Drames de la vie réelle/Chapitre XVI

J. A. Chenevert (p. 48-49).

XVI

Pour nous conformer au titre de ce roman — Drame de la vie réelle — nous allons suspendre le récit des douleurs qui ont saturé l’âme de notre héroïne sans toutefois, ainsi qu’on le verra plus tard, brider son cœur, tant la jeunesse et le temps sont des palliatifs aux plus grands malheurs ! Mais n’anticipons pas……

Nous profiterons du séjour de Julie chez notre excellent curé pour, en les accompagnant tous deux, raconter au lecteur attentif les choses extraordinaires dont Julie fut témoin et son père d’adoption l’un des acteurs, scènes qui se passèrent à Sorel, alors le bourg de William Henry.

Le lecteur, bien que nous ne précisions point les dates pour le bon motif que nous ne voulons pas qu’on puisse retracer l’identité des descendants des personnages que nous faisons revivre dans notre roman, mais le lecteur, disons-nous, nous croira sans peine, lorsque nous lui dirons que toutes les aventures navrantes que nous avons à raconter datent d’avant 1837-38.

C’est ainsi que nous constatons, ici, qu’une cession mémorable de la Chambre l’Assemblée, avait eu lieu à Québec vers l’époque de notre récit.

Nos députés alors incorruptibles, de même que l’était l’électorat, sauf quelques peccadilles, avaient voté, à une majorité de cinquante-six contre vingt-quatre, les fameuses 92 résolutions, contenant les griefs des habitants du pays, affirmant en même temps la ferme résolution de n’en pas abandonner un iota et d’obtenir justice coûte que coûte. L’honnête Morin fut délégué en Angleterre porteur de ces patriotiques résolutions, et il était porteur de requêtes recouvertes de cent mille signatures, si tant est qu’on n’ait point exagéré, car en prenant alors en considération le total de la population mâle y compris les torys (qui certes ne signèrent pas) cent mille signatures sont difficiles à supposer.

Quoi qu’il en soit, M. Morin revint d’Angleterre et plus tard M. Viger, sans résultat pratique. Des élections générales eurent lieu et le peuple, nous ne saurions trop le redire, qui ne se vendait pas alors et que conséquemment ses députés ne revendaient pas, choisit quatre-vingt députés réformistes contre huit tories.

Au nombre de ces députés tories fut nommé J. Pickel, un tory enragé, et c’est à l’occasion de cette élection dont notre héroïne fut spectatrice, que le drame que nous allons faire revivre eut lieu.