau.

N’évoque pas la faute innée.
Rien ne se fait impunément.
Si tu crois fuir ta Destinée,
C’est ta suffisance qui ment.

Toi, que le faux amour enivre,
Déchire ses bandeaux épais ;
Regarde haut si tu veux vivre :
Le seul bonheur est dans la paix.

Marche droit, vise loin, espère :
Crois à ton meilleur devenir,
À la Beauté qui régénère,
Au calme qui ne peut finir.

Aime la grandeur qui s’épure
Au contact des principes forts ;
Et pendant que ton souffle dure,
Contemple tes devoirs sans bords.


Fuis une paix improductive
Faite d’écueils et de danger,
Mais que ta vigueur se ravive
Dans l’œuvre qui doit émerger.

Et si tu vois pâlir ta flamme,
Rallume son rayon mourant :
Tu te sentiras en ton âme
Toujours plus fort, toujours plus grand.